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Recensions

Jean Gerson, Josephina. L’épopée de saint Joseph

2 vol., texte établi [par] G. M. Roccati, introd., trad., notes et comment. [par] I. Iribarren (Bibliothèque scolastique 15), Paris, Les Belles Lettres, 2019, clxxvi + 1274 p.
Monica Brinzei
p. 181-183
Référence(s) :

Jean Gerson, Josephina. L’épopée de saint Joseph, 2 vol., texte établi [par] G. M. Roccati, introd., trad., notes et comment. [par] I. Iribarren (Bibliothèque scolastique 15), Paris, Les Belles Lettres, 2019, clxxvi + 1274 p.

Texte intégral

1L’épopée de saint Joseph ou la Josephina de Jean Gerson est un cadeau généreux pour les médiévistes, offert par Isabel Iribarren à partir d’un nouveau texte établi par Matteo Roccati (sur 10 manuscrits et 3 impressions). Ces deux volumes (vol. 1 : dist. I-IV, p. 1-542 et vol. 2 : dist. VI-XII, p. 543-1266) impressionnent, et enrichissent notre savoir, par l’élégance de l’édition et de la traduction du latin en français de 2938 hexamètres, par une introduction fouillée de 175 pages, complétée par des mini-études explicatives correspondant aux 12 distinctions articulant le récit sur la vie de Joseph (Prologus, v. 1-106, p. 15-51 ; D. 1, v. 107-406 : Fuite en Égypte, p. 79-98 ; D. 2, v. 407-753 : Séjour en Égypte, p. 131-168 ; D. 3, v. 754-1031 : Retour à Nazareth, p. 195-212 ; D. 4, v. 1032-1315 : Annonciation, p. 241-305 ; D. 5, v. 1316-1557 : Noces solennelles, p. 329-398 ; D. 6, v. 1558-1790 : la Visitation, p. 569-618 ; D. 7, v. 1791-2028 : Naissance de Jésus, p. 641-714 ; D. 8, v. 2029-2243 : Circoncision de Jésus, p. 735-767 ; D. 9, v. 2244-2360 : les Rois, p. 781-801 ; D. 10, v. 2361-2564 : Présentation de Jésus au temple, p. 823-887 ; D. 11, 2565-2719 : Jésus retrouvé au temple, p. 903-938 ; D. 12, v. 2720-2938 : Mort de Joseph, p. 961-988), par 313 pages de notes savantes (vol. 1 : p. 399-542, vol. 2 : p. 989-1159), par une bibliographie ample (p. 1165-1240) et par un index final (p. 1141-1266). Le lecteur jubile et se réjouit d’être guidé dans l’univers de l’œuvre de Gerson, car chaque thème est mis en relation avec d’autres écrits du Chancelier où il y trouve écho. Ainsi une immersion totale dans l’univers gersonien devient accessible. Cette entreprise monumentale est difficile à résumer. Voici donc quelques points d’originalité.

2Commençons par le contexte de la composition de l’ouvrage. Gerson l’écrit dans le laps de temps 1414-1417 et en grande partie pendant son séjour au concile de Constance, ayant comme résolution d’encourager le culte de saint Joseph. Ce projet personnel est ancré dans un mouvement doctrinal plus ample, car, tandis que Gerson s’empare de la plume poétique, son correspondant viennois, Nicolas de Dinkelsbühl réécrit son commentaire des Sentences, la célèbre Lectura Mellicencis, en marquant un retour décisif aux discussions de Bonaventure sur la chasteté du mariage entre Marie et Joseph et sur le vœu absolu de leur union. Tandis que Dinkelsbühl agit dans le milieu universitaire et monastique, Gerson prend l’armure du poète pour défendre le culte de Joseph, pour le libérer du cercle strictement théologique et pour le rendre accessible à une large communauté des fidèles. Bien que son projet vise à populariser cette doctrine, l’ossature de sa conception demeure profondément scolastique. Les points d’articulation de son texte trahissent constamment sa formation universitaire, c’est comme une langue dont il ne peut se séparer. Le motif de la chouette, fréquenté par tous les commentaires de la Métaphysique d’Aristote, la théorie des degrés d’évidence et la théorie du probable enracinées chez Buridan, omniprésentes chez les maîtres en théologie qui ont tenté de définir la foi (entre certitude et opinion), la distinction uti et frui, la doctrine de l’homme microcosme reflétant le macrocosme, nexus entre le corporel et le spirituel, font écho aux théories hylémorphistes. L’image de l’homme comme un minor mundus enrichit la conception de l’homo viator. Les réflexions sur l’humanité du Christ et sa nature double, l’analyse du rapport entre le savoir et le pouvoir et les considérations sur la loi, ou les prises de positions concernant l’immaculée conception, sont des topoi forgés par les commentaires des Sentences dont la Josephina fait à maintes reprises entendre les résonances.

3Un autre point d’éclairage sur le début du xve siècle et ses tendances doctrinales est l’ouverture de Gerson vers la théologie casuistique. Mis à part sa contribution majeure pour propager un modèle mystique enraciné dans le sentiment et l’union totale (liquéfiée) de l’âme à Dieu, Gerson prêche l’ouverture vers une théologie pratique et vers son émancipation dans une science morale ancrée dans la dialectique entre l’empirique et le spéculatif.

4La Josephina marque aussi un pas en avant dans la découverte des sources qui ont nourri la pensée de Gerson. L’influence de Guillaume d’Auvergne fait surface et c’est clairement mis en avant par les notes explicatives de l’ouvrage. Par l’intérêt pour la rhetorica divina, les considérations démonologiques, le rapport entre l’astrologie et la juridiction des lois naturelles, critique de la divination, et le modèle de l’homme microcosme, Gerson s’inscrit dans le sillage de l’évêque de Paris, qui fait écran à la fin du xive siècle, et qui a été déjà très suivi par Nicolas Oresme et Henri de Langenstein. L’influence de Guillaume d’Auvergne s’ajoute alors à celle, très connue, de Bonaventure sur le Chancelier de Paris. Cela permet ainsi de mieux centrer le projet réformateur de Gerson réclamant un retour aux sources du xiiie siècle. C’est l’espoir de Gerson de trouver des nouvelles voies dans la pensée théologique mise en crise par le contexte politique et institutionnel de son époque. Gerson est en quête d’une solution, c’est « un Gerson/mystique accablé par beaucoup de soucis » (Gerson misticus olim/multis implicitus curis meminisse precamur, p. 950-951, v. 2840-41), qui se sert de la poésie pour s’identifier avec Joseph, dans lequel il cherche un alter ego, afin d’assumer sa vocation de protéger et de veiller sur l’Église.

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Pour citer cet article

Référence papier

Monica Brinzei, « Jean Gerson, Josephina. L’épopée de saint Joseph »Revue des sciences religieuses, 95/1-2 | 2021, 181-183.

Référence électronique

Monica Brinzei, « Jean Gerson, Josephina. L’épopée de saint Joseph »Revue des sciences religieuses [En ligne], 95/1-2 | 2021, mis en ligne le 30 décembre 2021, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rsr/10577 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsr.10577

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Auteur

Monica Brinzei

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