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« Laïcs » et « séculiers » dans la Didascalia apostolorum syriacae

Quelques aspects lexico-sémantiques
Marc Aoun
p. 69-78

Résumés

La Didascalie syriaque évoque indistinctement les « laïcs » ou les « séculiers », les « fils du monde » ou « les fils du siècle ». À travers la désignation fréquente et explicite de cette catégorie de fidèles, la distinction entre « laïcs » et « clercs » se met peu à peu en place, à partir d’une réflexion sur le rôle respectif de tous les membres de la Grande Église, servie par une terminologie bien établie ; elle se dégage clairement du texte de la Didascalie, à partir des positions respectives de ceux qui dirigent le troupeau, i.e. les évêques, presbytres et diacres, et de tous les autres fidèles, à savoir « le peuple de laïcs ».

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Texte intégral

  • 1 Les dictionnaires spécialisés de la première moitié du XXe siècle, faut-il le rappeler, ignoraient (...)
  • 2 1 Cl 40,5 : « o laïkos anthropos tois laïkois prostagmasin dedetai » ; « L’homme laïc est lié par d (...)

1Les recherches sur la notion de « laïc » dans le cadre de l’évolution des structures de l’Église primitive doivent beaucoup aux travaux novateurs d’Alexandre Faivre1. Ceux-ci mettent en évidence le fait que dans les deux premiers siècles chrétiens, aucun texte - à part la très énigmatique phrase de la lettre de Clément de Rome aux Corinthiens (vers 96)2 - n’utilise ce mot au sens actuel et qu’au IIIe siècle, le terme « laïc » désigne grosso modo l’homme du peuple (« plebs ») face à ceux qui forment dans l’Église un groupe particulier (« klèros »). Ce n’est finalement qu’au IVe siècle, avec la reconnaissance du christianisme comme religion d’État, que le terme « laïc » (de « laos », i.e. « le peuple », sous-entendu de Dieu) a été étendu à tous les baptisés, comme synonyme de « non-clerc », façonnant ainsi l’Église post-constantinienne selon une « structure binaire », une véritable « dichotomie » « klèros » / « laïkos », qui allait désormais durablement la caractériser.

2Les travaux d’A. Faivre sur ce qu’il qualifie ainsi de « mise en place de frontières au sein du groupe chrétien » se fondent essentiellement sur des documents canonico-liturgiques de l’époque, qui présentent l’intérêt d’avoir progressivement délimité le statut de « clerc » et son faire-valoir, le « non-clerc », i.e. le « laïc ».

  • 3 Sur la littérature canonico-liturgique, A. Faivre, « La documentation canonico-liturgique. Bilan et (...)

3Parmi ces documents canonico-liturgiques3, l’un d’eux présente un intérêt tout particulier. Il s’agit de la Didascalie des Apôtres, qui constitue pour le chercheur un des plus précieux monuments littéraires, et institutionnels, des trois premiers siècles chrétiens et aussi un des plus étendus ; une compilation qui représente un important témoin pour la connaissance des structures primitives du christianisme oriental.

4La Didascalie fut composée en grec dans la première moitié du troisième siècle (vers 230), en Syrie-Mésopotamie. L’auteur en est inconnu, bien que l’on puisse légitimement supposer qu’il était évêque, vu que tout le document gravite autour de la personne de l’episcopos.

  • 4 En dehors de la relecture qu’en ont faite les Constitutions apostoliques [Livres I à VI] (édition M (...)
  • 5 Le texte de la Didascalie a été également traduit en latin vers le Ve siècle. Mais cette version la (...)

5La Didascalie n’a pas été conservée en grec, sa langue originelle4. C’est dire tout l’intérêt que présente la version syriaque, compilée dans la première moitié du IVe siècle, et qui a vraisemblablement conservé le rédaction initiale du IIIe siècle, affectée probablement d’un certain nombre d’additions et d’interpolations à différents endroits5.

