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Qu'est-ce que l'épistémologie?*

Published online by Cambridge University Press:  05 May 2010

Sylvain Auroux
Affiliation:
Université de Rouen

Extract

Qui ignore encore Desanti? Ou plutôt, dans une œuvre discrète, finalement abondante quoique dispersée, parcimonieuse, parfois reniée par son auteur, qui ignore encore les Idéalités Mathématiques? La parution en 1968 de cette thèse mérite qu'on s'arrête à son statut culturel. Ce fut un événement; on en parla, on en parle, on y reconnaît le déploiement d'une démarche originale, la mise en ceuvre d'un vocabulaire nouveau, et pourtant peu nombreux sont ceux qui parlent le «desantien», qui sont disposés à prolonger, fût-ce en un autre lieu, des analyses astreignantes. Il faut l'avouer, la trame du livre a quelque chose d'ahurissant; le texte mathématique, livré dans sa pure technicité, s'y enchaîne et s'y croise avec un texte que, faute de mieux, le lecteur identifie comme philosophique, parce qu'y émergent de temps à autre des fragments d'énoncés auxquels quelque parenté voyante assigne une origine en ce lieu. Chacun veut y retrouver son bien: du premier texte, les philosophes se demandent à quoi peut servir une technicité dont ils croient savoir qu'elle n'a rien à dire, du second, les mathématiciens voient mal en quoi ils pourraient éclaircir ce qui à leurs yeux est parfaitement transparent. Nul pourtant ne met en doute la compétence de l'auteur. Tout tient à l'étrangeté du texte.

Type
Critical Notices/Études critiques
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 1976

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References

1 Cf. l'article du Monde (6 nov. 1968); parmi les nombreux articles: Maurice Caveing, Entretien avec J.T. Desanti in Raison présente no 9 (Janvier-mars 1969); D. Dubarle, fév. 69 in Signes des Temps, Michel Vadée, août 69 in La Pensée (voiraussi dans la même revue no de février 1970, la correspondance entre P. Lubérenne, M. Vadée et Desanti); F. Russo in Archives de la Philosophie (juillet-septembre 1970, t. 33, cahier no 3); B. Besnier in Critique no 281, oct. 70.

2 Cf. l'article de Russo cité dans la note précédente qui présente un «dictionnaire»; sur ce point la Philosophie Silencieuse apporte précisions et compléments: distinction entre théorie l et théorie 2, pp. 148, 193, existence intra-théorique (définition de la notion d'idéalité), pp. 227–28, mathesis, pp. 141, 149, 197, 218, domaine d'expressivité p. 162, compact/décompactification, p. 193, concept objet, concept catégorial, concept complet, concept incomplet, concept opératoire, concept thématique, concept naturel, concept structural, pp. 174–176.

3 Quelques passages de l'article de Julia Kristeva Les épistémologies de la Linguistique in Langages no 24, dec. 1971, represented une timide exception, qui cependant ne dépasse pas de beaucoup une simple reprise métaphorique du vocabulaire.

4 P. VIII.

5 La première partie (sur le rapport traditionnel des sciences et de la philosophie, pp. 7–110) est essentiellement inédite, à l'exception des pages sur Hegel (parues in Dialectiques no 1–2 1973); Qu'est-ce qu'un problème épistémologique (pp. 110–133) est paru dans Porisme no 3, 4, 5 (1963); Matérialisme et épistémologie (pp. 133–154) chez Feltrenelli (1970), Disparitions, structures et mobilité (pp. 154–172) aux Cahiers du XXe siecle (1973), sur la «production» des concepts en mathématiques, dans les Études Philosophiques (1970), les réflexions sur le concept de «Mathesis» (pp. 196–219) reprennent une conférence faite à la société française de philosophie en 1972 (bulletin no LXVII), l'épistémologie et son statut (pp. 219–241) reproduit une interview accordée à Julia Kristeva (Tel Quel no 58, été 1974); les appendices enfin (fondement des mathématiques, et infini mathématique) sont des articles de 1'Encyclopedia Universalis.

6 Cette spécificité est présente dés l'origine, mais elle est plutôt perçue comme une difficulté; le Vocabulaire de Lalande reconnaît que l'aire sémantique du mot français ne correspond pas à ses équivalents étrangers: «La distinction que fait le français entre épistémologie et théorie de la connaissance (gnoséologie) serait sans doute très utile; mais elle n'est pas usuelle en italien ni en anglais». Il s'agit alors en reconnaissant la différence entre épistémologie et philosophie des sciences de l'annuler au maximum: «Ce mot designe les philosophies des sciences mais avec un sens plus précis (…). On doit (…) distinguer l'épistémologie de la théorie de la connaissance, bien qu'elle en soit l'introduction et l'auxiliaire indispensable, en ce qu'elle étudie la connaissance en détail et a posteriori, dans la diversité des sciences et des objets plutôt que dans l'unite de l'esprit».

7 Phil, silenc., p. 7.

8 Martin, R.Logique contemporaine et formalisation, P.U.F. 1964, p. 4.Google Scholar

9 Il faut remarquer que le Tractatus de Wittgenstein aboutit ponctuellement au même résultat: la philosophie a pour but l'éclaircissement logique de la pensée (4.112), non la connaissance de ce qui arrive. Mais la démarche est différente, elle advient dans l'horizon de ce qu'on nomme plus bas philosophie des sciences: elle produit des énoncés concernant les objets de la science (cf. tout ce qui concerne la logique, et plus caractéristique encore en 6.02 la définition du nombre), et elle est médiée par une théorie de la connaissance, non par la réeffectuation d'une démarche scientifique laissée à sa positivité.

