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CLIO a lu

Guyonne LEDUC (dir.), Travestissement féminin et liberté(s), Paris, L’Harmattan, 2006, 439 pages (Coll. « Des idées et des femmes »).

Myriam Boussahba-Bravard
p. 232-264

Texte intégral

1Christine Bard (préface) et Sylvie Steinberg (introduction) annoncent et problématisent les vingt-cinq contributions et conclusion. Organisées en quatre parties, les « lieux » du travestissement – le corps (6 articles), la scène (6), la voix (7) et l’iconographie (6) – se déploient sur huit aires culturelles et nationales, Grande-Bretagne, Russie, Chine, Espagne, Allemagne, France, Autriche, Italie, unifiant le livre de Guyonne Leduc du xviie siècle à nos jours. Plus qu’une « conclusion », Florence Binard écrit un épilogue éclairant, « La théorie ‘Queer’ : une menace pour le féminisme ? », synthèse des débats théoriques actuels.

2Travestissement féminin et liberté(s) est un livre foisonnant dans le meilleur sens du terme. Face aux vingt-cinq contributions, lecteurs et lectrices peuvent adopter l’organisation thématique proposée qui canalise l’objet d’étude, le travestissement comme une voie possible vers la liberté. La pluridisciplinarité est aussi une incitation stimulante à la lecture : analyse d’une œuvre, histoire littéraire, histoire des médias, histoire sociale ou politique. On peut également lire cet ouvrage volumineux selon les aires culturelles ; productions fictionnelles, théâtrales, musicales, journalistiques, photographiques ou picturales ; études d’une œuvre singulière ou d’un corpus voire d’un personnage de roman ou d’opéra. D’ailleurs, la richesse de l’échantillonnage proposé invite à de futurs projets sur le travestissement, ciblés sur un seul média, par exemple le cinéma (absent ici), ou une période européenne. Une majorité de chapitres examine la réception du travestissement après en avoir vu les circonstances d’élaboration ; personnages fictifs ou réels, média de transmission, versions/variantes diffusées, conduisent de l’expérience individuelle à la perception de la « transgression », c’est-à-dire à la réponse collective, objet d’étude de l’historien.

3C’est d’ailleurs ainsi que Sylvie Steinberg ouvre (p. 27-28) sa remarquable introduction intitulée « L’histoire du travestissement féminin à l’épreuve de la pluridisciplinarité ». Ethnologiquement et historiquement, le travestissement est essentiellement masculin et festif lorsqu’il est intégré au collectif et au social. Si les femmes en sont absentes comme actrices, « les jeunes hommes qui se déguisent en femmes dans les mascarades, figurent bien les pires femmes qui soient, […] les femmes en furie, alors que les femmes habillés en hommes n’ont pas d’intention grotesque » (p. 30). Comme les ethnologues envers les mythes, « il est nécessaire de se tourner vers notre propre mythologie, c’est-à-dire vers les diverses représentations de la femme travestie qui ont cours dans la littérature occidentale » (p. 31) : la sainte, la fille providentielle, la guerrière puis à partir du xviie siècle des personnages romanesques réalistes, notamment les femmes-soldats. « Pour l’historien, cet ensemble de représentations peut d’abord être mis en relation avec d’autres représentations (juridiques, politiques, médicales, théologiques, etc.) qui placent la femme juste en dessous de l’homme dans l’échelle de la création et dans celle de la société. […] L’autre piste de réflexion conduit à se demander de quelle façon ces représentations ont pu influer sur le comportement de femmes qui ont choisi de se travestir en homme dans leur vie réelle ». Pour éviter le châtiment ou le rejet, les actrices rapprochent leur destin réel « de destins modélisés par la littérature hagiographique et romanesque » pour en faire des « modèles positifs » (p. 33-34). Les cas de travestissement concernent l’activité prostitutionnelle ou la protection de la virginité menacée. « Assurément et plus visiblement, les travesties du passé franchissent la frontière tracée entre les genres puisqu’elles épousent des activités, des comportements, des valeurs “propres” aux hommes de leur temps. […] les femmes qui se travestissent s’arrogent un privilège, celui de gravir une marche dans la hiérarchie des êtres et c’est en ces termes là que leurs contemporains comprennent leurs comportements ». S’accorder un privilège/des libertés, n’est pas accéder « à la liberté comme impératif concernant tous les individus » (p. 37). Pour la France, Sylvie Steinberg pose la Révolution française comme tournant entre les libertés et la liberté. Cette question – fascinante – reste sans réponse, dans l’ouvrage, pour les autres aires culturelles. Chaque partie aurait également mérité une introduction aux chapitres monographiques de grande qualité. Le projet comparatiste, défi majeur, est courageux. Ici, l’unité thématique (travestissement féminin), l’ambition pluraliste (aires culturelles, divers médias, pluridisciplinarité), ainsi que les problématiques de genre offrent une lecture très stimulante.

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Pour citer cet article

Référence papier

Myriam Boussahba-Bravard, « Guyonne LEDUC (dir.), Travestissement féminin et liberté(s), Paris, L’Harmattan, 2006, 439 pages (Coll. « Des idées et des femmes »). »Clio, 26 | 2007, 232-264.

Référence électronique

Myriam Boussahba-Bravard, « Guyonne LEDUC (dir.), Travestissement féminin et liberté(s), Paris, L’Harmattan, 2006, 439 pages (Coll. « Des idées et des femmes »). »Clio [En ligne], 26 | 2007, mis en ligne le 14 avril 2008, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/clio/6923 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.6923

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Auteur

Myriam Boussahba-Bravard

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