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L’idée aristotélicienne d’une causalité divine, c’est-à-dire d’une substance non sensible constituant le principe immobile de tout changement, est largement absente de la conscience philosophique contemporaine. De plus, la surabondance d’études sur la Métaphysique d’Aristote au xxe siècle indique que cette collection de quatorze livres ou exposés d’inégales longueur et complexité pose des difficultés d’interprétation de tout ordre. De manière générale, tandis que les commentateurs anciens défendent l’unité et la cohérence de la Métaphysique et voient dans l’exposé de la « théologie » d’Aristote, au livre Λ, l’accomplissement du traité et de la pensée d’ensemble de ce dernier, les spécialistes modernes (depuis Werner Jaeger) rejettent le plus souvent cette lecture unitaire et soulignent au contraire les tensions, voire les contradictions, entre le livre Λ et le reste de la Métaphysique et du corpus aristotélicien. Thomas De Koninck prend le contre-pied de cette double tendance, philosophique et interprétative. Il défend une lecture unitaire en s’inspirant des commentateurs anciens, au premier rang Thémistius, ainsi qu’en puisant savamment dans l’immense érudition moderne. De Koninck soutient que la quête de sagesse chez Aristote culmine nécessairement dans une réflexion sur Dieu, et que le Dieu aristotélicien est non seulement cause finale mais encore cause efficiente de l’univers. Composé de six leçons professées à Paris en 2008, Aristote, l’intelligence et Dieu propose une lecture minutieuse du livre Λ (surtout 6-10), en rapport avec les autres textes pertinents du corpus aristotélicien, en particulier Physique VIII, Éthique à Nicomaque X, et De Anima III, 4-6. Enfin, De Koninck avance une défense philosophique des thèses aristotéliciennes, en comparaison avec la pensée moderne, surtout Descartes et Hegel, et avec les sciences contemporaines, notamment la théorie de l’évolution.

Rappelons d’abord les grandes lignes du livre Λ et les principales difficultés qu’il pose. Aristote y tente une déduction rigoureuse. Tout changement exige une cause ; ce qui est en puissance ne peut devenir en acte sans quelque chose déjà en acte. Dans le cas du cosmos, une régression à l’infini est donc inadmissible ; le monde est éternel (et non pas créé, comme l’affirme le Timée), il a toujours été en acte. Il existe donc une cause première ou ultime du mouvement éternel. Puisque le mouvement, l’étendue et la matière comportent de la puissance, cette cause ultime doit être immobile, sans étendue, immatérielle, intemporelle, séparée (χωρισtἠ), et par voie de conséquence pure actualité ou activité (ἐνἐργεια). Étant en acte et incorporelle, cette cause doit résider exclusivement en la pensée, continuelle, et ne peut avoir d’autre objet de pensée qu’elle-même : elle est « pensée de la pensée » (νὁησιϛ νοἡσεωϛ), jouissant d’une existence souverainement autarcique et heureuse. Cela est Dieu (θεὁϛ). Mais alors, ce Dieu dont l’unique activité est de se penser lui-même peut-il avoir un quelconque rapport avec le monde ? Étant immatériel et immobile, il ne saurait exercer une action corporelle ou directe sur celui-ci ; il meut l’univers comme cause finale, comme objet de désir. L’être humain, participant lui-même par l’intelligence à l’esprit divin, a pour tâche d’imiter celui-ci, autant que cela lui est possible. Mais si Dieu en tant qu’objet désirable est cause finale, est-il pour autant cause efficiente ? Dans la Physique VIII, le premier moteur (tὀ κινοῦν πρῶtον) est en contact avec ce qu’il met en mouvement (VIII, 10). Dans le livre Λ de la Métaphysique, en revanche, le premier moteur est dit immatériel, donc séparé par rapport à ce qu’il meut. La question se pose alors de savoir si, dans le corpus aristotélicien, la physique et la métaphysique sont des sciences complètement distinctes, voire irréconciliables. De même, à l’intérieur de la Métaphysique, le rapport entre le projet d’une ontologie (portant sur l’être en général) et celui d’une théologie (dont l’objet est l’être divin) semble poser problème (cf. P. Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, Paris, PUF [coll. “Quadrige”], 4e éd., 2002, p. 41-44). En fait, le bref traité que constitue le livre Λ condense en quelque sorte la richesse mais aussi les tensions qui travaillent la Métaphysique : le problème de l’unité de la Métaphysique est reproduit en petit dans celui de l’unité du livre Λ (par exemple, le rapport entre les chapitres 1-5 d’une part et 6-10 d’autre part ; entre le chapitre 8 qui expose une théologie astrale donc plurielle et le chapitre 7 qui décrit le premier moteur comme unique). Par ailleurs, tandis que le livre Λ se présente comme une théologie rationnelle, à certains endroits de son exposé et surtout dans d’autres textes du corpus aristotéliciens, notamment les écrits éthiques, le divin est décrit par l’évocation des dieux de la théologie grecque traditionnelle, comme des causes efficientes et bienveillantes, donc providentielles (cf. R. Bodéüs, Aristote et la théologie des vivants immortels, Montréal, Paris, Bellarmin, Les Belles Lettres, 1992, p. 279-280). En somme, en quel sens et dans quelle mesure la théologie rationnelle est-elle compatible avec celle des poètes ?

