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Compléments en ligne : Clio a lu

Deborah Simonton, Marjo Kaartinen & Anne Montenach (dir.), Luxury and Gender in European Towns, 1700-1914

New York et Londres, Routledge, 2015, 275 p.
Natacha Coquery
p. 307-307
Référence(s) :

Deborah Simonton, Marjo Kaartinen & Anne Montenach (dir.), Luxury and Gender in European Towns, 1700-1914, New York et Londres, Routledge, 2015, 275 p.

Texte intégral

1Le livre fait partie d’une série de travaux publiée par un réseau d’historiens urbains qui cherchent à montrer comment l’expérience urbaine européenne, voire la forme même des villes ont été façonnées par le genre, du milieu du xviie au milieu du xxe siècle. Le prisme choisi pour étudier ces liens entre genre et ville est ici le luxe, parce qu’il touche à la fois à la société et à l’économie, à la politique et à la culture urbaines, ouvrant sur une large investigation, comme l’exposent les trois responsables de l’ouvrage dans une introduction convaincante. Aux xviiie et xixe siècles, à cette époque charnière qui connut le passage d’une économie de la rareté à la « culture des apparences » (Daniel Roche), quelles furent la conception et les pratiques urbaines du luxe selon le genre, le statut, la classe sociale, le parcours de vie, le temps et l’espace ? Comment des formes de production et de commercialisation introduites par la culture du luxe ont-elles transformé les communautés urbaines ? Que révèle la consommation de luxe, saisie à différentes échelles urbaines, du local à l’international, sur les relations qu’entretenaient hommes et femmes avec la ville ? Comment la division du travail, les compétitions et les conflits propres au marché du luxe ont-ils marqué la construction du genre ? En mettant en perspective les identités féminine et masculine dans le marché du luxe, le livre cherche à lutter contre les stéréotypes de genre et à ouvrir de nouvelles topographies dans la sexuation des villes. Explorant la variété des interactions entre genre, luxe, ville et économie, il comble une lacune dans l’historiographie de la culture matérielle et de la consommation de luxe, et ouvre la voie à de futures recherches. Quatorze chercheurs (onze historiennes et une historienne de l’art, deux historiens) ont participé à l’enquête, organisée en trois parties (Marchés et opportunités ; Métropole et province ; Classes et statuts), chacune subdivisée en quatre chapitres.

2Dans la première partie, les quatre auteures explorent les marchés du luxe et les pratiques urbaines en articulant genre, d’une part, et production, distribution, consommation formelles et informelles, d’autre part. L’activité, les compétences et l’inventivité féminines ont fait évoluer les métiers de l’artisanat, en changeant les attributions de rôle entre hommes et femmes. Loin d’agir seulement dans l’ombre des hommes, les femmes ont assumé leur rôle dans une économie urbaine transformée par la nouvelle culture de consommation. D. Simonton observe comment le genre a fait évoluer le secteur de la mode dans trois villes moyennes du xviiie siècle (Aberdeen, Colchester, La Rochelle), avec la percée de marchandes de modes qui ont réussi, non sans mal, à se faire reconnaître comme des femmes d’affaires légitimes dans un milieu corporatif dominé par les hommes. Étudiée par A. Montenach, la situation frontalière de Grenoble, capitale du Dauphiné, entre Piémont, Savoie, Genève et Lyon, offre de multiples opportunités, comme le secteur de la mode (la ganterie) ou le marché noir des biens de luxe et demi-luxe (les indiennes durant la prohibition), dont profitent hommes et femmes, qu’ils agissent dans le cadre légal ou informel. À Copenhague, au tournant des xviiie et xixe siècles, le prince Frédéric lance une série de réformes qui dynamisent l’économie danoise ; à travers leur implication dans un marché du luxe en plein essor, C. Gold montre que les femmes, grossistes ou détaillantes, ont participé à la métamorphose de la capitale danoise. Enfin, K. Moore met en lumière les liens entre féminisation, beaux-arts, luxe et changement urbain dans le West End, centre commercial et artistique le plus en vogue à Londres dans les années 1860-1890.

