Raison critique ou raison herméneutique?

La controverse entre Habermas et Gadamer, survenue pendant les années soixante et soixante-dix, est déjà close dans ses points fondamentaux, mais elle ne me semble pas tout à fait «dépassée». Elle garde, à mes yeux, une certaine actualité théorique et pratique, parce qu'elle met en évidence deux manières différentes de concevoir le rôle de la raison, son pouvoir critique, ses possibilités et ses limites1. En fait, la problématique débattue était importante et les enjeux qui en découlent apparaissent comme significatifs. Quelle en est la raison? On pourrait la synthétiser comme suit: la discussion porte sur les fondements et la constitution de la connaissance, sur sa valeur et sa visée, sur la place et les caractéristiques de la raison, sur le caractère «idéologique» ou non des productions intellectuelles, sur la force critique et le dynamisme émancipateur de la pensée, sur l'actualité des idéaux de YAufklàrung, sur le statut des sciences et de la technique, sur le rôle propre de la philosophie... En somme, on est face à deux perspectives philosophiques importantes, la théorie critique et l'herméneutique, qui s'affrontent.

Tout d'abord, selon moi, le débat se joue en profondeur autour de la problématique de la raison, de son pouvoir, de ses limites, de ses visées, de ses perspectives. On trouve ici l'enjeu fondamental, enjeu épistémologique par excellence, mais aussi indiscutablement enjeu éthique et politique: «Or, c'est bien là le véritable cœur du débat: l'idée qu'on se fait de la raison elle-même et la réponse qu'on croit devoir donner à la question heideggérienne: 'Qu'appelle-t-on penser'»2. La pensée est-elle une aventure critique ou une démarche interprétative, ou les deux choses à la fois?