De Koninck défend, d’abord, la thèse de la centralité du livre Λ comme étant l’accomplissement du programme annoncé dans le livre A. La science que les philosophes recherchent est la connaissance des principes et des causes premières des choses, c’est-à-dire la science de l’universel. Loin d’être opposés, ce qui est universel et ce qui est premier coïncident, et cette coïncidence relève d’une réinterprétation rationnelle de la théologie traditionnelle. De Koninck cite et commente ce passage clé du livre A : « Une science divine est à la fois celle que Dieu posséderait de préférence et qui traiterait des choses divines. Or la science dont nous parlons est la seule à présenter, en fait, ce double caractère : d’une part, dans l’opinion courante, Dieu est une cause de toutes choses et un principe, et, d’autre part, une telle science, Dieu seul, ou du moins Dieu principalement, peut la posséder » (A 2, 983 6-10 ; p. 33-34, trad. Tricot). Cette convergence entre la spéculation philosophique et les conceptions communes est, en effet, réaffirmée au livre Λ : « Une tradition, venue de l’Antiquité la plus reculée et transmise sous la forme de mythe aux âges suivants, nous apprend que les astres sont des dieux et que le divin embrasse la nature entière. Tout le reste de cette tradition a été ajouté plus tard, dans la forme mythique, en vue de persuader la multitude et pour servir les lois et les intérêts communs » (8, 1074 1-5, trad. Tricot). Selon la vérité à retenir de la théologie traditionnelle donc, tout changement exige un moteur, les dieux ou le Dieu, sujet de la théologie, sont identiques aux causes premières. De plus, comme le souligne De Koninck, le livre Λ commence comme la suite de l’enquête sur les causes ou substances premières des livres précédents, Ζ, Η et Θ (Λ 1, 1069 18-19). Ce premier chapitre distingue trois espèces de substances ou causes, qui sont le plus souvent distinctes mais qui sont dans certains cas identiques. Il y a d’abord la substance sensible et corruptible, comme les plantes et animaux, ensuite la substance sensible et éternelle mais mobile, tels les astres, et enfin la substance immatérielle, éternelle et immobile, dont la nécessaire existence reste à démontrer (Λ 1, 1069 30-b7 ; p. 16-18). La fonction du livre Λ est précisément de démontrer l’existence d’une telle cause motrice ou efficiente (κινηtικὀν ἢ ποιηtικὁν, 1071 12 ; p. 19).

Mais comment Dieu, en tant que « pensée de la pensée », peut-il connaître le monde et en être le principe de changement ? De Koninck prend ici appui sur une longue tradition exégétique remontant à Thémistius (allant de Proclus à Thomas d’Aquin, de Trendelenburg à Düring et Berti ; contra : Zeller, Brentano, Ross, J. Owens, Oehler). Penser et être pensé implique normalement la dualité. Dans certains cas, toutefois, la science en acte est identique à la chose pensée (1074 36-1075 3 ; cf. De Anima III, 5, 430 19-20 ; p. 40-41). Car l’intelligible est sans matière et indivisible. En tant que cause première et donc universelle, en se connaissant lui-même Dieu connaît en même temps toute chose (p. 56, 61). Il ne les connaît pas comme autres que lui-même — ce qui impliquerait altérité et simple potentialité —, mais en tant que dépendantes de lui, en tant qu’effets dont il est la cause (cf. A 2, 983 6, 9-10 ; cf. Thémistius, Paraphrase de la Métaphysique d’Aristote [Livre Lambda], trad. R. Brague, Paris, Vrin, 1999, p. 111-112).

