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Cardiophénoménologie

Natalie Depraz et Thomas Desmidt
p. 47-83

Résumés

En croisant l’interprétation d’enregistrements cardiovasculaires avec le recueil de l’expérience émotionnelle, au lieu de chercher les oscillations cérébrales corrélatives des illusions perceptives, on remédie à la différence d’échelle qui hypothéquait la méthode des contraintes mutuelles de Varela. La cardiophénoménologie propose un modèle dynamique de la surprise associant les variations d’indices physiologiques à une analyse husserlienne des phases du vécu. Une expérimentation avec des patientes dépressives soumises à une tâche émotionnelle combinée à l’entretien d’explicitation semble devoir valider une hypothèse d’hyporéactivité de la dépression en réaction à la surprise.

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Texte intégral

1Élaborée à partir de protocoles expérimentaux centrés sur la perception motrice visuelle ainsi que la temporalité dynamique anticipatrice, et étayée sur la conceptualité husserlienne du présent vivant, l’hypothèse neurophénoménologique mise en place par Francisco Varela à la fin des années 1990 attend toujours sa mise à l’épreuve expérientielle.

2Dans le cadre de l’ANR EMCO, l’étude Emphiline propose, sous le titre : « cardiophénoménologie », la mise en œuvre opératoire d’une version élaborée de la neurophénoménologie appliquée à la surprise, en sa dynamique multivectorielle, tant expérientielle qu’expérimentale, et sous ses principaux aspects : corporel, émotionnel, attentionnel et réflexif. Nous montrons dans la contribution qui suit que la fécondité et la validité de l’hypothèse épistémologique des contraintes génératives mutuelles se révèlent au plan cardio-vasculaire de la dynamique émotionnelle du vécu, et que c’est sur ce plan qu’une conception intégrée de l’expérience assurera la conversion réciproque des données en première personne et des données en troisième personne.

3L’un des objectifs de l’étude Emphiline étant de déterminer les mécanismes psychopathologiques qui sous-tendent la réactivité émotionnelle dans la dépression, nous présentons ici les résultats préliminaires d’une application méthodique de la cardiophénoménologie à des sujets dépressifs participant à une tâche émotionnelle. Nous nous appuyons sur un modèle des émotions dérivé de la neurophénoménologie, le modèle de la dynamique temporelle de la surprise, au cœur du phénomène de l’émergence émotionnelle. Nous commencerons par rappeler les points clefs de ce modèle avant de présenter la méthode de la cardiophénoménologie et de discuter les résultats préliminaires de l’étude Emphiline.

1. La surprise

4À partir du modèle bayésien aujourd’hui en vogue dans le champ des neurosciences, la surprise est appréhendée à un niveau formel et computationnel, comme un « signal d’erreur de prédiction » sur fond de « codage » prédictif1 et semble une exemplification de la capacité plastique de notre cerveau à minimiser l’erreur, en vertu notamment de la génération spontanée de boucles d’autorégulation2.

  • 3 H. MALDINEY, Penser l’homme et la folie ; P. FONTAINE, « De la surprise esthétique. Pour une intent (...)
  • 4 E. LEVINAS, Le Temps et l’Autre ; N. DEPRAZ, « The Surprise of Non Sense »; « ‘Se laisser surprendr (...)

5Dans l’approche existentielle issue de la phénoménologie, la surprise est a contrario entendue comme une expérience radicale de transgression des repères de l’individu, l’épreuve de la « réalité » étant ce que par principe l’on n’attend jamais3. Au point de vue de l’expérience vécue, elle s’assimile à un vertige, voire à une catastrophe jamais appropriable par le sujet4.

6Ces deux conceptions paraissent à première vue incompatibles, dans la mesure où l’une trivialise la surprise comme effet des autorégulations cérébrales, tandis que l’autre la maximise, comme l’épreuve existentielle de l’individu confronté à l’impossible intégration du réel à son expérience.

1.1 Une expérience immédiate et quotidienne

7Dans cette contribution, nous avons choisi de faire droit à une entente de la surprise moins radicalement métaphysique que celle qui l’absorberait dans les concepts d’événement (Heidegger) ou d’étonnement (Platon, Aristote, Heidegger), une entente trop abyssale, celle-là, pour ne pas être exposée à l’arbitraire spéculatif et à l’absence de vérifiabilité expérientielle. Nous nous attachons plutôt à rendre compte des micro-surprises qui fourmillent dans notre vie quotidienne et sont, quant à elles, éminemment attestables : je rentre dans le café où je prends mon expresso tous les matins, et là, « Oh surprise ! », j’aperçois un ami très cher, que je n’ai pas vu depuis fort longtemps. Ou bien : tu descends les marches de l’escalier quatre à quatre, et voilà que : « Oups ! » Tu glisses et tombes brutalement sur les fesses. Pour autant, nous ne chercherons en aucune façon à « réduire », c’est-à-dire à minimiser ces surprises, ou à les recouvrir, parce que nous ne voyons pas dans ces micro-ruptures de notre vie relationnelle et corporelle des « erreurs » à corriger et à réinsérer dans la normalité homéostatique de nos boucles sensori-motrices et interactionnelles. L’existence de telles régulations spontanées n’est pas en cause : d’elles dépend la continuité sans lacunes de la vie pratique. Pour autant, il nous paraît plus fécond de considérer la qualité spécifique de la micro-rupture en jeu (déclic, décrochage, absence, prise de conscience), d’en rechercher les motifs préparatoires et les effets immédiats, par-delà les bases neurales de son efficacité régulatrice.

  • 5 Ch. S. PEIRCE, « Experience is learning us through surprises », p. 295.
  • 6 D. DENNETT : « Surprise is a wonderful dependent variable, and should be used more often in experim (...)
  • 7 Cf. quelques exemples représentatifs recueillis au cours d’entretiens d’explicitation, dans le cadr (...)

8À ce compte, si l’on se focalise sur la configuration de la surprise en son format micro-expérientiel quotidien, on observe une intéressante coïncidence entre les approches en première et en troisième personne : tandis que Ch. S. Peirce, dès 19035, définit l’expérience, source d’enseignement, comme un enchaînement continu de surprises, D. Dennett se réjouit de la facilité qu’il y a à mesurer la surprise et encourage les chercheurs à l’inclure davantage dans leurs expérimentations.6 Du caractère direct de l’attestation de la surprise le langage détient, avec les exclamations, interjections et interrogations, des marqueurs indépendants de ses formes lexicales et d’occurrences plus précoces qu’elles dans le discours.7

1.2 Les trois composantes de la surprise (cognitive, temporelle, émotionnelle)

9De là, on peut aisément distinguer trois composantes structurelles de la surprise : sur leur existence, les approches philosophiques (phénoménologie, empirisme classique, philosophie de l’esprit) s’accordent avec celles des sciences (psychologie, expérimentale ou cognitive). La scansion ci-dessous de la dynamique structurelle de la surprise en retire une validité d’autant plus robuste qu’elle ne dépend pas d’une approche particulière.

  • 8 E. HUSSERL, Expérience et Jugement, § 21.
  • 9 D. DAVIDSON, “Rational animals”.
  • 10 N. DEPRAZ, « Experiential phenomenology of novelty : the antinomy of vigilance-attention and surpri (...)

101. La composante cognitive prend la forme d’une rupture plus ou moins forte au sein d’un processus. E. Husserl la décrit comme une interruption de l’activité perceptive, dont le cours se déploie sur un horizon d’attentes implicites, lesquelles sont « déçues », ou non-satisfaites, par la rencontre d’un contraste entre les propriétés attendues de l’objet et les propriétés actuellement perçues : je vois une boule de billard rouge et lisse et je m’attends à ce qu’elle soit également rouge et lisse sur sa face arrière ; au lieu de cela, je découvre, lorsqu’elle tourne, qu’elle est verte et bosselée. Cela génère, dit Husserl, une « conscience d’altérité » de niveau à la fois préconscient et infraverbal8 ; D. Davidson, de son côté, sans lien direct avec le phénoménologue, identifie le moment de la surprise avec un changement, voire un bouleversement (Dennett), de mes croyances antérieures, lequel peut prendre la forme d’une frustration et se matérialiser par une divergence, ou un écart par rapport à la routine de mes attentes habituelles9. Qu’il s’agisse de déroulement perceptif, de sédimentation des croyances, ou d’activité attentionnelle explicite10, la surprise implique généralement une rupture plus ou moins franche.

  • 11 Ch. S. PIERCE, op. cit.
  • 12 E. HUSSERL, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps ; De la synthèse passiv (...)
  • 13 P. RICŒUR, Philosophie de la volonté. I. Le volontaire et l’involontaire, p. 239.
  • 14 N. DEPRAZ, « ‘Se laisser surprendre’ avec Levinas : le ‘Dire’ traumatique de la surprise ».

