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Mathématique et philosophie leibniziennes à la lumière des manuscrits inédits

Introduction

Valérie Debuiche et David Rabouin
p. 5-20

Texte intégral

  • 1 Selon l’usage, nous utilisons les abréviations suivantes : GP pour [Leibniz 1875- 1889], GM pour [ (...)

1« Les Mathematiciens ont autant besoin d’estre philosophes que les philosophes d’estre Mathematiciens » [Leibniz à Nicolas Malebranche, 13/23 mars 1699 (GP I, 3561)]. Cette déclaration que fait Leibniz à Malebranche en 1699 n’est pas de façade et il la met lui-même en action à de multiples occasions. Ainsi, présentant en 1677 une des notions centrales de sa « caractéristique géométrique », il commente :

Il n’est pas si aisé qu’on pense, de donner des veritables demonstrations en metaphysique. Cependant il y en a et de très belles. On n’en sçauroit avoir avant que d’avoir establi de bonnes definitions qui sont rares. Par exemple il n’y a personne qui ait bien defini ce que c’est que semblables. Et cependant avant que de l’avoir defini, on ne sçauroit donner des demonstrations naturelles de plusieurs propositions importantes de metaphysique et de mathematique. Après avoir bien cherché, j’ay trouvé que deux choses sont parfaitement semblables, lors qu’on ne les sçauroit discerner que per compraesentiam. [À Gallois, 1677, A II, 1, 568–569].

2L’exemple de la similitude illustre la manière dont mathématiques et philosophie peuvent se féconder mutuellement pour nourrir des théories mathématiques nouvelles (en l’occurrence celle des « formes » en géométrie) comme des thèses métaphysiques profondes (l’impossibilité d’une « parfaite similitude » entre deux entités « réelles », mieux connue sous le nom de « principe de l’identité des indiscernables »). Nulle surprise, donc, à voir le philosophe avancer encore, près de vingt ans après :

Ma métaphysique est toute mathématique pour ainsi dire, ou la pourroit devenir. [Au Marquis de L’Hospital, GM II, 258]

3Au vu de ces déclarations, qu’on pourrait multiplier à l’envi, on s’attend à ce que les commentateurs aient étudié en grand détail cette connexion étroite et singulière entre mathématiques et philosophie. Assurément, nombreux sont ceux qui s’y sont essayés, en particulier depuis la fin du xixe siècle, moment de ce qu’on a pu appeler la (seconde) « Renaissance Leibniz ». La publication progressive des manuscrits logiques et mathématiques inédits, au sein des éditions alors procurées par Erdmann [Leibniz 1840], puis Gerhardt [Leibniz 1849-1863], avaient en effet témoigné de la richesse d’un corpus jusqu’alors grandement ignoré. Pour autant, cette orientation ne fut pas sans créer de fortes tensions dans le commentaire. D’un côté, la pratique mathématique de Leibniz apparaissait comme si riche et si inventive, qu’il n’était pas évident de choisir en son sein la bonne porte d’entrée (la logique, le calcul différentiel, l’analysis situs, etc.) ; de l’autre, la découverte progressive des manuscrits allait également avec une réappréciation de son travail métaphysique, dont il apparaissait que certaines thèses avaient été élaborées dès la période parisienne (1672-1676), à un moment où les grandes inventions logiques et mathématiques (algorithme différentiel, caractéristique géométrique, calculus ratiocinator...) n’étaient pas encore achevées [Kabitz 1909], [Jagodinski 1913].

4En résulta un conflit d’interprétations, qui perdure jusqu’à nos jours et que Dietrich Mahnke mit remarquablement en scène dès 1925 dans une thèse au titre significatif : Leibnizens Synthese von Universalmathematik und Individualmetaphysik [Mahnke 1925]. Parcourant l’ensemble des commentaires, force lui était, en effet, de constater qu’ils offraient deux visages de Leibniz très différents selon qu’on mettait au cœur du système le programme d’une « mathématique universelle » ou celui d’une « métaphysique de l’individu ». Mais au sein du premier camp, la tension se redoublait du fait qu’on pouvait ramener la mathesis universalis à une discipline purement logique – comme le défendaient ceux que Mahnke rangeait sous la bannière du Panlogismus (Russell, Couturat) – ou considérer, au contraire, l’irréductibilité de principes non strictement logiques (et donc « métaphysiques » ?), comme celui du meilleur, de l’ordre ou de la continuité – orientation que Mahnke désignait comme celle d’un Begriffrealismus (essentiellement représenté par Cassirer, mais auquel nous pouvons adjoindre Brunschvicg [Rabouin 2012]).

  • 2 Sur l’articulation entre mathématiques et philosophie autour du concept d’expression, et ses diffi (...)
  • 3 Dans cet article de 1989, Albert Heinekamp, l’un des éditeurs les plus importants des écrits philo (...)