Tandis que la plupart des commentateurs examinent, en rapport au livre Λ, presque exclusivement De Anima III, 4-5, Thomas De Koninck comble une « lacune surprenante » de la littérature en montrant l’importance de III, 6, portant sur la connaissance des indivisibles et des contraires (p. 37, 95-122). C’est en tant qu’indivisibles (ᾗ ἀδιαἱρεtα) que les choses sont saisies par la pensée (νὁησιϛ), même si la saisie intellectuelle qui opère et le temps où elle opère sont divisibles (430 16-17 ; p. 104). Le « noeud de l’argumentation d’Aristote est la simultanéité en acte des contraires dans la pensée, par opposition à leur exclusion réciproque, ou leur succession dans un sujet matériel, c’est-à-dire le devenir au sens propre du terme » (p. 171-172). Les actions contraires s’excluent mutuellement, mais elles s’impliquent en acte dans la raison, ce qui prouve l’immatérialité de l’intelligence, y compris humaine (p. 131). Selon la loi de l’intelligence des contraires, l’imparfait est toujours connu du parfait, mais le parfait (ou l’esprit divin) le connaît sur un mode direct, sans discours ou division, sans puissance ni contrariété, tandis que nous ne connaissons l’indivisible absolu que sur le mode indirect (cf. De Anima III, 6, 430 24-26 ; p. 134). L’intellect humain ne connaît l’indivisible absolu (ou le moteur immobile unique) qu’au moyen de la privation (σtἑρησιϛ), de la négation. Ainsi cette théorie des contraires est-elle inséparable de la distinction clé entre la puissance et l’actualité. L’imparfait, comme le germe (ou la tendance, Trieb, chez Hegel), n’est pas fermé sur lui-même mais appelle le contraire de soi-même, le parfait. En d’autres termes, cette compréhension ne peut être parfaite qu’en une intelligence omnisciente (p. 138). Cette réflexion originale de De Koninck sur l’importance des indivisibles et les contraires, en rapport à la question de Dieu, a fait l’objet de diverses publications antérieures et remonte en dernière instance à la thèse de doctorat de l’auteur, Les contraires et l’immatérialité de l’intelligence (Université Laval, 1970, 434 p., disponible sur internet : www.scribd.com/doc). Contrairement à la conception mécaniste moderne, selon Aristote il ne convient pas de dire que c’est en calculant que Dieu a créé le monde (dum deus calculat fit mundus), mais plutôt que Dieu ne cesse jamais de comprendre simultanément toute chose intelligible (p. 79, n. 1). Dans un examen parallèle, également original, De Koninck montre qu’il en va inversement dans le cas du cogito de Descartes, où la conscience humaine se pense sans intermédiaire, dans une immanence absolue, à l’instar du Dieu d’Aristote, avec cette différence que dans le cogito la conscience ne pense précisément qu’elle-même, comme chose qui pense, et non pas les choses qu’elle pense (p. 119, 120 ; De Koninck reconnaît ici volontiers sa dette à J.-L. Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes, Paris, Vrin, 1975).

