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Études

Porter la couronne d’un dieu : titre civique, charge religieuse, pouvoir ou fardeau ?*

Beate Dignas
p. 173-187

Résumés

L’article étudie les implications de l’éponymie dans les domaines religieux et politique en examinant l’identité et le contexte des officiels éponymes. Le point central est le titre de stéphanéphore, qui n’est pas seulement l’un des quarante titres éponymes connus, mais qui mérite une attention particulière dans le cadre de l’éponymie. On remarque que, dans bon nombre de cités, cette charge imposait ses caractéristiques à ceux qui l’assumaient quels que soient leur titre ou leur fonction de départ. Ces caractéristiques étaient de nature religieuse et elles étaient essentielles pour la « chorégraphie » religieuse et, dès lors, pour l’identité religieuse d’une polis particulière. Étant donné que le profil des officiels éponymes (au moins à la période hellénistique) n’était pas dessiné par le titre qui s’attachait originellement à eux, une distinction entre officiels éponymes « séculiers » ou « religieux » n’a aucun sens. Au contraire, dans beaucoup de cités d’Asie Mineure, le titre de stéphanéphore – accepter et porter la couronne d’une divinité particulière – reflète la réelle importance de la charge qui était comparable à, modelée sur, et souvent combinée à la prêtrise.

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Texte intégral

  • *  Cet article est fondé sur un exposé présenté à l’Université de Bruxelles en mai 2006, à l’occasion (...)
  • 2  Chaniotis (1998), p. 7; Welwei (2001), 956; Sherk (1990), p. 183.

1Ainsi se présente le début d’un décret honorifique pour un citoyen de Priène, publié peu après la « libération » de la ville par Alexandre le Grand. Une formule de datation complexe, avec ce début étrange « quand le dieu était stéphanéphore ». Rien de bien surprenant pour les chercheurs, toutefois, car de telles divinités éponymes sont courantes à partir du milieu du ive siècle av. J.-C. et jusqu’à la période impériale. L’explication conventionnelle selon laquelle pendant les situations difficiles d’un point de vue économique, une cité pouvait avoir du mal à trouver un volontaire qui ait les compétences nécessaires pour exercer la magistrature (si bien qu’une divinité, ou plutôt sa trésorerie, devait en assumer la charge financière)2 est confortée par les sources, et je ne la remettrai pas en cause dans cet article. Je pense cependant qu’une telle explication suppose que des difficultés financières représentaient une menace constante, alors qu’en réalité l’état des finances fluctuaient grandement. Une divinité éponyme pouvait être la solution à différentes difficultés, comme la discorde civile. Je souhaite ici explorer plutôt les implications de l’éponymie, qu’elles soient concrètes ou symboliques, économiques, politiques ou religieuses.

2Les archontes athéniens, les prêtres d’Héra à Argos, les monarques de Cos, les prêtres à Rhodes, les stéphanéphoresmilésiens… – le corpus nous fournit plus de quarante titres différents utilisés de façon éponyme. À partir du milieu du vie siècle, certaines cités grecques ont eu des listes annuelles de dignitaires et, à partir de la période hellénistique, on peut constater un effort pour tenir ces listes de façon systématique. Une cité choisissait probablement une magistrature en particulier parce que celle-ci était importante et/ou parce qu’elle était annuelle et permettait ainsi des datations. Il arrivait parfois que la magistrature éponyme d’une cité change, ce qui reflétait généralement des changements politiques (une nouvelle constitution, une guerre, un synécisme).

  • 3  Robert (1946).
  • 4  Sherk (1990), p. 249-288; (1991a), p. 231-295; (1991b), p. 225-260; (1992), p. 223-272; (1993), p. (...)

3 Pour ce qui est de la recherche moderne, Louis Robert, comme on peut s’y attendre, nous a fourni des listes et des commentaires fort utiles sur le sujet3, de même que les éditeurs de corpus d’inscriptions de cités particulières. Plus important, Robert Sherk, dans cinq articles publiés dans laZPE entre 1990 et 1993, a présenté ce riche dossier d’un point de vue géographique, et a aussi résumé certains aspects centraux de sa recherche4. Tous ceux qui s’intéressent aux dignitaires qui ont donné leurs noms aux années dans les cités grecques doivent consulter son étude. Examiner l’identité, le contexte, les devoirs et les honneurs des éponymes aide à situer l’éponymie dans les domaines religieux et politique – j’espère réussir à montrer que dans de nombreuses cités cette fonction imposait ses caractéristiques à ceux qui la remplissaient, quels que soient leur titre ou leur fonction de départ.

