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La maîtrise du temps comme enjeu de lutte

L’exemple des intermittents du spectacle
The control of time at stake in the struggle. The exemple of French art and entertainment workers
El control del tiempo como eje de lucha. El ejemplo de los trabajadores de las artes y el espectáculo en Francia
Marie-Christine Bureau et Antonella Corsani

Résumés

Le conflit social autour de la réforme du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle a été marqué par son intensité et par sa durée. La thèse défendue ici est que la maîtrise du temps constitue l’un des enjeux majeurs de ce conflit. L'affrontement sur le terrain économique de la régulation de l'emploi et de l'industrie culturelle s'est doublé de l'affrontement sur le temps. La question du temps ne se limite pas à la régulation du temps de travail, elle concerne la maîtrise du temps et les « formes de vie » auxquelles les individus aspirent. Les deux plans de l'emploi et du temps ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, ils coexistent, mais le conflit autour de la maîtrise du temps est relativement imperceptible. L'objectif de cet article est de lui donner de la visibilité et d'en questionner le sens.

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Texte intégral

« Ce qu’on donne aux gens avec une allocation ce n’est pas de l’argent, c’est du temps, et c’est ça qui pose un problème politique. »
Entretien avec un comédien, auteur et metteur en scène.

  • 1 Ce collectif a été créé en janvier 2003 par des artistes intermittents du spectacle, la plupart non (...)
  • 2 L’ Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unedic) est (...)

1Lors du défilé du Premier mai 2003, les membres d'un collectif d'intermittents du spectacle nommé Précaires associés de Paris1 distribuaient des petits papiers, des « bons de temps ». Sur chacun d’eux était marquée une phrase différente, invitant le lecteur à prendre son temps, quelque chose du genre : « arrêtez-vous quelques instants », « regardez votre voisin », « prenez le temps de lui sourire ». La distribution de ces bons de temps ralentissait le flux humain du défilé et provoquait la surprise. À cette époque, le protocole de réforme des annexes 8 et 10 qui statuent sur les conditions d'accès et les modalités d'allocation des indemnités chômage des intermittents du spectacle n'était pas encore signé, mais les négociations se poursuivaient entre les partenaires sociaux siégeant au sein de l'Unedic2. Cette action lors du défilé du Premier mai annonçait le conflit qui allait être ouvert par la signature des accords en juin 2003, mais elle était en apparent décalage avec l'objet propre du conflit et les discours de ses acteurs.

  • 3 Pour une analyse des positions défendues par la CGT, voir S. Proust (2010).

2Le déficit des caisses de l'assurance chômage, attribuable aux annexes 8 et 10 dont relèvent les intermittents du spectacle, constituait l'argument premier pour leur réforme, du point de vue patronal. Critiques vis-à-vis d'un régime jugé trop permissif mais soucieux de préserver une spécificité de l'assurance chômage pour les salariés intermittents du secteur du spectacle, les syndicats signataires de l'accord considéraient la réforme comme un moindre mal face au risque de suppression des annexes. Combattre contre la précarité, contre les abus des employeurs et pour le financement public des activités culturelles, constituaient les principaux objectifs au cœur des revendications des syndicats non-signataires3. Pour l'État, la condition de l'agrément était la refonte des conventions collectives, afin de parvenir à une régulation du marché de l'emploi culturel qui ne repose pas sur le régime d'assurance chômage.

3Presque dix ans plus tard, la question reste ouverte. En effet, la réforme n'a pas permis d'atteindre l'objectif de réduction du déficit ; elle a même, au contraire, contribué à le creuser. La Cour des comptes dénonce à nouveau l'insoutenable et persistant déficit des caisses d'assurance chômage, attribuable en grande partie au déséquilibre structurel entre cotisations perçues et indemnisations versées aux intermittents du spectacle4. Les termes du débat sont toujours les mêmes : alors que certains soutiennent que le régime spécifique d'assurance chômage des intermittents produit paradoxalement le phénomène contre lequel il est censé protéger les salariés, à savoir la précarité et le chômage, d'autres insistent sur le fait que le régime couvre autre chose que ce qu'il est censé assurer : au lieu de garantir le risque du chômage, il assurerait un financement indirect du secteur culturel. D’autres encore mettent l'accent sur le fléau de la « permittence », c'est-à-dire d'un recours illégitime à l'intermittence de la part des employeurs, notamment de l'audiovisuel, permettant de transférer le coût du travail d'un emploi permanent vers les caisses d'assurance chômage5. Alors que la menace de la disparition d'un régime spécifique d'indemnisation chômage est loin d'être écartée, maintenir les annexes, sauvegarder les principes de la solidarité interprofessionnelle qui fondent le régime général d'assurance chômage, inciter à la création d'emplois permanents (par la menace des sanctions ou par la conditionnalité des subventions) et solliciter des financements conséquents de la culture, continuent de constituer, pour les syndicats qui s'étaient opposés à la réforme, les préoccupations majeures à l'horizon des prochaines négociations.

4À côté de ces discours et revendications, nous avons repéré une autre dimension, moins visible, du conflit : une lutte pour le temps et pour sa maîtrise.

  • 6 Jusqu'à la réforme de 2003, les annexes 8 et 10 du régime général d'assurance chômage étaient fondé (...)
  • 7 Nous faisons ici référence à la notion mobilisée par Giorgio Agamben pour qui l'expression « forme (...)
  • 8 Pour une analyse des mobilisations, voir en particulier les travaux de M. Grégoire (2012); S. Prous (...)

5Le conflit autour de la réforme des annexes 8 et 10 du régime général d'assurance chômage a été marqué par son intensité et sa durée. Le mouvement s'est essoufflé seulement quatre ans après sa naissance, après l'échec du vote à l'Assemblée Nationale du projet de loi porté par le parti socialiste et soutenu par un comité de suivi regroupant des députés de tout bord, des syndicats non signataires du protocole de réforme (comme la CGT Spectacle) ou non représentés dans les instances décisionnaires (comme le Synavi et SUD Spectacle), quelques associations du secteur des arts du spectacle (notamment l'Ufisc) et la Coordination des intermittents et précaires (CIP). Au cœur de ce projet de loi, il y avait l'annualité des droits à l'assurance chômage et la fixité de la date anniversaire, c'est à dire de la date de réexamen de la situation pour une réouverture des droits sur une année6. La nouvelle réforme datant de 2006, tout en corrigeant celle de 2003 afin de rendre moins coûteuses les annexes, en a repris la philosophie : la date de réexamen et la période couverte restent fluctuantes. En effet, l'affrontement sur le terrain économique de la régulation de l'emploi et de l'industrie culturelle s'est doublé de l'affrontement sur la question du temps. Celle-ci ne se limite pas à la régulation du temps de travail, elle concerne la maîtrise du temps et les « formes de vie »7 auxquelles les individus aspirent. Les deux plans de l'emploi et du temps ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, ils coexistent, mais le conflit autour de la maîtrise du temps est relativement imperceptible. Notre objectif est de lui donner de la visibilité et d'en questionner le sens. Ainsi, notre article s'écarte de l’ensemble des travaux et des réflexions sur l’histoire de la mobilisation en proposant une lecture de celle-ci au prisme d’un enjeu spécifique : la maîtrise du temps8.