5Il ne suffit donc pas de répéter que mathématiques et philosophie entretiennent des liens étroits chez Leibniz. Encore faut-il trancher par rapport à des interprétations qui, selon qu’elles mettent l’accent sur telle ou telle discipline mathématique, ou selon qu’elles ordonnent de telle ou telle façon les rapports entre les deux domaines, conduisent à des vues opposées. La solution que proposa Mahnke était habile. Opérant un pas de côté, elle prenait son départ dans la notion d’« expression », effective à la fois en mathématiques et en métaphysique, dans l’idée d’en faire le noyau d’une possible « synthèse ». Mais elle avait également l’inconvénient d’être grandement anachronique (Mahnke interprétait « l’expression » en philosophie comme une préfiguration de « l’intentionnalité » husserlienne) et de laisser la question de ce qui fait l’unité des mathématiques en l’état2. Elle avait surtout ce défaut, comme la plupart des interprétations de l’époque, de vouloir se déployer dans l’ombre d’un « système » que l’interprète aurait à charge de reconstituer. Or la découverte progressive du continent gigantesque de l’œuvre inédite était alors précisément en train de faire évoluer cette conception. Nombre d’interprètes commençaient à insister, au contraire, sur la nécessité de prendre en compte un développement génétique qui pouvait conduire à des changements de vue profonds, impossibles à maintenir dans la cohérence d’un système. Une telle approche aboutit d’ailleurs dans les dernières décennies du xxe siècle à ce qu’Albert Heinekamp désigna comme « le refus du caractère systématique de la philosophie leibnizienne » [Heinekamp 1989]3.

  • 4 Cette idée se trouve également reprise en ouverture de [Vuillemin 1962]. Sur l’assignation à Leibn (...)

6Cette évolution a néanmoins tardé à pénétrer l’étude des rapports entre philosophie et mathématiques. Le seul titre de la grande étude de Michel Serres parue en 1968, Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques [Serres 1968], suffirait à nous le rappeler – de même que la parution quelques années auparavant du livre de Belaval assignant à Leibniz une conception des mathématiques « formaliste », par opposition à « l’intuitionnisme » cartésien [Belaval 1960]4, comme si le caractère de vérités « éternelles » conféré par Leibniz aux mathématiques contaminait leur étude, ne pouvant être elle-même que celle d’un système et d’une doctrine ne connaissant pas d’évolution. On peut contraster de telles vues avec l’ouverture du texte qu’Enrico Pasini consacra au début du siècle suivant à la détermination des lignes d’investigation subsistant dans l’étude des rapports entre philosophie et mathématiques chez Leibniz :

Les ingrédients d’une philosophie des mathématiques sont différents à différentes époques, et l’on doit admettre l’inexistence, en général, d’une philosophie accomplie des mathématiques, au sens d’aujourd’hui, chez Leibniz. [Pasini 2001, 956]

7Le numéro spécial de Philosophia Scientiæ que nous proposons se place dans la continuité d’une telle approche, qui a accompagné l’étude de la production mathématique inédite de Leibniz et l’émergence, dans les années 1990, de plusieurs travaux montrant la complexité et la richesse de ses liens avec la philosophie. Mais pour en mieux saisir les contours et les attendus, il convient tout d’abord de rappeler la singularité de la situation archivistique de l’œuvre leibnizienne.

1 Éditer les manuscrits mathématiques de Leibniz

8Leibniz a très peu publié de son vivant. En mathématiques, à part la dissertation sur l’art combinatoire (De arte combinatoria), sa thèse parue en 1666, il ne produisit aucun traité mais plutôt de courts articles, souvent allusifs. Tel fut le cas de Nova methodus pro maximis et minimis, dans lequel il présenta pour la première fois en 1684 son célèbre algorithme différentiel – qui, pour cette raison, resta largement incompris de la plupart de ses contemporains. Un premier aperçu du matériau publié fut donné par Louis Dutens dès 1768 [Leibniz 1768]. Dans les éditions modernes, l’ensemble des articles publiés représente une soixantaine de pièces, principalement dédiées au calcul différentiel et à l’arithmétique binaire, soit près de 500 pages imprimés [Leibniz 2011]. Or le Leibniz Archiv de Hanovre contient près de 50 000 pièces concernant les mathématiques. Il n’est donc pas exagéré d’avancer que Leibniz a laissé inédite près de 99 % de sa production mathématique.

9Leibniz ne s’en est d’ailleurs pas caché et les interprètes aiment à rappeler la déclaration qu’il fit en 1696 à Vincent Placcius : « qui me non nisi editis novit, non novit » (« qui ne me connaît que par ce que j’ai publié, ne me connaît pas » [Leibniz 1768, VI, 1, 65]. Cette situation était bien connue de ses contemporains. Ainsi, dans l’Encyclopédie, Diderot déplorait déjà qu’on ne disposât pas encore d’œuvres complètes du philosophe :

Jamais homme peut-être n’a autant lu, autant étudié, plus médité, plus écrit que Leibnitz ; cependant il n’existe de lui aucun corps d’ouvrages ; il est surprenant que l’Allemagne à qui cet homme fait lui seul autant d’honneur que Platon, Aristote & Archimede en font ensemble à la Grece, n’ait pas encore recueilli ce qui est sorti de sa plume. [« Leibnitzianisme », Encyclopédie, IX, 379b]

  • 5 Ceci constitue le point de départ de La Logique de Leibniz [Couturat 1901] accompagnée deux ans pl (...)

