Notes
Martha Nussbaum, La connaissance de l’amour, trad. S. Chavel, Paris, Le Cerf, 2010, Introduction, p. 87.
Martha Nussbaum (2010), La connaissance de l’amour, p. 47.
Cette mise en exergue de la tension entre l’amour romantique et le point de vue moral correspond au second temps de la réflexion de Nussbaum sur leurs liens (cf. Martha Nussbaum (2010), La connaissance de l’amour, p. 85-86)
La défense de cette conception englobante de la moralité, appuyée sur Aristote et Henry James, correspond au premier temps de la réflexion de Nussbaum sur les liens entre l’amour et la moralité (cf. Martha Nussbaum (2010), La connaissance de l’amour, p. 84-85).
Dans l’article « Le bras de Steerforth : l’amour et le point de vue moral », Nussbaum écrit systématiquement « spectateur judicieux » mais seul Hume emploie cette expression, Smith parlant, pour sa part, de « spectateur impartial ».
« Le bras de Steerforth », p. 511.
Nussbaum se pose elle-même la question et semble envisager les deux possibilités au moment où elle décrit la corrélation entre les romans auxquels elle s’est attachée, et l’évolution de ses propres réflexions sur l’amour et le point de vue moral : « Les auteurs que j’étudie ici ont des vues changeantes (et parfois contradictoires) sur cette question. Et mon propre point de vue a changé également ; suivant les moments, je me suis attachée plus particulièrement à tel roman ou à tel auteur, auprès de qui j’ai recherché des éclaircissements » (La connaissance de l’amour, Introduction, p. 83). L’hésitation sur la source du changement est clairement exprimée à propos de la lecture de Dickens qu’elle associe à sa troisième conception : elle y fut « conduite par [sa] lecture de Dickens, (ou peut-être reconduite vers Dickens par mon intérêt pour cette conception) » (La connaissance de l’amour, Introduction, p. 86-87). Nussbaum révèle enfin un autre changement qui concerne sa propre appréciation de ce roman liée à l’évolution de son jugement sur Steerforth : c’est l’amour déclaré de sa fille de quatorze ans pour ce personnage si séduisant qui a conduit Martha Nussbaum à voir Steerforth non pas d’un point de vue moral objectif mais à travers les yeux du narrateur, s’arrêtant ainsi sur l’image si sensuelle du bras replié de Steerfoth lorsqu’il dort, une attitude qui donne son titre à l’article de Nussbaum (« Le bras de Steerforth », p. 495-496). Il est assez remarquable que Martha Nussbaum, pour conduire le lecteur à adopter ses nouvelles vues, évoque d’une manière sensuelle et, comme elle le précise, « dans l’esprit du roman », l’occasion du surgissement, dans son cœur, de « la puissante présence de Steerforth », qui la fit échapper « à [son] jugement solide pour rejoindre la volatilité du désir » (ibid., et n. 1, p. 496). Elle conduit ainsi son lecteur à tomber amoureux de Steerforth comme elle y fut elle-même conduite lors d’une seconde lecture, et comme elle suppose que Dickens, à la différence de Henry James, encourage ses lecteurs (p. 511).
Il serait néanmoins possible de montrer que le propos de Smith n’est pas tant de dire que l’amour romantique ne peut jamais être partagé par un spectateur mais qu’il s’avère généralement exprimé d’une manière que le spectateur ne saurait rejoindre. Nussbaum pressent ce point lorsqu’elle écrit que le problème est « que l’amant (…) revêt [l’objet de sa passion] d’une importance que le spectateur ne peut pas ressentir » (« Le bras de Steerforth », n. 2, p. 506).
Comme toujours chez Dickens, les personnages malfaisants forment un contraste saisissant avec ceux qui sont capables de bienveillance. Dans David Copperfield, M. Murdstone et Uriah Deep sont les figures maléfiques (pour la seconde, explicitement associée au serpent : chap. 16, p. 229 ; I, p. 349 et chap. 25, p. 368 ; I, p. 560) entièrement vouées à leur propre avancement, et auquel le mariage sert seulement d’instrument. Nous citons David Copperfield dans la traduction de P. Lorain et de la manière suivante : titre (abrégé DC), chapitre et page dans l’édition anglaise « Oxford World’s Classics » (Oxford, 1999), puis volume et page dans la traduction de P. Lorain (Edition du groupe « Ebooks libres et gratuits », nov. 2005, 2 vols).