  • 9 Quelques résultats de ces deux enquêtes réalisées respectivement en 2004-2005 et en 2009-2011, ont (...)

6Dans une première partie, nous recherchons dans l'histoire du mouvement des intermittents du spectacle, et plus particulièrement au sein d'une de ses composantes, la Coordination des intermittents et précaires (CIP), les traces écrites d'un conflit sur le temps afin d'étayer notre thèse selon laquelle le conflit des intermittents serait aussi un conflit culturel et politique sur le temps. En effet, il nous semble que l'une des spécificités de cette composante du mouvement consiste à avoir fait du temps un terrain d'affrontement majeur. Dans la deuxième partie, nous proposons une lecture transversale et relativement originale des matériaux issus de deux enquêtes menées auprès des intermittents du spectacle9 avec l'objectif de mieux saisir les tensions qui se font jour autour de l’expérience temporelle. Dans la troisième, nous suggérons une lecture de la réforme et de ses conséquences, permettant de comprendre en quoi celle-ci affecte la perception du temps et plus généralement les temporalités du travail et de la vie. En conclusion, nous revenons sur l’interprétation théorique d'une bataille pour le temps, et pour sa maîtrise. Comment interpréter le changement de temporalité qui a profondément affecté les intermittents du spectacle ? Faut-il, à la suite de Michel Foucault ([1978] 2004) considérer que le contrôle du temps est un enjeu central des technologies de gouvernement néolibéral et par conséquent lire la réforme de 2003 comme une tentative de conformation du milieu du spectacle qui, à travers son régime d’indemnisation, échappait aux règles communes dans une « société du risque » ? Ou, dans le sillage d’Hartmut Rosa ([2005] 2010), interpréter l’expérience vécue par les intermittents comme résultant, non pas tant de l’application d’une technologie de gouvernement que d’un processus global d’accélération sociale, caractéristique de la modernité tardive ?

Le temps de l'intermittence : entre liberté et contrôle10

  • 10 Cette partie de l'article a été rédigée à partir d'une lecture des documents disponibles sur le sit (...)

7En juillet 2003, le mot d'ordre « On ne joue plus » traduit deux choses à la fois : le refus du changement des règles du jeu et l'arrêt de l'industrie de la culture par le blocage des festivals d'été. « On ne joue plus n'était pas juste un slogan, écrit la commission Boris Barnet, créée en 2004 au sein de la CIP. Elle exprimait la nécessité que toute production s'arrête, au moins le temps d'y voir un peu plus clair avant de se remettre au travail. »

8Le temps du spectacle est arrêté, l'activité des intermittents se déploie alors sous d'autres formes. En effet, pendant ce même été des lieux sont occupés et investis par des activités politiques. Il s'agit pour les intermittents en lutte de construire collectivement l'argumentaire du refus de la réforme, d'élaborer et mettre en place une stratégie d'action, mais aussi d'envisager des propositions alternatives. Cette réflexion s'alimente d'une analyse des pratiques d'emploi et par là, questionne les temps de l'intermittence. Ainsi, à l'entrée de la salle Olympe de Gouge à Paris, une pancarte affirmait :

« Une discontinuité n’est pas une interruption, encore moins un arrêt, elle est une continuation, une poursuite sur un mode imprévisible […]. En rompant la continuité, une discontinuité introduit de la liberté dans le déroulement d’un phénomène. »

9Il s'agit là d'une phrase extraite d'un article paru dans le quotidien Libération lors du conflit social de l'hiver 1996/1997, qui avait contraint le patronat à retirer le projet de réforme. L'article est signé par le mathématicien, historien des sciences et romancier Denis Guedj. Dans cet article, D. Guedj soutenait la lutte des intermittents et interrogeait la nature des temps de l'intermittence avec les outils du mathématicien. En reprenant à leur compte ses propos, les intermittents semblent assumer positivement la discontinuité qui caractérise leurs pratiques d'emploi, dès lors qu'elle introduirait un degré de liberté dans le flux de la production artistique et dans la vie de chacun, comme on peut le comprendre à la lecture des textes écrits par la suite.

10Ainsi, dans un texte portant le titre « La puissance du nous » paru dans l’édition du 17 décembre 2003 de la revue Les Inrockuptibles et signé par la commission propositions/revendications de la CIP, la question du temps revient, explicitement placée au cœur du conflit. La réforme est perçue comme un moyen de pouvoir sur le temps :

« J’ai appris à parler cet été, à trente cinq ans. J’ai appris que je parlais mieux quand je disais nous, parce que j’étais plus nombreux. […] Mais j’ai aussi appris qu’un artiste ne devait pas parler de chômage, d’argent ou d’Unédic, parce que ce sont des mots trop vulgaires pour un poète. J’ai appris à aimer cette vulgarité, à vulgariser cette vulgarité. J’ai appris des nouveaux gros mots : intermittence, droit de grève, droits collectifs, défense des précaires. […] J’ai appris que l’intermittence était ma liberté et que celle-ci était bafouée. […] J’ai appris que le temps est la première chose dont le pouvoir veut nous priver. [...] »

11En sortant du cadre de la profession, les artistes et techniciens du spectacle se mesurent avec leur condition précaire tout en revendiquant l'intermittence comme liberté. Ce faisant, ils séparent l'incertitude comme ontologie de l'action artistique telle que nous la retrouvons dans le modèle de John Dewey ([1934] 2005) et l'incertitude comme « expérience sociale ordinaire » (Jeanpierre, 2012).

  • 11 Rappelons que pendant l'hiver2003 et le printemps 2004 est né « Sauvons la recherche », un mouvemen (...)