En quel sens est-il possible de dire que Dieu assure l’ordre de l’univers ? C’est en tant que souverain Bien, comme premier intelligible et premier désirable à la fois. Les plantes et les animaux participent au divin par leur reproduction et ainsi à la pérennité des espèces ; les êtres humains, en outre, par leur participation à la pensée. De Koninck rappelle des passages clés du corpus : « Dieu et la nature ne font rien inutilement » (De caelo, I, 4, 271 33) ; tout est fait en vue du meilleur (De la génération et de la corruption, II, 336 26-34). Aristote suit en cela, en la complétant, la doctrine novatrice d’Anaxagore : Dieu est cause efficiente, possédant à la fois savoir et puissance ; il contrôle (κραtεῖ) et ordonne (διεκὁσμησε) toutes choses (πἁνtα, DK 59 B 12 ; cf. De Anima III, 4, 429 19 ; p. 27). Aristote aime à citer ce vers d’Homère, sur lequel d’ailleurs il clôt le livre Λ : « Le commandement de plusieurs n’est pas bon ; qu’un seul chef commande » (Iliade II, 204 ; 1076 4). Ainsi seule la fin (ou l’achèvement, tἑλοϛ) donne-t-elle une réponse satisfaisante à la question du pourquoi de toute chose, à plus forte raison du monde dans son ensemble. De Koninck fait en outre valoir, dans des analyses détaillées, que la téléologie aristotélicienne est parfaitement compatible avec la théorie de l’évolution. L’ordre aristotélicien implique le hasard autant que la nécessité, mais un hasard circonscrit, car seul le possible survient : « […] le hasard ne peut provoquer que ce qui était possible dans le cosmos », comme l’affirme la théorie synthétique de l’évolution (p. 152-153). La puissance du germe consiste à contenir l’arbre tout entier et par là les contraires (p. 172). Dieu est par ailleurs cause finale en raison de sa perfection. En tant que cause finale, il meut toute chose à la façon d’un être aimé (κινεῖ δἠ ὡϛ ἐρὡμενον), tandis que les autres êtres meuvent en étant mus (κινοὑμενα δἐ tἆλλα κινεῖ) (1072 2-4 ; p. 77, 192). Dieu ou le divin comme vie (βίοϛ) est le modèle pour les êtres humains, en tant que vie en acte sous la forme la plus parfaite, jouissant perpétuellement d’un plaisir unique et simple (cf. l’Éthique à Nicomaque X, 1177 12-1179 32). Tandis que la vie divine est éveil pur et perpétuel (ἀεἰ), la vie humaine est éveil sporadique et de courte durée (μικρὀν χρὁνον, 1072 15 ; p. 45). Là encore, la théologie d’Aristote est en accord avec les conceptions communes de la théologie traditionnelle, dont elle reprend le mode de pensée analogique.

L’analyse de De Koninck défend ainsi l’interprétation unitaire de la Métaphysique, non seulement en prenant appui sur les commentateurs anciens et modernes, mais aussi à partir d’une réflexion philosophique sur la connaissance des indivisibles et des contraires, telle qu’exposée dans le De Anima III, 6. Car le problème apparent du rapport entre physique et métaphysique trouve un parallèle fameux dans le De Anima III. Il convient de situer l’interprétation de De Koninck sur le De Anima III par rapport à une autre tradition d’interprétation, qui se fonde quant à elle sur le chapitre III, 5. À cet endroit, Aristote établit ou du moins suppose l’existence d’un « intellect agent » (ποιηtικὁν) séparé ou transcendant, à la lumière du processus par lequel l’âme acquiert la connaissance. Dans une analyse allusive (430 10-25), Aristote affirme notamment que ce qui est en puissance ne passe à l’acte que par l’action de quelque chose qui est déjà en acte, c’est-à-dire par un intermédiaire immatériel, comme la lumière pour le monde corporel. Le chapitre se clôt sur cette phrase : « Sans celui-ci [l’intellect agent] rien ne pense [ou : ne comprend] » (καἰ ἂνευ tοὑtου οὐθἐν νοεῖ, 430 25). Deux interprétations, jouissant l’une et l’autre d’une longue tradition exégétique, s’opposent. L’une et l’autre ont cela en commun qu’elles rejettent la lecture naturaliste, qui cherche à voir, même dans III, 5, un strict parallélisme entre perception et intellection auquel Aristote habitue son lecteur dans le reste du traité. Selon la première interprétation, modérée, défendue notamment par Thomas d’Aquin et ici par De Koninck, l’intellect agent correspond à l’intellect individuel, donc humain mais dans ce qu’il a de transcendant, tandis que pour l’autre interprétation, plus aventureuse, formulée d’abord par Alexandre d’Aphrodise, l’intellect