112. La composante temporelle de la surprise suit une dynamique en trois micro-phases : (1) attente-protention-anticipation implicite ; (2) crise-impression ; (3) retombée-rétention-rémanence. Car, en effet, la surprise n’est pas réductible à un choc instantané, mais se manifeste dans cette discursivité temporelle même. Ch. S. Peirce y voit un processus qui se génère tout seul, procédant de l’action immanente de l’expérience entendue comme une succession de surprises qui s’enchaînent11 ; Husserl, partant du flux continu des impressions qui se recouvrent en rétentions et ouvrent sur des protentions, situe la surprise dans ces multiples micro-moments conflictuels de résistances ou d’ouverture préconscientes du sujet affecté, aux prises avec des vécus implicites de malaise ou de satisfaction12 ; Ricœur voit, de son côté, dans la surprise un mouvement conjoint du corps qui tressaille et du trajet de reflux du tressaillement du corps sur la pensée 13. Loin d’être un choc instantané, la surprise se donne comme un processus circulaire et tuilé, ce qui conduit Depraz à en ressaisir le rythme temporel antinomique sous l’expression empruntée au poète René Char : « l’éclair me dure »14.

  • 15 A. SMITH, “Of the effect of unexpectedness or of surprise”, p. 5-10.
  • 16 A. ORTONY et al., The cognitive structure of emotions.
  • 17 R. REISENZEIN et al., « Reactions to surprising events: A paradigm for emotion research ».
  • 18 N. DEPRAZ, « Surprise, Valence, Emotion. The multivectorial integrative cardio-phenomenology of sur (...)

123. La composante émotionnelle apparaît en régime d’association avec des émotions-états définies par leur valence, par exemple joie/tristesse, dégoût / plaisir. Nous faisons l’hypothèse que la surprise n’est pas en soi une émotion, au sens du moins des états émotionnels polarisés, mais possède une structure duale, constituée d’une ouverture interne sans valence déterminée et d’un effet émotionnel immédiat polarisé. Ainsi, A. Smith propose très tôt de définir la surprise comme un changement en forme de décalage lié à la nouveauté d’un élément au sein d’une situation en elle-même familière, et montre comment s’y associent spontanément des émotions à la valence contrastée : il parle de « Surprise of Joy, of Grief »15. De même, A. Ortony16 et R. Reisenzein17 considèrent que la surprise ne se caractérise pas structurellement par sa valence émotionnelle18.

2. Le modèle de la dynamique temporelle de l’émergence émotionnelle

  • 19 T. DESMIDT et al., « The Temporal Dynamic of Emotional Emergence ».

13Dans un article récent19, nous avons formulé le cadre théorique pour un modèle des émotions inspiré de la neuro-phénoménologie. Nous y avons proposé des arguments en 1re et 3e personne, en une approche intégrée visant à rendre compte de la dynamique temporelle des émotions. Le phénomène de la surprise y prend une place centrale, dans la mesure elle est comprise non pas comme une émotion primaire, vive et brève, en réaction à un stimulus saillant inattendu, mais comme une expérience globale qui se déploie selon une certaine temporalité en trois phases.

2.1 Les trois phases de la dynamique temporelle de l’émergence émotionnelle

  • 20 N. DEPRAZ, « The Rainbow of Emotions: At the Crossroads of Neurobiology and Phenomenology ».

14Ces trois phases : l’anticipation, la crise et le contrecoup, ont été décrites par Depraz20 à la suite des travaux de Varela et de Husserl. L’anticipation correspond à la fois à la présence du futur et à cette ouverture vers l’anticipé qu’est une attente animée d’une certaine tension (Spannung). L’anticipation est une structure de la surprise, puisqu’une surprise émerge lorsqu’il existe une différence entre ce qui survient et ce qui avait été anticipé. Même lorsqu’il se produit en apparence une surprise « sans anticipation », la surprise, en réalité, émerge là encore dans la dynamique de l’anticipation, une anticipation non plus consciente ou explicite, mais implicite et qui correspond au processus de la protention décrit par Husserl. Par exemple, lorsque je me promène dans la rue, il se peut que j’anticipe implicitement « qu’il se produise la même chose que ce qui ce qui se produit actuellement et depuis quelques minutes » et c’est bien de la différence entre cette anticipation implicite (cette protention) et la survenue d’un ami qui arrive par-derrière en criant « Surprise ! », qu’émerge la surprise.

  • 21 E. HUSSERL, Expérience et jugement.

15La crise survient à la perception d’un événement saillant et renvoie au phénomène de la rupture, décrit par Husserl 21 et par Peirce, qui ont bien vu la discontinuité créée par là dans le continuum de l’expérience. La crise est donc le moment de la surprise pendant lequel on est affecté sans être encore pleinement conscient de l’émotion ressentie. La crise est aussi la phase de la réaction émotionnelle la plus vive avec un éveil émotionnel et une réaction corporelle marqués.

  • 22 En appliquant sa phénoménologie génétique à l’expérience perceptuelle, Husserl reconsidère en terme (...)
  • 23 J. BROSSCHOT et al., « The Perseverative Cognition Hypothesis: A Review of Worry, Prolonged Stress- (...)

16Le contrecoup correspond à la dynamique affective de la « résonance »22 des effets de l’événement saillant alors que celui-ci a disparu ou qu’on s’y est habitué et qu’on l’a encore présent à l’esprit sur un mode obsessionnel ou diffus. Le contrecoup renvoie à la notion, en sciences cognitives, des « cognitions persévérantes » (perseverative cognitions) qui correspondent à des ruminations à la suite d’un événement stressant. Les cognitions persévérantes augmenteraient le risque de survenue de troubles liés au stress, notamment les maladies cardiovasculaires23. La durée de la phase de contrecoup peut-être plus ou moins longue et dépend notamment de l’intensité de la crise. Dans la mesure où le contrecoup s’inscrit dans la dynamique temporelle circulaire de l’émergence émotionnelle, il peut conduire directement à une nouvelle anticipation.

  • 24 Une description plus approfondie est donnée en : N. DEPRAZ, Lucidité du corps : De l’empirisme tran (...)

17Depraz applique également à la catégorisation des émotions le critère temporel des trois phases (à trois niveaux : préconscient, conscient et intersubjectif24) de sorte qu’en référence à un événement saillant, il est possible de distinguer trois types d’émotions selon la phase temporelle de la dynamique (tableau 1). Par exemple, l’anticipation, la crise et le contrecoup d’une menace peuvent être identifiés comme de l’anxiété, de la peur et des ruminations, respectivement. Alternativement, l’anticipation, la crise et le contrecoup d’un événement plaisant peuvent être identifiés comme un vécu d’empressement, de joie et d’euphorie, respectivement. Ou encore, à un niveau préconscient, l’anticipation implicite, la crise et le contrecoup de la dégustation d’un plat suspect peuvent être identifiés par une sensation de malaise, qui se traduit par un dégoût à la vue du plat et qui perdure sous la forme d’un mal au cœur persistant ; à un niveau intersubjectif, l’anticipation implicite, la crise et le contrecoup d’un conflit avec autrui peuvent se traduire par un bouillonnement intérieur d’irritation en écoutant un ami avec qui je ne suis pas d’accord, jusqu’à laisser exploser ma colère et enregistrer dans l’après-coup la tension durable de l’énervement ; ou bien encore, lorsque l’expérience émotionnelle est d’une valence plus ambiguë, la dynamique temporelle peut se traduire par exemple par un mélange de crainte et d’espoir dans l’expectative d’une rencontre décisive, qui s’avère être à la fois importante et douloureuse et qui me laisse dans l’après-coup un goût doux-amer de déception et d’interrogation.

18Enfin, nous suggérons que cette dynamique temporelle ne structure pas uniquement les émotions intenses, mais qu’elle structure le contenu émotionnel du temps vécu en général. En effet, chaque événement saillant est comme le moment focal plus ou moins intense à partir duquel la dynamique des trois phases se déploie ; de telle façon qu’à chaque instant l’expérience est articulée en plusieurs phases parallèles d’anticipation/crise/contrecoup, plus ou moins conscientes. Même lorsqu’il ne semble pas y avoir de fluctuation émotionnelle, comme à l’occasion d’une activité répétitive et parfois ennuyeuse, l’expérience se produit toujours dans un contexte particulier et selon la dynamique temporelle de l’anticipation / crise / contrecoup. Ainsi, lorsqu’on examine une journée-type débutant par la crise de la sonnerie du réveille-matin, on pourra dire que cette crise dépend de la façon dont s’est déroulée la nuit (si le sommeil a ou n’a pas été reposant) et de la façon dont elle a été anticipée (de façon anxieuse ou sereine), puisque le réveil a été anticipé dans une certaine mesure la veille, au moment où la sonnerie a été programmée. Les crises de la toilette, de l’habillage, du petit-déjeuner, etc. viennent ensuite et sont plus ou moins influencées par le contrecoup du réveil et par l’anticipation de la journée à venir. Puis vient la crise du trajet vers le bureau qui peut être, ou ne pas être agréable, selon le contrecoup des activités matinales et l’anticipation de la journée de travail à venir. Pendant la période de travail, des crises peuvent survenir, comme une réunion importante, et elles surviennent toujours dans une série de contrecoups/anticipations plus ou moins agréables, qui déterminent l’intensité de la crise. Enfin, la crise du retour à la maison arrive, toujours modulée par des contrecoups et anticipations, pour terminer avec les séries de crises du soir (qui peuvent être particulièrement agréables si le conjoint a préparé un dîner romantique surprise, par exemple !) et le moment du coucher avec l’anticipation du réveil du matin suivant.