10Il est vrai que la tâche était titanesque. Certes, de nombreuses « œuvres complètes » furent entreprises par la suite, jusqu’à la grande édition par Pertz et Gerhardt des écrits mathématiques et philosophiques. Mais, comme s’en aperçut Couturat lors de son voyage aux archives Leibniz, ce n’était là, pour les mathématiques, qu’un tout petit échantillon de ce que le penseur de Hanovre avait produit5. Ainsi la toute jeune Association internationale des Académies commissionna-t-elle, lors de sa première session en 1901, les Académies française et allemande pour l’élaboration d’une édition d’authentiques œuvres complètes. Malheureusement, le projet initial ne survécut pas à la première guerre mondiale et l’édition fut dès lors prise en charge par l’Allemagne seule, avec des moyens limités. Le premier volume de cette édition de référence, dite « de l’Académie », consacré à la correspondance politique et historique, parut en 1923, bientôt suivi, en 1926, du premier volume de la deuxième série consacrée à la correspondance philosophique. Mais en ce qui concerne la série suivante (III), consacrée à la correspondance mathématique, les choses se révèlèrent plus compliquées. Une telle entreprise nécessitait, en effet, une rare combinaison d’expertises (en latin, philologie, histoire des sciences, philosophie et mathématiques) et peu de chercheurs étaient capables de les rassembler – ce qui est toujours le cas de nos jours. En outre, les mathématiques se révélaient progressivement comme étant l’un des domaines dans lesquels Leibniz avait le plus travaillé. Maîtriser l’ensemble des manuscrits afin de les classer par thèmes, de les mettre dans le bon ordre chronologique et de les transcrire, s’avérait être une entreprise ardue. Dietrich Mahnke fut le premier responsable de l’édition de la correspondance mathématique. Mais il n’avait achevé que la moitié du premier volume lorsqu’il mourut subitement en 1939. L’ouvrage fut ensuite repris par Joseph Ehrenfried Hofmann. Ainsi le premier tome de la série III ne parut-il que trois ans après la mort de ce dernier, en 1976 – soit plus de 50 ans après le premier volume de la correspondance philosophique.

  • 6 Sur les raisons pour lesquelles il ne devrait pas en être ainsi et la manière dont leur prise en c (...)

11À cette époque, la publication des écrits mathématiques (hors correspondance) n’avait pas encore commencé. Ce fut seulement grâce aux efforts d’Eberhard Knobloch qu’elle put être mise en œuvre en cette même année 1976 [Knobloch 2018]. Cependant, la transcription et la datation correcte des manuscrits était un processus si long qu’il fallut attendre encore 14 années pour arriver à un premier résultat. Le premier volume de la série VII, rassemblant les manuscrits d’arithmétique, de géométrie et d’algèbre pour la période parisienne (1672-1676), ne parut donc qu’en 1990. La grande majorité de ces textes était alors inconnue et le volume renfermait de nombreuses pièces remarquables. Pour ne prendre qu’un exemple frappant, la moitié du premier volume (près 400 pages) était consacrée à des problèmes de théorie des nombres (principalement à un problème diophantien appelé « problème des six carrés ») ainsi qu’aux questions liées à la distribution des nombres premiers, deux domaines pourtant absents de la littérature philosophique. On pressentait alors que des pans entiers des mathématiques leibniziennes avaient échappé à l’étude des rapports entre mathématiques et philosophie6.

  • 7 Depuis les années 2000, les différents volumes sont accessibles en édition numérique et en version (...)
  • 8 Voir [Knobloch 2018, 32], pour la liste des contributeurs des différents volumes parus.

12À ce jour, seuls huit volumes de la correspondance mathématique (série III) et sept volumes des écrits mathématiques (série VII) ont été publiés7. Eberhard Knobloch, d’abord assisté par Walter Contro (décédé en 2017), fut ensuite rejoint par Nora Gädeke et, plus tard, par Siegmund Probst. Une petite équipe a progressivement été constituée dans les années 2000 pour l’édition des textes mathématiques conservés à la Gottfried Wilhelm Leibniz-Bibliothek Niedersächsische Landesbibliothek (GWLB) à Hanovre8. Cependant, cela ne donne accès aujourd’hui qu’aux textes écrits à Paris et au début du séjour à Hanovre (1672-1676) – alors que Leibniz meurt près de 40 ans plus tard, en 1716. Le classement des manuscrits effectué par Bodemann au xixe siècle (pour les mathématiques, essentiellement dans la rubrique notée LH XXXV), ainsi que les travaux effectués depuis, permettent d’estimer à 22 le nombre de volumes restant à publier pour les mathématiques de la période suivante (1677-1716). Comme chaque volume contient environ 800 pages in quarto, cela représente plus de 17 000 pages imprimées.

13Au vu de ce rapide historique, la situation actuelle se résume de la façon suivante : aussi surprenant que cela puisse paraître, près de la moitié des écrits mathématiques de Leibniz est à ce jour complètement inédite – et parmi la moitié restante, seule la moitié est éditée selon des critères scientifiques rigoureux (les 7 volumes de l’édition de l’Académie). On pourrait objecter qu’il ne faut pas dramatiser une telle situation : ne peut-on faire confiance aux éditeurs précédents pour avoir sélectionné ce qui était intéressant parmi la masse énorme de brouillons, qui ne sont souvent que des feuilles de calcul ou des ébauches frustes jetées sur le papier ? Ne savons-nous pas, par ailleurs, qu’une édition « scientifique », emplie de toutes les variantes et corrections de l’auteur, peut parfois être un frein à la lecture des textes ? Le souci de la genèse ne finit-il pas par se perdre dans le détail de tentatives avortées que le philosophe lui-même n’a pas considérées comme dignes d’être préservées ? C’est assurément sur ces croyances que s’est bâti le commentaire au siècle dernier. Mais elles se sont finalement révélées plus dangereuses qu’utiles. D’une part, il est avéré que l’édition « non scientifique » des textes n’est pas toujours fiable et peut même avoir produit des artéfacts créés par les éditeurs. D’autre part, depuis les années 1990, une nouvelle génération d’interprètes a montré que le corpus inédit comporte des trésors qui ont échappé à l’attention de leurs prédécesseurs – comme nous venons de l’évoquer brièvement au sujet des questions de théories des nombres. Ces deux aspects permettent de justifier l’importance d’une étude des manuscrits mathématiques inédits.