agent n’est nul autre que l’intellect divin du livre Λ de la Métaphysique. Cette seconde interprétation vient de connaître une certaine renaissance, depuis que Michael Frede l’a défendue ainsi que Myles Burnyeat à sa suite (M. Frede, « La théorie aristotélicienne de l’intellect agent », dans G. Romeyer Dherbey et C. Viano, éd., Corps et âme. Sur le De Anima d’Aristote, Paris, Vrin, 1996, p. 377-390 ; M.F. Burnyeat, Aristotle’s Divine Intellect, The Aquinas Lecture, Milwaukee, Marquette University Press, 2008). L’avantage herméneutique de cette interprétation est d’assurer une forte continuité entre la sphère humaine et la sphère divine, en faisant de Dieu lui-même le principe à l’intérieur de l’âme, de ses opérations et même du contenu de ses pensées. En revanche, la faiblesse de cette interprétation réside dans le fait qu’Aristote en III, 5 semble associer intimement l’intellect agent à l’âme individuelle, comme s’il était en effet une partie de celle-ci. De plus, cette interprétation ne peut expliquer avec précision, semble-t-il, de quelle manière l’intellect divin produirait directement les pensées humaines. De Koninck, pour sa part, complète la première variante en défendant, à partir de III, 6, une théologie négative ou une théologie du manque. Selon lui, la référence à l’intellect divin établit au contraire un contraste, une « association par contraste », illustrant en III, 6, la connaissance par les opposés, par la négation : nous dépendons des formes intelligibles, qui sont autres que nous-mêmes, et par rapport auxquelles nous ne sommes qu’en puissance (δυνἁμει, 430 23). Contrairement à l’intellect divin, qui pense toujours (430 22), nous ne pensons que parfois et autant que nos limites corporelles le permettent. Notre imperfection implique toutefois son contraire, la perfection ; notre finitude implique l’infini, Dieu (p. 191). C’est en cela aussi que, s’agissant de Dieu, l’analogie comme mode de pensée ne serait pas simplement utile mais nécessaire, et donc pleinement justifiée.

Il convient, enfin, de souligner l’actualité de cette étude sur le Dieu d’Aristote. D’abord, la recherche aristotélicienne est marquée depuis peu par un regain d’intérêt pour la théologie d’Aristote. Concentrée pendant plusieurs années sur les livres de la Métaphysique portant sur la substance (Ζ, Η et Θ), la recherche s’intéresse à nouveau au livre Λ (cf. M. Frede et D. Charles, éd., Aristotle’s Metaphysics Lambda, Symposium Aristotelicium, Oxford, Clarendon Press, 2000). De plus, les aristotélisants reprennent à nouveaux frais la question de l’unité de la Métaphysique et de celle du livre Λ et, par là, la question du rapport entre les deux grands projets d’Aristote, l’ontologie et la théologie (voir par exemple le long article de Lindsay Judson, « Aristotle’s Conception of First Philosophy and the Unity of Lambda », disponible sur internet : http://users.ox.ac.uk/~judson/framesetpublications.shtml). Enfin, et de manière plus fondamentale, le rapport entre le Dieu d’Aristote et la théologie grecque traditionnelle pose le problème, toujours d’actualité, de la relation entre la philosophie et les opinions traditionnelles sur le divin. La religion peut-elle enrichir la recherche philosophique ? La pensée d’Aristote donne l’exemple d’un rapport conflictuel mais fructueux entre philosophie et religion traditionnelle. C’est par l’étude du monde naturel, plus précisément du changement (Physique VIII), qu’Aristote parvient à élaborer sa conception du divin. Contrairement à l’opposition moderne entre foi et raison, le conflit dans l’Antiquité est celui entre le Dieu des philosophes (chez Aristote mais encore chez Platon, les Stoïciens, les Épicuriens, etc.) et le dieu des poètes (Homère, Hésiode, etc.). La théologie du moteur rigoureusement unique du chapitre 7 implique le rejet de maints aspects de la religion traditionnelle, dans la mesure où ce moteur immobile, n’étant pas sujet au changement, est au-delà du monde naturel. En revanche, cette conception maintient des intuitions fondamentales communément associées à la figure de Zeus, comme en fait foi la citation d’Homère, évoquée plus haut, qui clôt le livre Λ. L’un des principaux mérites de l’ouvrage de De Koninck est de contribuer à ce renouvellement de la recherche aristotélicienne ainsi qu’à ce questionnement philosophique de fond.