10 Fait symptomatique: dans la logique de la découverte scientifique, les démonstrations sont toujours rejetées en appendice.

11 Hermann, 1946.

12 Cf pp. 200 et sq. sur les principes de Fermat et Maupertuis.

13 Cf. Idéalités mathématiques p. 291: «C'est seulement au moment où l'on disposerait d'un concept speciflque et pleinement élaboré de la temporalité que l'on pourrait aborder le problème de 1'«histoire». Que pourrait être un tel éclaircissement? À prendre le mot «savoir» dans son sens propre, il nous faut avouer que nous n'en savons rien».

14 Phil. Silenc. p. 134.

15 «La philosophie intervient dans une certaine réalité: la «theorie» (…). Le résultat de l'intervention philosophique telle que nous la concevons est de tracer, dans cette réalité indistincte, une ligne de démarcation qui sépare, dans chaque sens, le scientifique de l'idéologique» Philosophie et philosophie spontanée des savants, texte de 1967, publié en 1974 chez Maspero, p. 62.

16 Ibid. p. 63.

17 Phil, silenc. p. 147; cf. également p. 108: «C'est là une partie, et non la moindre, de l'enseignement de Bachelard. Ou bien se taire sur une science, ou bien en parler de l'intérieur, c'est-à-dire en la pratiquant». Cf. également p. 67, le long développement sur les défauts de la philosophie institutionnelle (l'agregation).

18 Généralement on traduit ceci en admettant que le discours de l'épistémologie doit être (i) bien informé, (ii) rigoureux. La rigueur consiste d'abord dans la reproduction correcte des énoncés de la science, elle nécessite par conséquent dans le discours de l'épistémologue l'irruption de la syntaxe de la science qui est son objet.

19 Phil. Silenc. p. 108.

20 L.C., ibid.

21 L.C., p. 8.

22 Cf. p. 6 «II n'y a plus aujourd'hui de sujet parlant capable d'exercer les fonctions de récitant de la vérité»; p. 133 «il n'existe plus de point fixe, d'ou l'un d'entre nous pourrait espérer resaisir, fût-ce en sa simple forme, la configuration du savoir et, par là, en proposer la fermeture».

23 «La fondation originelle de toutes les sciences et de l'ontologie formelle des deux espèces, exerçant à l'égard de ces sciences une fonction épistémologique c'est-à-dire normative, leur confère l'unité, à elles toutes en tant qu'elles sont des rameaux de l'effectuation constitutive provenant d'une seule et même subjectivité transcendantale.

En d'autres termes, il n'y a qu'une philosophic unique, qu'une science véritable et authentique unique, et en cela les sciences particulières authentiques sont justement des membres non autonomes» (Logique formelle et transcendantale, t. f. pp. 361–362).

24 Phil, silence. p. 147

25 Ibid. p. 113 sq.

26 Cf. par exemple le texte d'Hadamard cité p. 124, dont voilà une phrase caractéristique: «Je n'aimerais pas… poser (la question) sur le terrain du non-contradictoire qui me paraît encore relever de la psychologie et faire entrer en ligne de compte les propriétés de nos cerveaux».

27 Phil. silenc. p. 223.

28 Ibid. p. 224; cf. également p. 131 et p. 152.

29 C'est en cela surtout que Desanti se distingue d'Althusser et des althusseriens. Lorsque Althusser assigne à la philosophic dé degager l'idéologique qui se produit avec la réalité du scientiflque, on pourrait traduire dans le langage de Desanti: mettre au jour les problèmes de 3o niveau. Dans son interview avec J. Kristera, Desanti laisse bien entendre que si jamais on lui démande au sein de sa demarche de prendre en charge le concept d'idéologie, c'est bien là qu'il le situera (cf. également p. 153).

Dans ce cas, l'idéologie serait toute solution à un problème de troisième niveau; il ne serait par conséquent pas question de choisir parmi les solutions et de présenter ce choix comme une activité ayant toutes les garanties requises pour faire cesser le debat.

30 Phil. silenc. p. 140.

31 Ibid. p. 149.

32 Ibid. p. 220.

33 Ibid. p. 154 sq.

34 Cf. par exemple pp. 131, 148.

35 P. 131.

36 Cf. p. 151: «Plus que les mythes organicistes, nous en sommes persuadés, les méthodes issues de la mathématique (principalement la méthode de la topologie algébrique et de la théorie des catégories) sont de nature à permettre de préciser la forme du domaine dans quoi se manifeste la «dialectique» constitutive du remplacement historique des structures».

37 P. 170.

38 Idéalités, p. 54.

39 Ibid., p. 63, note I.

40 L'implication strite de Lewis peut être concue comme une propriété du calcul des propositions ou correspondre à un connecteur d'un nouveau calcul (en fait le calcul qu'en logique modale on désigne canoniquement par Si).

41 La plupart des études méta-mathématiques ou méta-logiques ne supposent pas la construction totale d'un système de type S; elles s'effectuent en construisant les signes des propriétés du système étudié (qui dispose d'une syntaxe explicite) et en connectant ces signes et les énoncés du système dans un domaine relativement spécifié du langage naturel.

42 Cf. Phil. Silenc., p. 170.

43 Ce n'est pas un hasard par exemple si Althusser nie l'existence de problèmes de 3o niveau (voir les remarques succintes de Phil. Silenc., p. 224).

44 Le silence philosophique de l'épistémologie n'est pas «vide»: d'une part, les énoncés Ec concernent la philosophic ou plutôt ils constituent ce par quoi l'épistémologie manifeste sa rupture avec la philosophie, d'autre part, les énoncés Eθ ont un effet dans le champ philosophique.