Tableau 1 : Les 3 phases de la dynamique émotionnelle vécue avec 5 exemples d’expériences émotionnelles (valence positive, valence négative, vécu préconscient, vécu intersubjectif, valence ambiguë) et les émotions correspondantes distinguées selon les phases. SE=stimulus émotionnel.

2.2 Système cardiovasculaire et dynamique temporelle de l’expérience émotionnelle

  • 25 T. DESMIDT et al., op. cit.
  • 26 J. F. THAYER et R. D. LANE, « Claude Bernard and the Heart-Brain Connection: Further Elaboration of (...)
  • 27 A. D. CRAIG, « How Do You Feel—Now ? The Anterior Insula and Human Awareness ».
  • 28 A. D. CRAIG, « Emotional Moments across Time: A Possible Neural Basis for Time Perception in the An (...)
  • 29 N. DEPRAZ, http://www.umr8547.ens.fr/spip.php?rubrique50.

19Le modèle théorique que nous avons décrit en détail précédemment25 comprend non seulement une dynamique temporelle en trois phases mais aussi trois niveaux de processus en interaction cogénérative réciproque, le niveau de la physiologie cérébrale, celui de la physiologie du corps (en particulier du système cardiovasculaire) et celui de la dynamique interactionnelle avec le contexte (cf. tableau 2). Plusieurs modèles des émotions ont décrit les interactions de la physiologie cardiovasculaire et de la physiologie cérébrale dans les processus émotionnels. Le modèle d’intégration neuro-viscérale soutient, en particulier, que la physiologie cardiaque est le reflet intégré de l’interaction cerveau/contexte26. Le modèle des moments émotionnels globaux insiste sur les afférences cérébrales de la physiologie cardiovasculaire, en tant que premier moment des intégrations successives de la dynamique qui mène à une émotion27. En outre, ce modèle suggère que la physiologie cardiovasculaire servirait d’index temporel pour la temporalité vécue28, mais les données d’évidence manquent et certaines études, dont le projet Emphiline29, pourraient révéler l’existence de corrélations encore inaperçues entre la phénoménologie du temps vécu et les marqueurs de la physiologie cardiovasculaire.

  • 30 Pour une description plus approfondie cf. T. DESMIDT et al., op. cit.

20Plusieurs études ont caractérisé la physiologie cardiovasculaire dans l’une ou l’autre des phases de la dynamique émotionnelle, que ce soit lors de l’anticipation, dans la crise ou le contrecoup d’un événement émotionnel (quoique aucune, à notre connaissance, n’ait évalué la physiologie cardiovasculaire dans l’ensemble de ces trois phases en un même protocole). En résumé30, il est possible d’identifier des patterns de modifications de la fréquence cardiaque (ou de la variabilité de la fréquence cardiaque, en tant que marqueur de l’activité du système nerveux autonome) qui se caractérisent par des alternances de décélérations / accélérations, les décélérations étant supposées caractériser des phases d’activités cognitives marquées, en particulier des activités de type attentionnel, et les accélérations des phases de vécus émotionnels plus intenses. Ainsi, dans les phases d’anticipation induites par un stimulus indice de la survenue prochaine d’un stimulus émotionnel, on observe une brève décélération cardiaque modérée initiale, puis une brève accélération cardiaque modérée (supposée correspondre à l’attention portée au stimulus indice, puis à la réaction émotionnelle modérée associée à ce stimulus), suivies d’une décélération cardiaque plus marquée et qui dure jusqu’à l’apparition du stimulus émotionnel (et qui correspondrait donc à une attitude d’attention au stimulus à venir). Les réactions de crise à la présentation d’un stimulus émotionnel sont généralement caractérisées par une accélération cardiaque franche (parfois une accélération de 20 ou 30 battements / minute), suivie d’une fluctuation des variations de la fréquence cardiaque, qui se poursuivent dans le contrecoup, sans que les vécus associés à ces fluctuations physiologiques aient été véritablement étudiés. L’intensité de la variabilité de la fréquence cardiaque pendant la période du contrecoup serait, cependant, moins importante lorsque le vécu émotionnel est plus marqué.

Tableau 2 : Configurations des trois systèmes (cerveau, contexte, corps et cœur en tant que place focale dans le corps pendant une émotion) impliqués dans l’émergence émotionnelle selon chacune des trois phases de la dynamique temporelle (anticipation, crise et contrecoup) FC=Fréquence Cardiaque.

3. De la neurophénoménologie à la cardiophénoménologie

21De caractère fortement intégratif, notre modèle associe la dimension cardio-vasculaire (3e personne) et la composante émotionnelle (1re personne), comme les deux versants de part et d’autre d’une ligne de crête, qui est celle de leur expérience préconsciente : c’est dans cette optique que nous baptisons notre approche « cardiophénoménologie ». Ce néologisme est directement inspiré par l’approche conçue par F. Varela sous le titre de « neuro-phénoménologie » et cherche moins à s’y opposer qu’à la prolonger en lui apportant à la fois une extension (« cardiaque-affective ») et une opérativité expérientielle plus précise.

22On peut définir trois types de pré-conditions de la cardiophéno-ménologie : 1. expérientielle, 2. épistémologique, et 3. méthodologique.

3.1 Pré-condition expérientielle

  • Tu sens ton cœur battre, tu ne sentiras jamais tes neurones s’activer !

23Il y a une évidence spontanée, immédiate et directe, en première personne, de la sensation de mon cœur : je sens mon pouls, mon cœur battre dans ma poitrine, dans mes tempes lorsque j’ai une migraine, je sens son rythme accélérer lorsque je suis anxieuse ou juste après un jogging, diminuer lorsque je médite ; le rythme de mon cœur s’emballe lorsque j’ai bu trop de café ou lorsque je tombe amoureuse, à l’attente d’un entretien d’embauche ou avant de prendre la parole en public pour une conférence ; il se régule spontanément à l’approche du sommeil et redescend lorsque je suis concentrée, comme c’est le cas en ce moment, dans la rédaction d’un article, ou bien absorbée dans la lecture d’un roman captivant, etc.

  • 31 À propos de la notion de conscience corporelle « diffusive », cf. N. DEPRAZ, Lucidité du corps : De (...)

24Ces expériences sont typiquement préconscientes : elles ont lieu en moi sans moi, mais je puis y avoir accès en y prêtant attention, voire avec un minimum d’exercice ou d’éducation. Elles affleurent à la conscience immédiate sans guère d’effort, et je peux même en avoir une conscience diffusive31 à la limite de la sensation et du ressenti, comme lorsque je sens légèrement monter mon rythme cardiaque à la pensée fugace de la venue prochaine d’un ami cher, ou bien au souvenir furtif d’un rêve de la nuit dernière particulièrement torride.

3.2 Pré-condition épistémologique

  • Hypothèse : le système-cœur est plus intégratif que le seul système-cerveau. Le rythme cardiaque/émotionnel est un fil solide qui permet de coudre ensemble les deux pièces du vêtement humain que sont le cerveau et la conscience.

  • 32 F. VARELA, Autonomie et connaissance.

25Un premier pas a été réalisé par F. Varela32, avec l’introduction du corps (Leib / Körper) et de l’environnement comme dimensions liées, à la fois vécues et mesurables, en lien avec le couplage autopoïétique du vivant et de son monde environnant en son mouvement enactif (coping/behavior). Le pas que nous faisons à présent consiste à faire émerger la dimension du cœur du sein du corps, comme le « corps du corps », et à situer la dimension de l’émotionnel à l’articulation du cerveau et du cœur.

26De ce point de vue, la considération du système-cœur apporte une suture expérientielle entre science cognitive et données phénoménologiques, avec laquelle nous pensons qu’il serait possible de refermer le fossé explicatif (explanatory gap) dont on a déploré la persistance entre elles. Cette proposition prend appui sur :

  1. un argument embryogénétique : l’auto-organisation du cœur pendant les premières semaines de la vie de l’embryon prend la forme de contractions spontanées indépendantes du cerveau.

  2. une indication linguistique : le parallèle entre le couple Herz/Gemüt pour le cœur et le couple Körper/Leib pour le corps, suggère l’existence d’une unité biface à la charnière de l’organique et du vécu.