12Pendant l'hiver 2003 et le printemps 2004, les mouvements des intermittents du spectacle et des chercheurs11 se rapprochent et une commission ad hoc est créée au sein de la CIP. Issu des travaux de cette commission, un texte intitulé « Ce qui nous rassemble » est publié dans Les Inrockuptibles. La problématique du temps s'affine et les termes du conflit apparaissent avec encore plus de clarté, la question du pouvoir sur le temps est envisagée comme une question de maîtrise des contenus de la production, des modes de production et des formes de vie :

« […] Le contrôle du temps et des pratiques accompagne le contrôle des savoirs. […] Nous refusons cette recherche dite d’excellence comme cette culture de l’exception. Nous refusons de n’avoir le choix qu’entre les lois du marché et l’excellence sous contrôle […] Ce que nous, chercheurs et intermittents, avons en commun dépasse la production de savoir et de sensible. C’est un certain rapport au temps irréductible à celui de l’emploi, grâce à un statut pour les uns, à un régime d’assurance chômage pour les autres, ce sont des pratiques quotidiennes, des formes d’existence. Les réformes qui nous touchent sont du domaine du contrôle de nos fabriques, mais aussi de nos temporalités, de nos subjectivités, de nos choix de vies. […] Pour les intermittents comme pour les chercheurs, il ne s’agit pas tant de défendre un statut, que de revendiquer la possibilité de fabriquer du sensible et du savoir selon nos propres temporalités, d’avoir le choix de nos modalités d’existence et de coopération, le choix de nos formes de vie, le choix de préférer ne pas.[…] Le temps passé à chercher, à rêver, à bricoler, à ne rien faire, à parler, n’est pas l’apanage des artistes ou des chercheurs, il est simplement humain; il participe de notre intelligence collective. […] »

13En l'été 2004, le festival d'Avignon a eu lieu malgré une mobilisation toujours importante. Les intermittents ont organisé différents moments de débat et des actions pendant le festival. Avant le spectacle de clôture du festival in, un texte est lu par la CIP dans la cour du palais des papes. La question du temps est alors enchevêtrée à celle des orientations des productions culturelles et artistiques :

« […] Nous, intermittents et précaires, coordonnés, voulons d'abord adresser cet appel aux exclus du régime d'assurance chômage qui n'ont plus le temps, ni la force de continuer à travailler à des choses d'importance ou de lutter. […] L'industrie culturelle prospère et rapporte de l'argent, elle ne va pas disparaître. Ce régime d'allocation chômage nous laissait espace et temps. Nous fécondions l'industrie culturelle dans ces temps. Nous avons fabriqué avec peu. Nous avons travaillé avec constance. Nous avons dit des textes d'auteurs vivants dont personne ne voulait. Ceux-ci font aujourd'hui la une des festivals. Et morts depuis. Si les énoncés de théâtre ne traversent pas nos vies, si parler sur scène ne transforme pas le monde ; si des récits de chômeurs ne nous émeuvent qu'étalés sur les plateaux, dans le noir des salles, c'est que quelque chose ne va pas. […] Nous ne nous sommes trompés ni de cibles, ni d'objectifs. Prenons le temps. Nous savons que quelque chose ne va pas. Nous voulons savoir comment. Comment s'opère le contrôle des vies. Pour cela nous lançons une expertise collective, indépendante et contradictoire, des données chiffrées de l'Unedic, ainsi que des pratiques d'emploi discontinu. »

14L'expertise collective engagée par la CIP, sur laquelle nous reviendrons par la suite, a fait une place importante à la question de l'emploi du temps. Cependant, depuis le texte de l'été 2004, nous ne retrouvons plus que des traces éparses de revendications portant expressément sur le temps : des images de pancartes où il est marqué « Nous voulons du temps », puis, dans un manifeste datant de juillet 2007 : « Le temps libre nécessite des supports sociaux. Il s'agit de replacer l'émancipation individuelle et collective au cœur de l'action politique ». Ainsi, le conflit sur le temps semble se déplacer vers la revendication du temps libre. En 2010, lors du mouvement contre la réforme des retraites, la question du temps revient. Dans un tract signé par la CIP et distribué lors de la manifestation du samedi 6 novembre 2010 contre la réforme des retraites, le temps libre est posé comme enjeu premier, comme le laisse entendre le titre même du tract : Du temps libre sinon rien.

« […] Une défaite sur le régime des retraites serait une très mauvaise base de départ pour une bataille sur l’Unedic. Il nous semble par ailleurs évident qu’autre chose relie la retraite et le régime d’indemnisation-chômage des salariés à l’emploi discontinu. Cette autre chose, profonde et fondamentale, c’est la question de la jouissance de l’emploi de notre temps. […] L’indemnité journalière de l’assurance chômage permet de disposer d’un emploi du temps personnel qui dégage du temps de l’emploi proprement dit, ceux qui en bénéficient. Un temps libre, c’est un temps libre des subordinations à l’emploi, des astreintes extérieures. Le temps libre est celui qui nous appartient à taux plein, pleinement. Et ce quel que soit ce qu’on en fait. Impossible à mesurer, à estimer, à évaluer, il permet à chacun de s’épanouir, de décider, en propre. Or, chacun peut sentir combien la pression sur le temps, qualifié d’utile, valorisable, justifiable, contrôlé, dans l’emploi comme dans le chômage s’est accentuée ces dernières années. […] La retraite est-elle autre chose qu’un temps libre, disponible pour soi, pour autrui, dégagé du salariat ? C’est un temps dont on n’attend pas de profit, et dont on n’a pas à justifier la rentabilité [...] La lutte sur les retraites, comme la lutte pour l’intermittence, est une lutte pour conserver une maîtrise du temps vécu. C’est une bataille qui décidera si nous acceptons d’être de plus en plus contrôlés dans l’usage de nos heures dans l’entreprise, à Pôle emploi, à l’école, dans nos déplacements, dans la vie quotidienne. […] »

15À cette même époque, la commission Saison en Lutte (l'une des commissions mises en place par la CIP) lance un « appel aux troupes » pour que les artistes et techniciens du spectacle rejoignent le mouvement contre la réforme des retraites et prennent la parole lors des représentions théâtrales. Dans le canevas qu'elle suggère pour ces prises de parole, nous lisons :

« Il est insupportable que l'emploi de notre temps et toute notre existence soient chaque jour plus étroitement subordonnées à la durée de nos emplois. […] Quand trouverons- nous le temps de faire des actions gratuites ? Des actions pour soi et les autres : parler avec son voisin, passer du temps avec des enfants, lire un livre, découvrir un spectacle, réfléchir. Faudra-t-il capitaliser du temps auprès d'un assureur pour nous payer ces temps-là à la fin de notre vie ? »

16Cette lecture chronologique des textes élaborés par la CIP laisse apparaître une double dimension de la lutte pour le temps et pour sa maîtrise : c'est d'abord affirmer la liberté dans la détermination des temps de l'activité comme possibilité de déterminer les contenus et les modes de travail, puis revendiquer le temps libre comme condition existentielle et par là immédiatement politique. La première dimension correspond à une revendication d’autonomie professionnelle vis-à-vis d’un pouvoir qui exerce son emprise sur les subjectivités et vise à s’assurer la disponibilité des travailleurs, y compris sous la forme de l’auto-astreinte. La deuxième déborde de beaucoup le champ du travail ; elle touche à l’ensemble de ce que William Grossin appelle « l’équation temporelle » (1996), ce qui comprend tous les aspects de l’organisation du temps mais aussi la faculté à créer ses propres temps. Pour mieux comprendre cette double dimension, il nous faut d’abord préciser pourquoi la réforme des annexes 8 et 10 a été l'occasion d'un conflit sur le temps. Les deux enquêtes menées respectivement en 2004-2005 et en 2008-2011 permettent d'apporter une première réponse.

