Abstract
On peut distinguer dans l'œuvre de E. Levinas une partie qui est strictement philosophique et une partie qui est consacrée à l'interprétation du judaïsme et du Talmud. Les deux parties sont néanmoins étroitement liées. En effet les méditations à propos du judaïsme et du Talmud nous orientent vers un renouvellement des catégories philosophiques fondamentales. Dans les œuvres philosophiques d'autre part, l'inspiration juive peut s'introduire dans la mesure ou elle est capable de donner une réponse critique aux questions philosophiques et notamment à la question de l'origine et de la norme de la pensée. Est-ce que la pensée se fonde dans le cogito réflexif ou bien dans une idée de la totalité ? Ni l'un ni l'autre ne rend compte d'une pensée qui doute de soi ou qui doute du sens de l'histoire et de l'être. Cette mise en question du soi et de l'histoire qui ne peut être faite ni par l'ego transcendantal ni par l'être anonyme de l'histoire, se fait par l'Autre qui par la nudité de son visage fait éclater notre certitude et nous rend capable d'une critique de nous-mêmes et de l'histoire. Ainsi dans la transcendance éthique, qui est l'essence du judaïsme, la pensée se fonde comme critique et responsabilité. La rencontre de l'inspiration juive et de la pensée philosophique se fait par la méthode phénoménologique. En effet la pensée de E. Levinas se situe dans l'évolution que la philosophie a prise depuis Husserl et Heidegger. La phénoménologie comme mise en lumière des expériences préréflexives qui fondent la pensée objectivante rend possible le retour à l'expérience éthique comme expérience originale. Bien que le retour à l'éthique comme relation concrète avec l'Autre se fait par la méthode phénoménologique, elle met en question la phénoménologie comme philosophie transcendantale chez Husserl ou comme philosophie de l'être chez Heidegger. Ce dépassement de la phénoménologie comme philosophie est-il vraiment possible ou bien est-ce que toute philosophie implique-t-elle une thématisation, une réduction phénoménologique ? Cette question qui a été posée surtout par J. Derrida, pose en effet un problème, qui exige des éclaircissements ultérieurs de la part d'E. Levinas et qu'on espère trouver dans le nouveau livre qu'il a déjà annoncé