Le kérygme de la charité à Vatican II
L'apport doctrinal du concile est si vaste que le peuple chrétien et les théologiens eux-mêmes risquent d'en laisser tomber une partie pour ne s'hypnotiser que sur quelques grands thèmes plus sensationnels. Le manque d'information de certains, l'animosité nourrie par d'autres, les abus d'interprétation qui consistent à présenter comme enseignement conciliaire des options toutes personnelles et souvent osées, tout cela peut mener à un manque d'attention pour des idées essentielles que le concile n'a cessé de répéter. Ces facteurs semblent jouer à propos d'un des thèmes conciliaires primordiaux : la charité. Tout se passe comme si les moralistes partisans d'une restructuration de la morale chrétienne autour du thème de l'agapè oubliaient eux-mêmes de mettre en vedette les richesses qui leur sont prodiguées. Certes, il faut les chercher un peu partout. Vatican II n'a pas écrit une constitution ou un décret sur la vie morale. Mais n'est-ce pas mieux ainsi, tout compte fait x ? La morale n'en paraît-elle pas mieux intégrée à
1 La Commission doctrinale préparatoire avait préparé un texte intitulé De ordine morali. Rédigé par les Pères Huerth, S.J., Gillon. O.P. et Lio, O.F.M., ce texte couvre ce qu'on appelle couramment une « morale fondamentale » et un traité du mariage. Sa discussion en sous-commission fut parfois orageuse et le Père Hâring, C.SS.R, pour ne citer que lui, y fit quelquefois figure d'accusé. Le De ordine morali fut vainement proposé à la discussion, à la fin de la première session, au moment de la débâcle de certains textes pré-conciliaires. Il ne refit plus surface et la mention de la morale ne fut même plus retenue, en janvier 1963, lorsque la nouvelle commission de coordination ramena à 21 les quelques 80 schémas rédigés auparavant. De 21, ce chiffre tomba à 13 : c'est encore le schéma XIII, le benjamin du concile, qui apporte au moraliste le plus d'éléments synthétiquement présentés. Entre-temps d'ailleurs, de nombreux textes avaient enfin rendu justice aux grâces et vertus théologales. Ce n'est pas le lieu de s'expliquer sur cette dernière expression, car Vatican II emploie fort peu le nom de « vertu » à propos de la foi, de l'espérance et de la charité. Conformément à l'usage paulinien, patristique et médiéval (première période), il les cite directement sans préciser leur statut. Au XIIe siècle Pierre Lombard préfère encore parler de « grâce » à propos de foi, espérance, charité. Ces dons ne lui paraissent mériter le nom de « vertu », selon l'usage qui commence à se répandre, que parce qu'ils donnent à la volonté humaine une force qui lui manquait : « Et illa gratia, virtus non incongrue nominatur, quia voluntatem hominis inf irmam sanat et adiuvat » (Libri I V Sententiarum, lib. 2, dist. 27, cap. 6) ; Cf. Ph. Delhaye, Rencontre de Dieu et de l'homme, I. Les vertus théologales en général, Paris, 1956, p. 107 ss.
