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Dossier

Notions directrices et architectonique de la métaphysique. La critique kantienne de Wolff en 1763

Main notions and architectonics of metaphysics. Kant’s criticism of Wolff in 1763
Stefanie Buchenau

Résumés

Cet article cherche à reconstituer la thèse de Christian Wolff sur l’évidence (Deutlichkeit) des principes métaphysiques, dans un article de 1729 sur les « Notions directrices et le véritable usage de la première science », qui offre une référence centrale (et méconnue aujourd’hui) aux répondants du concours de 1762-1763, dont Kant. Wolff affirme en effet que la métaphysique est susceptible d’une certitude égale voire supérieure à celle des mathématiques et qu’elle diffuse cette certitude à travers toutes les autres disciplines ; c’est cette thèse forte qu’il s’agira précisément de questionner en 1763. Une lecture plus attentive de l’article de Wolff permet d’en dégager certaines prémisses. La thèse de Wolff sur la certitude mathématique de la métaphysique est fondée sur un renversement de l’ordre de priorité entre métaphysique (ontologie) et mathématiques. Selon Wolff qui, dans son débat avec les mathématiques, s’appuie notamment sur la géométrie euclidienne, ce sont des notions métaphysiques qui fondent la validité des règles mathématiques et logiques. Des notions comme « identité », « chose », « possibilité », etc., possèdent en effet un statut « directeur » ou méthodique, dirigeant l’esprit sur le chemin de la connaissance et, sous une forme systématisée, composent une ontologie moderne et « architectonique ». La restitution de ce cadre permet de mieux voir la continuité méthodologique entre Wolff et Kant. En effet, même si Kant conteste la validité de quelques-uns de ces concepts, les modalités de leur systématisation et l’équation entre science architectonique et ontologie, sa Recherche sur l’évidence des principes s’inscrit à l’intérieur du programme, esquissé par Wolff, de la fondation d’une métaphysique architectonique contenant un tableau de concepts directeurs. De ce point de vue, Kant s’avère plus tributaire de la méthode wolffienne qu’il n’est supposé communément, et leur débat gagne en profondeur.

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Texte intégral

  • 1  G. Tonelli, « La disputa sul metodo matematico nella filosofia della prima meta del Settecento e l (...)
  • 2  J. L. S. Formey, « Introduction à la métaphysique ou dissertation préliminaire. Sur les notions di (...)
  • 3  Le titre latin est : « De Notionibus directricibus & genuino usu philosophiae primae », Horae subs (...)
  • 4  Parmi les réponses anonymes à la Preisfrage, on peut en effet en trouver de tendance wolffienne qu (...)
  • 5  « [Es lässet sich] eine größere Gewissheit nicht einmal wünschen », dans Von denen zur Richtschnur (...)
  • 6  Ibid.

1La question sur la certitude et l’applicabilité de la méthode mathématique aux domaines métaphysique, théologique et moral, mise au programme du concours de l’Académie en 1761, est en fait une vieille question de l’Âge classique et de ses projets méthodiques ; une question qui au xviie siècle1 partageait encore les promoteurs (Descartes, Spinoza) et les adversaires (aristotéliciens) d’une méthode mathématique en philosophie. Au xviiie siècle, ce clivage semble enfin dépassé. La philosophie (et plus précisément la Schulphilosophie) renoue avec l’ambition méthodique de l’Âge classique en cherchant cette fois-ci à réconcilier cartésianisme et aristotélisme, à moderniser, systématiser à l’intérieur d’un cadre disciplinaire plus ou moins ancien : ainsi s’engage-t-elle sur la voie qui doit permettre à son fondateur Christian Wolff de construire un système réconciliant modernité mathématique et tradition métaphysique. La justification la plus claire de cette position sur l’application de la méthode mathématique à la métaphysique, qui forme l’arrière-plan immédiat de la Preisfrage, se trouve dans un article de Wolff de 1729 remarqué par les contemporains, et qui figure même en tête d’un volume du recueil de vulgarisation La Belle Wolffienne, de Jean Louis Samuel Formey2, mais qui depuis est tombé dans l’oubli. Il s’intitule « Des notions directrices et du véritable usage de la première philosophie »3 et il offre une réponse claire et clairement positive à la question soulevée par la Preisfrage de l’Académie prussienne en 17614. Wolff y explique que la métaphysique, la théologie et la morale sont susceptibles d’une certitude égale à celle des mathématiques. La métaphysique et l’ontologie produiraient en effet un ensemble de « notions directrices » susceptibles d’une certitude telle que l’« on ne pourrait pas même [en] souhaiter de plus grande »5 et qui suffit pour bannir efficacement et définitivement le doute et le scepticisme tant de la philosophie en général que de la géométrie6. Cette certitude que, aux dires de Wolff, l’ontologie comme « science architectonique » est capable de produire se diffuse à travers toutes les autres disciplines et la morale.

  • 7  Mon article cherchera à préciser les enjeux du débat entre Wolff et Kant. Il serait bien sûr aussi (...)

2Que Kant ait choisi de consacrer un si large espace de son traité à la question de la certitude de la métaphysique, cela peut être lu comme un indice que cette thèse forte sur la certitude de la métaphysique forme le – ou un – arrière-plan majeur de la Preisfrage qu’il s’agit pour lui de discuter au préalable7. Selon une interprétation courante, la réponse de Kant « renverserait » le wolffianisme en opposant une certaine méthode newtonienne et empiriste à la méthode rationaliste, formelle et mathématique de Wolff en matière de métaphysique. Une lecture plus attentive de la thèse wolffienne permet de mieux défendre une certaine continuité méthodologique. En effet, la réponse à la Preisfrage de Kant s’inscrit dans la problématique et le programme esquissés par Wolff de la fondation d’une métaphysique architectonique contenant un tableau de notions directrices, et elle partage nombre de ses prémisses méthodologiques. De ce point de vue, Kant s’avère plus tributaire de l’ontologie wolffienne qu’il n’est supposé communément, et leur débat gagne en profondeur.