6L’importance de cette version syriaque est en effet indéniable, malgré les difficultés qui pourraient découler de toute entreprise de traduction, en l’occurrence celle accomplie au IVe siècle du grec vers le syriaque, langue sémitique ne possédant pas alors forcément des équivalents adaptés du point de vue sémantique et lexicologique. Il n’en reste pas moins que la traduction syriaque est de bonne facture, jouit d’une grande lisibilité et ne contient pas de passages obscurs ou incompréhensibles, comme c’est le cas parfois de certains textes syriaques de l’époque.

  • 6 L’editio princeps de la version syriaque a été publiée en 1854 par P. de Lagarde, Didascalia aposto (...)

7Les mêmes difficultés que posait, à l’époque paléo-chrétienne, la traduction de la Didascalie du grec en syriaque se rencontrent immanquablement dans les traductions, en langues modernes, du texte syriaque conservé de la Didascalie6. Ces traductions, sur lesquelles se basent généralement les chercheurs occidentaux non-syriacisants dans leurs analyses du texte de la Didascalie, gagnent par conséquent à être constamment confrontées au texte original syriaque, afin de leur apporter éventuellement quelques éclairages supplémentaires, notamment à celles ayant trait, en l’occurrence, à l’identification d’éventuelles frontières au sein du groupe chrétien aux IIIe et IVe siècles, et à l’émergence notamment de cette « catégorie » nouvelle, celle des « laïcs ».

  • 7 En raison de contraintes éditoriales, nous n’avons pas pu retranscrire les termes originaux en cara (...)

8Il convient donc de procéder à un examen minutieux de la Didascalie syriaque, afin de repérer les éléments qui, dans le texte, permet­tent, d’une manière ou d’une autre, de mettre davantage en lumière cette « structure binaire » « klèros » / « laïkos », cette frontière qui commence déjà à se dessiner entre les « clercs » et ceux qui ne le sont pas, les « laïcs » ou les « séculiers », que le compilateur syriaque désigne par l’expression « bnay ’olmo »7.

9La présente démarche s’articulera en deux temps : un premier exercice consistera à localiser précisément dans le texte syriaque la présence de cette notion, nouvelle du moins par la gravité de sa signification (1). Une fois un tel inventaire effectué, il conviendra dans un second temps d’analyser cette notion, du point de vue sémantique et lexicologique ; une telle analyse, replacée dans le contexte de l’époque, permet d’apporter un certain nombre de réponses aux multiples questions posées par le contenu, l’emploi et la signification précise du terme « laïc » ou « séculier » (2).

1. « Laïcs » et « séculiers » (« bnay ’olmo ») dans la Didascalia apos-tolorum syriacae : un inventaire

  • 8 Nous laisserons de côté, dans le cadre de la présente étude, la manière dont la Didascalie syriaque (...)
  • 9 Le terme « ’olmo » peut, à l’état construit, signifier à la fois « monde » et « siècle ». Cf. infra (...)
  • 10 Didascalie, II, XVIII, 6 ; Nau, p. 59-60.

10La désignation explicite des « laïcs » ou des « séculiers »8 est opérée dans la version syriaque de la Didascalie par l’emploi de termes ou expressions qui renvoient à un état et à un statut particulier au sein de la société chrétienne des IIIe-IVe siècles. L’exercice consistant à dresser une liste de ces occurrences, telles qu’elles figurent dans le texte syriaque, permet de faire un premier constat : le traducteur syriaque anonyme de la Didascalie emploie généralement, pour désigner le « laïc » ou le « séculier », l’expression (en deux mots) « bar ’olmo », textuellement « le fils du monde » ou le « fils du siècle »9 qui, au pluriel, donne « bnay ’olmo », « les fils du monde » ou « les fils du siècle ». Une seule fois figure l’expression « bar ’amo », « le fils du peuple », employé par opposition à l’évêque qui, lui, se doit d’être irréprochable, parce qu’il a la charge de tout le monde, contrairement à ce « fils du peuple », qui ne se soucie que de lui-même10... Cette expression « bar ’amo » a fini d’ailleurs par signifier, tout simplement, « chrétien ». Mais peut-être peut-on ne voir dans cet emploi isolé de l’expression « bar ’amo » / « fils du peuple » qu’une erreur du copiste, qui aurait simplement omis de retranscrire la lettre « l », entre la pre­mière et la deuxième lettre du second mot !

