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Comptes rendus

Livio Rossetti, Un altro Parmenide. vol. I : Il sapere peri physeos. Parmenide e l’irrazionale. vol. II : Luna, antipodi, sessualità, logica

Bologne, Diogene Multimedia, 2017 (Storia della Filosofia antica), 184 + 206 p., ISBN vol. I : 978-88-9363-055-9, vol. II : 978-88-9363-057-3
Guido Calenda
p. 279-282
Référence(s) :

Livio Rossetti, Un altro Parmenide. vol. I : Il sapere peri physeos. Parmenide e l’irrazionale. vol. II : Luna, antipodi, sessualità, logica, Bologne, Diogene Multimedia, 2017 (Storia della Filosofia antica), 184 + 206 p., ISBN vol. I : 978-88-9363-055-9, vol. II : 978-88-9363-057-3.

Texte intégral

1La plupart des commentateurs de Parménide ont presque exclusivement fixé leur attention sur la doctrine de l’être. Mais le poème était beaucoup plus long. Le fait que seule une petite fraction de la deuxième partie nous soit parvenue ne veut pas dire que cette partie ne soit pas essentielle pour la compréhension de la première. C’est donc à l’étude de cette deuxième partie que Rossetti a consacré son livre.

2Il avoue d’emblée être tombé sur un Parménide bien différent de celui de la tradition exégétique, un Parménide qui n’est donc pas le philosophe que l’on croyait, mais un penseur complètement inattendu. En fait, pour Rossetti, la deuxième partie du poème a un intérêt en soi, mais elle jette aussi une lumière nouvelle sur la première partie, jusqu’à en bouleverser complètement l’interprétation.

3Le livre de Rossetti comporte un prologue et dix chapitres répartis en deux volumes, intitulés, le premier, « Le savoir peri physeōs. Parménide et l’irrationnel », et le deuxième, « Lune, antipodes, sexualité, logique ».

4Après le prologue, dans lequel Rossetti fait le point sur l’état actuel des études, le livre commence par un inventaire, où l’enseignement du deuxième logos de Parménide est articulé en trente-trois thèmes qui concernent le cosmos et son origine, la Terre et les vivants.

5De la cosmologie de Parménide seuls cinq fragments ont subsisté. Les fragments 10 et 11 traitent de notre ciel, et semblent fournir une espèce de sommaire de la composition du cosmos. Ces fragments sont suivis par les énigmatiques six vers du fragment 12, décrivant des objets de feu et de nuit, par ailleurs non spécifiés, qui composent un système que Parménide ne décrit pas, parmi lesquels est située la déesse qui préside à l’accouplement et à l’accouchement. Il s’agit d’un texte qui présente bien des affinités avec un texte d’Aétius qui désigne ces objets par le mot στεφάνη (couronne), sans pourtant définir le système dont ils font partie. À son tour Cicéron parle d’une couronne ardente qui entoure le ciel. Sur la base de ces maigres informations, la critique à peu près unanime a placé les couronnes d’Aétius dans le ciel autour de la Terre. Cependant les contradictions entre Cicéron et Aétius, celles que présente le texte d’Aétius et, surtout, celles entre cette supposée structure du ciel et l’inventaire céleste des fragments 10 et 11 sont à peu près insolubles. Rossetti semble donc partager l’opinion de ceux qui considèrent que ces unités textuelles sont rapportées à une situation cosmogonique antérieure à l’actuelle. Toutefois, à cet égard Rossetti ne cache pas sa perplexité. Notamment, il tient pour peu compréhensible de placer au ciel la déesse de la naissance, puisque « la grossesse et l’accouchement sont et restent des phénomènes éminemment terrestres » (I, p. 43). Il avoue donc une forte impression de « désarroi (que quelque chose nous échappe) » (I, p. 44), et il conclut : « Somme toute, qu’une idée défendable des théories cosmogoniques de Parménide puisse parvenir à prendre forme me semble bien douteux. » (I, p. 47.)

6La valeur de Parménide, homme de science, apparaît justement lorsqu’il peut puiser dans l’expérience et dans les observations, et donc surtout dans celles de ses doctrines cosmologiques qui nous paraissent les plus importantes, à savoir la nature exogène de la lumière lunaire (l’« héliophotisme », selon l’heureux néologisme de Mourelatos), l’identité de Vénus et la sphéricité de la Terre, doctrines qui supposent une observation attentive des phénomènes physiques.

7Sur l’« héliophotisme » et la sphéricité de la Terre, Rossetti reprend la discussion dans le deuxième volume. La découverte de la Terre sphérique implique à son avis que le soleil passe sous la Terre ; que la stabilité de la Terre dans l’espace a ses raisons ; que les corps tombent dans la direction du centre de la Terre ; qu’il est permis d’ébaucher des conjectures sur la moitié sud du monde ; qu’il y a des antipodes.

8L’auteur passe ensuite en revue une multiplicité de témoignages sur des aspects biologiques, comme la perception, la conscience, le sommeil, la vieillesse... et surtout sur la génétique, dont ont subsisté les fragments 17 et 18, sur lesquels il revient dans le second volume.

9Au chapitre 2 Rossetti analyse l’inventaire précédent pour tenter de clarifier la nature des connaissances exposées, qui, à son avis, présentent un caractère opposé à l’apparemment monolithique doctrine de l’être. Il pense donc pouvoir caractériser ces enseignements par le terme héraclitéen de polymathia, non seulement pour la variété des thèmes, mais également pour le manque de connexion qu’il lui semble reconnaître entre les différents thèmes.

