Revue théologique de Louvain, 19, 1988, 160-190. Emilio Brito
Nommer Dieu. Thomas d'Aquin et Hegel
Dieu peut il être nommé par nous? Ne vaut-il pas mieux garder le silence? De la réponse à cette question dépend la possibilité de la confession de foi de l'Église et de la prédication. D'elle dépend aussi la possibilité de la théologie comme discours rationnel sur la foi chrétienne1. Mais le risque est grand de vouloir résoudre ce problème capital de façon simpliste. Une manière de résister à cette tentation est de comparer les solutions proposées par deux grands théologiens: Thomas d'Aquin et Hegel. Le thème «Thomas et Hegel» a été l'objet de plusieurs publications ces dernières décennies2. Plus d'un connaisseur de saint Thomas a remarqué que le vrai partenaire spéculatif de l'Aquinate à l'époque moderne n'était ni Descartes ni Kant, mais l'auteur de la Grande Logique. La confrontation que l'on va lire n'est donc pas insolite.
Voici maintenant le plan de notre article. Des trois sections qui le composent, la première étudie de manière critique l'importante question 1 3 de la Prima pars de la Somme, présentation magistrale de la doctrine mûre de saint Thomas sur la nomination de Dieu. La deuxième section
1 Cf. W. Kasper, Le Dieu des chrétiens, Paris, 1985, p. 137-138. Dans la masse de la littérature sur le problème du langage religieux, signalons : F. Ferré, Le langage religieux a-t-il un sens ?, Paris, 1970 ; G. Ebeling, Einfùhrung in theologische Sprachlehre, Tubingue, 1971 ; J. Splett, Reden aus Glauben. Zum christlichen Sprache von Gott, Francfort /M., 1973 ; B. Casper, Sprache und Théologie. Eine philosophische Hinfuhrung, Fribourg-Bâle- Vienne, 1975 ; P. Ricoeur, Nommer Dieu, dans Études théologiques et religieuses, t. 52, 1977, p. 489-508 ; E. Biser, Religiôse Sprachbarrieren. Aufbau einer Logaporetik, Munich, 1980 ; J.P. Van Noppen (éd.), Theolinguistics, Bruxelles, 1981 ; E. Jûngel, Dieu mystère du monde, Paris, 1983, t. 2, p. 7-119 ; J. Ladriêre, L'articulation du sens, 2 vol., Paris, 1984.
2 On peut consulter : E. Przywara, Thomas oder Hegel ?, dans Logos, t. 15, 1926, 1-20 ; G. Siewerth, Der Thomismus als Identitàtssystem, Francfort/M., 1961 2 ; W. Kern, Das Verhàltnis von Erkenntnis und Liebe als philosophisches Grundproblem bei Hegel und Thomas von Aquin, dans Scholastik, t. 34, 1959, p. 394-427 ; H. Beck, Der Aktcharakter des Seins. Eine spekulative Weiterfùhrung der Seinslehre Thomas von Aquins aus einer Anregung durch das dialektische Prinzip Hegels, Munich, 1965 ; J.B. Lotz, Hegel und Thomas von Aquin. Eine Begegnung, dans Gregorianum, t. 48, 1967, 449-480 ; B. Lakebrink, Hegels dialektische Ontologie und die Thomistische Analektik, Ratingen, 1968 ; L.B. Puntel, Die Seinsmetaphysik Thomas von Aquins und die dialektisch-spekulative Logik Hegels, dans Théologie und Philosophie, t. 49, 1974, p. 343-374.