Le temps de l'emploi, les temps du travail

17L'histoire du temps de travail, depuis la naissance du capitalisme, est l'histoire d'une lutte, d'abord la longue lutte contre le travail mesuré par le temps, puis pour la réduction du temps de travail à partir du moment où la discipline du temps s'affirme comme norme. En parcourant cette longue histoire, Edward P. Thompson distinguait deux formes dominantes du travail dans le monde occidental : le « travail orienté par la tâche » et le « travail horaire » ([1967] 2004). La première forme se caractériserait, d'après Thompson, par trois traits majeurs : elle est tout d'abord plus soutenable, au sens où les temporalités du travail sont plus en phase avec les rythmes naturels de la vie humaine. Le deuxième trait doit être recherché dans l'imbrication des temps : la frontière entre temps de travail et temps consacré aux autres activités humaines reste floue, l'activité de travail a lieu dans des espaces contigus aux espaces de la vie familiale et quotidienne. Enfin, le travail « orienté par la tâche », irrégulier dans le temps, apparaît inefficace aux yeux de ceux pour qui le travail est mesuré par l'horloge et contrôlé par le chronomètre, car dans l'irrégularité la plus radicale du temps de travail dans la journée, dans la semaine et encore plus dans l'année, le travail « orienté par la tâche » est ponctué par des temps vides, non productifs du point de vue capitaliste. Sous maints aspects, le travail des intermittents du spectacle se déroule selon les modalités qui étaient autrefois celles du travail « orienté par la tâche » : irrégularité des rythmes et imbrication des temps. Aussi les temps hors emploi sont-ils considérés comme non productifs du point de vue de ceux pour qui le temps est régulé par la norme salariale, même si la construction du régime de l’intermittence a permis de rendre compatibles, tant bien que mal, cette forme de travail qui s’apparente au « travail orienté par la tâche » avec les normes salariales en vigueur.

18Dans le secteur du spectacle, le recours aux contrats à durée déterminée est la règle. Ainsi, le temps de travail sous contrat est régulé essentiellement par le critère d'éligibilité aux droits à l'assurance chômage, soit, avant la réforme de 2003, un minimum de 507 heures de travail annuel. Dans le cas des artistes, qui sont rémunérés au cachet, le cachet constitue un forfait temps de 12 heures. Ainsi, 43 cachets correspondent à un temps forfaitaire de 516 heures annuelles. Mais dans le secteur du spectacle, il existe une règle tacite selon laquelle une heure déclarée correspondrait à trois heures de travail effectif. S'agit-il alors de sous-déclarations des heures ? D'abus de la part des employeurs ? Et quelle est la nature de ces heures invisibles et des temps entre deux contrats ?

19La CIP a commandité une expertise, qui a notamment comporté une enquête en 2004-2005 pour mesurer et qualifier les temps, en questionnant l'emploi du temps en dehors du temps de l'emploi et en essayant de quantifier les temps de travail consacrés à un projet et non rémunérés, les temps destinés à la formation, les temps affectés aux activités à l'amont et à l'aval des projets, les temps consacrés à des projets menés à titre gratuit ou bénévole ou à l'élaboration de nouveaux projets, les temps occupés par la recherche d'emplois. Des temps multiples et hétérogènes mais conduisant à un emploi du temps plein (Corsani, Lazzarato, 2008).

20L'enquête était de nature essentiellement quantitative, mais les notes à la marge des questionnaires reportant les commentaires de la personne interviewée constituent autant de matériaux qui permettent de saisir quelques enjeux majeurs autour des temps de l'intermittence : qu'est-ce que le temps de travail des salariés à l'emploi discontinu ? Qu'est-ce que travailler ? Ou plutôt, quelles sont les activités qui relèvent du travail ? La question du temps est indissociablement liée à la question de la définition et de la délimitation du travail. Retenons ici, à titre illustratif, trois extraits d'entretiens reportés dans l'ouvrage issu de cette enquête (Corsani, Lazzarato, 2008).

21Un jeune comédien a eu recours à la métaphore de l’iceberg pour exprimer l'écart entre le temps de l'emploi et le temps du travail :

« À tout ce qui est visible, la partie émergée de l’iceberg, ce qu’on donne en représentation, vient s’ajouter toute la partie invisible, immergée, qui est souvent plus importante que la précédente. C'est à l’intérieur de celle-ci qu’il y a les temps de conception, de préparation, de documentation… et ils sont, dans la majeure partie des cas, peu ou non rémunérés. Comment peut-on évaluer le travail de l’artiste pour juger de ce qui est relatif à son exigence propre et ce qui est vraiment nécessaire à l’aboutissement de son travail ? Il me semble que l’une et l’autre sont indissociables, de la même manière qu’un chercheur en médecine, en physique, en littérature, n’est pas payé à sa ou ses découvertes, mais à son temps de recherche. »

22Un preneur de son soulignait l’absence d’une définition du travail :

« La notion de travail est à la mode aujourd’hui. On nous dit “travaillez plus pour gagner plus”, mais on laisse la notion de travail côtoyer la grisaille. »

23Une décoratrice de théâtre pointait la différence entre être en emploi et être au travail :

« Dans la carte de pointage des intermittents il faudrait remplacer la question actuellement estampillée “Est-ce que vous avez travaillé pendant le dernier mois ?”, par la question “Est-ce que vous avez eu un emploi, ou est-ce que vous avez eu un contrat ?” Car je travaille tout le temps, et je suis employée de temps en temps. »

24Une comédienne contestait la notion même de chômage :

« La notion de chômage c'est un mot mal choisi, une notion qui me gêne: chômer ne veut pas dire ne rien faire. En France, on avait un régime qui permettait d’avoir un peu de temps pour penser et pour créer. À vouloir nous contraindre aux horaires, on veut nous empêcher de penser, de parler, de se rencontrer, de rêver, etc. »

25Le temps de travail a toujours constitué le cœur de la question salariale. Le problème de sa mesure n’a cessé de s'amplifier dans les dernières décennies, c'est-à-dire depuis le déclin de l’usine en tant qu’organisation disciplinaire du travail, la substitution progressive de l’horizon du délai à la dictature de l’horloge (Zarifian, 2009) et l'émergence de multiples formes hybrides de mise au travail. Si la durée légale du travail a continué de baisser sous l'impulsion des luttes sociales, la durée réelle de la journée de travail n'a pas forcément suivi la même évolution. En particulier, chez les cadres, les travailleurs non-salariés ou certains salariés occupant des formes atypiques d'emploi, comme les intermittents du spectacle, son rallongement est lié au fait que la rémunération recouvre, le plus souvent, le travail effectué, c'est-à-dire le résultat du travail, le produit, plutôt que le temps cédé par le salarié à son employeur, inscrit dans le contrat de travail et normé par le droit.