  • 11 Il convient de souligner que les index de l’un comme de l’autre ouvrage ne suffisent pas à établir (...)

11Si nous nous livrons maintenant à une première recension de ces emplois exprès faits par l’auteur de l’équivalent syriaque du terme grec « laïkos », en nous référant aux deux traductions les plus utilisées de la Didascalie : la traduction française de Nau de 1912 et la traduction anglaise de Vööbus de 1979, nous obtenons le tableau suivant11 :

Nau, 1912

Vööbus, 1979

Didascalie syriaque traduction littérale

Thème/ contexte

II, XIV, 12

Nau, p. 52 (« séculier ») Vööbus, p. 56 (« layman »)

« bar ’olmo »

« fils du monde »

(singulier)

Rôle de l’évêque dans l’administration de la pénitence

II, XVIII, 6

Nau, p. 59-60 (« fils du peuple ») (« séculier ») Vööbus, p. 68 (« layman »)

« bar -amo » « fils du peuple » (singulier)

Charge pastorale de l’évêque

II, XIX

Nau, p. 63 (« laïque(s)) Vööbus, p. 75 (« layman », « laymen »)

« bnay ’olmo » « fils du monde » (pluriel)

+

« bar ’olmo » « fils du monde » (singulier)

Avertissements aux évêques et aux laïcs

II, XX, 1-2

Idem

(« laïque(s) »)

Idem

(« layman », « laymen »)

« bar ’olmo »

« fils du monde » (singulier) +

« bnay ’olmo »

« fils du monde » (pluriel)

Idem

II, XXVI, 1

Nau, p. 81 (« laïques ») Vööbus, p. 99 (« laymen »)

« bnay ’olmo »

« fils du monde » (pluriel)

Exhortation aux « laïcs » d’honorer l’évêque

II, XXVIII, 5-6

Nau, p. 84 (« tous les laïques »)

Vööbus, p. 101 (« each of the laity »)

« Ikelnach men bnay

’olmo » « chacun des ils du monde »

Idem

II, XXXII, 3-4

Nau, p. 86 (« laïque ») Vööbus, p. 103-104 (« layman »)

« bar ’olmo »

« fils du monde » (singulier)

Le respect dû par le « laïc » à l’évêque et au diacre

II, XXXVI, 7

Nau, p. 91 (laïques)

Vööbus, p. 110 (« layman »)

« bnay ’olmo »

« fils du monde » (pluriel)

Incapacité du « laïc » à l’effet de juger l’évêque ou son prochain

II, XXXVII, 2-3

Nau, p. 91-92 (« laïque(s) ») Vööbus, p. 110 (« layman+laymen »)

« bar ’olmo »

« fils du monde » (singulier)

+

« bnay ’olmo »

« fils du monde » (pluriel) +

« bar ’olmo » « fils du

monde » (singulier)

Idem

II, LVI, 4

Nau, p. 111

(« séculiers »)

Vööbus, p. 129 (« laymen »)

« bnay ’olmo »

« fils du monde » (pluriel)

Invitation aux « laïcs » à se rendre à l’Église

II, LVII, 4-5

Nau, p. 112-113 (« séculiers ») Vööbus, p. 131 (« laymen »)

« gavro bnay ’olmo » « hommes fils du monde »

(pluriel)

L’emplacement des « laïcs » dans l’Église

II, LIX, 2

Nau, p. 116 (« vos affaires temporelles »)

Vööbus, p. 135 (« your affairs of the world »)

« sboutkon d’olmo »

« vos affaires du monde »

Rassemblement des « laïcs » dans l’Église

III, V, 3-4-5

Nau, p. 123 (« séculier(s) ») Vööbus, p. 144-145 (« layman+all the laity »)

« bar ’olmo »

« fils du monde » (singulier)

+

« lkelhon bnay ’olmo » « tous les fils du monde » (pluriel)

Interdiction faite aux « laïcs » d’enseigner

12Quelles conclusions ce tableau permet-il de tirer ?

