L'épreuve du temps*

Le noyau théorique de l'analyse consacrée par Aldo Masullo à la question du temps consiste à méditer les implications radicales de l'appartenance originaire du temps à la concrétude primordiale de l'affectivité précognitive. L'antique paradoxe du temps, que saint Augustin a été le premier à formuler explicitement, concerne sa saisissabilité immédiate qui cependant fait corps avec l'impossibilité de son objectivation dans un savoir communicable: «Qu'est-ce donc le temps? Si personne ne me pose la question, je sais; si quelqu'un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus»1. Dans son analyse de la question du temps, Masullo part d'une interprétation originale de ce paradoxe, dont il isole la source dans la nature radicalement émotionnelle du temps, entendu comme le phénomène affectif ou «pathique» qui se situe aux racines mêmes de n'importe quel sens vécu. Voilà pourquoi le temps s'avère allergique à l'emprise théorétique de la pensée, ce qui explique l'échec inévitable de l'effort philosophique pour en fournir des représentations conceptuelles communicables.

Si l'on essaie d'en déterminer le caractère affectif qui précède la constitution de l'ordre cognitif de VErfahrung, le temps apparaît originairement comme YErlebnis de la modification, comme «l'avertissement affectif de la déstabilisation», autrement dit comme «le sens de la déstabilisation, son 'vécu' (le pathos du changement)»2. Son irruption déstabilisante, chaque fois inattendue et immotivée, gratuite et «sans raison», appelée pour cette raison «grâce» (p. 105), fait la trame originaire de notre existence.