  • 12 L'enquête faisait partie d'un projet Picri (Partenariat institutions-citoyens pour la recherche et (...)

26Cette enquête avait donc permis de saisir le hiatus entre temps de l'emploi et temps de travail. Cependant, ces temps de travail hétérogènes par leur qualité et intensité, relevaient, au moins partiellement, des arbitrages de chacun plutôt que de la rationalité de l'employeur. En quelque sorte, bien que salariés, les artistes et techniciens du spectacle échappaient en partie aux rythmes des temps du travail imposés par l'organisation industrielle du travail. Ils pouvaient ainsi parfois réussir à articuler les temps au travail avec les temps pour soi, pour la vie privée, affective, associative, culturelle et politique. Cela permet de comprendre pourquoi l'intermittence est revendiquée par certains comme possibilité de se soustraire aux temps réguliers et commandés par l'entreprise, mais aussi, de manière diachronique, aux trajectoires normées des professions, comme cela ressort d'une deuxième enquête qualitative menée en 2008-201112.

27Anna, régisseuse générale dans l'événementiel et réalisatrice de films documentaires, explique comment le régime d'assurance chômage des intermittents lui permettait de répartir son temps entre des emplois alimentaires et des activités en phase avec ses désirs :

« Ma vie est partagée entre mon temps à travailler dans l'événementiel et le temps que je prends pour moi, pour faire mes films. »

28Anaïs, réalisatrice, intermittente du spectacle, assume l'intermittence comme un choix délibéré. Jusqu'en 1992, elle était journaliste permanente dans le secteur audiovisuel, puis elle a démissionné pour devenir réalisatrice. Elle a abandonné la carte de presse et elle est devenue intermittente. Elle explique son choix :

« Le statut d'intermittent me permet de prendre du temps là où on ne me le donne pas. C'est comme si on attendait de toi un certain résultat, mais on ne te donne pas les moyens, le temps. C'est à toi de te débrouiller. Avec l'intermittence, je prends le temps. »

29Gildas, cadreur, met en avant, comme Anaïs, une certaine maîtrise de son temps :

« J’ai construit ma vie en triptyque, ma vie sociale en tant qu’être humain aimant, désirant, ma vie politique et ma vie productive de salarié, d’où l’intermittence. Quand j’ai découvert ce statut, je me suis dit que ça pouvait être une continuité logique de ma manière d’approcher le salariat. L'intermittence était une dimension qui pouvait me donner la part de liberté politique et sociale et me dégager d’une obligation de travail. Ça me permettait de ne pas être soumis aux 40 heures par semaine et m'accordait du temps libre. »

30Léo était danseuse professionnelle, un accident a très rapidement interrompu sa carrière. Elle s'est alors reconvertie dans la réalisation audiovisuelle. Intermittente du spectacle, elle dit avoir longtemps apprécié cette condition car l'intermittence lui laissait du temps pour maintenir un lien avec la danse et même reprendre des études universitaires de philosophie esthétique. C'est en tant qu’intermittente du spectacle qu'en 1999, Léo a obtenu une formation financée dans le cadre d'un congé individuel de formation de l’Afdas (Assurance formation des activités du spectacle) à l'école des Beaux-arts. Elle était rémunérée au prorata de ses revenus antérieurs, tandis que les heures de formation étaient prises en compte pour l'ouverture des droits à l'assurance chômage dans le cadre de l'annexe 8 du régime général d'assurance chômage. Par delà l'intérêt en soi de la formation, Léo perçoit ce temps comme un temps libéré : «Un temps de découverte, de réflexion. Par ces temps de formation, il s'agissait aussi d'échapper au salariat et de respirer». Au fil du temps, Léo a acquis plusieurs compétences. Elle jongle entre des emplois strictement techniques et des activités artistiques. Une polyvalence que lui permet l'intermittence :

« J'ai cherché la polyvalence et la multiplicité des employeurs. […] Avoir plusieurs employeurs, pour pouvoir toujours, si possible, rebondir et aussi préserver du temps pour des réalisations personnelles pas forcément lucratives. Ma préoccupation a été toujours de tenir, en tension, comme sur un billard à trois bandes, trois axes, en rebondissant de l’un à l'autre : un minimum d'intérêt pour l'activité que j'exerçais – et plus si possible –, un niveau de subsistance suffisant avec l'exigence du respect des conditions salariales dans lesquelles s'exerçaient ces activités, la possibilité de garder des marges de manœuvre dans la gestion de mon temps […] j’ai pu maintenir une forme relative d’indépendance. J’ai pu aussi garder un lien fort avec la danse et les domaines artistiques auxquels je tenais et du temps pour m’investir dans les luttes sociales. »

  • 13 Il est à noter que dans les secteurs les plus industrialisés, notamment dans l'audiovisuel, la disc (...)

31Reprenons la lecture de Thompson. Au cours du XIXe siècle, avec la généralisation de l'emploi d'une main-d'œuvre, le travail horaire s'est affirmé en tant que forme dominante et avec lui la discipline du temps : ce n'est « plus la tâche en tant que telle qui importe, mais la valeur du temps ramenée à un étalon monétaire. Le temps devient ainsi une monnaie d'échange : il n'est plus passé mais dépensé » (Thompson, [1967] 2004, p. 39). Pourtant, ne manquent pas, selon Thompson, des figures professionnelles qui échappent au temps mesuré par l'horloge ou y opposent une résistance : il s'agirait des artistes, des écrivains, tout comme des petits fermiers et même des étudiants. Ceux-ci garderaient la maîtrise de leur vie professionnelle, alterneraient des périodes intenses de labeur et des périodes d'oisiveté. Dans cette perspective, l'intermittence du spectacle pourrait alors apparaître comme l'une des dernières zones de résistance à la discipline du temps13, mais aussi comme l'une des formes émergentes de résistance au contrôle du temps. Dans quelle mesure la réforme de 2003 porte-t-elle atteinte à cette zone de résistance ?

