Beauté, proportion et vérité comme «vestibule» du bien dans le «Philèbe»*
La puissance du bien s'est réfugiée dans la nature du beau.
{Philèbe 64 e)
Y a-t-il une différence entre «être beau» et «paraître beau»? Dans l'esthétique contemporaine l'on serait tenté de considérer cette distinction comme inexistante. Le «beau» n'existe que dans l'apparence; si une œuvre d'art peut être qualifiée de «belle», elle est belle en réalité. La beauté ne se produit que dans l'espace de l'objet et du regard. Est donc beau ce qui se montre comme tel.
Pour Platon, par contre, cette identification, voire même cette promiscuité de l'être et du paraître serait intolérable. Comme dans tous les aspects de son univers, il établit une différence fondamentale entre la beauté d'apparence et la beauté vraie — différence à laquelle l'on trouve plusieurs allusions dans son œuvre1.
Cette problématique de la relation entre la beauté et la vérité est posée de façon particulière dans le Philèbe, où ces deux termes s'associent à un troisième, la proportion, pour constituer une manière — defective — de déterminer le bien. Nous voudrions examiner ce passage de près, afin de révéler une caractéristique essentielle de l'esthétique platonicienne. Notre lecture du texte s'appuiera principalement sur d'autres dialogues, tels le Sophiste, la République et les Lois.
Le thème général du Philèbe est la question de savoir comment s'explique la bonté de la vie bonne: est-elle due à la pensée (l'activité intellectuelle) ou au plaisir? A un certain moment, Socrate interrompt la discussion en déclarant que la vie bonne sera une vie mixte, c'est-à-dire une vie qui contient de l'intellect ainsi que du plaisir. La question initiale
* Je tiens à remercier M. J. Opsomer d'avoir fait des suggestions pour le traitement de ce sujet, et Mme P. Dumont d'avoir relu et corrigé la version française de ce texte. 1 Voir, entre autres, Banquet 218 e; Phèdre 260 a.