Les yeux de l'âme

Le Spinoza de M. Gueroult (*)

Dans ce premier volume d'un ouvrage qui en comprendra trois et s'annonce monumental, M. Gueroult entame l'étude d'une pensée alourdie de réputations diverses. Il est sans doute bien loin le temps où l'on réputait Spinoza pour imposteur ou maître dans l'incompréhensibilité. Mais une autre légende subsiste encore dans la compréhension de sa pensée. M. Gueroult rappelle le paradoxe étymologique de« légende » : ce qui doit être lu voile précisément le sens d'un texte. Le présent ouvrage entend s'opposer à la « légende » du spinozisme, et il ne faut pas se cacher qu'il renouvelle les études spinozistes d'une manière dont on pourrait citer des précédents historiques ; mais ce serait sans doute dépasser le propos de l'auteur qui, en cherchant à comprendre Y Éthique en profondeur, entend seulement dissiper la « légende ».

Des générations d'exégètes se sont attachés au spinozisme, mais ils négligèrent bien souvent de s'atteler patiemment au texte poui l'expliquer par lui-même, comme Spinoza le recommandait d'ailleurs en un autre domaine ( Scrip tura Scripturae interpres). L'exégèse était davantage conçue comme une interprétation que comme une patiente explication méthodique. L'auteur ne manque pas d'opposer à tous les subjectivismes de l'interprétation le premier des préceptes de Descartes : bannir la précipitation et la prévention. Le but est simple : s'en tenir au texte pour le faire surgir de lui-même par lui-même. Voilà ce que se propose M. Gueroult pour l'étude d'une œuvre que son auteur composa en quelque quinze années et dont il médita chaque terme important. Un tel programme demande une méthode adéquate, et ce n'est pas le moindre mérite de cet ouvrage que de nous la présenter à l'œuvre.