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Accès aux médicaments : quelle responsabilité pour les compagnies pharmaceutiques1?

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Caroline Allard
Affiliation:
Université de Montréal

Abstract

The moral responsibility of pharmaceutical companies is often invoked when discussing the difficulties faced by developing countries regarding their access to medication. In this article, I wish to criticize one strategy of attributing responsibility to pharmaceuticals, according to which moral responsibility originates from the analogy between enterprise and individual moral agent. I will propose an alternative strategy linking responsibility to the functions of the enterprise using a distinction between the organizational and occupational functions of a pharmaceutical company. Despite its interest, the mitigated success of this proposition will bring me to reconsider the overall relevance of attributing, in such a targeted manner, moral responsibility to pharmaceuticals.

Résumé

On invoque souvent la responsabilité morale des compagnies pharmaceutiques lorsqu'il s'agit de réfléchir aux difficultés qu'affrontent les pays en voie de développement en matière d'accès aux médicaments. Dans cet article, je désire faire la critique d'une stratégie d'attribution de la responsabilité morale aux companies pharmaceutiques selon laquelle cette responsabilité proviendrait de lew statut similaire à celui d'agents moraux individuels. Je proposerai ensuite une autre stratégie qui lie la responsabilité des entreprises à leurs fonctions en utilisant une distinction entre fonctions organisationnelles et fonctions occupationnelles. Malgre son interit, le succès mitigé de cette proposition me conduira à remettre en question la pertinence de l'attribution ciblée d'une responsabilité aux compagnies pharmaceutiques.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 2004

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References

Notes

2 Barry, C. et Raworth, K., «Access to Medicine and the Rhetoric of Responsibility», Ethics and International Affairs, vol. 16, no2 (2002).CrossRefGoogle Scholar

3 Voir «Access to Essential Drugs Prevented by Pharmaceutical Multinationals», Developing World Bioethics, vol. 1, no1 (2001).Google Scholar

4 Angell, M., «The Pharmaceutical Industry : To Whom Is It Accountable?», New England Journal of Medicine, vol. 342, no25 (2000).CrossRefGoogle ScholarPubMed

5 Resnik, David B., «Developing Drugs for the Developing World: An Economic, Legal, Moral, and Political Dilemma», Developing World Bioethics, vol. 1, no1(2001).CrossRefGoogle ScholarPubMed

6 Ibid., p. 19.

7 Ibid., p. 29.

8 Ibid., p. 18.

9 Brock, Dan W., «Some Questions about the Morality of Drug Companies in Developing Countries», Developing World Bioethics, vol. 1, no1 (2001).CrossRefGoogle ScholarPubMed

10 Précisons que pour Strawson, les attitudes réactives envers l'agent sont constitutives de la responsabilité morale de l'agent (voir Strawson, Peter, «Freedom and Resentment», Proceedings of the British Academy, 1962, p. 125)Google Scholar, ce qui n'est pas tout à fait le cas pour Resnik.

11 Resnik, «Developing Drugs for the Developing World», p. 18. À ce sujet, un ouvrage récent de Lynn S. Paine tend au contraire à suggérer que l'argument voulant que «l'éthique paie» est loin d'être facile à confirmer (voir Paine, Lynn S., Value Shift, Boston, McGraw-Hill, 2003, en particulier le second chapitre intitule «Does Ethics Pay?»).Google Scholar

12 Ibid., p. 18.

14 Brock, «Some Questions about the Morality of Drug Companies in Developing Countries», p. 34.

17 Resnik, «Developing Drugs for the Developing World», p. 19.

18 Brock, «Some Questions about the Morality of Drug Companies in Developing Countries», p. 35.

19 La compagnie Merck, par exemple, gère depuis 1977 un programme de «don d'ivermectine» dans certains pays en voie de développement. Comme le terme de don le suggère, il s'agit plutôt d'une initiative charitable qu'une manière de se reconnaître une quelconque responsabilité.

20 Resnik, »Developing Drugs for the Developing World», p. 22.

21 Ibid., p. 29.

22 Daniels, Norman. «Social Responsibility and Global Pharmaceutical Companies», Developing World Bioethics, vol. 1, no1 (2001), p. 40.CrossRefGoogle ScholarPubMed

23 Brock, «Some Questions about the Morality of Drug Companies in Developing Countries», p. 34.

24 Dans un texte publié en 1942 («Pharmacy : The Functional Significance of an Institutional Pattern», Social Forces, vol, 20, no 3)Google Scholar, Isidor Thorner utilise cette dichotomie entre fonction organisationnelle et fonction occupationnelle dans l'industrie pharmaceutique, en examinant plus particulièrement les différences entre le rôle professionnel du pharmacien et son role dans la gestion d'une entreprise (la pharmacie elle-même). Dans ce cadre, pour un seul individu, il est clair qu'il ne peut y avoir qu'une seule fonction occupationnelle (sa spécialisation). Dans le cadre d'une entreprise (contexte dans lequel je souhaite appliquer la dichotomie de Thorner), chaque individu qui y travaille peut avoir une fonction occupationnelle différente de celle de l'entreprise, mais je crois que l'entreprise elle-même possède sa propre fonction occupationnelle, définie, comme pour les individus (les professionnels), par sa fonction socialement reconnue. Ainsi, bien que les différents départements au sein de l'enterprise puissent avoir chacun leur fonction occupationnelle (les comptables tiennent la comptabilité, il s'agit de leur spécialisation reconnue, la fonction du marketing consiste à s'occuper de la publicité, etc.), il reste que la function occupationnelle de l'entreprise ne doit pas être confondue avec les multiples fonctions de ses départements.