2 Pourquoi travailler sur les manuscrits inédits ?

14Pour illustrer la nécessité d’un retour aux manuscrits, même dans le cas de textes édités, nous donnons deux exemples, d’autant plus pertinents qu’ils sont tirés de domaines auxquels le commentaire philosophique s’est particulièrement intéressé : les « fondements métaphysiques » des mathématiques et l’idée de mathesis universalis. Il s’agit d’ailleurs de deux des thèmes principaux auxquels est dévolu le septième volume des Mathematische Schriften de Gerhardt. Son premier texte, en particulier, est la pièce intitulée Initia rerum mathematicarum metaphysica : « Commencements métaphysiques des mathématiques. » La quantité de commentaires qui lui a été consacrée est considérable, à la fois parce qu’il s’agit d’un des rares textes où Leibniz avance de manière explicite l’existence de fondements métaphysiques, et parce qu’il y met au premier rang la caractérisation « relationniste » de l’espace et du temps – un aspect qui a retenu l’attention, non seulement des philosophes, mais également des scientifiques qui y ont parfois vu une anticipation de certaines conceptions contemporaines. Pourtant, le texte est difficile à interpréter du fait de nombreuses répétitions entre les différentes parties, qui peuvent conduire à des infléchissements des thèses initiales. Or l’examen du manuscrit révèle que Gerhardt, dans un moment d’inattention (malheureusement non isolé), a copié l’un à la suite de l’autre deux manuscrits différents (le second portant, en fait, sur l’analysis situs). Le texte qui a fait l’objet de tant de commentaires sur les rapports entre mathématiques et métaphysique n’était donc pas un texte de Leibniz à proprement parler.

15Pour la mathesis universalis, dont on a vu avec Mahnke qu’elle a été au cœur de nombreuses interprétations, un constat semblable s’impose. Tout d’abord, Gerhardt édite sous cette rubrique deux textes en nommant le premier « Préface » et le second « Première partie », laissant croire aux débuts d’un traité consacré à ce thème. Mais l’étude des manuscrits indique que le premier texte ne s’intitule pas « Praefatio », comme le prétend Gerhardt. Il commence par une phrase rayée (et non un mot), qui est vraisemblablement « Nisi ad perfectio... » que Leibniz a ensuite complétée pour en faire son incipit : « Nisi in re tot jam ingeniis trita, multa nova, et ad perfectionem artis necessaria dicenda haberem » (« Si je n’avais à dire, sur un sujet traité par de si grands esprits, bien des choses nouvelles et nécessaires pour l’achèvement de l’art »). Bien plus, une étude fine de la datation montre que ce texte ne saurait provenir de la même période que le commencement du traité que Gerhardt lui adjoint comme première partie. Dans ses Opuscules inédits, Couturat semble offrir des informations complémentaires sur la « mathesis universalis ». La pièce centrale est ici Elementa nova matheseos universalis, une des rares tentatives leibniziennes pour présenter sa propre conception de la mathématique universelle (au moyen d’« éléments nouveaux »). Le texte est entrecoupé de nombreux points de suspension qui signalent, selon les conventions indiquées par Couturat, des lacunes dans le manuscrit. Pourtant, si l’on se rapporte au manuscrit, on n’y trouve aucune lacune. Les points correspondent à des passages que Couturat a omis. Or ces passages donnent une genèse phénoménologique des relations fondamentales de la mathématique universelle qui avait toutes les raisons de déplaire au « panlogicisme » de l’éditeur.

16On pourrait multiplier les exemples, mais ceux-ci suffisent à montrer la difficulté dans laquelle on se trouve de nos jours pour comprendre les rapports entre mathématiques et philosophie chez Leibniz. Il semble en effet préférable d’avoir accès aux textes de Leibniz lui-même et non à des artéfacts portant l’empreinte invisible de leur éditeur. Cela n’est possible de manière assurée que pour les textes de l’édition de l’Académie et quelques pièces isolées éditées rigoureusement, mais souvent accessibles aux seuls connaisseurs. La prise de conscience progressive de cette situation a conduit nombre de commentateurs de la fin du siècle dernier à retourner travailler directement dans les archives à Hanovre. Ils y font des découvertes étonnantes, à l’origine d’un tournant vers une approche plus historique et plus pragmatique des rapports entre mathématiques et philosophie.

  • 9 Auparavant, Pasini avait publié un article présentant les textes fondationnels de Leibniz des anné (...)

