Situation et probabilité chez Saint Thomas d'Aquin

A notre époque, morale « traditionnelle » et morale a nouvelle » s'affrontent. C'est pour nous un privilège, mais aussi une charge, que d'être témoins de cet affrontement. On ne peut le décrire de manière simple, car ses causes et ses implications révèlent une complexité extrême. Mais, notons-le, comme il arrive souvent en pareils cas, dans la discussion entre les défenseurs de l'« ancienne » morale et les promoteurs de la morale « nouvelle », on s'est davantage soucié de souligner les divergences que de relever les points sur lesquels on était d'accord. Qu'il y ait entre les deux morales des différences, cela va de soi. Mais il importe de ne pas les exagérer au point de masquer les ressemblances qu'elles présentent. C'est dans cette perspective que nous nous sommes proposé d'introduire dans la discussion un aspect de la pensée morale traditionnelle qui a été trop peu envisagé et apprécié : la dimension existentielle de la théorie morale de S. Thomas.

I. Contingence et calcul

II convient d'abord de remarquer que, pour S. Thomas, le domaine de l'incertain est généralement coextensif à celui de la contingence, de ce qui peut être autre qu'il n'est. En général, S. Thomas envisage la contingence de la même manière qu'Aris- tote, mais dans une perspective totalement différente. Théologien, il s'intéresse au monde physique surtout comme manifestation de la sagesse divine vers laquelle il désire monter. Il ne dédaigne pas pour autant les outils de la science humaine, mais il les voit au service d'un dessein sacré. C'est dans cette perspective qu'il s'autorise à « calculer » le contingent. Car, d'après lui, quel que soit son idéal, l'homme en quête de Dieu doit se frayer un