  • 12 Pour celle-ci, voir Faivre, Les premiers laïcs, p. 37 s.

13On remarquera d’abord la fréquence avec laquelle la notion de « laïc » ou de « séculier » (« bar ’olmo ») revient dans le texte syriaque de la Didascalie - qui reproduit vraisemblablement fidèlement la version grecque originelle de la première moitié du IIIe s. - par rapport à la documentation antérieure12. Cela montre que cette notion devient alors d’un usage assez courant. Il y a lieu de constater ensuite que certaines formulations de ce concept de « laïc » permettraient de penser que le laïcat, comme état, commençait à voir le jour : c’est probablement dans ce sens qu’il faut interpréter par exemple l’usage de l’expression « chacun des fils du monde » (« lkelnach men bnay ’olmo »), autrement dit « chacun des laïcs », les « laïcs » (ou les « séculiers ») étant ainsi envisagés dans leur ensemble, comme un groupe, une catégorie de idèles bien identiiée. Il convient enin de souligner le fait que la Didascalie syriaque applique également le même concept aux choses matérielles, en qualifiant d’« affaires du monde » (« sbouto d’olmo »), les occupations « non-spirituelles », c’est-à-dire « séculières », de l’homme « laïc ». À noter qu’à un seul endroit (II, LVII, 4-5), le compilateur syriaque a cru bon d’ajouter le terme « homme » avant celui de « laïc », en parlant d’« hommes, fils du monde » (« gavro bnay ’olmo »), à savoir ces « hommes laïcs » qui doivent siéger à un endroit bien déterminé dans l’Église, et ceci pour bien marquer l’exclusion des femmes (« néshé ») du groupe des « laïcs » ; celles-ci doivent en effet siéger après ces derniers.

  • 13 Cf. supra p. 72.

14Pour ce qui est des deux traductions modernes évoquées ici, il y a lieu de noter l’attitude de F. Nau vis-à-vis de la traduction de l’expression « bar ’olmo », qu’il rend tantôt par « laïque », tantôt par « séculier ». Si on laisse de côté le seul cas litigieux évoqué plus haut13, le traducteur français de la Didascalie use environ deux fois sur trois du premier, contre une fois sur trois du second. On peut évidemment s’interroger sur le caractère intentionnel ou non d’une telle démarche et, partant, sur les motifs d’un tel choix. La seule démarche raisonnable serait, soit de regarder du côté du contexte particulier dans lequel s’inscrivent les passages concernés, qui aurait incité l’auteur à opter pour l’une ou pour l’autre solution, soit de rechercher une expli­cation d’ordre plutôt sémantique, c’est-à-dire de voir si, en fait de langue, une telle attitude pouvait pleinement se justifier.

15La lecture du tableau permet de constater qu’il est question chez F. Nau de « séculier » en matière de pénitence, de participation à l’eucharistie, et d’interdiction d’enseigner, alors que le terme « laïc » est réservé par lui aux « non-clercs », dans leurs rapports avec les « clercs », principalement avec l’évêque.

  • 14 Faivre, Les premiers laïcs, p. 48. Le terme « laïc » a déjà fait l’objet de nom­breuses études, aus (...)

16Une telle explication ne paraît toutefois pas concluante. Une analyse lexicologique et sémantique s’impose donc ; elle permet, nous semble-t-il, d’apporter une contribution, si modeste soit-elle, à l’ana­lyse contextuelle des termes mêmes de « séculier » et de « laïc », « un mot difficile à traduire, chargé de toute une théologie »14.