  3. un argument phénoménologique : le cœur, comme centre de la personne, aussi bien au plan du vécu affectif qu’au plan physiologique cardiaque, est foyer d’interaction entre première et troisième personnes.

    • 33 Cf. N. DEPRAZ, “The Rainbow of Emotions: At the Crossroads of Neurobiology and Phenomenology” et «  (...)

    une composante structurelle : le rythme cardiaque obéit à une dynamique circulatoire à plusieurs niveaux, faite (1) de l’organicité cyclique de la pulsation cardiaque, (2) des micro-fluctuations émotionnelles, (3) de la pendularité du rythme respiratoire, (4) de la conductance cutanée et (5) de la pulsatilité cérébrale.33

3.3 Pré-condition méthodologique

27L’épistémologie intégrative que propose la cardio-phénoménologie repose aussi sur une méthodologie qui fait un pas en avant par rapport à la méthode de la neurophénoménologie où elle trouve sa source.

28L’hypothèse de la neurophénoménologie34 met en place, avec une visée heuristique, certaines contraintes génératives mutuelles entre les vécus de l’expérience subjective dans leur enchaînement temporel et la neurodynamique subpersonnelle articulée en phases35, ceci dans le cadre d’expériences de perception visuelle motrice et de temporalité anticipatrice36. Or, un obstacle méthodologique et ontologique à la réalisation concrète de cette hypothèse tient à la différence d’échelle irréductible entre des catégories philosophiques, a priori transtemporelles (le « présent vivant » articulé en protention / impression et rétention), et une neurodynamique subpersonnelle mesurée en millisecondes, limite chronologique des marqueurs cérébraux. L’expérience subjective invoquée par la philosophie phénoménologique demeurant structurelle (non-spécifiée, non-singulière), on a affaire, en réalité, à une approche de troisième personne à troisième personne !

  • 37 N. DEPRAZ, « Surprise,Valence, Emotion. The multivectorial integrative cardio-phenomenology of surp (...)

29L’hypothèse de la cardiophénoménologie37 procède directement de cette difficulté méthodologique et ontologique, et s’attache à mettre en œuvre des contraintes génératives mutuelles reliant deux segments d’une seule et même expérience préconsciente, dont la continuité et l’unité reposent sur le fait que la corporéité est autant organique (cardiaque) que vécue (émotionnelle). On dispose en effet d’outils appropriés pour approcher le préconscient : 1) des mesures physiologiques et cardiaques, des marqueurs périphériques, et même des marqueurs de la pulsatilité cérébrale ; 2) des entretiens d’explicitation : d’où une approche croisée de troisième vers première personne à première vers troisième personne !

30Sur la base de cette hypothèse méthodique affinée, notre objectif est une mise à l’épreuve expérimentale : il s’agit d’établir que la synchronie du cœur organique et du cœur vécu lors d’une expérience corporelle et émotionnelle de sursaut/surprise se réalise en une commune échelle de temps de l’ordre de la seconde à la demi-seconde.

4. Une application du modèle cardio-phénoménologique à la physiologie et psychopathologie de la dépression

4.1 Rationnel du projet Emphiline

  • 38 L. BYLSMA et al., “A Meta-Analysis of Emotional Reactivity in Major Depressive Disorder”.

31La dépression est une maladie fréquente et sévère. Son diagnostic repose sur des critères cliniques comme une tristesse profonde et invalidante, une perte de plaisir, des troubles du sommeil, de l’appétit, des idées suicidaires, des troubles de la concentration… Les critères des nosographies diagnostiques internationales, comme le DSM ou la CIM, sont ainsi largement utilisés à travers le monde, mais ils ont leurs limites, notamment en pratique clinique. En particulier, ils regroupent au sein d’une même catégorie nosographique, comme la dépression majeure, des tableaux cliniques très hétérogènes et il est ainsi théoriquement possible de rencontrer plus de 200 formes de dépression selon la manière dont on combine les critères symptomatiques. De nombreux auteurs cherchent désormais à dépasser ces critères pour caractériser plus précisément certains aspects des troubles psychiatriques. Par exemple, il existe une littérature importante concernant le trouble émotionnel typique de la dépression38. Néanmoins, le trouble émotionnel de la dépression reste mal caractérisé et ne fait pas consensus : s’agit-il d’une tendance à l’hyporéactivité aux stimuli positifs et une hyperréactivité au stimulus négatif, d’une hyporéactivité globale, ou bien encore d’autre chose ? Le projet Emphiline cherche notamment à caractériser la réactivité émotionnelle dans la dépression, et nous avons formulé l’hypothèse d’un trouble de la surprise dans la dépression, tel que la temporalité de l’émergence émotionnelle est altérée, notamment dans la phase d’anticipation, mais aussi peut-être lors de la crise et du contrecoup. Une nouvelle méthode cogénérative, en 1re/3e personne, a été mise en œuvre, qui associe des entretiens d’explicitation avec des mesures de paramètres psychophysiologiques. Nous proposons ici d’en détailler la méthodologie et de montrer des résultats préliminaires sur deux patientes.

4.2 Méthode de l’évaluation psychophysiologique39

  • 39 Pour une description exhaustive de la méthode cf. Emphiline – ClinicalTrials.gov 2014.

32Soixante quinze sujets femmes âgées de 18 à 55 ans auront été recrutées au terme du projet au CHU de Tours. Elles sont réparties en trois groupes selon qu’elles manifestent au moment de l’inclusion un épisode dépressif (groupe dépressif), qu’elles n’ont aucun antécédent de dépression (groupe témoin) ou qu’elles ont au moins un antécédent de dépression, actuellement en rémission symptomatique (groupe rémission). Une évaluation clinique complète et psychométrique est réalisée pour caractériser, notamment, l’intensité de la dépression (échelle MADRS), le niveau d’anxiété (échelle STAI), l’autoévaluation du vécu de plaisir/déplaisir (échelle plaisir/déplaisir), ainsi que de l’anhédonie consommatoire et anticipatoire (échelle TEPS).

33Une tâche émotionnelle de type S1-S2 a été choisie pour faciliter l’indentification des phases de l’anticipation, de la crise et du contrecoup. Le protocole consiste à soumettre au sujet, confortablement installé face à un écran, des images émotionnelles (stimulus 2 – S2) de valence positive (érotique, n=10), négative (mutilations, n=10) ou neutre (objets domestiques, n=10) présentées pendant 6 secondes (phase de crise) et annoncées 6 secondes plus tôt par le stimulus S1, à savoir la catégorie de l’image à venir (« érotique », « mutilation », « objet »). La phase des 6 secondes entre le S1 et le S2 renvoie ainsi à une phase d’anticipation émotionnelle, les 6 secondes de présentation du S2 à une phase de crise émotionnelle et les 30 à 40 secondes qui suivent la disparition du S2 à une phase de contrecoup émotionnel. Il est également demandé au sujet d’évaluer l’intensité émotionnelle ressentie à la visualisation du S2, sur une échelle de 1 à 9. Les sujets sont également soumis à un protocole de sursaut, le S1 correspond alors au mot « sursaut » et le S2 à un bruit blanc de 100db.

34Cinq types de signaux physiologiques sont enregistrés de manière continue pendant la tâche émotionnelle : la fréquence cardiaque (FC), la fréquence respiratoire (FR), la conductance cutanée (CC – reflet de l’activation du système nerveux autonome), l’activité électromyographique du muscle orbitofrontal et la pulsatilité cérébrale par ultrasons (reflet de la réactivité cérébrovasculaire). Nous cherchons ainsi à montrer que les amplitudes des signaux physiologiques sont moins grandes chez les sujets dépressifs comparés aux sujets témoins et en rémission, aux trois phases de la surprise. Nous cherchons également à associer de façon cogénérative ces données physiologiques avec les données issues des entretiens d’explicitation réalisés immédiatement après la fin de la tâche émotionnelle.

4.3 Méthode de l’entretien d’explicitation

  • 40 P. VERMERSCH, L’entretien d’explicitation.

35L’entretien d’explicitation (EDE), fondé par P. Vermersch40, vise à recueillir le vécu séquentiel d’un moment spécifié de l’expérience d’un sujet singulier en proposant à ce dernier d’évoquer à nouveau ce moment tout juste passé ou issu d’un passé lointain – c’est selon –, en se replaçant au cœur de la situation vécue. Par le biais d’un questionnement non-inductif procédant par questions ouvertes en mode « comment ? » plutôt que « que ? » ou a fortiori « pourquoi ? », l’interviewer guide la personne dans le déroulement micro-temporel de ce moment et l’amène à porter son attention sur des dimensions pré-réfléchies de ce moment, synchroniques ou diachroniques, successives ou en recouvrement partiel : sensations corporelles kinesthésiques, proprioceptives, musculaires ou toniques, émotions fortes, états durables ou fluctuations diffuses, images internes, flashs ou associations liées à des souvenirs, personnels ou relationnels, etc.