3Dans la deuxième partie, les auteurs jouent sur les échelles, des petites villes de province aux capitales. J. Stobart et M. Rothery comparent les dépenses et choix de consommation d’un lord anglais et de sa sœur dans la seconde moitié du xviiie siècle, entre leur propriété du Warwickshire et Londres ; ils reconstituent l’espace des échanges, interrogent les liens entre genre, identité et statut social, et déconstruisent quelques stéréotypes, ce que fait aussi B. Moreno Claverias. Jouant de l’opposition ville-campagne, elle choisit à son tour les variables du genre et du lieu de résidence pour saisir la diffusion des nouveaux biens de consommation, cette fois parmi les habitants de Barcelone et de ses environs ; le déséquilibre en faveur de la grande ville est patent, qu’il s’agisse des vêtements, bijoux, meubles ou objets décoratifs, comme celui en faveur des hommes, plus dépensiers que les femmes, dépourvues d’autonomie financière ; seules les aristocrates barcelonaises s’adonnent au luxe. J. Ilmakunnas s’attache à l’aristocratie suédoise cosmopolite qui dépense sans compter, malgré la persistance des lois somptuaires en Suède, auprès des marchands de luxe parisiens directement ou grâce à des intermédiaires, tels que les diplomates ; le luxe parisien est une manière d’afficher son rang. Changement d’époque et d’approche dans le dernier chapitre : S. Nenadic s’intéresse au public et à l’affichage féminin des savoir-faire de l’artisanat de luxe et de la vogue des produits indiens lors des expositions internationales de Dublin (1865), Edinbourg (1886) et Glasgow (1888).

4Dans la troisième partie sont réinterrogées les notions de luxe et de nécessité, qui vont de pair car les objets jouent un rôle crucial dans la construction de l’identité et l’affirmation du statut ; pour les classes supérieures, notamment l’aristocratie, le luxe est une nécessité sociale quel que soit le genre. L’âge est un facteur qui peut affecter la consommation plus que le sexe, tout comme les vicissitudes de la vie. A. Chatenet-Calyste souligne le changement du mode de consommation de Marie-Fortunée d’Este après sa séparation d’avec le prince de Conti : plus d’autonomie mais moins d’argent, de prestige et de crédit auprès des marchands, et des dépenses somptuaires en berne. À Vyborg, bourgade du Grand-duché de Finlande, le luxe, anglais, vient de Saint-Pétersbourg, à deux jours de route. U. Ijäs analyse l’évolution des achats d’un couple de marchands fortunés, les Hackman (le jeune Hackman, puis le couple, et la veuve) : nulle dépense impulsive mais un luxe destiné à montrer une réussite sociale ascendante ; la veuve enrichie, qui fut une épouse dépensière, consomme à sa guise et bien plus que son défunt mari. Retour à l’aristocratie avec Z. Sido, qui saisit les liens entre luxe, nationalisme, identité et représentation sociales à partir des costumes de cour et bijoux de la famille Andrassy, à Budapest, une métropole en pleine expansion dans la seconde moitié du xixe siècle ; un luxe nécessaire, londonien pour les hommes, viennois puis parisien pour les femmes, dont profite néanmoins un petit groupe de tailleurs locaux privilégiés. Dans le dernier chapitre, H.M. Johansen s’intéresse à un groupe social jusqu’alors non évoqué dans l’ouvrage : les ouvriers de la ville industrielle de Drammen, en Norvège, vers 1900. Elle scrute les achats quotidiens, assurés par des femmes économiquement dépendantes de leur mari, pour comprendre ce qui était considéré comme dépense de luxe (lait, glaces, fruits, prêt-à-porter) par ces familles pauvres qui ne goûtaient guère aux loisirs, faute de temps et d’argent.

5Voici donc un livre vivant et dynamique parce qu’il réinterroge la définition du luxe urbain, qui pouvait sembler passablement connue, par le genre, et ce dans des contextes variés et précis qui ouvrent au lecteur le champ des possibles.

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Pour citer cet article

Référence papier

Natacha Coquery, « Deborah Simonton, Marjo Kaartinen & Anne Montenach (dir.), Luxury and Gender in European Towns, 1700-1914 »Clio, 42 | 2015, 307-307.

Référence électronique

Natacha Coquery, « Deborah Simonton, Marjo Kaartinen & Anne Montenach (dir.), Luxury and Gender in European Towns, 1700-1914 »Clio [En ligne], 42 | 2015, mis en ligne le 13 janvier 2016, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/clio/12688 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.12688

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Auteur

Natacha Coquery

LARHRA -IUF
Université Lyon 2

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Droits d’auteur

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