Philosophie moderne et contemporaine 689
Un vol. 22 x 14 de xin-154 pp. Québec, Presses de l'Université du Québec, 1990.
Les études approfondies sur Gramsci sont rares dans le domaine francophone actuellement1. De ce point de vue, la publication d'Ernst Jouthe2, professeur au Département de travail social à l'Université du Québec à Montréal, mérite déjà une mention spéciale. Elle présente un Gramsci à la pensée complexe et nuancée, à travers l'exégèse minutieuse d'un passage-clé du 10e Cahier de prison3, véritable manifeste à lui seul de la «pensée organique». En contre-point du décryptage exégétique, le lecteur est renvoyé aux débats de fond qu'entretenait Gramsci avec l'hégélien Croce, avec le Marx de la Contribution à la critique de l'économie politique, avec Lénine, avec Machiavel et avec Hegel.
Historiquement, E. Jouthe met en évidence la permanence d'un thème organisateur des réflexions de Gramsci, la catharsis. Il cerne l'évolution de ce concept et le rôle central qu'il a joué dans l'autoforma- tion de la pensée gramscienne de l'action sociale. Issu d'un contexte épistémologique lié à l'Art et en particulier au théâtre chez Aristote4, le concept gramscien émigré progressivement vers le site de la pensée politique, sans perdre pour autant sa pertinence psychologique, liée à une transformation de l'attitude personnelle face au réel. Devenu l'expression par excellence de la médiation philosophique dans l'action libératrice, le concept de catharsis se dédouble en catharsis personnelle (micro-catharsis) et en catharsis collective (macro-catharsis), toutes deux corrélatives, puisqu'elles désignent la formation de la conscience
1 À en croire le Répertoire bibliographique de la Philosophie, il faut remonter jusqu'en 1980 pour trouver une étude de fond sur la pensée de Gramsci, dans le domaine francophone: Nguyen Van Si, Conception de l'éducation chez Karl Marx et Antonio Gramsci, Éd. Antonianum, Rome, 1980. De son côté, Francis Guibal a publié en espagnol son Introducciôn a Gramsci: por que y como, Macho Cabrio, Lima, 1984. On relèvera aussi l'étude plus brève de R. Vander Gucht, Société civile et société politique chez Gramsci, in La souveraineté en question, dir. par J. Etienne et P. Watté, Ciaco, Louvain-la-Neuve, 1988. Par contre, en anglais et en allemand, les études gramsciennes restent florissantes. Ainsi, tout récemment encore, on peut signaler: Ranke J., Marxismus und Historicismus bei Antonio Gramsci, 2 tomes, Verlag Peter Lang, Frankfurt a. M., 1989 ainsi que Finocchiaro M. A., Gramsci and the History of Dialectical Thought, Cambridge University Press, Cambridge/New York, 1988.
2 Au Québec, ce livre vient vingt ans après le fameux ouvrage d'introduction à Gramsci écrit par J.-M. Piotte (La pensée politique de Gramsci, Éd. Parti pris, Montréal, 1970), directeur de thèse de M. Jouthe.
3 Gramsci A., Cahiers de prison, Cahiers 10, 11, 12, 13, trad, par M. Aymard et P. Fulchignoni, Gallimard, Paris, 1978, vol. III, p. 50.
4 Ernst Jouthe met à profit le beau travail de Dupont- Roc et Lallot sur La poétique (Seuil, Paris, 1980), sans omettre le renvoi également à la Politique (op. cit., pp. 31 à 33).
