Revue des sciences religieuses 72 n° 4 (1998), p. 485-501
L'AFFIRMATION DE DIEU EN JÉSUS CHRIST
Voie négative et Christologie : du Nouveau Testament à Chalcédoine
Trouvant son expression classique dans l'œuvre du pseudo-Denys, la voie négative fait partie du bien commun de la théologie chrétienne dont des expressions se retrouvent dans toutes les traditions confessionnelles. A la lumière du développement dogmatique des premiers siècles, en considération des débats qui concernèrent surtout la divinité de Jésus et le lien trinitaire, il n'échappe à personne que la confession de foi de Chalcédoine interroge la théologie apophatique. Dieu connu, manifesté, en Jésus Christ demeure-t-il l'Inconnaissable, l'Ineffable ?
Si nombre d'auteurs de l'âge patristique et de la scolastique, que ce soit en Orient ou en Occident, n'hésitèrent pas à intégrer dans leur théologie la voie négative, ce ne fut assurément pas dans l'ignorance du fait que la confession de foi en Jésus vrai homme et vrai Dieu mettait en crise le concept de Dieu. La voie négative affirme que rien ne peut être dit de Dieu. Le christianisme peut-il parler ainsi alors qu'il se fonde sur le Verbe qui s'est fait chair, sur Dieu fait homme ? En liant Dieu avec le manifeste et le caché, l'Incarnation entame le discours sur la transcendance de Dieu. On sait la répulsion partagée par le judaïsme et l'islam pour toute idée d'une incarnation de Dieu, d'un mixte entre divinité et humanité (1). Or la théologie chrétienne a franchi le pas. Nous nous proposons donc d'éclairer la question de la voie apophatique en théologie chrétienne par le Nouveau Testament et le dogme de Chalcédoine.
(1) E. Lévinas écrit ainsi dans Difficile liberté, Paris, Albin Michel, 1974, p. 204 : « Le rapport entre l'homme et Dieu dans le judaïsme n'est pas une communion sentimentale dans l'amour d'un Dieu incarné, mais une relation entre esprits par l'intermédiaire d'un enseignement, par la Thora. C'est précisément une parole, non incarnée, de Dieu qui assure un Dieu vivant parmi nous. La confiance en un Dieu qui ne se manifeste par aucune autorité terrestre ne peut reposer que sur l'évidence intérieure et la valeur d'un enseignement. Elle n'a, pour l'honneur du judaïsme, rien d'aveugle. »