17La déclaration de Pasini prend son sens dans ce contexte et offre une réponse à une des interrogations signalées ci-avant : il n’est pas vrai que les premiers éditeurs aient déjà sélectionné tout ce qu’il y avait de particulièrement intéressant dans les manuscrits. Les travaux menés sur les manuscrits depuis les années 1990 en témoignent. En 1993, Eberhard Knobloch édite ainsi un traité complet de quadrature, De quadratura arithmetica circuli ellipseos et hyperbolae, rédigé à la fin de la période parisienne, connu par les nombreuses mentions que Leibniz en fait mais qui n’avait jamais été édité au complet [Leibniz 1993]. Cette édition apporte avec elle une surprise de taille, que confirme la publication des inédits philosophiques de la période parisienne : l’idée que les infiniment petits ne sont que des « fictions » ne date pas de la « querelle des infiniment petits » qui agite les débuts de la diffusion du calcul différentiel depuis le milieu des années 1690 (d’abord avec les ouvrages de Clüver et Nieuwentijt, puis dans les débats à l’Académie des sciences) ; elle est élaborée dès 1675, avec le développement des premières techniques infinitésimales, et dans le cadre de démonstrations que Leibniz présente lui-même comme donnant des « fondements rigoureux » à ces techniques (pour un aperçu de ce changement de point de vue, voir le panorama dressé dans [Rabouin & Arthur 2020]). À la même époque paraît le résultat des recherches de Javier Echeverría sur l’analysis situs (partiellement publié dans [Leibniz 1995]), qui indique à quel point cette discipline a été reconstruite par les commentateurs (dont certains grands mathématiciens) plutôt qu’étudiée dans son contexte propre d’apparition. Les travaux de Pasini sur les fondements du calcul différentiel témoignent également de l’importance de prendre en compte la diversité des modalités de justification élaborées par le philosophe de Hanovre ([Pasini 1993], ainsi que l’annotation de Marc Parmentier dans [Leibniz 1989]9). Maria Sol de Mora-Charles édite et commente à la même époque des travaux inédits sur les jeux [de Mora-Charles 1992] dont les résonnances philosophiques restent d’ailleurs à explorer plus avant. En parallèle, les travaux d’Emily Grosholz sur les fondements de l’arithmétique indiquent les limites d’une approche « logiciste » qui ne paraît pas gouverner les travaux fondationnels de Leibniz sur l’arithmétique, même tardifs [Grosholz & Yakira 1998], [Leibniz 2018]. Enfin, toute cette période est marquée par un tournant important dans l’appréciation de la méthodologie générale de Leibniz et par une compréhension plus pragmatique de ce qu’il entend par « logique » ([Duchesneau 1993], [Grosholz & Yakira 1998], ainsi que les notes fournies par Michel Fichant dans [Leibniz 1991]).

18Comme le montre la liste de ces travaux, cette génération de chercheurs, n’ayant pas facilement accès à l’ensemble du corpus non publié, n’avait d’autre choix que d’envisager un sujet d’étude particulier (arithmétique, analysis situs, calcul différentiel, jeu, etc.). Il en résulta une pluralité d’approches des questions épistémologiques – qui tendent naturellement vers une interprétation pluraliste de la pensée de Leibniz. Une étape cruciale pour l’appréhension d’une vision plus globale du corpus est franchie dans les années 2000. De fait, jusqu’à une date récente, la moitié des manuscrits n’était même pas inscrite au catalogue général et, pour l’autre moitié, aucune indication précise n’était donnée sur leur contenu. Il était donc impossible pour les éditeurs d’avoir une idée précise de ce qui s’y trouvait de « significatif » ou non sans aller explorer la totalité des manuscrits. De 2012 à 2014, les éditeurs de Hanovre s’emparent de ce problème en saisissant les données correspondant aux manuscrits mathématiques dans le catalogue central des publications, avec une première indication, encore temporaire, de datation10. Parallèlement, la numérisation des manuscrits mathématiques est entreprise et mise en ligne en septembre 201611. Pour la première fois, nous pouvons avoir accès à l’intégralité des manuscrits mathématiques sans avoir à nous rendre aux archives Leibniz, à Hanovre, et à rechercher physiquement dans tous les documents (qui ne sont organisés ni par date ni par sujet) pour trouver le matériel dont nous avons besoin.

3 Le programme « mathesis ». Présentation du dossier

  • 12 ANR Mathesis, Édition et commentaires de manuscrits mathématiques inédits de Leibniz (2017-2021), (...)
  • 13 On peut trouver un premier aperçu de nos travaux sur la version bêta du site  : http://mathesis.al (...)

19La situation décrite au chapitre précédent est à l’origine du groupe de travail « Mathesis » initié en 2010, lors de la création du Centre d’études leibniziennes (dirigé par Jean-Baptiste Rauzy). Il entend s’appuyer sur la réunion tout à fait exceptionnelle en France de nombreux chercheurs travaillant sur les mathématiques leibniziennes. Un premier chantier, accompli de 2012 à 2016, a consisté à éditer, traduire et commenter les travaux de Leibniz sur la mathesis universalis (conduisant à la publication de [Leibniz 2018]). Suite à la numérisation des manuscrits, un programme plus vaste est lancé dans le cadre de l’ANR « Mathesis », en partenariat étroit avec les collègues du Leibniz Archiv à Hanovre12. Étant donné l’ampleur de la tâche (la partie qui reste à publier dans l’édition de l’Académie représente 17 000 pages imprimées in quarto), l’approche a d’abord été concentrée sur la géométrie, objet des prochains volumes à paraître. Les thèmes sélectionnés sont : la science perspective, le rôle des constructions et en particulier du mouvement tractionnel, la querelle sur les infiniment petits à l’Académie royale des sciences autour de 1700. Les membres de l’ANR poursuivent également le travail sur l’algèbre en incluant des travaux sur les « fondements du calcul » (« Fundamenta calculi »), l’arithmétique binaire ou « dyadique », l’ars combinatoria, la théorie des nombres et la doctrine des jeux13.