Voir par exemple DC, chap. 45, p. 637 ; II, p. 319-320.
Ce passage d’Adam Smith est cité par Nussbaum (« Le bras de Steerforth », p. 506).
« Le bras de Steerforth », p. 507.
« Le bras de Steerforth », p. 511.
« Le bras de Steerforth », p. 528-529.
Voir DC, chap. 25.
Pour ces trois points, voir « Le bras de Steerforth », p. 527-529.
DC, chap. 16, p. 226 ; I, p. 344.
Sur cet aveuglement, voir le passage suivant : « – Ah ! Trot ! dit ma tante en secouant la tête, et en souriant tristement, aveugle, aveugle, aveugle ! – Il y a quelqu’un que je connais, Trot, reprit ma tante après un moment de silence (…) Ce quelqu’un-là doit rechercher un appui fidèle et sûr qui puisse le soutenir et l’aider : un caractère sérieux, sincère, constant. – Si vous connaissiez la constance et la sincérité de Dora, ma tante ! m’écriai-je. – Oh ! Trot, dit-elle encore, aveugle, aveugle ! et sans savoir pourquoi, il me sembla vaguement que je perdais à l’instant quelque chose, quelque promesse de bonheur qui se dérobait à mes yeux derrière un nuage » (DC, chap. 35, p. ; II, p. 92). L’expression est reprise en écho à la fin du chapitre, après une évocation d’Agnès : « Aveugle, aveugle, aveugle » (p. 505 ; II, p. 116).
« Agnès m’était trop supérieure par le caractère et la persévérance (je le sais maintenant, que je le comprisse ou non alors) » (DC, chap. 25, p. 361 ; I, p. 550)
On trouvera un exemple de cette intensité dans l’affection d’Agnès pour son père, ce qui nous conduira à contester le jugement de Martha Nussbaum, qui tend à associer la tranquillité et la douceur d’Agnès à une « mort du cœur » (« Le bras de Steerforth », p. 528).
« Il n’y a pas de mariage plus mal assorti, que celui où il y a si peu de rapports d’idées et de caractère (unsuitability of mind and purpose)… Le premier mouvement d’un coeur indiscipliné !… Mon amour est bâti sur le roc » (DC, chap. 45, p. 646-647 ; II p. 334). Ces formules d’abord prononcées par Annie, puis reprises en écho par le narrateur en fin de chapitre (comme les paroles prémonitoires de la tante de David), sont par la suite sciemment appliquées à sa relation avec Dora (DC, chap. 48, p. 679 ; II, p. 283).
Sur la chevelure de Steerforth : DC, chap. 6, p. 83 (I, p. 131) ; chap. 19, p. 281 (I, p. 425). Sur celle de Dora : DC, chap. 26, p. 384 ; I, p. 585:
Tous les mariages heureux du roman présentent cette caractéristique : celui du narrateur et d’Agnès, du Docteur Strong et de sa jeune épouse Annie, de Traddles et de Sophie. C’est ce partage qui est absent du mariage prématuré avec Dora, ce que le narrateur découvre assez vite : « Mais, après tout, je ne pouvais m’empêcher de me dire qu’il aurait mieux valu que ma femme me vînt plus souvent en aide, qu’elle partageât toutes mes pensées, au lieu de m’en laisser seul le poids. Elle aurait pu le faire : elle ne le faisait pas. Voilà ce que j’étais bien obligé de reconnaître. » (DC, chap. 48, p. 678 ; II, p. 383) ; suit aussitôt une image du passé heureux en compagnie d’Agnès. Précisons qu’Agnès joue dans tout le roman le rôle de confidente du narrateur, ce qui contribue à faire croire à ce dernier qu’il l’aime seulement comme une soeur.
« Le bras de Steerforth », p. 527.
Il me semble que John Carey parvient à une conclusion du même ordre lorsqu’il distingue, d’un côté, la manière dont le narrateur sanctifie Agnès en raison de sa propre incapacité à associer maturité et sexualité et, d’un autre côté, la véritable Agnès dont les instincts sont « parfaitement normaux » (John Carey, The violent effigy: a study of Dickens’ imagination, Londres, Faber and Faber, 1973, p. 171). Ainsi, écrit Carey, « Dickens se moque, à travers David, de sa propre tendance à faire entrer les femmes dans des catégories étanches – l’épouse enfant, la vieille rombière, le vitrail. Agnès combine en réalité la pureté, le désir sexuel et l’efficacité domestique. Elle traverse les catégories de Dickens » (p. 172).
