Portée et nécessité de la fondation ultime de la raison

1. Si Apel et Habermas partagent la paternité de la théorie de la discussion, la pragmatique transcendantale du premier diverge de la pragmatique formelle du second sur plusieurs points fondamentaux. Cela n'est pas sans susciter un certain nombre de controverses entre eux dont la plus connue est probablement celle qui les oppose quant à la pertinence de la tentative de Apel d'établir une fondation ultime de la raison. Dans un contexte marqué par le rejet de tout dogmatisme et le triomphe du relativisme, la prétention propre à Apel de fournir un fondement ultime de la raison tranche, il est vrai, singulièrement. Mais pour celui qui, conscient que les actions humaines doivent pouvoir être régulées au niveau universel, s'efforce de surmonter le relativisme et de réaffirmer la possibilité de trancher rationnellement les différends pratiques en recourant à un rationalisme pratique, il semble indispensable de démontrer la nécessité rationnelle de soumettre les principes de son action au crible de la raison.

C'est un tel défi que Apel s'efforce de rencontrer au moyen de sa fondation ultime. Celle-ci doit être comprise comme étant à la fois une fondation ultime de la raison et une fondation ultime de la morale, c'est- à-dire une réponse tant à la question Pourquoi être raisonnable? qu'à la question Pourquoi être moral? x. L'identification de ces deux questions révèle le kantisme de la perspective de Apel puisque celui-ci comprend la moralité comme le fait de fonder ses jugements pratiques sur l'autonomie de la raison. Il y a toutefois lieu de souligner qu'une telle identification ne va pas de soi et peut inviter à estimer que Apel confond deux niveaux distincts de fondation2. Le premier niveau de fondation est celui de la conscience morale, du sentiment qu'un tu dois catégorique s'impose à nous et exige que nous nous inquiétions de la légitimité de nos actes. Le deuxième niveau de fondation est celui qui rapporte cette exigence