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  • Grève étudiante et démocratie : d’une crise à l’autre
  • Dominique Leydet (bio)

La grève étudiante a marqué l’irruption d’une nouvelle génération sur la scène politique québécoise. Cette arrivée bouscule, heurte, irrite certains; mais elle ravive aussi des espoirs de changements profonds; dans tous les cas, elle ne laisse personne indifférent. Le refus de la hausse des frais de scolarité, l’objectif de la gratuité scolaire, plus largement la mise en cause d’un certain modèle de l’université, sont au cœur de l’action des étudiants. Mais à travers cette action apparaît également une intervention sur la démocratie elle-même, à la fois critique de la démocratie représentative existante et porteuse d’une conception alternative qui se réclame de la démocratie participative ou directe.

Cette opposition est l’une des données qui compliquent les rapports entre le gouvernement et les associations étudiantes, singulièrement avec la CLASSE. Elle suscite parfois l’incompréhension, les critiques, voire même les sarcasmes. La rupture des négociations par le gouvernement en mai dernier, sa volonté de trancher le conflit en le soumettant au verdict des urnes trahit non pas simplement un aveu d’impuissance (ou de cynisme), mais aussi la conviction que l’on pourrait faire taire la contestation étudiante en lui opposant la légitimité d’un mandat issu des urnes. C’est là supposer que les étudiants partagent avec le gouvernement et la « majorité silencieuse » une même croyance dans cette légitimité. Mais rien n’est moins sûr. Et c’est ici que la crise étudiante – celle du conflit lié à la hausse des frais de scolarité - touche un malaise plus profond qui concerne la démocratie représentative elle-même. Pour mieux comprendre ce rapport de la crise étudiante à celle de la démocratie représentative, pour mettre en évidence les défis dont il est porteur, il nous faut partir de l’engagement en faveur de la démocratie directe partagé par l’ensemble des associations affiliées à la CLASSE.

1. L’engagement en faveur de la démocratie directe

L’Association Facultaire des Étudiant-e-s en Sciences humaines de l’UQÀM (AFESH) formule cet engagement de façon explicite1 : « Par opposition à la démocratie représentative, la démocratie directe consiste à donner le pouvoir aux assemblées populaires, lesquelles décident dans quelle mesure (et à qui) elles souhaitent déléguer une partie de leurs responsabilités. Ces délégué-e-s doivent ensuite exécuter les mandats votés démocratiquement, et doivent constamment revenir devant l’assemblée afin de développer et de rendre effectifs ces mandats ». L’assemblée générale délibérante et décisionnelle apparaît ici comme le socle de la vie démocratique : « Fondement de la démocratie directe, les assemblées générales sont des espaces de délibération indispensables à la décision. La vitalité et la participation aux assemblées générales sont le signe d’une saine démocratie : la légitimité de l’action d’une organisation repose sur le caractère démocratique des délibérations y ayant mené »

Cette conception de la démocratie est commune à l’ensemble des associations étudiantes affiliées à la CLASSE, celle-ci faisant de l’affirmation de la souveraineté de l’assemblée générale une des conditions nécessaires à l’affiliation.2

Cette conception de la vie démocratique a deux implications:

  • - Pour participer à la décision collective, il faut avoir pris part à la délibération. Par conséquent, toute procédure de vote qui scinderait la décision de la délibération et qui permettrait à quelqu’un n’ayant pas participé à la délibération de participer au vote est jugée irrecevable.

  • - Les associations et la CLASSE elle-même ont des « porte-paroles », certainement pas des « leaders ». Ces porte-paroles sont des délégués plutôt que des « trustees » (pour reprendre l’opposition classique). Ils ne peuvent agir que sur la base – et dans les limites – des...

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