Les temps de la réforme

32La réforme de 2003 ne réduit pas seulement l’amplitude de la période au cours de laquelle les intermittents doivent atteindre le seuil fatidique des 507 heures (de 12 mois à 10 mois pour les techniciens et à 10 mois et demi pour les artistes), elle introduit, dans la gestion temporelle de leur activité, un principe d’incertitude. En effet, elle met en œuvre deux dispositifs conjoints : d’une part, la réduction de la période de référence dans le calcul des heures prises en compte pour l'ouverture des droits ; d’autre part, l'abandon de l'annualité de la période d'indemnisation. Le premier dispositif agit dans le sens d'une incitation à l'emploi, sous peine de sortir, même provisoirement, du régime d'indemnisation. Cela signifie concrètement, pour les intermittents qui restent prisonniers d’une zone d’incertitude autour du seuil des 507 heures : choisir entre basculer dans le dispositif du RSA ou bien accepter tout emploi qui se présente, peu importe lequel et à n'importe quel prix. Ensuite, le deuxième dispositif, l'abandon de l'annualité de la période d'indemnisation, rend cette période indéterminée et imprévisible. Avant 2003, lorsqu’un intermittent ouvrait des droits au régime d’assurance chômage, il savait qu’il avait 365 jours devant lui pour atteindre à nouveau le seuil. Il pouvait donc effectuer des arbitrages, accepter ou refuser des propositions d’emploi mais aussi s’engager ou non dans des projets de création plus hasardeux, décider de suivre telle ou telle autre formation voire choisir de consacrer du temps à des activités non rémunérées, en raisonnant sur un horizon temporel fixe d’un an. Depuis la réforme, le jour où un intermittent ouvre des droits, il ne sait plus jusqu’à quand il sera protégé par l’assurance chômage : la durée de sa période d’indemnisation dépend en effet de la distribution dans les temps des contrats et par conséquent des occasions d’emploi sur lesquelles il a souvent peu de prises. Par ailleurs, étant donné la forte concentration de certaines activités – notamment dans le secteur du spectacle vivant – pendant quelques périodes de l'année (par exemple les arts de la rue en été), l'abandon du principe d'annuité comporte le risque que des contrats ne soient pas pris en compte pour le calcul des heures permettant l'ouverture des droits, avec comme conséquence la récurrence de périodes de chômage non indemnisées.

33Dans ce nouveau régime temporel, le choix de suivre une formation sur plusieurs semaines ou a fortiori sur plusieurs mois, devient un handicap dans la course aux 507 heures. De nombreux artistes et techniciens se voient donc contraints d’accepter sans discernement les engagements qu’on leur propose, au détriment d’activités qui pourraient leur permettre de progresser dans l’exercice de leur art ou de leur métier. La formation, y compris le temps d’entraînement personnel, devient un luxe que l’on ne peut plus s’offrir : il en résulte un risque de déprofessionnalisation. Les témoignages recueillis lors des permanences organisées par la commission CAP (Conséquences de l'Application du Protocole) de la CIP (Coordination des intermittents et précaires) illustrent ce problème. Une violoniste explique ainsi qu’elle n’a plus de temps pour travailler son instrument et considère qu’elle joue, de ce fait, de moins en moins bien. Un autre intermittent raconte comment il a perdu la chance d’ouvrir ses droits, à cause d’une formation qu’il a suivie :

« De novembre à décembre, j’ai effectué une formation permis poids lourd et super lourd en plan de formation. Cette formation a été financée en majorité par l’Afdas [Assurance formation des activités du spectacle]. Durant cette formation les Assedic m’ont indemnisé. Lors de ma déclaration à Pôle emploi des dates de ma formation, j’ai demandé si une partie des heures compteront comme temps de travail. On m’a répondu que seulement le tiers des heures compteront. Et maintenant que j’ai fait la formation, ils me disent que non, parce que j’étais indemnisé. Cela m’a pris du temps, et maintenant, je n’arriverai pas à avoir mes heures avant la fin de mon indemnisation. »

34En effet, d’autres aléas proviennent de la complexité des règles fixées par les nombreuses circulaires d'application de la réforme et d’une certaine indétermination dans les critères de leur application, du fait des interprétations possibles de ces règles par les agents de Pôle emploi. Beaucoup d’intermittents vivent donc dans l’incertitude sur le montant de leur revenu à la fin du mois. À la précarité contractuelle s’ajoute alors une précarité des conditions matérielles d’existence :

« Je suis arrivé en fin de droits, j’étais persuadé d’avoir les heures pour ouvrir les droits, mais Pôle emploi me dit que les dernières heures que j’ai faites en mars ne comptent pas pour mon ouverture de droits car elles arrivent après ma fin de droits. Pourtant, sur le relevé d’indemnisation de février, ils me disaient qu’il me restait 10 jours à percevoir et j’ai travaillé le 9 et le 10 mars. Maintenant ils me disent qu’en fait il ne me restait que 7 jours à percevoir et alors je me retrouve sans rien, car j’ai déjà eu l’AFD [allocation de fin de droits] la dernière fois. Pouvez-vous me confirmer ça ? »
(extrait d'un mail adressé à la permanence CAP).

35Le régime ne joue donc plus son rôle de stabilisateur et de réducteur d’incertitude. Conséquence de cette perte de maîtrise, le sentiment d’être soumis à des facteurs aléatoires envahit certains bénéficiaires. Lors d'un atelier, une comédienne analysait ainsi la situation:

«Ce qui est à l'œuvre dans le nouveau protocole à travers le glissement, le décalage, la disparition de la date anniversaire, la période de référence individuelle, rend mon indemnité aléatoire […] Les Assedic et l’emploi produisent de l’instabilité au même titre, tandis qu’avant, j’avais l’impression que les Assedic compensaient l’instabilité de l’emploi par les indemnités. Maintenant ils vont dans le même sens, on ne peut plus s’appuyer sur les Assedic pour cadrer l’instabilité de l’emploi. Les buts des Assedic convergent avec les buts des employeurs… Les indemnités deviennent comme le salaire. Elles sont “au mérite” et aussi aléatoires que les salaires. Les notions de l’aléatoire et du mérite qui étaient cantonnés au salaire s’étendent maintenant au champ de l’indemnité. »

36Les conséquences de la réforme vont donc bien au-delà d’un durcissement des conditions d’accès au régime ; les nouvelles conditions d’indemnisation transforment en profondeur les pratiques de travail et l’expérience du rapport au temps. Elles agissent précisément sur l’équation temporelle personnelle (Grossin, 1996). Nous pouvons formuler ainsi les effets sur les différentes variables qui, pour Grossin, composent cette équation :

  • Une perte des repères d’orientation temporelle : l’abandon de la référence à la date-anniversaire supprime un repère essentiel dans le séquençage de la vie professionnelle d’un intermittent du spectacle.

  • Une réduction de l’horizon temporel : Pour faire face à l’incertitude chronique qui caractérise leur situation professionnelle, les intermittents développent des stratégies qui engagent le futur, tissent des « fils tendus » (Roux, 2012) pour créer de la permanence par-delà la discontinuité de l’emploi. Ils s’efforcent ainsi de construire de la cohérence entre leurs différents temps d’emploi, ils entretiennent leur corps, ils constituent des réseaux durables. Or, c’est précisément cet horizon temporel étendu qui tend à se rétrécir avec la réforme, comme l’exprime Sylvain, metteur en scène : « c'est l'impossibilité de se projeter dans le futur et l'impossibilité d'être dans le présent ». À l’horizon du projet artistique ou professionnel, le nouveau système d’indemnisation substitue en effet l’obsession quotidienne du calcul.