Mathématique et métaphysique selon Wolff

  • 8  Outre l’article déjà mentionné, on peut relever d’autres articles consacrés à la question de la mé (...)
  • 9  Sur la méthode et le système de Wolff, voir la section des volumes du congrès sur Wolff en 2004, d (...)
  • 10  « […] die Grundwissenschaft […][ist] bisher so übel eingerichtet gewesen, daß die meisten Leser ga (...)
  • 11  Ibid., § 1, p. 108.

3Si la mathématisation de la métaphysique constitue en un sens un point du programme de la philosophie de l’Âge classique, la réalisation de ce point et du rêve d’une transposition des idéaux de la science moderne à toute la philosophie semble se heurter à un certain nombre d’obstacles, et il fallait (d’après l’observation de Kant dans la seconde introduction de la Critique de la Raison pure) attendre la venue de Christian Wolff pour étendre l’esprit de la méthode et de la systématicité ou Gründlichkeit à toutes les branches de la philosophie, y compris la métaphysique. Cette extension de la méthode repose sur une conception de la méthode comme système propre à Wolff8, qu’il expose dans une série de textes de 1729-1730 et notamment dans celui que nous venons de citer, sur les notions directrices et sur le véritable usage de la première philosophie. Ces textes semblent destinés à clarifier et mieux défendre les positions contenues dans les gros traités philosophiques, comme si Wolff lui-même s’était aperçu que parfois, la Gründlichkeit se paye d’une certaine dilution et qu’il valait mieux être concis pour se positionner dans les débats philosophiques, logiques et métaphysiques de son temps. C’est sans doute pourquoi il choisit de compléter les exposés systématiques par un certain nombre de volumes contenant des remarques, Anmerckungen, mais aussi des articles (publiés d’abord dans les Horae subsecivae Marburgenses)9, dont la lecture s’ajoutait à celle des volumes de métaphysique et de logique. L’histoire a montré que ce n’était pas la meilleure stratégie à adopter pour assurer la diffusion optimale de ses thèses ; néanmoins, ces textes complémentaires méritent notre attention. Ainsi l’article sur les notions directrices compte-t-il parmi les grands textes méconnus de Wolff, résumant en peu de pages ses prémisses méthodologiques en matière philosophique et ontologique. Il montre comment Wolff parvient à moderniser radicalement la première discipline métaphysique, sans rompre pour autant avec les traditions métaphysiques de la scolastique médiévale. Il est vrai que de facto, « l’ontologie ou la science fondamentale est si mal établie qu’elle a donné des notions obscures à la plupart des lecteurs. C’est là l’origine des plaintes concernant l’obscurité enveloppant cette science, et c’est la raison de son mépris et abandon »10. Cependant, de jure, il est possible de rendre à la vieille vérité clarté et utilité11 en conférant distinction (Deutlichkeit) et fécondité (Fruchtbarkeit) aux vieilles notions. Il est en effet possible de penser la vieille science métaphysique, l’ontologie, comme une science ouverte, analogue aux mathématiques et à la physique ; comme une science susceptible même d’intégrer, outre la partie rationnelle, une partie expérimentale ; comme une science « féconde », directrice et selon un nouveau postulat, celui-ci aussi propre à Wolff, « systématique », zusammenhängend.

  • 12  Ch. Wolff, Discours préliminaire sur la philosophie en général, traduction par Th. Arnaud, W. Feue (...)
  • 13  Voir Pascal, De l’esprit géométrique. Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1963, p. 348-355.

4Ce projet ambitieux requiert une redéfinition radicale de cette « méthode » qui s’appliquerait à toutes les branches de la philosophie. Or, le Discours préliminaire sur la philosophie en général12 auquel les lecteurs se réfèrent le plus souvent semble en effet exprimer une perspective plutôt classique, qui rappelle Descartes ou les fameuses considérations pascaliennes13 sur la méthode des démonstrations géométriques, sans marquer son écart avec ces traditions. Wolff y explique que la méthode consiste à procéder avec ordre ou méthodiquement, en n’utilisant que des principes suffisamment prouvés, certains et immuables, en n’admettant aucune proposition qui n’ait été légitimement déduite de principes suffisamment prouvés et en veillant à toujours préciser la condition à laquelle le prédicat convient au sujet. En outre, il convient de n’utiliser que des termes qui ont été expliqués au moyen d’une définition précise et d’expliquer les termes qui entrent dans les définitions subséquentes par les antécédentes. L’application de ces règles permettrait ainsi d’augmenter le nombre de nos connaissances mais aussi d’accéder à une connaissance de plus en plus distincte et certaine, et à terme d’atteindre à une certitude mathématique.

5C’est l’article sur les notions directrices qui ajoute des précisions significatives permettant de mieux dégager l’originalité de la méthode wolffienne. Wolff y explique qu’il importe en effet de ne pas se méprendre sur les fondements de la certitude mathématique. En effet, la clarification du statut des mathématiques nous oblige à corriger quelques idées reçues, représentatives d’une certaine tradition mathématique ancienne et moderne et même à renverser la hiérarchie entre les sciences mathématiques et non-mathématiques.