36L’entretien mené ici à la suite de la tâche émotionnelle dure entre 20 et 30 minutes et débute avec la consigne suivante : « sur la série de 36 images et de 3 sons que vous venez de voir et d’entendre, je vous propose, si vous êtes d’accord, de faire le choix d’un événement sonore ou visuel qui vous a particulièrement marquée ». Il s’agit avec cette consigne ouverte de ne pas imposer une image ou un son au sujet, mais de lui permettre de déterminer lui-même l’objet de l’expérience sur laquelle on va revenir, dans l’hypothèse que si l’image ou le son ont été marquants, ils seront plus frais à son revécu immédiat, plus immédiatement mobilisables. De plus, la consigne ne mentionne pas le terme « surprise » ni de terme impliquant l’émotion, de façon à laisser émerger ces dimensions de l’expérience sans prédétermination.

37Un sous-groupe de 15 sujets de chaque groupe de 25 (D, T et R) est prévu pour les entretiens, au fur et à mesure des inclusions. À ce stade, une quarantaine d’entretiens ont été réalisés, dont les 15 du groupe D. Le choix majoritaire des sujets s’est porté sur la catégorie des images (près d’une trentaine) et, parmi les images, sur les mutilations (seulement une image d’objet et une image érotique ont été retenues).

  • 41 Cette méthode d’analyse a été construite au fur et à mesure de l’exploration des entretiens menés e (...)

38À partir de la transcription des entretiens, qui donne accès au verbatim, une méthodologie d’analyse en onze étapes a été élaborée, dont on peut distinguer quatre grandes phases. La phase n° 1 « Pré-analyse » comprend trois premières étapes à partir de la transcription de l’entretien : 1. Verbatim ; 2. Commentaire sur le coup et au fil de la transcription ; 3. Découplage du vécu par rapport aux « informations satellites » (contexte, jugements, commentaires, généralisations théoriques) ; 4. Restitution du vécu décrit seul ; une phase n° 2, assez délicate, s’attache à réorganiser la temporalité de l’expérience en micro-phases depuis le temps initial de l’entretien ; 5. Déroulé des phases du temps de l’explicitation ; 6. Phases du temps réel de l’expérience par réorganisation temporelle/temps de l’entretien ; 6'. Temps réel de l’expérience. De la finesse de cette réorganisation temporelle dépend la précision des micro-séquences temporelles, le dégagement de moments synchrones ou quasi-synchrones, de chevauchements partiels et d’empiètements ; la phase n° 3, met en place l’analyse proprement dite par critères génératifs (7) et produit un schéma dynamique multifactoriel de l’expérience (8) : cinq critères-socle ont été proposés a priori, reflétant la structure générique a priori de l’expérience : 1. Temps, 2. Langage, 3. Corps, 4. Emotion, 5. Cognition, et 4 autres critères ont été « découverts » à mesure de l’analyse des entretiens : 6. Éthique, 7. Imagination, 8. Intersubjectivité, 9. Ressenti global = conscience, enrichissant ainsi d’une dimension générative le modèle initial. La phase n° 4, enfin, construit un modèle réduit des trois phases de l’expérience, 9. Phase-Crise (2-2’), 10. Phase-Anticipation (1), 11. Phase-Contrecoup (2) qui permet de faire émerger les micro-séquences propres à chaque phase, leur recouvrement et leur feuilletage multicritère (sensations, émotions, images, associations).41

5. Résultats préliminaires sur deux patientes : croisement cogénératif des approches en première et troisième personne

39La fin des inclusions de l’étude Emphiline est prévue pour mi-2015 et les résultats présentés ici ont fait l’objet d’une analyse préliminaire sur deux patientes dépressives, qui ont choisi toutes les deux la même image émotionnelle lors de l’entretien d’explicitation, mais qui présentent des profils distincts de symptômes dépressifs. Ces résultats préliminaires demandent donc à être confirmés par l’analyse finale de l’étude Emphiline.

5.1 Données en troisième personne

40Les données des échelles psychométriques des deux patientes sont présentées en annexe I. Selon ces données, la patiente D-05 souffrirait d’une dépression modérée (MADRS=29/60) avec des symptômes anxieux marqués (STAI=62/80), un ralentissement psychomoteur modéré (ERD=16/56), une anhédonie modérée et une hyperréactivité franche au stimulus négatif (score au déplaisir à 1.9/9 à l’échelle Plaisir/Déplaisir). La patiente D-07 manifesterait une dépression légèrement plus sévère (MADRS=35/60), des symptômes anxieux tout aussi marqués (STAI=73/80), un ralentissement modéré (ERD=18/56) et surtout une franche tendance à l’anhédonie et à l’hyporéactivité au plaisir (score au plaisir à 5.6/9 à l’échelle Plaisir / Déplaisir).

41L’enregistrement des signaux physiologiques a été réalisé avec le matériel Powerlab ADInstrument qui permet un enregistrement très précis des signaux physiologiques avec une résolution spatiotemporelle et une synchronisation parfaite avec la temporalité de présentation des stimuli visuels. L’analyse des signaux physiologiques a consisté à recueillir les courbes des signaux (cf. Annexe 2a et 2b) de la fréquence cardiaque, de la fréquence respiratoire et de la conductance cutanée pour en examiner empiriquement les variations. Nous avons ainsi recueilli les données des variations des courbes (accélération ou décélération) ainsi que la durée et le niveau d’amplitude de ces décélérations (en battements par minute pour la fréquence cardiaque et pour la fréquence respiratoire, et en microS pour la conductance cutanée). L’ensemble a été retranscrit sous la forme d’un tableau dont les cases sont remplies avec les informations des variations des signaux (accélération / décélération et amplitude de variation) et dont la longueur renvoie à la durée de la variation observée. Pour ces résultats préliminaires, seules les phases de crise et d’anticipation ont été analysées, dans la mesure où les descriptions en 1re personne du vécu de la phase d’anticipation étaient faiblement détaillées chez nos deux patientes.

42Les résultats pour la phase-crise de la patiente D-05 indiquent une décélération cardiaque initiale faible et brève de moins d’une seconde, suivie d’une accélération cardiaque de 10 BPM environ pendant 2 secondes, puis d’une courte décélération cardiaque de 5 BPM en moins de 2 secondes et le début d’une forte accélération cardiaque. Le signal de la conductance cutanée indique une diminution de la conductance cutanée pendant les 3 premières secondes de la crise (0 à -2), puis une augmentation marquée de la conductance cutanée pendant les 3 secondes suivantes (-2 à +2). Les signaux de fréquence respiratoire indiquent une faible variation de celle-ci autour de 15/min. Dans le contrecoup, la fréquence cardiaque continue d’augmenter fortement pendant 7 secondes encore et jusqu’à 105 BPM, puis on observe pendant 15 secondes environ une tendance à la décélération modérée (de 105 à 100 BPM). La conductance cutanée varie ensuite à intervalles réguliers de façon relativement importante (entre -2 et 4) pendant les 20 secondes du contrecoup. La fréquence respiratoire s’accélère également par à-coups et par pics amples (jusqu’à 60/min) dans les 20 secondes du contrecoup.

43Les résultats pour la phase-crise de la patiente D-07 indiquent une accélération cardiaque initiale de 3 secondes (95 à 105 BPM), puis une décélération cardiaque de 3 secondes (105 à 95 BPM). La conductance cutanée affiche de très faibles variations et diminue régulièrement pendant les 6 secondes de la crise (0.3 à 0), de même que la fréquence respiratoire (16 à 12/min). Dans le contrecoup, après une très brève et faible accélération cardiaque (5 BPM en 1 à 2 secondes), la fréquence cardiaque diminue tout au long du contrecoup de façon continue (100 à 90 BPM). La fréquence respiratoire suit un schéma similaire avec un pic d’accélération respiratoire bref et initial, suivi d’une décélération progressive et continue. Enfin, les variations de la conductance cutanée sont quasi inexistantes et la courbe est quasi plate.

5.2 Données en première personne

  • 42 IAPS : International Affective Picture System.

44Le choix des deux patientes a été dicté par leur appartenance commune à un groupe important de sujets (10 à ce jour) ayant choisi la même image, celle d’un bébé enterré (base IAPS42), comme étant selon eux très marquante, voire la plus marquante. Ce groupe est pour l’instant constitué de trois patientes dépressives, de cinq témoins et de deux rémissions, ce qui laisse espérer des comparaisons ultérieures instructives entre types de sujets. Nous avons choisi de privilégier pour commencer deux dépressives au profil assez contrasté, de façon à tester notre hypothèse initiale d’une hyporéactivité à la surprise dans la dépression, mais aussi pour mesurer l’hétérogénéité des formes de dépression, une hétérogénéité supposée, en fait, au départ de l’étude, mais qui tend à se confirmer fortement à mesure des inclusions.

  • 43 Notation Manikin : figurines schématiques présentées aux sujets pour l’évaluation des différentes d (...)

