La religion dans les Grundzûge de Fichte
Au Père Edmond Lahaye.
Les textes de Fichte postérieurs à V Atheismusstreit (1798-1799) l sont d'un intérêt particulier pour saisir la complexité des rapports entretenus par la pensée moderne avec la religion. Tout en prétendant développer une métaphysique essentiellement religieuse2, Fichte se livre à une critique impitoyable des formes traditionnelles de la religion chrétienne tant au niveau des pratiques institutionnelles qu'au niveau du contenu du discours théologique. Comme Kant dans son texte sur les Lumières3, il voit, dans les institutions religieuses modernes, un obstacle majeur au progrès social. Mais cet obstacle n'est pas considéré comme un reliquat des temps passés. Il existe un christianisme moderne adapté aux formes de pouvoir de son époque, capable de s'accommoder tout autant de l'absolutisme monarchique que du despotisme éclairé. Le monde moderne est même intimement lié aux valeurs chrétiennes d'égalité et de respect des personnes. Pour comprendre les critiques de Fichte, il faut donc considérer la crise de la société moderne tout entière, impuissante à donner un véritable projet collectif à la liberté qu'elle a pourtant acquise chèrement dans sa révolte contre toutes les anciennes formes d'autorité.
La critique de la religion s'inscrit ainsi dans une critique de société. L'impasse du monde moderne se répercute dans toutes les dimensions
1 Cf. H. M. Baumgartner, Sur la conception de Dieu dans la philosophie transcen- dantale, Remarques relatives à la Querelle de l'athéisme de 1798-1799, in Archives de Philosophie, 31 (1968), pp. 531 à 555. Voir aussi A. Philonenko, L'œuvre de Fichte, Vrin, Paris, 1984, pp. 71 à 82.
2 Cf. J. G. Fichte, Die Grundzûge des gegenwàrtigen Zeitalters, in Fichtes Werke, hrsg. von I. H. Fichte, Walter de Gruyter, Berlin, 1971, Bd. VII, pp. 3 à 256, p. 240. Nous citerons désormais «F.W. VII». La traduction française d'I. Radrizzani (Vrin, Paris, 1990) indique la pagination de cette édition allemande.
3 Cf. E. Kant, Beantwortung der Frage: Was ist Aufklàrung?, in Kant's Werke, Bd. VIII, Walter de Gruyter, Berlin/Leipzig, 1923, pp. 33 à 42.