6Il est tout d’abord faux ou inexact que la philosophie emprunterait sa méthode aux mathématiques, qu’elle s’en servirait comme modèle. Il est en effet plus exact d’affirmer leur identité en ce sens que « les règles de la méthode philosophique sont les mêmes que celles de la méthode mathématique ». Dans les deux cas, ces règles se déduisent du même concept de certitude à laquelle il faut aspirer tant en philosophie qu’en mathématiques. On atteint la certitude dès lors qu’on ramène les propositions aux premiers principes. Dans les deux cas – et c’est cette thèse-là qui, selon Wolff, a rencontré et continue à rencontrer de fortes résistances de la part des géomètres, anciens et modernes, s’imaginant fonder leur méthode sur des principes qui relèvent de leur propre discipline –, ces premiers principes sont d’ordre non pas mathématique mais ontologique. Un regard sur les mathématiques élémentaires d’Euclide, qui représente le livre de chevet et le modèle de référence en mathématiques pour Wolff, permet de vérifier cette thèse et de dissiper un très vieux malentendu :

  • 14  Le terme allemand Deutlichkeit sera traduit soit par « distinction » (lorsqu’il se réfère à la qua (...)
  • 15  « Die Weltweisen [haben] derjenigen Säze, welche Euclides unter die Grundsäze zehlet, keine Erwähn (...)

Les philosophes n’ont pas relevé les principes rangés par Euclide parmi les principes fondamentaux ou axiomes, en sorte que les géomètres eux-mêmes ont supposé à tort qu’ils s’agissait de vérités mathématiques et non pas ontologiques, et qu’ils ont méconnu voire dénié que les mathématiques élémentaires d’Euclide, et par conséquent toutes les mathématiques tirent leur évidence (Deutlichkeit)14 de la science première dont ils abhorraient et méprisaient même le nom.15

  • 16  Pour une discussion plus détaillée de l’usage de notions métaphysiques en mathématiques, voir le t (...)

7Selon ce renversement de perspective, des principes d’ordre ontologique seraient en fait à l’origine de l’évidence (Deutlichkeit) des principes mathématiques16, parmi lesquels figurent, chez Euclide, outre quelques principes déduits des notions des lignes et des figures, les principes de l’identité et de la grandeur ; des principes ontologiques, donc, dont la certitude est immédiate. Prenons, à titre d’exemple, le premier axiome (Grundsaz) d’Euclide qui affirme que si deux éléments sont égaux à un troisième, ils sont égaux entre eux. Le concept d’identité qui y est sollicité est selon Wolff « très commun » et présent à l’esprit de celui qui juge (même indistinctement) qu’une porte est égale à une autre (ibid., p. 144). En algèbre, président les principes ontologiques de grandeur et du signe (ibid., p. 137). L’analyse infinitésimale présuppose également le principe ontologique de l’infini (ibid., p. 138).

  • 17  « […] ich verstehe durch die richtenden Begriffe diejenigen, aus welchen erhellet, wohin ich meine (...)
  • 18  Ibid., § 4, p. 133.

8Il s’ensuit, continue Wolff, que ce n’est pas tant la rigueur de ses inférences qui donne la lumière (Licht), l’évidence (Deutlichkeit) ou la certitude (Gewissheit) aux mathématiques que des principes ontologiques : ce sont eux qui se trouvent au fondement des mathématiques et de la logique. C’est pourquoi Wolff les appelle « directeurs », empruntant ce nom à la ligne directrice (linea directrix) de la géométrie permettant de construire un cercle ou encore d’autres figures (ibid., p. 115). Selon une seconde comparaison, ces principes ressembleraient à des lumières ou torches, allumant (anzünden) ou éclairant (aus welchen erhellet) la direction par où il convient de tourner ses pensées pour trouver ce que l’on cherche, « montrant, pour ainsi dire, le chemin par lequel il faut passer pour ne pas s’égarer. » « Ils allument une lumière permettant de voir le chemin que l’on ne saurait voir autrement. »17 En ce sens, les principes ontologiques assurent la véritable fonction méthodique qui est directrice : ils nous guident et nous orientent ; pour emprunter les métaphores visuelles de Wolff, ils servent de « lunette » (Brille)18 ou de « télescope » (Fernglas), permettant de voir un peu plus loin et de trouver le bon chemin. À ce titre, ces principes contiennent en eux-mêmes les règles de conduite (celles formulées dans les mathématiques ou la logique), ou permettent de les déduire.

  • 19  Voir l’article sur la fécondité des notions (« De notionibus foecundis » ; voir note 8).
  • 20  Sur ce sujet, je me permets de renvoyer à ma thèse, « The Art of Invention and the Invention of Ar (...)

9Ainsi la notion de « signe » servirait à prouver et à dégager les règles de l’ars characteristica generalis, et celui de l’ « infini » contiendrait déjà celle de l’analyse infinitésimale. Le statut directeur assure en outre leur fécondité19 pour la production ou découverte de nouvelles vérités, et leur utilité au sein de l’art d’inventer général (allgemeine Erfindungskunst) dont Wolff esquisse les contours et livre quelques échantillons20. Les concepts et les termes ontologiques servent ainsi d’outil d’invention comme les signes d’un ars combinatoria élargi dont les premiers éléments ne relèvent cependant pas des mathématiques mais de l’ontologie – Leibniz avait succombé à la même erreur que les autres mathématiciens concernant l’origine de ces concepts ou notions, et la philosophie du langage de Wolff s’en distingue sur ce point fondamental.

10Cependant, les notions ontologiques ne pourraient pas assurer cette fonction méthodique si elles n’étaient pas communes, universelles, partagées par tous les hommes, si même abstraites, indistinctes, plutôt opaques telles qu’elles se présentent à l’homme ordinaire, non-mathématicien, elles n’étaient pas déjà dans une certaine mesure compréhensibles, transparentes et claires, si elles n’avaient pas pour corrélat des notions communes, des mots et des expressions du langage ordinaire (gemeine Redensarten) à la portée de tout le monde. La position de Wolff est donc claire : l’indistinction ne saurait nuire à l’évidence (Deutlichkeit) des notions communes et à la clarté des mots du langage naturel, confirmé par leur usage général.