45Après analyse des descriptions en 1re personne des deux patientes, nous avons été obligés de nous focaliser sur la phase n° 2 de l’expérience, la phase-crise. En effet, la phase-anticipation (n° 1), c’est-à-dire les 6 secondes entre l’annonce de la catégorie de l’image et sa présentation, donnent lieu à peu d’indications vécues, comme si les patientes avaient une difficulté récurrente à se reporter à la phase d’attente immédiate de l’image, ce qui fait apparaître des lacunes dans leur vécu, tandis qu’elles se reportent de préférence à l’image antérieure, bien que celle-ci précède l’image annoncée de plusieurs dizaines de secondes. En raison de cette importante distension de la phase d’anticipation et des possibles lacunes du vécu, cette phase n° 1, dans le cas de ces deux patientes, n’est guère exploitable en vue d’une corrélation physiologique. C’est moins le cas pour la phase 3 de rémanence, même si les patientes vont 1) directement à l’image suivante, 2) se portent sur l’écran noir, 3) sur le moment de notation Manikin43 ou 4) de réaction verbale. Quoiqu’elle soit donc par trop élargie ou peu décrite dans les deux cas, nous l’avons partiellement retenue dans la mesure où elle montre un contraste remarquable entre les deux patientes, lequel pourra peut-être à terme se révéler une constante : D-05 produit une identification erronée de l’image suivante, en lien avec la durée émotionnelle persistante de l’image-choc dans son esprit, et ce, même après la disparition de l’image, tandis que D-007 ne note aucune durée interne persistante, mais souligne une concentration cognitive-attente de l’image suivante.

46D’où notre choix « imposé » de nous centrer dans les deux cas sur la phase-crise : celle-ci s’avère dans les deux cas riche en multiples événements externes (visuels, moteurs) et internes (sensations, émotions, états cognitifs, associations, jugements moraux).

47Pour la patiente D-05, la phase-crise fait apparaître une dynamique temporelle assez complexe, qui prend la forme d’une « cascade » de 3 surprises, 1) corporelle-motrice (sursaut), 2) vécue-interne (association émotionnelle), et 3) cognitive-judicative (perplexité) : 1) à l’apparition de l’image (sous-phase 2a), la vision centrale de l’enfant déclenche une forte émotion d’horreur, puis, la vision focale de la tête engendre une réaction motrice de sursaut, qui fait à son tour monter des larmes aux yeux à la patiente et 2) crée parallèlement une association interne avec son petit frère, laquelle suscite à son tour des émotions organiques de tristesse et de pitié relationnelle. Cette première sous-phase lors de l’apparition de l’image fait donc se succéder ou se chevaucher réactions cardiaques-somatiques et fortes réactions émotionnelles, puis réactions internes mémorielles-corporelles et émotionnelles empathiques. Durant la sous-phase 2b de balayage de l’image par le regard, on a une post-perception périphérique de la pelle, de la couleur beige, de la terre qui donne lieu à une réflexion sur les morts, tandis que continue à courir en basse continue la tristesse et la pitié émotionnelles et 3) qu’un nouveau pic émotionnel surgit de cette réflexion sur les morts, retour de flamme qui se traduit par un effondrement moral de compassion et un jugement sur le caractère macabre de la vision. Ce qui est caractéristique du décours complexe et articulé du vécu de la patiente durant ces 6 secondes, c’est, outre les trois formes de surprise qui émergent, sursaut, association interne et perplexité cognitive, la présence d’émotions différentes intervenant immédiatement après ces trois formes de surprises : horreur, tristesse-pitié, compassion-effondrement. Non seulement la surprise n’est pas unique, ni réductible au sursaut, mais elle est variée, non seulement elle n’est pas tout uniment une émotion, mais se voit associer une émotion dans l’immédiat après-coup, mais plus encore cette émotion varie selon la forme de la surprise et enfin peut être plus intense ou du moins différente suite à une surprise interne (associative ou réflexive).

48Quant à la patiente D-07, elle passe par une phase de crise, également en deux temps, comme la patiente D-05, mais qui sont situés différemment : l’apparition de l’image caractérisée par une vision focale de l’enfant recouvert avec la tête qui sort (phase 2a) fait suite à un déploiement perceptif périphérique (phase 2b). Cependant, pour la patiente D-07, la vision focale donne lieu, non pas à un sursaut, mais à une surprise interne triplement feuilletée en attention, émotion mixte et émotion franche, tandis que le déploiement perceptif périphérique suscite des émotions relationnelles et des associations symboliques avec l’enfance malheureuse, liées à la surprise visuelle n° 2 de découverte de l’entourage : « Y avait une personne derrière ». De plus, ces deux temps (apparition/périphérie) sont plus ramassés ; leur fait suite un temps (phase 2c) qui correspond à un évitement visuel absent chez la patiente D-05 : « J’ai baissé les yeux, j’ai pas regardé jusqu’au bout », ce qui donne lieu à des émotions continues (relâchement), voire à une baisse émotionnelle, à un discours distancié de refus qu’il y ait d’autres images comme celle-là, voire de colère. Cette phase 2c est une phase de non-surprise.

5.3 Comparaison

49La méthode de comparaison entre les analyses en 1re et en 3e personne présente les caractéristiques suivantes :

  1. Elle a été menée en double aveugle : chaque analyse a été menée séparément, ce qui a pour effet de renforcer la robustesse des congruences qui apparaissent, et permet de considérer avec sérieux les distorsions entre les deux analyses, sans invalider une analyse au profit de l’autre, mais en pariant sur leur covalidité.

  2. Un travail de cointerprétation des deux analyses l’une par l’autre se fait jour, selon un double régime d’enrichissement et de délimitation productive. D’une part, les indications fournies par les données en 3e personne fournissent un cadrage temporel au déroulé temporel vécu assez précis pour faire ressortir l’existence éventuelle de lacunes dans le vécu, lacunes liées à un guidage insuffisant lors de l’entretien (d’où l’importance d’une réitération ultérieure de l’entretien) ou, tout simplement, à la non-présence de données en 1re personne pour les segments concernés. D’autre part, les événements vécus décrits nourrissent l’interprétation, parfois limitée, des données en 3e personne et font apparaître des composantes parallèles (corporelles motrices, émotionnelles, associatives, cognitives) en surimpression, ou avec empiétement mutuel. D’où le fait qu’un certain ajustement nécessaire des données en 1re personne au déroulé temporel des courbes a conduit à une légère réduction de la richesse descriptive du vécu.
    La force des données en 3e personne tient à ce que l’on obtient des marqueurs objectifs, mesurables et précis, de la physiologie cardiaque et du système nerveux autonome, mais leur faiblesse réside principalement dans leur manque de spécificité, dans la mesure où les mêmes variations peuvent s’expliquer par plusieurs phénomènes. D’un autre côté, la force de l’analyse en 1re personne réside dans la finesse de description d’un vécu spécifique, dont l’objectivité peut toutefois être suspectée. La mise en commun dynamique des deux approches dans un souci de cogénérativité pourrait permettre de pallier leurs faiblesses respectives, tout en conservant leurs avantages (les résultats de l’une venant confirmer, infirmer ou compléter ceux de l’autre) et en faisant émerger de nouveaux niveaux de compréhension et d’analyse.

50La comparaison des analyses en 1re et en 3e personne révèle les résultats suivants pour chaque patiente et chaque phase retenue :

Dans la phase-crise

51– Pour la patiente D-05, c’est le paramètre de la fréquence cardiaque qui épouse assez remarquablement les variations du décours perceptif visuel (attentionnelle-cognitive) et émotionnel vécu, lors des décélérations et accélérations respectives qui s’enchaînent : ainsi, dans la sous-phase 2a, la courte décélération initiale coïncide avec la perception centrale-focale de l’enfant, tandis que l’accélération ultérieure renvoie aux réactions émotionnelles, puis motrices, de sursaut et de larmes, ainsi qu’à l’émotion relationnelle de tristesse ; en sous-phase 2b, on a également une courte décélération lors de la post-perception périphérique, puis une nouvelle accélération cardiaque qui coïncide précisément avec un retour de flamme de l’émotionnel suscité par la réflexion interne sur les morts. Les segments de vécus émotionnels, moteurs, visuels et associatifs contribuent grandement à affiner la compréhension du rythme différencié de la courbe de fréquence cardiaque (cf. Annexe 3a).

52– Pour la patiente D-07, alors que l’accélération continue de la fréquence cardiaque dans la première sous-phase 2a-b est assez congruente avec les différentes manifestations émotionnelles, qu’elles soient individuelles, immédiates, ou relationnelles (violence, peine, haine), la phase 2c d’évitement visuel et de baisse émotionnelle correspond à une décélération, en phase avec les paramètres de la conductance cutanée et de la fréquence respiratoire, en décélération modérée sur toute la phase 2 (cf. Annexe 3c).