« Le bras de Steerforth », p. 529.
Parti en voyage après le décès de Dora, le narrateur reçoit une lettre d’Agnès, dont il rapporte le contenu : « De même que les souffrances de mon enfance avaient contribué à faire de moi ce que j’étais devenu ; de même des malheurs plus grands, en aiguisant mon courage, me rendraient meilleur encore, pour que je pusse transmettre aux autres, dans mes écrits, l’enseignement que j’en avais reçu moi-même » (DC, chap. 58, p. 795 ; II, p. 556). De retour en Angleterre, Agnès l’enjoint encore à poursuivre l’écriture : « « Avez-vous le projet de voyager encore ? » me demanda Agnès, tandis que j’étais debout à côté d’elle. – Qu’en pense ma sœur ? – J’espère que non. – Alors, je n’en ai plus le projet, Agnès. – Puisque vous me consultez, Trotwood, je vous dirai que mon avis est que vous n’en devez rien faire, reprit-elle doucement. « Votre réputation croissante et vos succès augmentent votre pouvoir de faire le bien » » (chap. 60, p. 821 ; II, p. 598, trad. mod.)
« Le bras de Steerforth », p. 520.
« Le bras de Steerforth », p. 527.
« Le bras de Steerforth », p. 517. Le passage que vise Nussbaum et qu’elle cite à la même page est le suivant : « Je n’oubliais jamais Agnès, et elle ne quittait jamais, si j’ose dire, le sanctuaire de ma pensée où je l’avais placée dès l’abord. Mais quand il entra et se dressa devant moi, la main tendue, je vis s’évanouir dans la lumière l’ombre qui s’était répandue sur lui et j’eus honte d’avoir pu douter d’un ami si cher. Je n’en aimais pas moins Agnès ; je la considérais toujours comme mon bon ange ; je ne lui reprochais rien ; mais je me reprochais à moi-même d’avoir fait tort à mon ami et j’eusse été prête à tout pour réparer ce tort, si j’avais seulement su comment m’y prendre. » (DC, chap. 28, p. 412).
Il se trouve au début du chapitre 32, p. 443-444 (II, p. 18-19).
L’épisode où Steerforth veut conclure ce pacte est cité par Nussbaum « – Daisy, si jamais quelque chose venait à nous séparer, il faut que tu ne te souviennes que de mes bons côtés. Allons ! faisons ce pacte. Promets-moi de ne te rappeler que de mes bons côtés, si jamais les circonstances nous séparent ! – Tu n’as pas de bons côtés pour moi, Steerforth, ni de mauvais, lui dis-je. Je t’apprécie toujours également. » (DC, chap. 29, p. 424 ; cité dans « Le bras de Steerforth », p. 526). Par la suite, le narrateur sous-entend à nouveau qu’un tel pacte était inutile, puisque c’est par un mouvement « naturel » qu’au moment même où il découvrit l’« indignité » (unworthiness) de Steerforth, il se mit à penser d’autant plus aux « qualités qui auraient pu faire de lui un homme d’une noble nature et de renom » (DC, chap. 32, p. 443 ; II, p. 18, trad. mod.). Le point est répété une fois narrée et même revécue (« I do not recall it, but see it done; for it happens again before me ») la scène de la mort de Steerforth : « Vous n’aviez pas besoin, ô Steerforth, de me dire le jour où je vous vis pour la dernière fois, ce jour que je ne croyais guère celui de nos derniers adieux ; non, vous n’aviez pas besoin de me dire « quand vous penserez à moi, que ce soit avec indulgence ! » Je l’avais toujours fait ; et ce n’est pas à la vue d’un tel spectacle que je pouvais changer » (DC, chap. 56, p. 776 ; II, p. 526).
« Le bras de Steerforth », p. 529.
Martha Nussbaum (2010), La connaissance de l’amour, Introduction, p. 49.
DC, chap. 53 et 54, p. 749-750 (II, p. 485 et 487) ; chap. 64, p. 855 (II, p. 653).
« Le bras de Steerforth », p. 528.
John John Carey (1973), The violent effigy, p. 171.
DC, chap. 64, p. 855.
« Le bras de Steerforth », p. 515.
DC, chap. 60, p. 821-822 ; II, p. 599. Sur l’encouragement à écrire, voir ci-dessus note 26.