  • 21  Chr. Wolff, Von denen zur Richtschnur dienenden Begriffen, trad. citée, § 7, p. 144.

11Ainsi toute preuve, démonstration (Verdeutlichung) pour acquérir la certitude sur la valeur de vérité d’une proposition n’est-elle autre chose qu’une analyse des notions utilisée de manière à les ramener à un jugement sensible ; c’est ainsi qu’Euclide a rendu la vérité des démonstrations géométriques manifestes, sensibles aux yeux de tout le monde21.

  • 22  Ainsi, la réflexion sur les notions de possibilité ou d’impossibilité nous montre l’extension et l (...)

12Or, ce même type de certitude et de démarche méthodique que nous trouvons en mathématiques qualifie toute la philosophie. Elle aussi est bâtie sur des principes ontologiques et des notions communes, utilisant ces principes sédimentés dans le langage ordinaire comme des notions directrices pour la recherche méthodique de la vérité. Les notions les plus générales de l’ontologie, telles « chose », « possibilité » et « impossibilité », « essence », « accident », « perfection », « raison » lui servent de guide, quelle que soit l’abstraction et l’indistinction qui caractérise ces notions chez le non-philosophe et chez l’apprenti philosophe22.

13Il est vrai que la distinction de la démarche philosophique caractérise tout d’abord le terme du processus, plus que ces principes. Ce qui distingue le royaume de la vérité et de la philosophie méthodique du royaume des opinions et de la rhétorique est la Deutlichkeit au sens de distinction ou de détermination à laquelle parvient le philosophe grâce à l’analyse. En séparant, décomposant les notions en d’autres plus simples, il déploie et détermine le contenu de ce qui d’abord est indistinct. Cependant, dans ce processus d’explicitation, il s’appuie sur des cas concrets et des notions communes, en « tenant ensemble la notion abstraite (abgesondert) et la perception présente ». Cela lui permet d’augmenter non seulement la détermination de la notion mais aussi la clarté des termes, de telle sorte qu’il puisse « ramener la vérité la plus abstraite à une vérité immédiate ou sensible » (ibid., note 151). En augmentant la détermination des notions ou concepts, il accroît du même coup leur distinction : il entrevoit en effet de nouveaux cas particuliers tombant sous le concept général et élargit ainsi son applicabilité et aussi sa fécondité : un tel concept permet de déduire plusieurs raisons par voie démonstrative. C’est en ce sens que la distinction des concepts ontologiques vient au terme du processus d’explicitation, et dépend d’une évolution et détermination progressive des notions communes. Ce processus va aussi vers une plus grande systématisation des notions communes dont on découvre progressivement les liens et que l’on systématise selon un ordre qui va du plus simple au plus complexe.

  • 23  Discours préliminaire, § 73, ouvr. cité.
  • 24  Voir Wolff sur « De différentia intellectus systematici & non systematici », 1729 (voir note 8).

14Ainsi les concepts ontologiques et les notions communes sont-ils à l’origine de ce cheminement vers la distinction et au fondement de sa certitude, bannissant, selon l’article déjà évoqué, « tout doute et tout scepticisme non seulement de la philosophie en général, mais aussi de la géométrie » (ibid., p. 164). Cet ordre de priorité confère le statut de science « architectonique » (Grundlegungskunst en allemand, architectonica en latin) à la métaphysique et plus précisément à sa première science, « cette partie de la métaphysique qui traite des choses communes à tout étant » qu’est l’ontologie23. Dépendante des autres sciences en ce qu’elle peut subir des transformations, préciser et adapter le sens de ses notions ou en intégrer de nouveaux en fonction de l’évolution des autres sciences, de la physique, etc., cette ontologie wolffienne est néanmoins première et architectonique en ce qu’elle fournit les principes et les outils méthodologiques à toutes les sciences : elle assemble les bons outils, dont l’ordre peut être aperçu par tout véritable esprit systématique24. Le travail philosophique consiste alors à introduire, grâce à l’analyse, une plus grande distinction au sein cet ordre, qui se présente d’abord sous une forme indistincte, en rangeant ses éléments selon un ordre déductif qui va du plus simple au plus complexe et dont Wolff nous donne ici (sur quelques pages qui reprennent l’ordre du traité sur l’ontologie) une première esquisse. Sa méthode généalogique propose de déduire toute l’ontologie des principes de contradiction et de raison suffisante, pour en produire successivement les concepts « possible », « essence », « déterminant » et « déterminé », « attributs », « nécessité », etc. La vérité de ces déductions, leur lien de dépendance mutuelle paraît à l’esprit réveillé par la lecture réitérée, ainsi que par la pratique et l’application des concepts en jeu.

Quelques précisions. La réponse kantienne

  • 25  Le plus souvent, les commentateurs de Kant restreignent leur regard à la critique kantienne des th (...)

15Cette lecture d’Euclide a effectivement de quoi surprendre. Contrairement aux idées reçues, Wolff ne cherche donc pas à mathématiser à outrance ; c’est un philosophe-mathématicien dont l’œuvre témoigne d’une réflexion profonde sur les mathématiques, certes, mais cette réflexion le conduit à relativiser la certitude des mathématiques et à renverser l’ordre de préséance entre philosophie (métaphysique) et mathématiques. C’est la métaphysique et plus précisément l’ontologie qui se trouve au fondement de la certitude mathématique, qui produit les concepts servant de principes aux mathématiques. Cependant, si tel est pour Wolff le rapport entre mathématiques et philosophie, si les deux disciplines sont fondées sur des principes philosophiques et ontologiques et si les deux sont susceptibles d’une connaissance empirique, alors les critiques que la réponse de Kant à la Preisfrage formule grâce à sa distinction entre méthode mathématique et philosophique sont moins dévastatrices qu’on ne le pense communément ; elles ne conduisent pas à un renversement du wolffianisme, mais apportent plutôt des précisions à un programme que Wolff lui-même avait pensé comme ouvert et qu’il faut d’abord restituer dans sa cohérence pour bien évaluer le projet de Kant25. En effet, quelles que soient les tendances propres qui s’y dessinent, la réponse de Kant à la Preisfrage s’inscrit encore dans ce programme.

