KINYRAS
LA FIN DE L'ÂGE DU BRONZE À CHYPRE ET LA TRADITION ANTIQUE*
Récemment, il nous a été donné de réunir l'essentiel des témoignages archéologiques et épigraphiques relatifs à la Chypre de l'Âge du Bronze (ca. 2500-1200). Il nous est ainsi apparu qu'entre le xve et la fin du xme siècle, l'île fut, à l'évidence, le siège d'un royaume de poids comparable à celui des grands États du Proche-Orient ancien1.
Une question mérite dès lors d'être posée : ces premières pages de l'histoire cypriote sombrèrent-elles dans l'oubli à l'instar de celles qu'écrivirent les Hittites et les Syriens d'Ougarit ? Dans une île pétrie de son passé, on a peine à le croire. Les considérations des Anciens sur Chypre n'échappent malheureusement pas à la règle générale et, dans le cas qui nous occupe, si quantité de citations éparses montrent sans ambiguïté que la Chypre « héroïque » était restée présente à l'esprit des lettrés, ce qui nous en est parvenu se résume trop souvent à des bribes incohérentes. Dans
(*) Ce sujet fit l'objet en 1973 d'un article déposé aux Mélanges de V Université Saint-Joseph de Beyrouth pour 1975. Vu les événements que l'on sait, la parution en fut reportée sine die. Cet ajournement joint aux perspectives nouvelles qu'offrait notre enquête sur l'Âge du Bronze à Chypre (cf. infra, n. 1), nous poussa à reprendre l'étude du personnage. Le présent manuscrit venait d'être remis lorsque nous avons appris par hasard que les MUSJ 49 (1975-1976) avaient été distribués à la fin de 1979. Le lecteur ne trouvera donc aucun renvoi à ce travail antérieur dépassé sur plusieurs points. (1) C. Baurain, Chypre et la Méditen anée orientale à VÂge du Bronze, Liège 1979 (thèse inédite). Nous avons dressé à cette occasion, un bilan provisoire de nos connaissances sur la Chypre proto-historique non sans tenter également de confronter dans la mesure du possible, les données insulaires aux courants historiques généraux qui parcoururent les communautés humaines du Proche-Orient (et de l'Egée) au IIe millénaire. Des résultats acquis, nous retiendrons ici pour l'essentiel qu'au Bronze Récent, l'île de Chypre — alors certainement appelée Alashiya dans les textes orientaux — développa une culture propre et une économie vigoureuse dans le cadre d'une île largement unifiée. Aux yeux des grandes puissances orientales d'alors (Égyptiens et Hittites surtout), Chypre- Alashiya représentait un royaume non négligeable sur la scène internationale. Cette force qui lui assura son indépendance et son statut remarquable tout au long du Bronze Récent, Alashiya la tira à la fois de son caractère insulaire, de son unité politique, de sa position clef en Méditerranée orientale mais aussi de ses ressources naturelles, celles-là même qui soustendaient les civilisations du Bronze : le bois de chauffe et de charpente et de larges dépôts de chalcopyrites. A la fin du xme siècle,
