De l'usage philosophique de quelques particules
Les seigneurs du langage, je veux dire les verbes et les substantifs, ont la chance, par leur position macroscopique, de s'imposer à l'attention. Ils dominent la scène et, tout au plus, de vieilles querelles se disputeraient la primauté des premiers ou des seconds comme, de mon temps, entre Français et Allemands, on se demandait gravement, si le «devenir» germanique l'emportait sur l'«être» latin; ou encore, si l'impossibilité de fixer le premier dans les sages limites d'un hexagone n'expliquait pas une récurrente volonté de conquête.
Je préfère réfléchir sur ces «petites choses» qui ne signifient pas par elles-mêmes, qui n'existent sémantiquement qu'en phénomène d'accompagnement et qui se dénomment «particules». Il en est de deux sortes: les unes intégrées au mot lui-même comme «re» dans «renaissance»; les autres, séparées du mot et invariables, telles les conjonctions «et», «si» etc. Petites servantes de nos seigneurs, comme jadis la Vierge de l'Annonciation, elles se font oublier dans et par leur service. Incapables de tenir seules dans l'existence, on pourrait leur appliquer la définition que S. Thomas, en son commentaire de Jean xv, 15, donne de l'esclave, définition curieusement prépositionnelle: «servus necpropter se sed propter dominion, nec a se sed a domini voluntate et quasi quadam coactione movetur ad opus».
Les expressions prépositionnelles et conjonctives ont connu, cependant, leur heure de gloire, comme si en leur kénose séculaire, avaient sonné pour elles, dans la logique des propositions et dans celle des relations, les cloches de Pâques d'une résurrection-exaltation après la nuit de la Passion.
Ce n'est point à ces particules que je m'attarderai, pressé que je suis de rendre justice à d'autres petites servantes plus maltraitées encore, la ténuité de leur co-signifiance les ayant vouées à une plus sûre evanescence.
Pour annoncer tout de suite la couleur, je me limiterai à trois de ces particules. Faute de mieux, je les appelle «particules de modalisation».