  • 26  Voir Ch. Wolff, Discours préliminaire, chap. 5 : « Du style philosophique », ouvr. cité.

16Ce programme commun à Wolff et à Kant consiste tout d’abord en une certaine purification du langage de la métaphysique, jugé obscur par les deux auteurs. Les deux s’accordent aussi à voir dans cette obscurité le facteur d’explication central pour la stérilité de cette science. Cette misère de la métaphysique est d’autant plus désolante que la métaphysique est, pour le Kant de 1763 comme pour Wolff, première dans l’ordre des sciences, ou architectonique en ce qu’elle contient les premiers principes de la méthode. Afin de remédier à sa stérilité présente, il faut s’assurer du sens des termes utilisés et éviter tout faux débat, tout verbiage vide de sens, ou situation dans laquelle chacun des interlocuteurs associe un sens différent aux termes utilisés. En raison de leur complexité et de leur généralité, les concepts métaphysiques ne permettent pas de parvenir à une certitude logique qui éliminerait tout reste d’abstraction. Il faut donc partir de concepts clairs et de termes transparents26.

  • 27  Voir E. Kant, Recherches sur l’évidence des Principes de la Théologie naturelle et de la morale, t (...)
  • 28  Voir M. Puech, Kant et la causalité, Paris, Vrin, 1990, p. 274.

17Ce postulat de transparence conceptuelle est d’autant plus urgent que les concepts en question possèdent pour Wolff comme pour Kant un nouveau statut méthodique : ils sont directeurs, nous dirigent sur la voie d’une connaissance distincte et systématique, à l’instar des règles de la méthode cartésienne ; ils composent ensemble une nouvelle science métaphysique. Dans les deux cas, nous les connaissons tout d’abord par une simple connaissance empirique, dont nous sommes immédiatement certains sans les décomposer en éléments simples27. Cela nous permet de nuancer l’image d’un Wolff comme dernier avatar d’un rationalisme formaliste, dont le système métaphysique démonstratif serait en train de s’écrouler en cette Allemagne des années 1762-176328. En effet, Wolff promeut aussi une certaine tradition empiriste allemande, qui cherche à penser un connubium entre raison et expérience et qui est en train de s’établir réellement. La méthode philosophique est dans les deux cas, chez Wolff et chez Kant, fondée sur des concepts que nous savons être vrais. Pour Kant, elle consiste à prendre le chemin naturel du sens commun, à chercher tout d’abord ce que nous savons avec certitude d’un concept (à chercher des prémisses certaines, comme le mathématicien) sans prétendre en donner une définition complète ; car il existe certains concepts qui peuvent être ramenés à des jugements immédiatement certains (unmittelbar gewisse Grundurteile). Ces concepts correspondent à des concepts communs et directeurs à la Wolff, au fondement de toute certitude « matérielle » au sens de Kant. Même si en 1763, Kant se heurte encore au trop grand nombre des principes fondamentaux ou primitifs, il renoue aussi avec le projet wolffien de concevoir une science architectonique qui contiendrait une table de ces concepts fondamentaux ou primitifs :

  • 29  Recherches sur l’évidence des Principes de la Théologie naturelle et de la morale, Considération p (...)

Si l’on compare la Philosophie, et plus particulièrement la Métaphysique [aux mathématiques, avec leur petit nombre de premiers principes], je voudrais seulement voir dresser la table des propositions indémontrables qui sont à la base de ces sciences dans toute leur étendue. Elle constituerait à coup sûr un plan qui serait démesuré ; mais la tâche la plus importante de la philosophie consiste dans la recherche de ces vérités primitives indémontrables.29

18Il est néanmoins vrai qu’au nom d’un nouveau modèle mathématique (ou physique), Kant propose un certain nombre de précisions et de modifications au sein de ce programme wolffien des notions directrices. C’est sans doute ainsi qu’il faut entendre la référence réitérée à la physique newtonienne. Contre Wolff, mais au nom de ses propres principes méthodologiques, Kant nous invite à oser un meilleur empirisme, le newtonianisme.

  • 30  Ibid., Considération seconde, p. 39.

19L’erreur de Wolff, qui au fond va à l’encontre de ses propres principes méthodologiques, est d’avoir conservé une vieille habitude irréfléchie et dommageable30 d’imitation de la démarche mathématiques : c’est ce rationalisme-là que Kant semble trouver difficile, voire présomptueux (ou, comme il dira plus tard, dogmatique) et inutile. Car si, comme Wolff le soutient à juste titre, la philosophie ne puise pas sa certitude de la conformité de sa démarche avec celles des mathématiques, mais de ses propres concepts fondamentaux, on peut et il faut cesser d’imiter aveuglément cette démarche des mathématiciens et s’interroger davantage sur les différences résultant des fins et des moyens propres à chacune des disciplines : c’est là le sujet de toute la première Considération qui ouvre le traité kantien.

