Revue des sciences religieuses 75 n° 4 (2001), p. 503-515
L'IMITATION DE JESUS CHRIST DE TAULER À THOMAS A KEMPIS
Quarante ans après la mort de Jean Tauler, près de Deventer, des gens qui connaissaient Me Eckhart, mais le critiquaient, ont contribué à la naissance d'un mouvement de spiritualité, la Devotio Moderna, où « le modèle devient au premier chef Jésus-Christ que l'on s'efforce d'imiter tant par les actes concrets de la vie quotidienne... que par la prière et la méditation personnelles » (1). C'est dans ce contexte que, vers 1407, le De Imitatione Christi, ou « Imitation de Jésus-Christ », qui contient l'essentiel de cette « Dévotion Moderne », fut rédigé par Thomas a Kempis. Mais plusieurs éditeurs des xyn* au XIXe siècles n'ont pas hésité à l'attribuer à Jean Tauler (2). Le glissement de pensée entre Eckhart, puis Tauler, puis Suso n'a échappé à aucun commentateurs. Autant l'imitation du Christ est une question délicate dans les écrits d'Eckhart, autant les écrits de Tauler et plus encore ceux d'Henri Suso (3) y répondent plus clairement et peuvent se comprendre comme un intermédiaire ou un prélude à la spiritualité dite de l'Imitation de Jésus-Christ (4).
Si tel est le cas, alors la Devotio Moderna, lue à travers l'ouvrage de Thomas a Kempis, doit beaucoup à la mystique rhénane, et il importe
(1) G. Épinéy-Burgard, Gérard Grote, fondateur de la Dévotion Moderne, Brepols, 1998, p. 9.
(2) Predigten, Johann Haasens, Francfort, 1681. Predigten des hochleuchteten und theuren Lehrers D. Joh. Tauleri, Cologne 1703 réimp. en 1720. Johann Tauler's Gesammelte Werke. 1. Nachfolgung der armen Leben Christi, Casseder Nikolaus éd., 1821, réimp. en 1823, 1824. Nachfolgung des armen Lebens Christi, Wilhelm Meck, Constance, 1850.
(3) « Henri Suso offre un bon exemple de ce passage à une conception plus chnistocentrique, il se tourne vers une imitation concrète du Christ souffrant », Gérard Grote, p. 10.
(4) Un pont serait donc jeté entre la «mystique de l'être», celle d'Eckhart (l'expression employée par Kurt Kurt, Initiation à Maître Eckhart, Cerf, 1997, p. 41 est « éthique de l'être ». Il est aisé d'amplifier cette expression en considérant que l'éthique de Me Eckhart repose sur une théologie, et une conception de l'agir humain à partir de l'union à Dieu. L'éthique de l'être suppose une mystique de l'être, et la spiritualité de l'Imitation de Jésus-Christ, En effet, Alain de Libéra a pu dire que « la déification n 'est pas le véritable but de sa théologie (celle d'Henri Suso), mais bien plutôt l'imitation de Jésus Christ. » De Libéra (Alain), Eckhart Suso Tauler, la déification de l'homme, p. 7. Dans ce cas, Henri Suso appartient-il encore à la mystique Rhénane ?