  • Une dégradation de la disponibilité : si Grossin définit la disponibilité comme ouverture de la personne aux temps d’autrui, accueil de l’imprévu dans le cours des occupations ordinaires, les entretiens avec les intermittents font plutôt ressortir l’expérience de l’astreinte, c'est-à-dire une disponibilité forcée, un temps suspendu dans l’attente d'un coup de fil.

  • Une difficulté plus grande de gestion temporelle, du fait du morcellement des temps. La gestion, au sens de Grossin, est le fait de programmer les activités, de répartir les temps de la vie courante, réserver les temps intimes, de façon à distribuer harmonieusement les temps collectifs et les temps personnels. Or, l’obsession de l’emploi empiète sur le temps de la vie privée qui devient alors poreux, mité de toutes parts.

  • Une perte de la création temporelle : pour Grossin, « personne ne gère ses propres temps s’il ne les produit » et la création temporelle apparaît au mieux dans les activités de loisir et de création. Mais, nous dit Christine Nissim, comédienne et animatrice de la commission CAP, la réforme « vole le temps », à commencer par le temps de la création temporelle.

Conclusion

37En somme, quatre ans après la nouvelle réforme des annexes 8 et 10 du régime général d'assurance chômage, le vocabulaire par lequel les intermittents relatent leur expérience de travail a bien changé : manque de temps, impossibilité à se projeter dans le futur, voici les mots qui reviennent sans cesse lors des entretiens et des ateliers. Le présent et le futur semblent hantés par le travail, le temps de vie colonisé par l'emploi et son manque. La discontinuité est désormais perçue comme morcellement du temps. Un temps qui s'accélère, un temps dont on perd la maîtrise. Il n'y a plus de hiatus entre précarité contractuelle et perception de soi comme sujet précaire (Bureau, Corsani, 2012).

38Comment interpréter ce changement de référentiel temporel, au-delà de l’objectif de réduction du déficit du régime, qui n’a d’ailleurs pas été atteint par les réformes de 2003 et de 2006 ?

39Une première hypothèse nous est inspirée par la réflexion de Michel Foucault sur la Naissance de la biopolitique. Selon cette hypothèse, le contrôle du temps serait un enjeu central des technologies de gouvernement néolibéral dont le but n’est pas tant le triomphe du marché que la soumission de toute forme sociale à l’ethos managérial. C’est le sens du projet de refondation sociale autour d’une société du risque proposé par François Ewald et Denis Kessler :

« Le risque est notre manière de mesurer la valeur des valeurs […] Il est au cœur du rapport des individus à eux‑mêmes (morale), des individus avec la nature (épistémologie), du rapport des individus entre eux (anthropologie politique) » (2000, p. 68).

40Si le fordisme rythmait la vie par un découpage du temps et une répétition régulière des tâches, tandis que la société salariale garantissait des droits protecteurs en contrepartie de la subordination, la conformation de la société à un nouveau modèle dans lequel l’entreprise devient l’étalon de toute forme sociale, depuis l’individu jusqu’à l'État, exige plutôt une disponibilité permanente des actifs : la subordination se déplace de la relation hiérarchique à l’exigence de disponibilité, tandis que la confrontation au risque devient l’affaire de tous et la responsabilité de chacun.

41À cet égard, le régime de l’intermittence a pu apparaître comme une aberration, la pointe avancée d’un modèle de protection sociale qui offrait la sécurité des droits au-delà même du lien de subordination. En effet, le tournant de 1979-1984 a inauguré une socialisation massive des ressources des intermittents : les intermittents indemnisés y trouvaient les moyens pour réaliser leurs propres projets artistiques ainsi qu’un pouvoir sur la définition même de la production artistique, à travers la capacité de s’engager ou au contraire de refuser de s’engager, en fonction des jugements qu’ils portaient sur la qualité du produit et sur les modalités de sa production, au-delà même des considérations d’emploi et de rémunération. Avec l’accès à ce « salaire socialisé », les intermittents du spectacle ont donc acquis un contre-pouvoir professionnel qui rééquilibrait en profondeur la relation salariale (Grégoire, 2012). Dans cette perspective, la réforme de 2003 peut être comprise comme une normalisation du milieu artistique afin de le plier aux règles communes dans une société du risque.

42Une autre hypothèse, inspirée des réflexions d’Hartmut Rosa, interprète l’évolution de l’expérience vécue par les intermittents comme résultant d’un processus global d’accélération sociale, au cours duquel le projet de la modernité se retourne contre lui-même (Rosa, [2005] 2010). Pour Rosa, l’angoisse exprimée par la personne suspendue à son portable n’est rien d’autre que la peur fondamentale qui hante les individus dans nos sociétés de la modernité tardive, celle de manquer des opportunités ou des connexions décisives, celle aussi de se tenir en déséquilibre sur des pentes qui s’éboulent.

  • 14 Pierre-Michel Menger voit aussi dans les mondes de l’art l’expression la plus avancée des mutations (...)

43Dans cette perspective, l’intermittent du spectacle apparaît comme l’archétype même du travailleur en ces temps de la modernité avancée (Menger, 2002)14. Pour lui, la séparation entre les sphères du travail et de la vie est abolie ; le travail colonise sans ménagement les « ressources issues du monde de la vie » ; la gestion temporelle se fait de manière individuelle et flexible, dans le temps lui-même, ce que Hartmut Rosa appelle le « temps temporalisé du quotidien ». L’organisation du temps libre n’échappe pas davantage aux exigences du métier : il s’agit d’entretenir son corps, de se tenir au courant des derniers spectacles, sans que l’on sache vraiment si on le fait pour soi ou pour les besoins du métier (Roux, 2012). En cela, il ne fait que figurer une expérience de plus en plus répandue : Rosa relève ainsi que la sémantique du temps libre est communément imprégnée d’un vocabulaire où prédominent le devoir et l’obligation : il faudrait que je fasse du sport, je dois lire les journaux, etc.

  • 15 On peut néanmoins s’interroger sur le pessimisme de l’auteur, au regard des formes de résistance co (...)

44La contradiction est alors poussée à son terme, car faute de pouvoir réserver du temps pour soi, la création a toutes les chances de se tarir. On aboutit alors au phénomène de pétrification culturelle qui constitue pour Rosa l’envers de l’accélération sociale. Dans cette perspective, la lutte des intermittents prend un sens un peu différent : si la maîtrise du temps reste un enjeu central, il ne s’agit pas de défendre une régulation professionnelle face à un gouvernementalité qui la refuse, mais plutôt de préserver les conditions même de la création. Dans cette perspective, la réforme de 2003 ne représenterait pas une nouvelle étape dans le déploiement d’une technologie de gouvernement mais un épiphénomène dans un mouvement irrésistible d’accélération temporelle15.