Dans la phase-contrecoup

53– La patiente D-05 manifeste une belle congruence des courbes cardiaque (accélération puis décélération), respiratoire (quatre pics d’accélération) et de conductance cutanée (quatre cycles de variations amples) avec sa forte réactivité vécue, corporelle, cognitive et émotionnelle, liée à la forte persistance de l’image dans son esprit suite à la disparition de celle-ci de l’écran (cf. Annexe 3b).

54– La patiente D-07 connaît une ambivalence émotionnelle, liée à l’évitement de l’image qui perdure dans le contrecoup, ce qui se traduit sur le plan des fréquences cardiaque et respiratoire par une accélération rapide, respectivement faible et forte, puis par une décélération continue et progressive (cf. Annexe 3d).

55La comparaison des sujets fait ressortir les deux profils de dépression suivants :

56Pour la patiente D-05, la dynamique de l’émergence émotionnelle est caractérisée par la crise d’un vécu corporel intense, puis d’un vécu émotionnel encore implicite, qui devient de plus en plus explicite et qui résonne intensément dans le contrecoup. Cette dynamique des vécus est précisément associée à des variations de fréquence cardiaque, qui viennent comme « confirmer » l’occurrence de ces vécus, puisque d’abord associés à une brève décélération (attention vers l’image), ils sont suivis d’une accélération (réaction corporelle initiale) puis d’une décélération (attention marquée vers l’image), puis, enfin, d’une accélération (émotion intense explicite), qui se poursuit dans le contrecoup. En outre, les fortes accélérations de la conductance cutanée et de la fréquence respiratoire dans la 2e partie de la crise et dans le contrecoup viennent « confirmer » l’occurrence d’une intense réaction physiologique associée à l’émotion.

57Pour la patiente D-07, la dynamique de l’émergence émotionnelle est caractérisée par une crise brève et peu intense avec un vécu corporel faiblement marqué, un vécu émotionnel bref et peu intense, peu d’élaborations cognitives et une faible résonance dans la 2e partie de la crise et dans le contrecoup. Cette dynamique des vécus est comme confirmée par l’accélération cardiaque modérée initiale puis la faible réactivité des signaux physiologiques, que ce soit la fréquence cardiaque, respiratoire ou la conductance cutanée dont les variations étaient particulièrement faibles.

58La dynamique de l’émergence émotionnelle est mise en mouvement par la réactivité et le vécu corporel, qui s’enrichira de vécus émotionnels et cognitifs de plus en plus explicites, associés à une forte réactivité physiologique, pour ce qui est de la patiente D-05 ; tandis que les vécus corporel, émotionnel, et cognitif, ainsi que les signaux physiologiques sont plus faibles chez la patiente D-07. Ces résultats sont compatibles avec les profils de dépression caractérisés par les auto-questionnaires d’anhédonie et de plaisir / déplaisir, la patiente D-05 rapportant une tendance moins à l’anhédonie qu’à l’hyperréactivité émotionnelle, en particulier au déplaisir, tandis que la patiente D-07 rapporte une tendance marquée à l’anhédonie et à l’hyporéactivité émotionnelle globale. Néanmoins, d’autres échelles psychométriques semblent ne pas permettre de distinguer la réactivité émotionnelle des deux patientes, notamment l’échelle d’anxiété (STAI) et de ralentissement (ERD). Il pourrait donc y avoir deux formes de dépression, l’une étant caractérisée par une hyperréactivité de la dynamique d’émergence émotionnelle associée à une cascade de surprises et à une forte réactivité dans le contrecoup, ainsi qu’à une réactivité physiologique marquée, notamment cardiovasculaire ; l’autre forme de dépression se distinguant de la première par une faible réactivité de la dynamique d’émergence émotionnelle, peu de réaction de surprises et peu de résonnance dans le contrecoup. Cette suggestion est compatible avec les données de la littérature suggérant que certaines dépressions sont associées à une hypo-réactivité émotionnelle globale, tandis que d’autres sont associées à une hyperréactivité aux émotions négatives.

Conclusion

59Nous avons montré comment des données en 1re personne, parfois considérées comme trop subjectives, peuvent être confirmées, voire séquentiellement précisées, de façon à enrichir considérablement les données objectives en 3e personne. À notre connaissance, le projet Emphiline est la première étude qui mette en corrélation dynamique des données en 1re personne recueillies dans l’entretien d’explicitation et des données en 3e personne recueillies grâce à l’enregistrement de signaux physiologiques. Cette étude, conduite à l’occasion d’une tâche émotionnelle en vue d’une compréhension intégrée de la réactivité émotionnelle dans la dépression, doit permettre à terme de mieux cerner la physiopathologie et la psychopathologie du trouble dépressif, pour une prise en charge à la fois psychothérapeutique et somatique.

60La cardiophénoménologie propose une approche qui affine et rend effective la neurophénoménologie en lui procurant une opérativité concrète. À cet égard, on aperçoit dans notre étude l’effectivité des deux dimensions-étapes des « contraintes génératives » énoncées par F. Varela :

  1. une étape de covalidation en forme de « passages génératifs » : ce sont les phases de la crise et du contrecoup qui offrent une assez remarquable congruence (confirmation/enrichissement) des données en 1re et en 3e personne, soit sur le mode de l’enchaînement des événements de différents types (phase crise), soit sur le mode d’une durée étalée en termes de résonance (phase contrecoup) ;

  2. une étape de colimitation en forme de « contraintes mutuelles » pour ce qui est de la phase de l’anticipation : l’apparition de lacunes manifestes dans le vécu lorsque l’expérience est distendue, rend la corrélation physiologique difficile. Les indications des données en 3e personne invitent à relancer l’interrogation en 1re personne en ciblant l’entretien sur les lacunes repérées dans le vécu, de façon à recueillir des informations plus fines sur la phase d’attente immédiate de l’image.

61En bref, nous en sommes à un stade encore indicatif de la mise en œuvre de la cardiophénoménologie. Ces premiers résultats avec deux patientes dépressives sont à la fois encourageants et préliminaires : en prenant appui sur eux nous espérons affiner l’analyse par de nouveaux entretiens avec ces mêmes patientes, mais aussi l’étendre en exposant à cette même image d’autres dépressives, puis des témoins et des rémissions, avant de la généraliser aux autres images ou sons choisis. L’enjeu sera de dégager des constantes descriptives dans la dynamique de l’expérience de la surprise en fonction de la typologie usuelle des sujets, alternativement de faire droit en enrichissant cette typologie à l’apparition d’hétérogénéités supplémentaires dans les profils de dépression.

62Par ailleurs, plusieurs aspects de la méthodologie de l’association dynamique des données en 1re et en 3e personne restent à clarifier, de façon à renforcer l’association des deux types de données en passant d’une analyse fondée sur l’observation à un traitement à l’aide d’outils mathématiques et statistiques.

   

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VEMERSCH Pierre, L’entretien d’explicitation, Paris : ESF, 2001 (1re éd. 1994).

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Annexe

   

Annexe 1

Données psychométriques des patientes Emphiline D-05-BC et D-07‑BM. (MADRS : échelle d’intensité de la dépression ; STAI-E : échelle d’anxiété ; ERD : échelle de ralentissement.)

Annexe 2a

Courbes des signaux physiologiques de la patiente D-05-BC au trois phases de l’anticipation / crise / contrecoup de l’image IAPS 3005.1

La courbe du haut représente les variations de la conductance cutanée exprimée en microS, évoluant ici entre -2 et +3; la courbe du milieu représente les variations de la fréquence respiratoire exprimée en BPM évoluant ici entre 10 et 60; la courbe du bas représente les variations de la fréquence cardiaque exprimée en BPM, évoluant ici entre 80 et 100.

Les trois phases de l’analyse sont 1) les 6 secondes de l’anticipation (intervalle S1-S2), 2) les 6 secondes de la crise (durée du S2) et 3) les 20 secondes du contrecoup (intervalle S2-S1)

Les vecteurs numérotés tracés par dessus les courbes représentent l’analyse empirique (sens de variation, durée et amplitude).

Annexe 2b

Courbes des signaux physiologiques de la patiente D-07-BM au trois phases de l’anticipation / crise/contrecoup de l’image IAPS 3005.1

La courbe du haut représente les variations de la conductance cutanée exprimée en microS, évoluant ici entre -0,2 et +0,4 ; la courbe du milieu représente les variations de la fréquence respiratoire exprimée en BPM évoluant ici entre 10 et 50 ; la courbe du bas représente les variations de la fréquence cardiaque exprimée en BPM, évoluant ici entre 90 et 100.

Les trois phases de l’analyse sont 1) les 6 secondes de l’anticipation (intervalle S1-S2), 2) les 6 secondes de la crise (durée du S2) et 3) les 20 secondes du contrecoup (intervalle S2-S1)

Les vecteurs numérotés tracés par dessus les courbes représentent l’analyse empirique (sens de variation, durée et amplitude).