4Restons à Priène. Il existe plusieurs décrets honorifiques qui expliquent comment un citoyen pouvait devenir stéphanéphore et en quoi la charge consistait exactement. Voici comment un certain Hérode fut honoré, par un décret d’un peu moins de 280 lignes, au cours de sa seconde stéphanéphorie :

… ἐνεβάλετο δὲ καὶ λῆρον στεφανηφο|[ρίας εἰς] τὴν τοῦ δήμου κρίσι θεωροῦντες δὲ οἱ πολῖται [ἐπιτηδει]ότερον ὑπάρχειν τὸ πρεσβεῦσαι καὶ τοῦτον πά| [λιν πρὸς] βασιλέα Ἀριαράθην, ὅπως συνκατασκευ̣άσηται | [τὰ εἰς σ]ωτηρίαν ἀνήκοντα τῆι πόλει, ἐχειροτό[νησα]ν αὐτὸν [πρεσβευ]ή·

  • 5  IvPriene, 109, l. 170-175 (120 environs av. J.-C.).

…mais il se présenta pour la stéphanéphorie au sujet de laquelle le démos s’apprêtait à délibérer; cependant les citoyens, jugeant qu’une ambassade était plus urgente et estimant qu’il devait se rendre auprès du roi Ariarathes afin de travailler à la sécurité de la cité, l’élirent ambassadeur5.

5Plus loin nous lisons

…καὶ διὰ τῆς] | χειρο[τ]ονίας τὸ δεύτερον ἀναλ[α]β[ὼ]ν  [τοῦ Διὸς τοῦ Ὀ]- |λυμπίου στέφανον ἀναδεξάμε[ν]ος τὴν [στεφανηφορίαν κα]|ὰ τὸ τοῦ δήμου βούλημα…

  • 6  Ibid., l. 188-191.

et après une élection, ayant accepté la couronne de Zeus Olympien pour la seconde fois, il reçut la stéphanéphorieselon la volonté du démos…6

6Il semble que les citoyens se portaient candidats à certaines fonctions, et que c’était ensuite le peuple qui décidait qui il élisait à telle charge ou telle liturgie. Il arriva une fois à Hérode de ne pas être élu après avoir annoncé sa candidature, mais son offre fut acceptée avec plaisir en une ou deux autres occasions. Une ambassade auprès du roi, que les citoyens fortunés entreprenaient à leurs frais, se révélait parfois plus urgente que de trouver quelqu’un pour la stéphanéphorie.

7Que faisait un stéphanéphore à Priène ? Voici la suite du décret en l’honneur d’Hérode :

… καὶ πάν̣[τα τ]ὰ δημό[σια ἱερὰ στεφανώμα]|σίν τε καὶ θυμιάμασιν κοσμήσας μετ[ὰ κηρύγματος ἐκάλεσεν] | εἰς τὴν ἰδίαν οἰκίαν ἐπὶ τὸ<ν> γλυκισ[μὸν πάντας τοὺς πολίτας καὶ] πα|ροίκους μετὰ τέκνων καὶ ξένους κα̣[ὶ ἐξελευθέρους καὶ οἰκέτ]α -|πεύσας δὲ ἀξίως μὲν τῶν πατρώ[ιων θεῶν,] οἷς τὰς θυσίας ἐπετέλει, | ἀξίως δὲ καὶ τῶν πολιτῶν, καὶ [··c. 8·3]εύσ[α]ας ύμασιν ὑ|περάγουσιν, καὶ κατευξάμεν[ος μετὰ τῶν ἱερέω]ν ὑπέρ τε τοῦ σύν|παντος δήμου καὶ τῶν κ[ατοικούντω]ν [παρ᾽] μεῖν…

  • 7  IvPriene, 109, l. 191-198.

