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François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, Du balai, Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité

Raisons d'agir, Paris, 2011
Claude Dubar
Référence(s) :

François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, 2011. Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, Raisons d'agir, Paris, 180 pages , 8 euros

Texte intégral

1Le sous-titre de l'ouvrage est explicite : Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité et l'introduction annonce la couleur : « le ménage est un jeu de pouvoir qui renvoie aux rapports de genre, à la définition et à la division du travail, bref à une véritable économie politique » (p. 7). Plus précisément, l'analyse des tâches ménagères pose, selon les auteurs, plusieurs questions : celle de l'inégalité entre les hommes et les femmes certes, mais aussi celles de l'articulation entre féminisme et exploitation et, au-delà, d'une nouvelle économie du temps domestique.

2En France, deux millions de personnes sont comptabilisées comme « employé(e)s de maison », soit 15 % des salariées. Elles travaillent en moyenne 30 heures par semaine, ont en moyenne quatre employeurs et comprennent des « femmes de ménage » et des « aides à domicile » qui se distinguent, écrivent les auteurs, comme le clean se distingue du care : les femmes de ménage héritent de tous les sales boulots liés à l'entretien de la maison. Ces tâches sont toujours très majoritairement dévolues aux femmes : en France, elles y consacraient 3 h 50 par semaine en 86, elles y passent 3 h 40 en 1998, les hommes sont passés d'1 h à 1 h 15 : progression infime.

3Est-ce l'ordre des choses, interrogent les auteurs ? Ils constatent que 56 % des moins de 30 ans se disputent à ce sujet et que « le recours à une femme de ménage permet aux plus aisés d'éviter les scènes de ménage » (p. 22). C'est ainsi que le fossé se creuse entre couches moyennes où la parité progresse et classes populaires où l'inégalité persiste entre hommes et femmes. Les femmes aisées font progresser la parité en exploitant des femmes de classes populaires et spécialement des immigrées, reproduisant ainsi les inégalités entre couches sociales.

« Un modèle de société productiviste, inégalitaire et rétrograde »

4L'originalité de l'ouvrage n'est cependant pas dans ces constats bien connus. Il consiste à démontrer que la soi-disant « promotion des services à la personne », politique présentée comme économiquement efficace et socialement progressiste, est, en fait, fondée sur « un modèle de société productiviste, inégalitaire et rétrograde » (p. 33). La démonstration est la suivante. D'abord concernant la domesticité : alors qu'elle était considérée comme une forme archaïque de domination et qu'elle avait diminué régulièrement tout au long du XXe siècle, en France, passant d'un million de domestiques en 1900 (80 % de femmes) à seulement 200 000 en 1972, elle remonte à partir des années 1990 pour atteindre 400 000 personnes en 2008 et semble réhabilitée par les politiques sociales. Mais il faut distinguer deux secteurs de l'action sociale : celui de l'action en faveur des personnes fragiles (handicapés etc.), et de l'aide aux personnes âgées dépendantes et des aides relevant des « services de confort » qui se concentrent sur les ménages les plus aisés bénéficiant d'avantages fiscaux (chèque emploi service etc.). Sous l'appellation de « service à la personne », à côté d'une action d'aide directe aux plus démunis (de l'ordre du care), on assiste aussi, selon les auteurs, à un retour de la domesticité (de l'ordre du clean) qui « entretient les inégalités », est économiquement coûteuse (51 500 euros annuels en 2008) et favorise les ménages plus aisés.

5Plus classique, mais impeccablement menée, est l'analyse des tâches considérées comme le « sale boulot » consistant à « rendre propre » : physiquement pénible, psychologiquement décevant, isolé et monotone, mal payé, sans formation, avec peu de sécurité d'emploi et aucune perspective de carrière, sans reconnaissance personnelle. Tout une partie du livre concerne « l'impossible modernisation » de ce type d'activité en dépit de la montée des entreprises prestataires pourvues généralement d'une politique de ressources humaines et d'un discours de « professionnalisation » (p. 91 et suivantes). Les efforts en vue de valoriser et faire reconnaître des « compétences relationnelles » de la part des employés de maison (parfois rebaptisés « techniciens de surface ») ne semblent pas avoir eu beaucoup d'effets observables : on assiste plutôt à une dépersonnalisation de la relation de service, à une non reconnaissance maintenue des droits salariaux et à un recours accru aux stéréotypes ethniques (portugaises versus africaines, antillaises ou maghrébines).

Vers le partage des tâches domestiques

6Particulièrement intéressante est la thèse selon laquelle on pourrait démontrer une corrélation (collective) entre intensité de l'usage d'employées de maison et ampleur des inégalités de revenus. Le tableau de la page 83 oppose des pays ayant un indice de Gini (richesse du premier décile sur celle du dernier) particulièrement élevé et un taux élevé de « femmes de ménage » (Brésil, Portugal, Mexique, Chili…) à d'autres moins inégalitaires et ayant un taux faible d'employées de maison (Finlande, Norvège, Suède, Japon…). L'interprétation fait intervenir à la fois la théorie de la consommation ostentatoire (« la femme de ménage, signe extérieur de richesse ») et la question des flux migratoires internes et externes : les femmes originaires de certaines zones pauvres (ou de groupes stigmatisés) constituent, dans certains pays, un réservoir de main d'oeuvre, une « armée ménagère de réserve » à bon marché au point que, lorsqu'on en est issu, « ne pas effectuer ce type de tâches est source de reconnaissance sociale » (p. 90).

7La dernière partie, intitulée « Que faire ? » est particulièrement stimulante. D'abord parce qu'elle montre qu'il n'y a pas de solution progessiste, égalitaire et démocratique sans « un partage des tâches domestiques ». Hommes, au balai ! aurait pu être le titre de cette partie considérant cet impératif catégorique néo-kantien comme « un enjeu politique fondamental ». Ce que les auteurs appellent justement la « marchandisation accrue des temps sociaux » tourne le dos à l'idéal démocratique. Elle a un effet contre-productif : les couches aisées exploitent les plus pauvres et « les hommes ne font toujours rien à la maison ». La démocratie sociale exige que ce soit vers les personnes les plus démunies (handicapés, personnes âgées, dépendantes…) que soient transférés les moyens publics et non vers les ménages de couches moyennes utilisant des « services de confort » pour désamorcer le débat sur le partage des tâches. Mais surtout, il faut tout faire pour rééquilibrer les temporalités sociales, quotidiennes et biographiques, des hommes et des femmes. Tout faire pour « féminiser les parcours masculins » en y introduisant congés de paternité, périodes à temps partiel, congés pour convenance familiale et « masculiniser les parcours féminins » en augmentant les formations, les mobilités et les accès aux fonctions dirigeantes. Mais aussi lutter pour harmoniser les temps de la vie quotidienne en partageant les tâches, y compris le sale boulot, et en augmentant les activités communes y compris domestiques. Allez, achetez donc deux balais ou deux aspirateurs ! En les utilisant ensemble, vous irez deux fois plus vite, communierez dans l'effort commun et économiserez du temps pour... Bref du temps bien à vous.

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Annexe

Frédérique Giraud a publié un compte-rendu de cet ouvrage dans la revue Lectures, en accès libre sur Revues.org.

Notice sur le site de L’homme moderne, qui héberge la maison d’éditions Raisons d’agir.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claude Dubar, « François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, Du balai, Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité »Temporalités [En ligne], 14 | 2011, mis en ligne le 19 avril 2013, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/temporalites/1766 ; DOI : https://doi.org/10.4000/temporalites.1766

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Auteur

Claude Dubar

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Droits d’auteur

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