Annexe 3a

Tableau des analyses en 1re et 3e personne de la phase de la crise de la patiente D-05-BC – Les 4 cases du haut correspondent aux données en 1re personne (de haut en bas : vécu corporel, cognitif, émotionnel et valeurs). Les 3 cases du bas correspondent à l’analyse des signaux physiologiques (de haut en bas : fréquence cardiaque, conductance cutanée, fréquence cardiaque).

Annexe 3b

Tableau des analyses en 1re et 3e personne de la phase du contrecoup de la patiente D-05-BC – Les 3 cases du haut correspondent aux données en 1re personne (de haut en bas : vécu corporel, cognitif, émotionnel). Les 3 cases du bascorrespondent à l’analyse des signaux physiologiques (de haut en bas : fréquence cardiaque, conductance cutanée, fréquence cardiaque).

Annexe 3c

Tableau des analyses en 1re et 3e personne de la phase de la crise de la patiente D-07-BM – Les cases du haut correspondent aux données en 1re personne (de haut en bas : vécu corporel, cognitif, émotionnel et émotion-mixte). Les 3 cases du bas correspondent à l’analyse des signaux physiologiques (de haut en bas : fréquence cardiaque, conductance cutanée, fréquence cardiaque).

Annexe 3d

Tableau des analyses en 1re et 3e personne de la phase du contrecoup de la patiente D-07-BM – Les 2 cases du haut correspondent aux données en 1re personne (de haut en bas : vécu corporel, cognitif). Les 3 cases du bas correspondent à l’analyse des signaux physiologiques (de haut en bas : fréquence cardiaque, conductance cutanée, fréquence cardiaque).

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Notes

1 K. FRISTON, « The free-energy principle: A unified brain theory? », p. 127‑138.

2 M. BITBOL, « Neurophenomenology of surprise ».

3 H. MALDINEY, Penser l’homme et la folie ; P. FONTAINE, « De la surprise esthétique. Pour une intentionnalité désarmée. La rencontre avec l’œuvre d’art comme fulguration d’un événement unique ».

4 E. LEVINAS, Le Temps et l’Autre ; N. DEPRAZ, « The Surprise of Non Sense »; « ‘Se laisser surprendre’ avec Levinas : le ‘Dire’ traumatique de la surprise ».

5 Ch. S. PEIRCE, « Experience is learning us through surprises », p. 295.

6 D. DENNETT : « Surprise is a wonderful dependent variable, and should be used more often in experiments ; it is easy to measure and is a telling betrayal of the subject’s having expected something else », « Surprise, surprise », p. 982.

7 Cf. quelques exemples représentatifs recueillis au cours d’entretiens d’explicitation, dans le cadre de la tâche linguistique ou du protocole physiologique : patiente n° 5 : « Ben… j’ai un sursaut ! » ; étudiante n° 1 : « Waouh ! » ; étudiant n° 6 : « Mais qu’est-ce que c’est qu’ça ? ». Cf. plus largement : N. DEPRAZ et C. SERBAN (éd.), La surprise à l’épreuve du langage et des langues.

8 E. HUSSERL, Expérience et Jugement, § 21.

9 D. DAVIDSON, “Rational animals”.

10 N. DEPRAZ, « Experiential phenomenology of novelty : the antinomy of vigilance-attention and surprise ».

11 Ch. S. PIERCE, op. cit.

12 E. HUSSERL, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps ; De la synthèse passive ; Gefühl, in Struktur zur Studien des Bewusstseins.

13 P. RICŒUR, Philosophie de la volonté. I. Le volontaire et l’involontaire, p. 239.

14 N. DEPRAZ, « ‘Se laisser surprendre’ avec Levinas : le ‘Dire’ traumatique de la surprise ».

15 A. SMITH, “Of the effect of unexpectedness or of surprise”, p. 5-10.

16 A. ORTONY et al., The cognitive structure of emotions.

17 R. REISENZEIN et al., « Reactions to surprising events: A paradigm for emotion research ».

18 N. DEPRAZ, « Surprise, Valence, Emotion. The multivectorial integrative cardio-phenomenology of surprise ».

19 T. DESMIDT et al., « The Temporal Dynamic of Emotional Emergence ».

20 N. DEPRAZ, « The Rainbow of Emotions: At the Crossroads of Neurobiology and Phenomenology ».

21 E. HUSSERL, Expérience et jugement.

22 En appliquant sa phénoménologie génétique à l’expérience perceptuelle, Husserl reconsidère en terme de résonance la rétention, qui prend alors une signification passive au sens de réceptive et dynamique (E. HUSSERL, De la synthèse passive, § 35).

23 J. BROSSCHOT et al., « The Perseverative Cognition Hypothesis: A Review of Worry, Prolonged Stress-Related Physiological Activation, and Health ».

24 Une description plus approfondie est donnée en : N. DEPRAZ, Lucidité du corps : De l’empirisme transcendantal en phénoménologie.

25 T. DESMIDT et al., op. cit.

26 J. F. THAYER et R. D. LANE, « Claude Bernard and the Heart-Brain Connection: Further Elaboration of a Model of Neurovisceral Integration ».

27 A. D. CRAIG, « How Do You Feel—Now ? The Anterior Insula and Human Awareness ».

28 A. D. CRAIG, « Emotional Moments across Time: A Possible Neural Basis for Time Perception in the Anterior Insula ».

29 N. DEPRAZ, http://www.umr8547.ens.fr/spip.php?rubrique50.

30 Pour une description plus approfondie cf. T. DESMIDT et al., op. cit.

31 À propos de la notion de conscience corporelle « diffusive », cf. N. DEPRAZ, Lucidité du corps : De l’empirisme transcendantal en phénoménologie, 1re section.

32 F. VARELA, Autonomie et connaissance.

33 Cf. N. DEPRAZ, “The Rainbow of Emotions: At the Crossroads of Neurobiology and Phenomenology” et « Le cœur: le ‘corps’ du corps ».

34 F. J. VARELA, “Neurophenomenology”.

35 F. J. VARELA, “The specious present: The neurophenomenology of time consciousnessin J. Petitot, F. J. Varela, B. Pachoud and J. M. Roy (eds.), Naturalizing Phenomenology.

36 A. LUTZ et al., “Guiding the study of brain dynamics by using first-person data : Synchrony pattern correlate with ongoing conscious states during a simple visual task”, p. 1586-1591.

37 N. DEPRAZ, « Surprise,Valence, Emotion. The multivectorial integrative cardio-phenomenology of surprise ».

38 L. BYLSMA et al., “A Meta-Analysis of Emotional Reactivity in Major Depressive Disorder”.

39 Pour une description exhaustive de la méthode cf. Emphiline – ClinicalTrials.gov 2014.

40 P. VERMERSCH, L’entretien d’explicitation.

41 Cette méthode d’analyse a été construite au fur et à mesure de l’exploration des entretiens menés et en lien avec l’objectif d’une analyse cogénérative avec les données psycho-physiologiques (notamment pour la phase n° 4 de l’analyse). Elle prend appui sur les éléments de pré-analyse et de réorganisation temporelle disponibles chez Vermersch (L’entretien d’explicitation) pour les phases n° 1 et 2 de l’analyse. Depraz a eu l’occasion de présenter sa méthode d’analyse, notamment la phase n° 3, dans le cadre d’un stage d’analyse animé par C. Petitmengin à l’automne 2013 à Paris.

42 IAPS : International Affective Picture System.

43 Notation Manikin : figurines schématiques présentées aux sujets pour l’évaluation des différentes dimensions de la valence émotionnelle de leur réaction à des stimuli affectifs.

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Table des illustrations

Légende Tableau 1 : Les 3 phases de la dynamique émotionnelle vécue avec 5 exemples d’expériences émotionnelles (valence positive, valence négative, vécu préconscient, vécu intersubjectif, valence ambiguë) et les émotions correspondantes distinguées selon les phases. SE=stimulus émotionnel.
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Légende Tableau 2 : Configurations des trois systèmes (cerveau, contexte, corps et cœur en tant que place focale dans le corps pendant une émotion) impliqués dans l’émergence émotionnelle selon chacune des trois phases de la dynamique temporelle (anticipation, crise et contrecoup) FC=Fréquence Cardiaque.
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Pour citer cet article

Référence papier

Natalie Depraz et Thomas Desmidt, « Cardiophénoménologie »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 38 | 2015, 47-83.

Référence électronique

Natalie Depraz et Thomas Desmidt, « Cardiophénoménologie »Les Cahiers philosophiques de Strasbourg [En ligne], 38 | 2015, mis en ligne le 03 décembre 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cps/464 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cps.464

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Auteurs

Natalie Depraz

Professeure de philosophie contemporaine, Faculté des Lettres de l’Université de Rouen, ERIAC, E.A. 4705.

Thomas Desmidt

Gérontopsychiatre à l’unité de gérontopsychiatrie INSERM U 930-CNRS FRE 2448, CHRU Bretonneau, Tours.

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