et il ornatous les sanctuaires publics (?) de couronnes et d’encens, et après une annonce publique il invita chez lui tous les citoyens et les paroikoi, ainsi que leurs enfants et les étrangers, les hommes libres comme les esclaves, à partager des confiseries; il organisa des processions dignes à la fois des dieux ancestraux, auxquels il offrit des sacrifices, dignes des citoyens et …?… et avec les prêtres il dit les prières au nom de tout le démos et de ceux qui vivent avec nous…7

8Orner des temples, recevoir ses concitoyens, marcher en tête des processions et offrir des sacrifices abondants – voilà les principales tâches de ce stéphanéphoreet de ses collègues à Priène. En 100 av. J.-C. environ, un autre stéphanéphore reçut l’hommage suivant :

… ἀποδειχθεὶς δὲ στεφα]|νηφόρος καὶ διὰ πάντων [προθυμούμενος ἔτι ὑπερε]- |χεῖν τοῖς πεπραγμένοις [ὑ]φ᾽ ἑ[αυτοῦ εἰς τὴν πατρίδα κα]|λοῖς τε καὶ ἐνδόξοις, ε-[ε][ς μὲν πρὸς τοὺς πατριους] | θεούς, ὁσίως δὲ καὶ δικαίως [ρὸς τοὺς ἀνθρώπους, ἀναλα]|[β]ὼν τὸν στέφανον τοῦ Διὸς [τοῦ Ὀλυμπίου εἱστίασε] | τούς τε πολίτας καὶ τὰ τέκν[α] α[ὐτῶν τούς τε κατοικοῦν]|ας τήν τε πόλιν καὶ τὴν χώρα[ν καὶ τοὺς παῖδας τοὺς] | ἐλευθέρους, ἔτι δὲ καὶ τοὺς πα[ρεπιδημοῦντας ξένους,] | ἐπετέ[λ]εσεν δὲ καὶ θυσίας τοῖς [πατρίοις θεοῖς πρε]|πούσας τ ἀπὸ τῆς ἀρχῆς ὑα[ρχούσηι περὶ αὐτὸν] | καλοκἀγαθίᾳ, καθ᾽ ἕκαστόν τε μῆ[να ἐκαλλιέρησεν] | τῶι τε Διῒ τῶι Ὀλυμπίωι καὶ τῆι ῞Ηραι καὶ [τῶι Πανὶ καὶ] | [τῆι] π̣ρ̣οσ[ηι] τῆς πόλεως ἡμῶ[ν Ἀθηνᾶι Πολιάδι…

  • 8  IvPriene, 46, l. 8-22 (environs 100 av. J.-C.).

Quand il fut nommé stéphanéphore, désirant se montrer dans toutes ses actions digne des nobles et fameuses tâches qu’il avait déjà menées à bien pour sa patrie, pieux envers les dieux, honnête et juste envers les citoyens, il accepta la couronne de Zeus Olympien, et reçut chez lui les citoyens et leurs enfants, ainsi que les autres habitants de la ville et de ses environs, les serviteurslibres, et aussi les étrangers qui se trouvaient là; il fit les sacrifices requis pour les dieux ancestraux avec sa vertu habituelle, et tous les mois il offrit des sacrifices de bon augure à Zeus Olympien, Héra, Pan et Athéna Polias, qui préside notre cité…8

9De la même façon, un certain Moschion, fils de Kydimos, (après 129 av. J.-C.), fut honoré dans un décret, qui donne l’impression de ne jamais s’arrêter. Le passage suivant nous intéresse :

… [ἀν]αλαβόντος | [δὲ τὸ]ν τοῦ Διὸς τοῦ Ὀλυμπίου στέφανον καὶ τὴν στεφανη-| [φορία]ν ἐπιδεξάμενος καὶ πάντα τὰ πρὸ πόλεως ἱερὰ κοσμήσας | [στεφ]ανώμασιν καὶ τοὺς βωμοὺς τῶν θεῶν θυμιάμασιν γερά|[ρων με]τὰ κηρύγματος ἐκάλεσεν ἐπὶ γλυκισμὸν τούς τε τῶν | [πεσόν]των υἱοὺς καὶ τοὺς πολίτας πάντας καὶ παροίκους καὶ | [ξένο]υς καὶ ἐξελευθέρους καὶ οἰκέτας, βουθυτήσας δὲ τῶι | [Διὶ τ]ῶι Ὀλυμπίωι καὶ τῆι ῞Ηραι καὶ τῆι Ἀθηνᾶι τῆι Πολιάδι καὶ…

  • 9  IvPriene, 108, l. 253-260 (après 129 av. J.-C.).