2. « Laïcs » et « séculiers » (« bnay ’olmo ») dans la Didascalia apos-tolorum syriacae : brève analyse sémantique et lexicologique

17Quelques remarques d’ordre sémantique s’imposent, puisqu’il s’agit de désigner les membres d’un groupe, qui n’en formait pas encore vraiment un jusque-là, par des termes encore très peu usités, puisque le terme « laïc » ou « séculier » était quasiment inexistant avant le IIIe siècle, et en tout cas dans le sens qui lui est assigné dans la version syriaque, seul témoin de la version intégrale grecque perdue.

  • 15 Cf. L. Costaz, Dictionnaire syriaque-français-anglais-arabe, Beyrouth, 19862, p. 36.
  • 16 Terme qui se décline dans toutes les langues sémitiques : « olam » en hébreu, « ’âlam » en arabe...
  • 17 Et aussi, par extension, « gens » et « peuple ».
  • 18 La nuance réside en réalité dans la vocalisation de la lettre médiane, « e » dans le premier cas, « (...)
  • 19 I, VIII, 1 : « ...à la suite du Seigneur, maître de tout, notre Dieu et père des mondes, de celui p (...)

18Le vocable « bro », qui à l’état construit (état d’annexion), donne au singulier « bar » et « bnay » au pluriel, en l’annexant à « ’olmo », le « monde », signifie, non seulement « fils de », dans le sens d’une filiation, biologique ou non d’ailleurs, mais aussi l’appartenance à quelque chose, le fait d’être membre de quelque chose, de participer à quelque chose15. Le terme « ’olmo »16, quant à lui, ne signifie pas, quand il est à l’état construit, uniquement « monde » (« ’olem »)17, mais il renvoie aussi à « siècle » (« ’olam »)18 ; nous en avons d’ail­leurs une confirmation dans le texte même de la Didascalie, puisque ces deux acceptions du même terme « ’olmo » figurent côte à côte, au sein d’une même phrase19. Ainsi le « bar ’olmo » et les « bnay ’olmo », le « fils du monde » et les « fils du monde », désignent aussi celui ou ceux « du siècle », qui vivent « dans le monde » mais aussi « dans le siècle », i.e. le ou les « séculier(s) ».

  • 20 Cf. supra p. 75. L’adjectif « séculier » s’applique ainsi par exemple, comme en témoigne bon nombre (...)

19Il s’en suit qu’il ne convient pas, à notre sens, de faire de distinction entre « laïc » et « séculier », pour ce qui est du moins de la version syriaque de la Didascalie, et encore moins accentuer une telle distinction pour dire que notre document insiste plus sur le séculier que sur le laïc ou inversement ; l’analyse sémantique en effet ne le permet pas, en tout cas concernant les personnes. La notion de « séculier » correspond en revanche certainement davantage aux biens ou aux choses20.

  • 21 Cf. Faivre, Les premiers laïcs, p. 48.
  • 22 Ibidem.
  • 23 Le « ben » de l’hébreu.

20Cette analyse d’ordre sémantique permet peut-être d’éclaircir un problème du même ordre, qui s’est posé aux chercheurs, relativement à l’usage « religieux » en langue grecque du terme « laïc », en « ikos », comme c’est le cas déjà par exemple dans le lettre de Clément de Rome, citée plus haut - et certainement dans la version grecque perdue de la Didascalie - qui exprime une idée de catégorie21. L’hypothèse d’une meilleure traduction d’un terme sémitique qui aurait poussé le rédacteur grec à user d’un tel suffixe22 pourrait ainsi trouver un argument linguistique en sa faveur. Le suffixe grec « ikos » serait de ce fait simplement la transposition de la notion sémitique de « bar »23, dont la valeur catégorisante, ou du moins d’appartenance, ne fait pas le moindre doute.