25 Voir note 28.

26 J'ai hésité à employer le mot «investissement» plutôt que le terme plus général de «relation». En effet, si on applique la théorie des fonctions au cas du médecin, le terme d'investissement peut sembler inapproprié: lorsque j'entre en relation avec un médecin, ses fonctions lui donnent des responsabilités à mon endroit, mais peut-on considérer le fait que j'aille dans son bureau comme un investissement personnel que je ferais en lui? Qu'est-ce que j'investirais au juste? Mais en dépit des difficultés soulevées, il me semble, d'une part, qu'il ne serait pas impossible de donner une réponse plausible à cette question. D'autre part, je crois que lorsque la relation en question se fait avec une entreprise, l'emploi du terme «investissement» est assez naturel.

27 Je ne veux pas faire ici entrer en ligne de compte le fait que l'entreprise a aussi des responsabilités qui tiennent aux droits humains fondamentaux des sujets de recherche. Mon analyse tente de situer spécifiquement les responsabilités que l'on peut assigner aux entreprises de par leurs fonctions et ne se situe pas dans un cadre plus global.

28 Pourquoi n'entre-t-il pas dans la fonction occupationnelle des companies pharmaceutiques de fabriquer et de distribuer les médicaments qu'elle met au point? Si la fonction occupationnelle est définie en termes de fonction socialement reconnue, il pourrait être juste de dire que la société s'attend à ce qu'une entreprise qui concoit des médicaments s'occupe également de les fabriquer et de les distribuer. Cependant, même si une entreprise ne faisait que mettre au point de nouveaux traitements, je ne crois pas qu'on lui refuserait l'appellation de «compagnie pharmaceutique», ce qui implique que la fabrication et la distribution des médicaments n'entrent pas forcément dans la fonction d'une compagnie pharmaceutique. En ce sens, je pense qu'il est possible de définir les compagnies pharmaceutiques comme des entreprises qui conçoivent des médicaments mais qui ne sont pas tenues de les fabriquer et de les distribuer pour conserver cette appellation. Je remercie Christian Nadeau d'avoir soulevé cette question.

29 Il existe bien entendu une littérature importante sur les conditions d'utilization des placebos, dont une partie cruciale de l'argumentation repose sur les droits humains fondamentaux. Mais comme je l'ai déjà mentionné, je m'abstiens de discuter de ces autres sources d'obligations pour me concentrer sur celles qu'il est possible de tirer de l'examen des fonctions des companies pharmaceutiques.

30 Cela tient probablement à la nature de la compagnie pharmaceutique comme entreprise privée soumise aux lois du marché. En effet, si l'on étudiait les functions du gouvernement selon la dichotomie fonctions occupationnelle/organisationnelle, la distribution des biens dont le gouvernement a la charge entrerait sans doute sous la catégorie de la fonction occupationnelle (une des fonctions socialement reconnues et une des spécialisations de la plupart des gouvernements consistant à distribuer équitablement les biens dont ils ont la charge). De plus, on ne pourrait pas dire que la gestion de nos impôts ne relève que de la fonction organisationnelle au sein du gouvernement, tandis que la gestion des revenus au sein d'une compagnie pharmaceutique relève à n'en pas douter de sa fonction organisationnelle plutôt qu'occupationnelle. De même, si une compagnie pharmaceutique fonctionnait en mode coopératif, on pourrait peut-être faire entrer la distribution de ses produits sous sa fonction occupationnelle, ce qui aurait des répercussions au niveau de ses responsabilités.

31 Ethics and International Affairs: A Reader, Washington, Georgetown University Press, p. 459.Google Scholar

32 Ceci semble indiquer que les fonctions de l'entreprise, lorsqu'elles sont sollicitées, entraînent des responsabilités réciproques. Je ne suis pas opposée à cette conclusion : elle rejoint l'idée de relation, qui implique au moins deux parties. On peut d'ailleurs réduire au minimum les obligations de la partie qui fait appel aux services de l'autre : le patient d'un médecin doit se soumettre à son examen, le client a l'obligation de payer ses médicaments; le sujet de recherché doit se prêter aux tests et au suivi; le gouvernement qui subventionne la recherché doit fournir les fonds qu'il a promis, etc.

33 Barry et Raworth, «Access to Medicine and the Rhetoric of Responsibility», p. 65.

34 Cependant, on pourrait tenter de faire valoir que les compagnies pharmaceutiques sont responsables des difficultés d'acces aux médicaments auxquelles se heurtent les pays en voie de développement, notamment à cause des brevets, et que cette responsabilité dans la crise actuelle leur confère l'obligation de remédier à la situation, Je reviendrai sur cette question en conclusion, car elle m'apparaît symptomatique de la tendance à projeter sur les compagnies pharmaceutiques des responsabilités qui sont en fait systémiques et d'ordre institutionnel.

35 Barry et Raworth, «Access to Medicine and the Rhetoric of Responsibility», p. 70.

36 Similaire, parce que Walzer ne pretend pas, dans Spheres of Justice à tout le moins, donner un argument qui aurait une portee sur les relations entre États.

37 «Needed Goods Are Not Commodities», dans Michael Walzer, Spheres of Justice, New York, Basic Books, 1983, p. 90.Google Scholar

38 Ibid., p. 90.

39 Ibid., p. 91.

40 Daniels, «Social Responsibility and Global Pharmaceutical Companies», p. 39.

41 Barry et Raworth, «Access to Medicine and the Rhetoric of Responsibility», p. 69.