45Issues de cadres de pensée bien différents, ces deux hypothèses interprétatives ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Les propos et les textes recueillis lors de la mobilisation témoignent bien du fait que les deux registres de revendication (autonomie professionnelle et préservation de temps pour soi) s’entremêlent étroitement, ce qui explique certains aspects de la dynamique interne au mouvement. Mettant en avant l’exercice du pouvoir et son emprise sur la subjectivité, la première hypothèse désigne l’organisation professionnelle comme la meilleure arme dans cette lutte pour la maîtrise du temps et la possibilité de choisir ses engagements. La deuxième en revanche suggère qu’il s’agit d’une résistance plus diffuse, bien au-delà du périmètre des mondes de l’art, pour arracher des temps personnels, propices à la création, au tourbillon d’un « monde figé et frénétique ».

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Bibliographie

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Notes

1 Ce collectif a été créé en janvier 2003 par des artistes intermittents du spectacle, la plupart non syndiqués. Des intermittents du spectacle adhérents à la CNT Spectacle, à SUD Culture et aussi au SFA faisaient également partie du collectif ainsi que quelques militants de AC!. Pendant le printemps/hiver 2003, le collectif a organisé régulièrement des assemblées à la Maison des Métallos réunissant à chaque fois une centaine de personnes pour mettre au point un cahier revendicatif concernant le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Le collectif a aussi mené de nombreuses actions, notamment dans les théâtres et salles de cinéma. Au mois de juin 2003, l'occupation du Théâtre de la Colline a constitué un moment majeur qui anticipe la naissance du mouvement des intermittents du spectacle. Après la grande mobilisation qui a suivi la signature du protocole, le collectif s'est de facto dissous à l'intérieur de la Coordination des intermittents et précaires.

2 L’ Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unedic) est une association loi 1901, gestionnaire d’un service public. Créé en 1958, l’Unedic a une double mission : il est un organisme de négociation entre les partenaires sociaux (patronat et syndicats) et de gestion des cotisations patronales et salariales.

3 Pour une analyse des positions défendues par la CGT, voir S. Proust (2010).

4 Voir le rapport de la Cour des comptes.

5 Voir en particulier Liaisons Sociales Magazine, n° 130 du 1er mars 2012. Dans un court article « Faut-il réformer le régime d'indemnisation des intermittents du spectacle ? », sont rapportés les propos de Laurent Berger pour la CFDT, de Jean Voirin pour la FNSAC CGT et de Pierre-Michel Menger en réaction au rapport de la Cour des comptes.

6 Jusqu'à la réforme de 2003, les annexes 8 et 10 du régime général d'assurance chômage étaient fondées sur les trois principes suivants : un certain nombre d'heures de travail réalisées pendant une année (507 heures) donnait droit à des allocations chômage pendant une année (principe d'annualisation des droits), le principe régulateur reposait sur une règle simple : un jour chômé est un jour indemnisé. Au bout de l'année (à la dite « date anniversaire »), les institutions en charge de la gestion des chômeurs procédaient à un réexamen de situation en vue d'un renouvellement des droits aux allocations chômage.

7 Nous faisons ici référence à la notion mobilisée par Giorgio Agamben pour qui l'expression « forme de vie » définit une « vie – la vie humaine – dans laquelle les modes, les actes et les processus singuliers du vivre ne sont jamais simplement des faits mais toujours et avant tout des possibilités de vie, toujours et avant tout des puissances », (Agamben , 1993)

8 Pour une analyse des mobilisations, voir en particulier les travaux de M. Grégoire (2012); S. Proust (2010) ; A. Corsani et M. Lazzarato, 2008; J.Sinigaglia (2007). Ces travaux n’abordent pas véritablement la question du temps comme enjeu des luttes, ou alors seulement de manière marginale, notamment dans l'ouvrage de A. Corsani et M. Lazzarato.

9 Quelques résultats de ces deux enquêtes réalisées respectivement en 2004-2005 et en 2009-2011, ont été publiés in Corsani, Lazzarato, 2008 et in Bureau, Corsani, 2012.

10 Cette partie de l'article a été rédigée à partir d'une lecture des documents disponibles sur le site web de la Coordination des Intermittents et Précaires Ile de France : http://www.cip-idf.org/

11 Rappelons que pendant l'hiver2003 et le printemps 2004 est né « Sauvons la recherche », un mouvement de chercheurs s'opposant à la Loi d'orientation et de programmation pour la recherche et l'innovation. Parallèlement, des collectifs de jeunes chercheurs précaires se sont constitués et le mouvement des enseignants-chercheurs était à ses débuts. La mobilisation encore fragile à cette époque, critiquait le rapport Belloc qui allait inspirer, bien plus tard, la réforme du statut des enseignants-chercheurs dans le cadre de la LRU. Des membres de ces différentes organisations ont participé aux travaux de la commission.

12 L'enquête faisait partie d'un projet Picri (Partenariat institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation) soutenu et financé par la région Ile-de-France. L'enquête a articulé deux outils : les ateliers thématiques et les entretiens semi-directifs. Les ateliers thématiques ont porté sur les parcours, les pratiques d'emploi et de travail, les liens de subordination, les temporalités et sur les rémunérations et la formation du revenu, avec une dizaine de personnes à chaque fois. Des entretiens individuels semi-directifs ont ensuite permis d'approfondir les questions soulevées de manière collective lors des ateliers. Enfin, dans nos analyses nous avons également mobilisé les témoignages de la permanence CAP (conséquence de l'application du protocole) de la CIP.

13 Il est à noter que dans les secteurs les plus industrialisés, notamment dans l'audiovisuel, la discipline du temps s'impose de plus en plus, par des délais de fabrication toujours plus courts, par des innovations technologiques qui modifient en profondeur la manière de travailler et imposent des capacités d'adaptation rapides et des rythmes de travail plus intensifs.

14 Pierre-Michel Menger voit aussi dans les mondes de l’art l’expression la plus avancée des mutations du capitalisme.

15 On peut néanmoins s’interroger sur le pessimisme de l’auteur, au regard des formes de résistance contre le processus d’accélération sociale.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Christine Bureau et Antonella Corsani, « La maîtrise du temps comme enjeu de lutte  »Temporalités [En ligne], 16 | 2012, mis en ligne le 13 décembre 2012, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/temporalites/2218 ; DOI : https://doi.org/10.4000/temporalites.2218

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Auteurs

Marie-Christine Bureau

LISE-CNAM
marie-christine.bureau@cnam.fr

Antonella Corsani

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
CES-UMR 8174 CNRS
Institut des Sciences Sociales du Travail (Paris 1)
antonella.corsani@univ-paris1.fr

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