La statue de Condillac, image du réel ou fiction logique?
Telle que nous la posons, la question que nous allons traiter: la statue de Condillac, image du réel ou fiction logique ? signifie que nous allons nous occuper d'une image conçue par Condillac — la statue — dans ses rapports avec le réel et avec une fiction d'un type particulier, qualifiée ici par l'adjectif «logique».
Nous procéderons de la manière suivante: nous suivrons d'abord l'abbé ou plutôt sa statue en nous conformant à l'«Avis important au lecteur» du Traité des sensations: «II est très important de se mettre exactement à la place de la statue que nous allons observer»1, afin de voir comment elle «découvre» le monde. Puis nous préciserons certains aspects de la théorie condillacienne en ayant recours à un philosophe contemporain, Nelson Goodman. Enfin nous examinerons la critique que Maine de Biran a faite de la fiction de la statue, ce qui nous permettra d'apporter une réponse possible à la question posée.
I
Recouverte d'une couche de marbre, la statue n'a d'abord aucun contact avec le monde extérieur; puis, pour les besoins de l'expérimentation, un de ses sens est rendu apte à fonctionner: l'odorat2. Voyons ce qui se passe alors: «Si nous lui présentons une rose, elle sera par rapport à nous une statue qui sent une rose; mais par rapport à elle, elle ne sera que l'odeur même de cette rose»3. La précision est essentielle et souligne l'«Avis important au lecteur»: la statue ne se voit pas ni ne voit le monde comme nous-mêmes nous nous voyons et voyons le monde. Celui-ci est formé pour nous d'êtres et de choses notamment, mais il ne saurait en aller de même pour la statue : il n'y a pas encore d'êtres et
1 Traité des sensations, Slatkine reprints, Genève, 1970, t. III, p. I. Cette édition est une réimpression de celle de Paris de 1821-2.
2 Cf. Op. cit., p. 39.
3 Op. cit., p. 44.