20Ce numéro spécial de Philosophia Scientiæ est issu de ces travaux et donne quelques exemples du changement de vue qu’ils suscitent dans l’appréciation des rapports entre mathématiques et philosophie chez Leibniz. Les articles présentés mettent au jour des éléments de l’épistémologie leibnizienne, épistémologie qui se donne tantôt explicitement, tantôt implicitement dans les manières et les méthodes qu’il emploie. Les auteurs proposent une approche nourrie par le souci du détail technique dont l’analyse offre le moyen d’une élucidation renouvelée des implications philosophiques de la mathématique leibnizienne.

21Le premier article, par Sandra Bella, propose de suivre l’expression en apparence absurde du quotient ⁰/₀, depuis son apparition dans le contexte des séries numériques en 1672 jusqu’à son intervention au sein de la querelle qui agite l’Académie des sciences au sujet de la nature des infiniment petits entre 1700 et 1705. C’est en effet dans sa relation avec le calcul différentiel que l’expression réapparaît au détour du xviiie siècle alors qu’il s’agit de défendre le bien-fondé et l’utilité d’un calcul employant, non des grandeurs ordinaires et finies, mais ces grandeurs dites « infinitésimales ». Dans deux textes de 1702 qui s’assignent cette tâche, Justification du calcul des infinitesimales par celuy de l’Algèbre ordinaire et Defense du calcul des differences, Leibniz a recours au quotient de zéro par lui-même afin de montrer qu’il est nécessaire de considérer les grandeurs infinitésimales, non comme des zéros absolus, mais comme des « grandeurs évanouissantes ». L’autrice souligne qu’il s’agit d’une conception qui, s’appuyant sur le principe de continuité, introduit des considérations métaphysiques au sein des mathématiques, alors que l’enjeu est de promouvoir une nouvelle pratique calculatoire auprès de mathématiciens réfractaires. Ce sont alors la géométrie et les diagrammes qui viennent au secours de Leibniz (et des autres défenseurs des différentielles et de leur calcul), d’une part pour rendre compte de la possibilité d’assigner une configuration géométrique (la décussation) au cas où un quotient de différentielles impliquerait de traiter ⁰/₀, d’autre part en conférant à l’évanescence de ces grandeurs qui ne se distinguent du rien que par un inassignable une référence dans les seules courbes de la géométrie – et, de ce fait, hors du champ de l’algèbre où ⁰/₀ demeure un incalculable. Ce faisant, conclut S. Bella, l’étude de ⁰/₀, offre un cas remarquable des tensions qui se nouent entre, d’une part, l’algèbre et le calcul différentiel et, d’autre part, le calcul et la géométrie.

22En arrière-plan de la défense du calcul différentiel, se joue celle de la puissance heuristique de la différentielle conçue comme grandeur évanouissante, en ce qu’elle permet de rendre le nouveau calcul plus général que les procédés de l’algèbre ordinaire. Ce même souci de généralité, emblématique de la pensée leibnizienne, est décrit dans le second article. Simon Gentil y traite de la « méthode d’universalité » que Leibniz présente dans deux textes de l’année 1674, avant même l’élaboration des grands projets caractéristiques en mathématiques (calcul différentiel, caractéristique géométrique, calcul logique, etc.). Partant du traitement des sections coniques, il y développe un système de signes dits « ambigus » propre à exprimer en une seule équation générale toutes les équations particulières ou à résoudre de façon générale les problèmes géométriques (la détermination d’une perpendiculaire en un point donné d’une conique, les quadratures, les centres de gravité, etc.). De cette manière, avance Leibniz, doit se manifester « l’harmonie » qui lie ces situations. Comme dans l’article précédent, ce qui apparaît dans un premier temps formel ou, en termes leibniziens, « caractéristique », à savoir l’emploi de nouveaux signes, s’ancre pourtant dans la figure géométrique et mobilise des grandeurs infiniment petites. Présenté comme ce qui doit permettre d’exprimer en une seule les trois équations suivantes : a+b=c, ab=c, ba=c, le signe ambigu (± ou ∓) est figuré au moyen d’une représentation de trois points A, B et C, dont le dernier est « ambulatoire » (mobile) et peut être placé à gauche du premier, entre les deux, ou à droite du second. Dès lors, il est possible de déplacer le point mobile jusqu’à ce qu’il coïncide avec un des points fixes, intégrant ce qu’on peut appeler les « cas dégénérés » dans la formule générale – pour peu qu’on prenne soin de considérer la coïncidence comme une grandeur infiniment petite et non comme un rien absolu. En regard, des grandeurs infiniment grandes (comme celle qui apparaît quand un des foyers d’une ellipse est repoussé à l’infini et qu’elle se transforme en parabole) doivent également pouvoir être traitées au moyen des formules générales. Ainsi, selon l’auteur, exemplaires relativement au projet caractéristique, les signes ambigus offrent à la méthode de l’universalité l’outil par lequel elle expose l’harmonie – le terme est employé explicitement par Leibniz dans ces textes – qui préside à l’ambition épistémologique de généralité. Cela se manifeste également par la mise en avant d’une notion de « figure » idéale, non représentable, rassemblant les différents cas de courbes traités en une seule « conique ».