« Le bras de Steerforth », n. 1, p. 531.
Précisons que Martha Nussbaum inclut également dans ce développement du narrateur 1) une ouverture au plaisir et à la sensualité liée à son imagination et à ses facultés d’observation enfantines, qui se retrouvent chez le narrateur adulte devenu romancier 2) l’amour passionné pour sa mère lié « à des attitudes morales naissantes : (…) la tendresse, la gratitude pour le soutien, et un désir de soutenir à son tour » (« Le bras de Steerforth, p. 529-532). Or, à travers ce second trait, Nussbaum rattache le geste d’embrassement fidèle de Peggotty, la bonne et la compagne de la mère du narrateur, envers cette dernière au moment de sa mort, au propre développement du narrateur. Elle considère ainsi que « le fait que ce geste soit un geste d’amour et de soutien pour la mère de David nous montre, encore plus profondément, sa signification dans son imagination, une manière pour lui de comprendre, à travers ce geste, le lien entre son propre amour des particuliers et les deux mondes de l’amour et de la moralité » (« Le bras de Steerforth », p. 532). On peut aussi comprendre, plus simplement, que c’est Peggotty elle-même qui, à l’instar d’autres personnages du roman, illustre, à travers son indulgence pour les faiblesses de Clara Copperfield tombée sous le joug des Murdstone, la moralité aimante et indulgente que Nussbaum tend à accorder au seul narrateur.
Le narrateur le souligne à propos d’Uriah Heep et de sa mère : « L’oeil d’une mère me parut être un mauvais oeil pour le reste de l’espèce humaine, quand elle le dirigea sur moi, quelque tendre qu’il pût être pour lui, et je crois qu’elle et son fils s’appartenaient exclusivement l’un à l’autre » (DC, chap. 39, p. 554 ; II, p. 194) ; « « – Mais je vous aime, Uriah ! s’écria mistress Heep. » Et certainement elle l’aimait et il avait de l’affection pour elle : quelque étrange que cela puisse paraître, c’était un couple bien assorti » (DC, chap. 52, p. 736 ; II, p. 465).
DC, chap. 14, p. 199 ; I, p. 302.
« [La] vénération [de M. Dick] pour le docteur était sans bornes ; et il y a, dans une véritable affection, même de la part de quelque pauvre petit animal, une délicatesse de la perception qui laisse bien loin derrière elle l’intelligence la plus élevée. M. Dick avait ce qu’on pourrait appeler l’esprit du coeur, et c’est avec cela qu’il entrevoyait quelque rayon de la vérité » (DC, chap. 42, p. 607 ; II, p. 273, trad. mod., je souligne)
Cf. Hume, Traité de la nature humaine, III, III, 4 : « même si ces qualités [i.e. les aptitudes naturelles et les vertus morales] ne sont pas tout à fait du même genre, elles coïncident par leurs particularités les plus importantes. Les unes et les autres sont également des qualités mentales, font également plaisir et, bien entendu, tendent également à procurer l’amour et l’estime des hommes » (trad. P. Saltel, Paris, GF-Flammarion, 1993, p. 234). « La sagesse et le bons sens » font bien entendu partie des aptitudes naturelles citées par Hume.
« C’est une pauvre femme, monsieur David, qui est vilipendée par toute la ville, de droite et de gauche. Il n’y a pas un mort dans le cimetière dont le revenant soit plus capable de faire sauver tout le monde » (DC, chap. 22, p. 327 ; I, p. 498).
« “Émilie, Émilie, pour l’amour du Christ, ayez un coeur de femme avec moi. J’ai été jadis comme vous !” C’étaient là des paroles bien solennelles, monsieur David : comment refuser de l’entendre ? » (ibid.). Plus tard dans le roman, M. Peggotty demandera sans répugnance à Marthe son aide pour retrouver Emilie, étendant ainsi son absence de jugement à cette autre femme déchue : « Marthe, dit-il, Dieu me préserve de vous juger ! Dieu m’en préserve, moi plus que tout autre homme au monde ! Vous ne savez pas combien je suis changé. Enfin ! » (DC, chap. 47, p. 665 ; II, p. 363). Et c’est M. Peggotty encore qui immigrera avec ces deux jeunes femmes, les soustrayant ainsi au jugement de ceux qui ont connu leurs fautes.