21La Didascalie syriaque évoque ainsi indistinctement les « laïcs » ou les « séculiers », les « fils du monde » ou « les fils du siècle ». À travers la désignation fréquente et explicite de cette catégorie de fidèles, la distinction entre « laïcs » ou « séculiers » et « clercs » se met peu à peu en place, à partir d’une réflexion sur le rôle respectif de tous les membres de la Grande Église, servie par une terminologie bien établie ; elle se dégage clairement du texte de la Didascalie, à partir des positions respectives de ceux qui dirigent le troupeau, i.e. les évêques, presbytres et diacres, et de tous les autres fidèles, à savoir « le peuple de laïcs ».

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Notes

1 Les dictionnaires spécialisés de la première moitié du XXe siècle, faut-il le rappeler, ignoraient encore complètement ce terme ! Parmi les travaux d’A. Faivre, on consultera son dernier ouvrage : Les premiers laïcs. Lorsque l’Église naissait au monde, Strasbourg, éd. du Signe, 1999.

2 1 Cl 40,5 : « o laïkos anthropos tois laïkois prostagmasin dedetai » ; « L’homme laïc est lié par des préceptes laïcs ». Voir A. Jaubert, Clément de Rome, Épître aux Corinthiens, Paris, Éd. du Cerf, « Sources chrétiennes » 167, 20002.

3 Sur la littérature canonico-liturgique, A. Faivre, « La documentation canonico-liturgique. Bilan et prospective », La documentation patristique, Laval-Paris, 1995, p. 3-41.

4 En dehors de la relecture qu’en ont faite les Constitutions apostoliques [Livres I à VI] (édition M. Metzger, « Sources chrétiennes » 320 et 329) et d’un minuscule fragment en grec d’un seul folio sur deux colonnes (J. Vernont Bartlet, Journal of Theological Studies, 18 (1917), p. 301-309).

5 Le texte de la Didascalie a été également traduit en latin vers le Ve siècle. Mais cette version latine ne nous est parvenue qu’à l’état fragmentaire : E. Hauler, Didas-caliae Apostolorum fragmenta Veronensia latina, Leipzig, 1900.

6 L’editio princeps de la version syriaque a été publiée en 1854 par P. de Lagarde, Didascalia apostolorum syriacae, Gôttingen. F. Nau en a donné une traduction française en 1901-1902 (dans la revue Canoniste Contemporain ; tirage à part, Paris, 1902), puis une seconde traduction en 1912 (Paris, P. Lethielleux), en mettant à contribution d’autres manuscrits et des travaux sur la Didascalie publiés entretemps. Une seconde édition de la version syriaque, basée sur un manuscrit mésopotamien, fut publiée en 1903 par M. D. Gibson, accompagnée d’une traduction anglaise (The Didascalia Apostolorum in Syriac, Horae semiticae, n° 1 et 2). Une traduction allemande de la version syriaque éditée par P. de Lagarde fut donnée par J. Flemming, accompagnée des commentaires de H. Achelis, Die syrische Didascalia übersetzt und erklärt, Leipzig, 1904. R. H. Connolly édita à son tour la Didascalia Apostolorum en 1929 (Oxford), accompagnée d’une traduction anglaise (réédition en 1962). Plus récemment, A. Vööbus a édité la version syriaque de la Didascalie, accompagnée d’une traduction anglaise dans le Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, vol. 401 : Scriptores Syri 175 et vol. 407 : Scriptores Syri 179 (éd.) ; vol. 402 : Scriptores Syri 176 et vol. 408 : Scriptores Syri 180 (trad.), Louvain, 1979.

7 En raison de contraintes éditoriales, nous n’avons pas pu retranscrire les termes originaux en caractères syriaques ; nous devons donc nous contenter dans la présente étude de la transcription de ces termes en caractères latins.

8 Nous laisserons de côté, dans le cadre de la présente étude, la manière dont la Didascalie syriaque permet de distinguer, implicitement, les « bnay ’olmo », entre autres à travers l’énumération de leurs devoirs envers l’episcopos, et à un degré moindre envers les presbytres et les diacres, ou aussi dans le cadre de leurs obligations familiales... ; pour cet aspect précis, nous renvoyons à Faivre, Les premiers laïcs, p. 131-152.