23Dans le troisième article, de nouveau sur fond de recherche caractéristique et d’exigence d’harmonie et de généralité, Mattia Brancato présente un autre aspect du jeu de transfert qui se produit entre les différentes disciplines mathématiques, cette fois-ci entre arithmétique et algèbre. Alors qu’il paraît entendu que l’intérêt de la dyadique leibnizienne réside dans ses apports pour l’arithmétique, l’auteur défend la thèse qu’il réside également dans ce qu’il nomme « l’algèbre binaire » que Leibniz initie dans la seconde partie du De progressione dyadica de 1679 ainsi que dans un certain nombre de manuscrits de la même année. Lié, sous l’influence de Weigel, à des considérations métaphysiques relatives à la création divine et à l’harmonie originellement combinatoire des choses, le système binaire se voit doté d’un privilège qui se double par ailleurs d’une valeur proprement mathématique. Celle-ci se révèle dans la possibilité qu’il offre d’exprimer d’une manière générale la série des chiffres de tout nombre, y compris irrationnel. La difficulté est alors que la série de chiffres entrant dans le développement décimal d’un nombre irrationnel ne manifeste aucune périodicité. Si quelque formule générale peut en être exhibée, elle ne peut donc s’appuyer sur une règle de progression intrinsèque à la décomposition du nombre. En l’absence d’une telle loi de série des chiffres, le fait qu’un nombre soit une série de sommes est le point de départ de la démarche de Leibniz. Mais la somme est commutative et la possibilité de l’inversion des ordres devient défaut caractéristique en tant que source d’ambiguïté. Il est donc nécessaire de fixer les éléments de la somme dans un ordre, d’abord compris dans le système décimal : 324=(3×100)+(2×10)+(4×1)=(3×102)+(2×101)+(4×100). Leibniz écrit les nombres dans le système binaire pour en proposer une nouvelle expression algébrique (sous la forme d’une somme de nombres, non réels mais caractéristiques, correctement ordonnés et qui désignent chacun soit 0 soit 1). Forte de la simplicité des règles du calcul arithmétique binaire et de la richesse de ses régularités, cette nouvelle algèbre binaire produit des lois de progression qui, selon l’habitude leibnizienne, se manifestent dans des tables combinatoires. Aussi, en infère l’auteur, la dyadique de Leibniz est-elle plus qu’un projet connexe et assujetti aux travaux arithmétiques. Elle se présente au contraire comme le moyen, métaphysiquement instruit et mathématiquement efficace, d’envisager la question de la nature des nombres et le problème de leur expression générale.

24La question du quatrième article se situe au croisement du calcul différentiel, de la géométrie et d’une combinatoire teintée de caractéristique. Arilès Remaki s’attache à l’étude des exposants, expressions algébriques de l’itération de la multiplication et, en ce sens, d’un « processus discret et combinatoire ». Il s’interroge sur la manière dont Leibniz a été amené à envisager, dès son séjour à Paris (1672-1677), l’idée d’exposants non-entiers. Son analyse vient remettre en question, au moyen de la lecture des manuscrits, l’hypothèse selon laquelle cette idée serait née dans la correspondance en 1676. L’étude des manuscrits inédits indique, en effet, que l’idée d’exposants fractionnaires et irrationnels surgit dès 1673, avec cette spécificité qu’il ne s’agit pas seulement d’un jeu d’écritures mais d’un usage requis pour des courbes possibles et constructibles (les paraboloïdes). Dans ce contexte, une relation est fondée entre l’exposant, indice combinatoire de la puissance, et un certain rapport de grandeurs dont la signification est géométrique. S’ouvre dès lors une voie vers les exposants irrationnels que Leibniz n’emprunte pas, en raison de l’absence d’un référent géométrique pour de tels exposants. Cependant en 1675, il s’affranchit du renvoi à une figure géométrique et s’intéresse au formalisme algébrique des exposants non-entiers en s’appuyant, cette fois, sur le calcul combinatoire et le développement binomial des formules telles que (x + b)z. La considération de tables combinatoires lui révèle, au moyen du transfert de l’irrationalité des coefficients binomiaux à l’irrationalité des exposants, des relations de progression propres à légitimer une généralisation de l’exponentiation. Cet épisode de jeunesse révèle combien l’invention mathématique chez Leibniz n’est jamais « seulement » caractéristique, mais relève d’une puissance du symbolique qui donne corps à des découvertes arithmétiques, combinatoires et géométriques. De cette manière, se joue moins autour de la question épineuse des exposants non-entiers la promotion de notations nouvelles que le tissage d’un lien entre la combinatoire, généralisation toujours discrète de l’arithmétique, et la géométrie, lieu de la continuité et de l’analyse.

  • 14 Pour plus de précisions, se référer à l’introduction qui en est faite en fin de volume.

25Ces contributions confirment l’intérêt de premier ordre que revêt l’étude des manuscrits inédits ou récemment publiés des essais mathématiques de Leibniz. Qu’il s’agisse de sa pratique de mathématicien ou de ses hésitations dans la conception des objets mathématiques, tout porte à préciser une épistémologie qui ne se satisfait déjà plus depuis longtemps de l’idéal d’un formalisme purement logique. Dans l’affleurement des éléments de métaphysique comme dans la prégnance des figures, des diagrammes et des tables, le Leibniz-mathématicien perd de sa raideur formelle pour laisser apparaître les traits de l’inventivité, de l’intuition et de l’audace, selon une forme de rigueur qui dépend bien plus des contraintes techniques et des polémiques scientifiques que d’une quelconque idéologie préalable. Afin d’en offrir un dernier aperçu, ce volume s’achève avec la reproduction, la transcription et la traduction de quatre pièces courtes et exemplaires de l’invention leibnizienne, relatives aux aspects présentés dans les articles qui les précèdent. La première intitulée (d’après son incipit) Regula de transitu per saltum non admittendo (LH XXXV, 4, 12, fol. 4r et v) évoque la loi métaphysique de continuité lors de l’examen des puissances de zéro. La seconde, Logarithmus impossibilium (LH XXXV, 5, 14, fol. 14r et v) traite des logarithmes des imaginaires et des négatifs, où se révèle le difficile accord de la puissance caractéristique et de l’exigence de possibilité. La troisième, extraite de Elemens de calcul (LH XXXV, 4, 12, fol. 2r et v), propose une présentation étonnamment novatrice des axiomes pour un « calcul des grandeurs ». La quatrième, Periodus numerorum (LH XXXV, 12, 1, fol. 191), est la transcription d’un des textes centraux traité dans l’article de Mattia Brancato14.