M. Nussbaum suppose que la nature de l’amour sans jugement dont fait preuve David Copperfield à l’égard de Steerforth peut être rattachée aux « idées stoïciennes de compassion et de suspension du jugement, développées par la suite dans la pensée chrétienne » (Martha Nussbaum (2010), La connaissance de l’amour, Introduction, p. 87). En fait la référence au pardon chrétien est transparente dans le roman et elle ne concerne pas uniquement l’amour du narrateur. Betsy Trotwood l’exprime explicitement en pardonnant à son premier mari le harcèlement dont elle fut l’objet après leur séparation : « Il y a trente-six ans, mon ami, que je l’avais épousé, me dit ma tante, lorsque nous remontâmes en voiture. Que Dieu nous pardonne à tous » (DC, chap. 54, p. 763 ; II, p. 507, je souligne).
DC, chap. 32, p. 444 ; II, p. 19.
Martha Nussbaum a raison d’insister sur le caractère « vindicatif, jaloux et autocentré » de l’amour de Rosa Dartle pour Steerforth, et de marquer son « contraste avec la générosité bienveillante de David » (« Le bras de Steerforth », p. 525). Mais Dickens a marqué un contraste du même ordre entre le pardon immédiat de M. Peggotty à l’égard Emilie, preuve de son amour inconditionnel pour elle, et le ressentiment jaloux de la mère de Steerforth à son égard. Loin de lui pardonner, elle fait valoir son « droit » et exige qu’il lui demande pardon : « Qu’il aille où il voudra avec les ressources que mon amour lui a fournies ! Croit-il me réduire par une longue absence ? Il connaît bien peu sa mère s’il compte là-dessus. Qu’il renonce à l’instant à cette fantaisie, et il sera le bienvenu. S’il n’y renonce pas à l’instant, il ne m’approchera jamais, vivante on mourante, tant que je pourrai lever la main pour m’y opposer, jusqu’à ce que, débarrassé d’elle pour toujours, il vienne humblement implorer mon pardon. Voilà mon droit ! » (DC, chap. 32, p. II, p. 40-41)
« Je vais la chercher par le monde. Si elle revenait pendant que je serai parti (mais, hélas ! ça n’est pas probable), ou si je la ramenais, mon intention serait d’aller vivre avec elle là où elle ne trouverait personne qui pût lui adresser un reproche ; s’il m’arrivait malheur, rappelez-vous que les dernières paroles que j’ai dites pour elle étaient : “Je laisse à ma chère fille mon affection inébranlable (my unchanged love), et je lui pardonne” » (DC, chap. 32, p. 460 ; II, p. 45).
DC, chap. 19, p. 271 ; I, p. 409.
DC, chap. 35, p. 504 II, p. 115.
C’est ainsi que la perçoit Martha Nussbaum, qui associe Agnès à son geste pointant vers le haut, « le geste du discours moral, de la raison, du conseil » (« Le bras de Steerforth », p. 515). Je suggère au contraire que, dans l’esprit du narrateur, ce geste soit celui de l’encouragement à bien agir (et à bien vivre), selon le modèle qu’Agnès incarne à ses yeux à travers son affection pour son père : celui d’une moralité aimante et exempte de jugement. Pour Martha Nussbaum « Agnès conseille tout le monde » (ibid.). Mais ce n’est pas toujours ce que suggère le roman (bien qu’il soit vrai que tout le monde, David au premier chef, recherche son conseil), comme l’indique le passage cité ci-dessus (« elle était trop douce et trop modeste pour me donner beaucoup de conseils ») mais aussi le suivant, qui relate une lettre d’Agnès au narrateur déjà mentionnée « Elle ne me donnait pas de conseils ; elle ne me parlait pas de mes devoirs ; elle me disait seulement, avec sa ferveur accoutumée, qu’elle avait confiance en moi. Elle savait, disait-elle, qu’avec mon caractère je ne manquerais pas de tirer une leçon salutaire du chagrin même qui m’avait frappé » (DC, chap. 58, p. 795 ; II, p. 556).
« Serai-je le héros de ma propre histoire ou quelque autre y prendra-t-il cette place ? C’est ce que ces pages vont apprendre au lecteur » (DC, chap. 1, p. 1 ; I, p. 4).
Dans les notes préparatoires de son roman, Dickens a écrit en regard du chapitre 15 où apparaît pour la première fois Agnès Wickfield : « Introduction de la véritable héroïne » (DC, appendice D, p. 877 et Introduction d’Andrew Sanders à l’édition « Oxford World’s Classics », p. xix).
Haut de page