9 Le terme « ’olmo » peut, à l’état construit, signifier à la fois « monde » et « siècle ». Cf. infra p. 76.

10 Didascalie, II, XVIII, 6 ; Nau, p. 59-60.

11 Il convient de souligner que les index de l’un comme de l’autre ouvrage ne suffisent pas à établir un inventaire exhaustif, ni surtout conforme à l’objectif poursuivi ici. En effet, si l’on se reporte respectivement aux entrées « Laïques » et « Lay-people », auxquelles aurait généralement recours quiconque chercherait à recenser les occurrences du terme « laïc » dans le texte de la Didascalie, un constat s’impose : dans l’index établi par Nau, certaines de ces entrées renvoient à des endroits où ne figurent pas expressément, dans le texte syriaque, les expressions, employées par le traducteur dans ce sens, i.e. « bar ’olmo » ou « bnay ’olmo » (cf. la note 8 sur la « désignation implicite »), ou au contraire, certaines de ces expressions explicites ne figurent pas du tout dans ce même index. Pour ce qui est de l’index établi par Vööbus, il est difficilement exploitable pour ce genre d’exercice, dans la mesure où, pour chaque thème retenu, il précise une page de départ, suivie de « ff » (« et suivantes ») ! De plus, son texte est dépourvu de divisions en paragraphes, ce qui rend la recherche encore plus difficile...

12 Pour celle-ci, voir Faivre, Les premiers laïcs, p. 37 s.

13 Cf. supra p. 72.

14 Faivre, Les premiers laïcs, p. 48. Le terme « laïc » a déjà fait l’objet de nom­breuses études, aussi bien historiques que lexicographiques et sémantiques, qui portaient cependant dans leur ensemble sur l’origine et le sens primitif du terme grec « laïkos », formé de « laos » et du suffixe « ikos », impliquant une idée de catégorisation. Cf. A. Faivre, « Aux origines du laïcat », L’Année canonique, XXIX (1985-1986), p. 21, avec les références bibliographiques en notes.

15 Cf. L. Costaz, Dictionnaire syriaque-français-anglais-arabe, Beyrouth, 19862, p. 36.

16 Terme qui se décline dans toutes les langues sémitiques : « olam » en hébreu, « ’âlam » en arabe...

17 Et aussi, par extension, « gens » et « peuple ».

18 La nuance réside en réalité dans la vocalisation de la lettre médiane, « e » dans le premier cas, « a » dans le second.

19 I, VIII, 1 : « ...à la suite du Seigneur, maître de tout, notre Dieu et père des mondes, de celui présent et de celui à venir, et seigneur de tout âme et de toutes puissances, et Son esprit vivant et saint, auxquels louange et gloire pour les siècles des siècles. Amen ».

20 Cf. supra p. 75. L’adjectif « séculier » s’applique ainsi par exemple, comme en témoigne bon nombre de manuscrits syriaques, aux lois civiles, que ces derniers qualifient de « lois séculières » (« nomoussô ’olmonoyô »), parce que émanant de l’autorité temporelle.

21 Cf. Faivre, Les premiers laïcs, p. 48.

22 Ibidem.

23 Le « ben » de l’hébreu.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marc Aoun, « « Laïcs » et « séculiers » dans la Didascalia apostolorum syriacae »Revue des sciences religieuses, 81/1 | 2007, 69-78.

Référence électronique

Marc Aoun, « « Laïcs » et « séculiers » dans la Didascalia apostolorum syriacae »Revue des sciences religieuses [En ligne], 81/1 | 2007, mis en ligne le 02 décembre 2014, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rsr/2107 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsr.2107

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Auteur

Marc Aoun

Faculté de théologie catholique, Université Marc Bloch, Strasbourg

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