20Le premier point de celle-ci, qui est le seul à mentionner explicitement Wolff, concerne les fins respectives des deux disciplines : même si mathématicien et philosophe ont recours au même type de concepts fondamentaux comme l’identité, le mathématicien ne cherche pas à aller jusqu’à expliquer ou analyser ces notions « d’un œil philosophique ». Il poursuit une ambition plus modérée et se contente de les construire. Le philosophe qui poursuit une fin plus haute, laquelle est l’analyse de ces mêmes concepts généraux, à l’œuvre dans la pensée, ne saura pour cette raison même les construire selon un ordre ou une « synthèse » arbitraire ; il suit un ordre dicté par les concepts qui lui sont donnés. Cette nouvelle opposition en termes d’analyse et de synthèse arbitraire exclut la possibilité de constructions ou fictions métaphysiques à la Leibniz : « Leibniz se représentait une substance simple, qui n’aurait que des représentations obscures, et la nommait une monade sommeillante. Il n’avait pas alors défini cette monade, mais il l’avait inventée ; car le concept ne lui en était pas donné, mais avait été forgé par lui. » Elle reste néanmoins (comme toute l’argumentation kantienne en un sens) conforme à la thèse de Wolff, lequel souscrirait a priori à une telle critique, même s’il n’alla pas jusqu’à exclure la monade de sa métaphysique. En principe cependant, il revendique que les notions directrices, comme tout terme philosophique, parlent à l’homme ordinaire et puissent être ramenées à des notions communes.

21De la première clarification kantienne concernant les fins et moyens résultent certaines contraintes de la philosophie, absentes des mathématiques, concernant le maniement de leurs signes : contrairement au mathématicien, libre de raisonner de manière purement symbolique, sur les figures et autres signes (dont les principes peuvent être explicités dans un petit nombre d’axiomes), le philosophe se doit (comme le physicien, pourrait-on ajouter) de ne jamais se détourner de la chose même, car il risque de ne plus pouvoir s’assurer de la réalité de ses signes. Au moment où il perd de vue cette réalité, il ne peut obtenir une connaissance intuitive de cette réalité, ni immédiatement, dans la mesure où pour lui le signe n’est pas identique à la chose, ni médiatement, en ramenant ses raisonnements à des principes primitifs. Le résultat principal, résumé au début de la Considération seconde, est une clarification du statut des définitions et des déductions en philosophie. Contrairement à ce qu’avait pensé Wolff, transposant des pratiques mathématiques à la philosophie, celle-ci ne peut constituer le point de départ de la méthode philosophique.

  • 31  Ibid., Considération seconde, p. 42.

22En même temps, au nom de ces principes wolffiens, il importe de rester mathématicien en philosophie tout en substituant au modèle mathématique pur celui des mathématiques physiques, appliquées, dont l’objet n’est pas symbolique mais intuitif. Selon ce nouveau modèle mathématique, illustré selon Kant dans la démarche de Newton, ce n’est pas la définition mais le jugement primitif, Grundurteil, qui sert de point de départ à l’analyse philosophique. Ainsi la première règle établie au début de la Considération seconde préconise-t-elle de chercher « d’abord avec soin dans son objet ce qu’on en sait immédiatement avec certitude, avant même d’en posséder la définition »31 ; la seconde règle ordonne de « distinguer toujours soigneusement les jugements immédiats portés sur l’objet, relativement à ce qu’on découvre d’abord en lui avec certitude et – une fois assuré que l’un d’entre eux n’est pas contenu dans un autre – de les placer comme fondements au commencement de toutes les déductions, à la manière des axiomes de la géométrie » (ibid.)

23Ces clarifications sur la vraie méthode mathématique qu’il convient d’adopter en métaphysique conduisent Kant, dans sa Considération troisième, à faire le ménage parmi les notions directrices de la science architectonique pour en éliminer certaines. L’ordre généalogique dessiné par Wolff lui-même illustre encore la vieille habitude mathématique néfaste des philosophes qui consiste à commencer par le plus difficile, par les concepts les plus généraux, ceux qui exigent une attention extrême pour bien distinguer les différents usages. Mieux vaut réduire ou abandonner les définitions pour être certain de garder à l’esprit le sens de ces signes, la chose qu’ils représentent. De ce point de vue, il convient de distinguer (avec Crusius) les principes formels et matériels de la connaissance. Il est vrai que les principes d’identité et de contradiction constituent les premiers principes formels de la connaissance ; ils comptent, comme l’indique aussi Wolff à plusieurs reprises dans son article, parmi les notions directrices (ibid., p. 119). Or, si les principes de la métaphysique sont immédiatement soumis à ces principes, ils contiennent en même temps les prémisses d’autres connaissances, et à ce titre sont eux-mêmes des principes « matériels » de la connaissance. Kant se contente ici de ces quelques remarques et réserve à plus tard l’agencement définitif des principes primitifs de sa méthode. Mais celles-là suffisent pour sérieusement mettre en question l’identification wolffienne entre science architectonique, productrice des premiers principes, et ontologie, science de tous les étants. Appauvrie d’un grand nombre de notions ontologiques, la science architectonique ne peut plus être une ontologie. Ce résultat de son argumentation, Kant l’annonce dès la préface, en suggérant une nouvelle division entre la science architectonique, productrice de notions directrices et la métaphysique strictement dite, qui sera elle aussi précisée par la suite.

Conclusion

24Notre lecture de l’article de Wolff sur les notions directrices nous a donc permis de dessiner un autre portrait de Wolff, moins formaliste et plus euclidien en mathématiques, qui relativise l’autonomie des mathématiques en relevant en premier le fondement ontologique et philosophique de cette science bâtie sur des notions communes. Ce faisant, Wolff réarticule le lien entre ses deux sciences et redéfinit les prémisses méthodologiques et architectoniques de la vraie philosophie, d’une manière qui restera pertinente pour Kant. Tout l’effort de celui-ci, dans la Preisfrage et au-delà, sera en effet dirigé vers une clarification et précision de ces mêmes principes encore entachés, selon Kant, d’une certaine ambiguïté dans la réalisation de cette science architectonique, en raison de sa soumission à un faux modèle mathématique pur qui va contre ses propres principes méthodologiques consistant à conjuguer raison et expérience et à toujours conserver le lien entre l’abstrait et le concret. Ces points témoignent de l’importance de la filiation wolffienne pour l’approche kantienne de la question de la méthode philosophique, une approche que la Recherche sur l’évidence des principes ne fait qu’ouvrir.