10Malgré la décision de Rossetti de reléguer à l’arrière-plan le premier logos, la doctrine de l’être reste pour lui problématique, et il y revient à plusieurs reprises, à partir du chapitre 3. Il ne reconnaît rien dans le poème qui puisse constituer un embryon de métaphysique. C’est en vain, affirme-t-il, qu’on chercherait « une seule déclaration qui dise ce qui découle du fait que l’être est » (I, p. 95). Il semble que rien de ce qu’on peut dire sur l’être n’a à voir avec les doctrines peri physeōs, c’est-à-dire avec la connaissance humaine. On peut donc partager la question que pose Rossetti : « En fait, on constate que de la connaissance de l’être […] la déesse ne fait rien, comme si elle ne savait qu’en faire. Est-ce donc possible ? » (II, p. 157.)

11Peut-être le problème principal réside-t-il justement dans le nom de « doctrine de l’être ». Parménide lui-même a-t-il vraiment eu l’intention de formuler une ontologie ? Peut-être voulait-il seulement montrer que ce qu’on peut rigoureusement démontrer au sujet de l’être ne nous dit rien : au moment même ou il conçoit l’ontologie, il en montre la vacuité.

12Dans le chapitre 4, Rossetti s’interroge sur les passages du poème les plus fragiles. Il se concentre notamment sur celui où la déesse de Parménide semble introduire ses doctrines peri physeōs en les déclarant « trompeuses ». Ces mots troublent Rossetti, car il ne trouve pas très convaincant que Parménide puisse avoir renoncé à offrir des certitudes. Certes des découvertes comme celle de l’identité de Vénus, de l’« héliophotisme » et de la sphéricité de la terre ont trouvé confirmation ; mais Parménide a soutenu bien d’autres thèses qui se sont révélées fausses et qui ont été abandonnées : comment Parménide aurait-il pu savoir à l’avance lesquelles de ces doctrines survivraient ?

13Dans le deuxième volume, au chapitre 5, Rossetti se demande si Parménide a été réellement le premier à découvrir l’« héliophotisme ». En fait, Aétius attribue cette doctrine à Thalès et à Pythagore, et Diogène Laërce dit qu’Anaximandre appelle la lune ψευδoφαῆς parce qu’elle est illuminée par le soleil. Pour Rossetti, donc, « l’héliophotisme lunaire pourrait avoir été déjà compris par Thalès. Si tel était le cas, le seul mérite de Parménide serait d’avoir été capable de se représenter les rapports directs entre le soleil et la lune » (II, p. 30).

14Le chapitre 6 est dédié à la notion d’« antipodes », qui est présente chez Platon, mais dont le nom, selon le témoignage de Proclus, peut remonter à Zénon. Diogène Laërce attribue la notion de la Terre sphérique à Hésiode et à Pythagore avant Parménide. Rossetti, qui exclut à la fois Hésiode et Pythagore, constate qu’en ce qui concerne les antipodes, c’est-à-dire la sphéricité de la Terre, on ne peut pas remonter plus loin que Parménide (II, p. 49).

15De la doctrine génétique de Parménide sont restés seulement les six vers du fragment 18, et l’unique vers du fragment 17. Rossetti a remarqué qu’il s’agit d’informations d’une valeur très différente. Le fragment 18 (chapitre 7), relate d’une manière très concise mais efficace deux informations de grande valeur. D’abord, il met sur le même plan les rôles de la femelle et du mâle dans la conception ; il s’agit d’une doctrine qu’on peut déduire d’une interprétation correcte des observations, comme l’explique Franco Giorgianni dans son texte annexé au deuxième volume de Rossetti, « Fecondazione e generazione secondo i medici ippocratici », (II, p. 85-96). Deuxièmement, le même fragment montre que le genre et le caractère des enfants dépendent de la façon dont les deux semences se combinent.

16Complètement arbitraire est, au contraire, l’information du fragment 17 (chapitre 8), extrait de Galien, selon lequel le mâle est conçu dans la partie droite de l’utérus, et la femelle dans la partie gauche. Pour Rossetti « toute combinaison basée sur la droite et sur la gauche ne peut que résulter d’une évaluation complètement arbitraire, que n’appuie aucune connaissance réelle » (II, p. 100).

17Dans le chapitre 9, dédié à l’art de la démonstration, Rossetti se démarque des tentatives de transcrire les propositions de Parménide selon les canons de la logique symbolique. Il est plutôt enclin à reconnaître dans le texte un art rhétorique rare et raffiné, destiné à obtenir l’approbation du public grâce à la forme du raisonnement. Parménide démontre ainsi un savoir communicationnel créatif, qui ne relève pourtant pas encore de la logique stricto sensu.

18En conclusion, l’inestimable mérite de ce livre de Rossetti réside justement dans l’invitation à révolutionner notre approche de Parménide, en plaçant, pour ainsi dire, les pieds fermement sur la terre : il montre, en fait, que l’objectif fondamental de Parménide est de nous parler de notre monde. En réévaluant l’importance de l’expérience et des observations dans la formulation des doctrines de Parménide, Rossetti remet en question de manière radicale une tradition qui, à partir de Platon, a concentré son attention sur une doctrine – celle de l’être – qui apparaît totalement a priori. Je pense qu’il s’agit d’un défi qui mérite d’être relevé.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guido Calenda, « Livio Rossetti, Un altro Parmenide. vol. I : Il sapere peri physeos. Parmenide e l’irrazionale. vol. II : Luna, antipodi, sessualità, logica »Philosophie antique, 20 | 2020, 279-282.

Référence électronique

Guido Calenda, « Livio Rossetti, Un altro Parmenide. vol. I : Il sapere peri physeos. Parmenide e l’irrazionale. vol. II : Luna, antipodi, sessualità, logica »Philosophie antique [En ligne], 20 | 2020, mis en ligne le 25 novembre 2019, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/philosant/3428 ; DOI : https://doi.org/10.4000/philosant.3428

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