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Notes

1 Selon l’usage, nous utilisons les abréviations suivantes : GP pour [Leibniz 1875- 1889], GM pour [Leibniz 1849-1863] et A pour [Leibniz 1923-].

2 Sur l’articulation entre mathématiques et philosophie autour du concept d’expression, et ses difficultés, voir [Debuiche 2013].

3 Dans cet article de 1989, Albert Heinekamp, l’un des éditeurs les plus importants des écrits philosophiques, décrit l’évolution de l’étude de Leibniz au xxe siècle selon trois étapes. Chacune d’entre elles correspond à une meilleure connaissance des textes inédits  : tout d’abord, à la fin du xixe et au début du xxe siècle, les opinions qui s’intéressaient principalement à la reconstruction d’un « système» général – dont les textes publiés étaient censés constituer la partie émergée (courant que Heinekamp désignait par le slogan  : « à la recherche du vrai système leibnizien »)  ; puis, tandis que certains manuscrits devenaient de plus en plus accessibles, un courant caractérisé par l’importance accordée à l’approche « génétique » de l’œuvre que Heinekamp a rassemblé sous la rubrique des interprétations « structuralistes »  ; enfin, des interprétations caractérisées par une forme de suspicion contre toute lecture « systématique » de la philosophie leibnizienne (ce que Heinekamp désignait par « le refus du caractère systématique de la philosophie leibnizienne »). Selon Heinekamp, cette dernière tendance était typique des années 1980.

4 Cette idée se trouve également reprise en ouverture de [Vuillemin 1962]. Sur l’assignation à Leibniz d’une philosophie « formaliste », voir plus récemment [Sasaki 2003] et [Detlefsen 2005].

5 Ceci constitue le point de départ de La Logique de Leibniz [Couturat 1901] accompagnée deux ans plus tard par les Opuscules et fragments inédits [Leibniz 1903].

6 Sur les raisons pour lesquelles il ne devrait pas en être ainsi et la manière dont leur prise en compte apporte de nouvelles lumières sur le programme philosophique de Leibniz, nous renvoyons à [Rabouin 2015].

7 Depuis les années 2000, les différents volumes sont accessibles en édition numérique et en version imprimée : https://leibnizedition.de.

8 Voir [Knobloch 2018, 32], pour la liste des contributeurs des différents volumes parus.

9 Auparavant, Pasini avait publié un article présentant les textes fondationnels de Leibniz des années 1700 comme une controverse... avec lui-même [Pasini 1988].

10 https://mdb.lsp.uni-hannover.de/Arbeitskatalog/englisch.php.

11 http://digitale-sammlungen.gwlb.de/index.php?id=7.

12 ANR Mathesis, Édition et commentaires de manuscrits mathématiques inédits de Leibniz (2017-2021),  ANR-17-CE27-0018-01 AAP GENERIQUE 2017. Membres  : Jean-Pascal Alcantara (ESPE, Université de Bourgogne), Andrea Costa (Centre Jean Pépin, UMR 8230), Valérie Debuiche (AMU, Centre Granger, UMR 7304, responsable pour Aix-Marseille), Vincenzo De Risi (CNRS, SPHERE, UMR 7219), Baptiste Mélès (Archives H.-Poincaré, UMR 7117), Anne Michel-Pajus (IREM, Paris-Diderot), David Rabouin (CNRS, SPHERE, UMR 7219, responsable principal) & Claire Schwartz (Université Paris-Ouest, Nanterre). Le projet inclut également quatre chercheurs sous contrats (Sandra Bella, Mattia Brancato, Davide Crippa and Miguel Palomo) et trois doctorats financés (Morgan Houg, Vincent Leroux et Arilès Remaki).

13 On peut trouver un premier aperçu de nos travaux sur la version bêta du site  : http://mathesis.altervista.org/.

14 Pour plus de précisions, se référer à l’introduction qui en est faite en fin de volume.

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Pour citer cet article

Référence papier

Valérie Debuiche et David Rabouin, « Introduction »Philosophia Scientiæ, 25-2 | 2021, 5-20.

Référence électronique

Valérie Debuiche et David Rabouin, « Introduction »Philosophia Scientiæ [En ligne], 25-2 | 2021, mis en ligne le 12 juillet 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/philosophiascientiae/2903 ; DOI : https://doi.org/10.4000/philosophiascientiae.2903

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Auteurs

Valérie Debuiche

Centre Gilles-Gaston-Granger, UMR 7304 Aix-Marseille Université, Aix-en-Provence (France)

David Rabouin

Laboratoire SPHERE, UMR 7219, Université de Paris – CNRS, Paris (France)

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