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Notes

1  G. Tonelli, « La disputa sul metodo matematico nella filosofia della prima meta del Settecento e la genesi dello scritto kantiano sull’ “evidenza” », Da Leibniz a Kant, Cl. Cesa éd., Naples, Prismi, 1987, p. 79-109.

2  J. L. S. Formey, « Introduction à la métaphysique ou dissertation préliminaire. Sur les notions directrices et sur le véritable usage de l’ontologie », La Belle Wolffienne, t. IV, contenant l’ontologie, première partie de la métaphysique, La Haye, 1746 ; réédité dans Ch. Wolff, Gesammelte Schriften, vol. XVI (2), Hildesheim, Olms, 1983, p. 1-23. Merci à Jean-François Goubet de m’avoir rappelé cette référence.

3  Le titre latin est : « De Notionibus directricibus & genuino usu philosophiae primae », Horae subsecivae Marburgenses, Francfort et Leipzig, 1729-1730. Réédité dans Wolff, Gesammelte Schriften, vol. XXXIV (1), Hildesheim, Olms, 1983, p. 310-350. La traduction allemande qui se trouve dans le volume XXI (2) des Gesammelte Schriften, p. 108-168, et à laquelle je me référerai dans ce qui suit, s’intitule : Von denen zur Richtschnur dienenden Begriffen [notionibus directricibus] und Von dem rechten Gebrauch der Grundwissenschaft. En latin, Wolff utilise le terme notio par lequel il entend, selon sa Logique, la représentation des choses dans l’esprit, qui correspond au terme allemand Begriff et aux termes français « concept » ou « notion ». J’ai finalement décidé de suivre la traduction de Formey et de traduire par « notion ».

4  Parmi les réponses anonymes à la Preisfrage, on peut en effet en trouver de tendance wolffienne qui reprennent l’argumentaire de Wolff lui-même. Voir en particulier la réponse no 6 en français (I-M551, « Unum hoc ostende : vicisti »). Je remercie Paola Basso de m’avoir communiqué cette référence.

5  « [Es lässet sich] eine größere Gewissheit nicht einmal wünschen », dans Von denen zur Richtschnur dienenden Begriffen, traduction citée, § 10, p. 164.

6  Ibid.

7  Mon article cherchera à préciser les enjeux du débat entre Wolff et Kant. Il serait bien sûr aussi possible de s’intéresser au débat entre Wolff et les autres répondants (voir l’article de Paola Basso dans le présent numéro) comme Mendelssohn.

8  Outre l’article déjà mentionné, on peut relever d’autres articles consacrés à la question de la méthode et de la logique, publiés d’abord dans les Horae subsecivae Marburgenses (ouvr. cité), tels que :« De notionibus foecundis », 1730, vol. II, p. 150-166 ; « De differentia notionum metaphysicarum mathematicarum », 1731, vol. III, p. 385-479 ; « De differentia intellectus systematici & non systematici », vol. III, p. 107-154. Les traductions allemandes par Gottlieb Friedrich Hagen ont été pour la plupart regroupées dans les volumes XXI (2-4) des Gesammelte Schriften, sous le titre Gesammelte kleine Schriften.

9  Sur la méthode et le système de Wolff, voir la section des volumes du congrès sur Wolff en 2004, dont l’article de V. L. Waibel, « Die Systemkonzeptionen bei Wolff und Lambert », Christian Wolff und die europäische Aufklärung. Akten des 1. Internationalen Christian-Wolff-Kongresses 2004, partie II, section 1 : System der Metaphysik, Hildesheim, Olms, 2007, p. 51-69 ; voir aussi J.-P. Paccioni, Cet esprit de profondeur. Christian Wolff, l’ontologie et la métaphysique, Paris, Vrin, 2006. Je rappelerai ici en incise son récent article sur le dogmatisme wolffien (en voie de publication) qui montre que Kant ne fut pas entièrement hostile à la méthode wolffienne et qu’il valorisa même un certain dogmatisme wolffien – c’est une thèse à laquelle je souscris, et que je veux ici éclairer sous un autre angle.

10  « […] die Grundwissenschaft […][ist] bisher so übel eingerichtet gewesen, daß die meisten Leser gar viele völlig dunkle Begriffe bekommen haben. Daher sind die Klagen von der Finsternis entstanden, damit die Grundwissenschaft umhüllet sey, ja, um eben dieser Ursache willen ist die so gar nützliche Wissenschaft verachtet und ganz verabsäumet worden. » Von denen zur Richtschnur dienenden Begriffen, § 2, p. 114.

11  Ibid., § 1, p. 108.

12  Ch. Wolff, Discours préliminaire sur la philosophie en général, traduction par Th. Arnaud, W. Feuerhahn, J.-F. Goubet et J.-M. Rohrbasser, Paris, Vrin, 2006, chap. 4 : « De la méthode philosophique ».

13  Voir Pascal, De l’esprit géométrique. Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1963, p. 348-355.

14  Le terme allemand Deutlichkeit sera traduit soit par « distinction » (lorsqu’il se réfère à la qualité d’une connaissance acquise par l’analyse philosophique), soit par « évidence » (lorsqu’il se réfère à la qualité d’évidence au sens d’intelligibilité universelle, Allgemeinverständlichkeit, que possède une telle connaissance avant toute analyse).

