Aristote, Maclntyre et le rôle de la norme dans la vie morale*

1) Introduction

Les travaux philosophiques d'Alasdair Maclntyre ont beaucoup contribué au récent renouveau de l'intérêt pour la pensée pratique aristotélicienne. Notamment dans le cadre du débat entre les défenseurs du libéralisme politique et ceux de la philosophie communautarienne, «l' Aristote de Maclntyre» est devenu un point de repère par rapport auquel on prend normalement position1.

Maclntyre nous présente un Aristote qui n'a presque pas parlé des normes (MacIntyre 1981; 150), qui a toujours subordonné celles-ci aux vertus (MacIntyre 1988; 126) et qui a réduit leur rôle à une certaine tâche «pédagogique» (MacIntyre 1988; 121). Cette image est devenue presque classique. Il ne s'agit pas de la discuter ou de la relativiser, mais de la partager ou de la rejeter. Or, je voudrais suggérer que cette identification d'Aristote à un «philosophe des vertus» — c'est-à-dire, à un philosophe qui subordonne d'une façon radicale le rôle de la norme à l'acquisition et à la pratique des vertus par l'agent moral — est très difficile à soutenir, tant pour des raisons historiques que pour des raisons plus strictement philosophiques.

Du point de vue historique, cette reconstruction néglige le fait que les Grecs ont réfléchi pendant des siècles aux problèmes relatifs à la norme, en lui reconnaissant une importance qui était à la fois morale et