15  « Die Weltweisen [haben] derjenigen Säze, welche Euclides unter die Grundsäze zehlet, keine Erwähnung gethan, dergestallt dass sich die Messkundigen selbst eingebildet haben, dass seyen mathematische Wahrheiten, nicht aber ontologische, und deswegen [haben sie] nicht erkannt, oder gar geläugnet […], dass die Anfangsgründe des Euclides, folglich die ganze Mathematic ihre Deutlichkeit aus der Grundwissenschaft, die ihnen auch dem Namen nach verhasst war, und verächtlich schiene, haben sollte. » Von denen zur Richtschnur dienenden Begriffen, § 6, p. 142.

16  Pour une discussion plus détaillée de l’usage de notions métaphysiques en mathématiques, voir le traité de Wolff sur la différence entre notions métaphysique et mathématique, ouvr. cité.

17  « […] ich verstehe durch die richtenden Begriffe diejenigen, aus welchen erhellet, wohin ich meine Gedanken richten muss, damit dasjenige, was man suchet, gefunden werde. Es zeigen also die richtenden Begriffe gleichsam den Weg, darauf man gehen muss, damit man nicht auf Abwege gerathe, oder zünden ein Licht an, daß man den Weg sehen kann, welchen man ohne denselben nicht treffen würde. » Ibid., § 3, p. 116.

18  Ibid., § 4, p. 133.

19  Voir l’article sur la fécondité des notions (« De notionibus foecundis » ; voir note 8).

20  Sur ce sujet, je me permets de renvoyer à ma thèse, « The Art of Invention and the Invention of Art. Logic, Rhetorics and Aesthetics in the Early German Enlightenment » (Université de Yale / ENS-LSH, Lyon, 2004), en voie de publication.

21  Chr. Wolff, Von denen zur Richtschnur dienenden Begriffen, trad. citée, § 7, p. 144.

22  Ainsi, la réflexion sur les notions de possibilité ou d’impossibilité nous montre l’extension et les limites de notre connaissance. Par exemple, il n’est pas possible de juger que l’harmonie préétablie rend toute liberté impossible ; car un tel jugement requiert une réflexion préalable sur les notions impliquées et sur celle d’impossibilité qui nous permet de comprendre que nous ne saurions trancher cette question (ibid., p. 124) et inférer sa contradiction. Second exemple : la réflexion sur la notion de raison suffisante (qui constitue une notion directrice, ibid., p. 125) nous montre comment juger de l’ancienne explication du coucher du soleil par le mouvement non pas de la terre mais du soleil. Il ne suffit pas qu’une telle explication fasse comprendre la possibilité (au titre d’une hypothèse valable) ; il faut aussi qu’elle prouve la réalité d’un tel mouvement ; une telle réalité n’étant pas prouvée, il n’est pas complètement établi qu’une telle chose ait réellement lieu dans la nature.

23  Discours préliminaire, § 73, ouvr. cité.

24  Voir Wolff sur « De différentia intellectus systematici & non systematici », 1729 (voir note 8).

25  Le plus souvent, les commentateurs de Kant restreignent leur regard à la critique kantienne des thèses wolffiennes sur la déductibilité des principes de contradiction et de raison suffisante. Pour une bonne présentation en français de ce vaste débat sur la méthode du Kant précritique, voir la première partie de l’introduction de Robert Theis dans son édition récente de L’unique argument pour une démonstration de l’existence de Dieu, Paris, Vrin, 2001.

26  Voir Ch. Wolff, Discours préliminaire, chap. 5 : « Du style philosophique », ouvr. cité.

27  Voir E. Kant, Recherches sur l’évidence des Principes de la Théologie naturelle et de la morale, traduction, introduction et notes de M. Fichant, Paris, Vrin, 1973. Considération troisième, § 2 et 3.

28  Voir M. Puech, Kant et la causalité, Paris, Vrin, 1990, p. 274.

29  Recherches sur l’évidence des Principes de la Théologie naturelle et de la morale, Considération première, § 3, p. 35, ouvr. cité.

30  Ibid., Considération seconde, p. 39.

31  Ibid., Considération seconde, p. 42.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Stefanie Buchenau, « Notions directrices et architectonique de la métaphysique. La critique kantienne de Wolff en 1763 »Astérion [En ligne], 9 | 2011, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/asterion/2136 ; DOI : https://doi.org/10.4000/asterion.2136

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Auteur

Stefanie Buchenau

Maître de conférences en études germaniques à l’université Paris 8 Saint-Denis. Publications significatives : Esthétiques de l’Aufklärung, S. Buchenau éd. (E. Décultot collab.), Revue germanique internationale, no 4, 2006 ; Haskala et Aufklärung. Philosophes juifs des Lumières allemandes, S. Buchenau et N. Weill éd., Revue germanique internationale, no 1, 2009 ; The Art of Invention and the Invention of Art. Logic, Rhetoric and Aesthetics in the Early German Enlightenment, en préparation. Articles (sélection) : « Die Sprache der Sinnlichkeit. Baumgartens poetische Begründung der Ästhetik in den Meditationes philosophicae », Aufklärung. Interdisziplinäres Jahrbuch zur Erforschung des 18. Jahrhunderts und seiner Wirkungsgeschichte, no 20, Themenschwerpunkt : A. G. Baumgarten. Sinnliche Erkenntnis in der Philosophie des Rationalismus, A. Aichele et D. Mirbach éd., Hambourg, Felix Meiner, 2008, p. 151-173 ; « Réception et non-réception de l’anthropologie des Lumières. Le cas allemand », L’esprit des Lumières est-il perdu ?, N. Weill éd., Presses universitaires du Mans, 2007 ; « Sinnlichkeit als Erkenntnisvermögen. Zum Begriff des Vernunftähnlichen in der Psychologie Christian Wolffs », Die Psychologie Christian Wolffs. Systematische und historische Untersuchungen, O.-P. Rudolph et J.-F. Goubet éd., Tübingen, Niemeyer, 2004, p. 191-206.

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