… après avoir accepté la couronne de Zeus Olympien, reçu la stéphanéphorie et orné tous les sanctuaires situés à l’extérieur de la cité de couronnes, les autels des dieux d’encens, il fit une annonce publique et invita les anciens à partager des confiseries, ainsi que les fils de ceux qui étaient morts au combat, tous les citoyens et les paroikoi, les étrangers, la population libre et les esclaves; il sacrifia un bœuf à Zeus Olympien et à Héra, Athéna Polias et …9

  • 10  IvPriene, 113, l. 60-63; 114, l. 23-27.

10Comme je l’ai déjà indiqué, une telle générosité n’allait pas de soi et il était souvent difficile de recruter des stéphanéphores. Pendant la première moitié du ιer siècle av. J.-C., Priène rendit hommage à un certain Zosime dans plusieurs décrets qui soulignaient qu’il exerça la magistrature « tout seul et qu’il fut le premier stéphanéphoreaprès la guerre ». On indiquait aussi qu’il avait rendu des services similaires à ceux énoncés plus haut10.

  • 11  Cf.Chaniotis (1995), p. 147-172.

11Un certain nombre de décrets et de règlements religieux soulignent la signification de ce que des hommes comme Zosime faisaient pour une cité hellénistique. Les festivals religieux abondaient et culminaient en processions et banquets que le magistrat éponyme présidait ou organisait chez lui à ses frais. Souvent, l’embellissement des sanctuaires, des autels et des statues des dieux, qui avait lieu avant, était expliqué en détail11. En ce qui concerne la procession, qui allait du centre religieux de la cité jusqu’à l’autel du dieu, chacun avait une place fixée à l’avance. À Magnésie du Méandre, en tête de la procession venait le stéphanéphore éponyme, suivi de groupes précis qui représentaient des fonctions et des groupes d’âge au sein de la polis :

…τὸν στεφανηφόρον τὸν ἀεὶ γινόμενον μετὰ τοῦ ἱέ|ρεω καὶ τῆς ἱερείας τῆς Ἀρτέμιδος τῆς Λευκοφρυην<ῆ>ς ἐξά|[γ]ειν τὴμ πομπὴν τοῦ μηνὸς τοῦ Ἀρτεμισιῶνος τῆι δω|δεκάτηι καὶ θύειν τὸν ταῦρον τὸν ἀναδεικνύμενον, | συμπομπεύειν δὲ τήν τε γερουσίαν καὶ τοὺς | ἱερεῖς καὶ τοὺς ἄρχοντας τούς τε χειροτονητοὺς καὶ | τοὺς κληρωτοὺς καὶ τοὺς ἐφήβους καὶ τοὺς νέους καὶ | τοὺς παῖδας καὶ τοὺς τὰ Λευκοφρυηνὰ νικῶντας καὶ | τοὺς ἄλλους τοὺς νικῶντας τοὺς στεφανίτας ἀγῶνα. | ὁ δὲ στεφανηφόρος ἄγων τὴν πομπὴν φερέτω ξόα|να πάντων τῶν δώδεκα θεῶν ἐν ἐσθῆσιν ὡς καλλίσ|ταις καὶ πηγνύτω θόλον ἐν τῆι ἀγορᾶι πρὸς τῶι βωμῶι | τῶν δώδεκα θεῶν, στρωνύτω δὲ καὶ στρωμνὰς τρεῖς ὡς | καλλίστας, παρεχέτω δὲ καὶ ἀκροάματα, αὐλητήν, συρι|στήν, κιθαριστή.

  • 12  LSAM, 32, l. 31-46 (Magnésie du Méandre, 197/6 av. J.-C.).

… chaque année le stéphanéphore marche en tête de la procession avec le prêtre et la prêtresse d’Artémis Leukophryènè, le 12e jour du mois d’Artémision, et il sacrifie le bœuf sélectionné; dans le cortège se trouvent aussi les membres de la gerousia, les prêtres et les magistrats nommés par élection et par tirage au sort,les éphèbes, les jeunes hommes, les garçons, les vainqueurs des Leukophryena ainsi que les vainqueurs de tous les autres jeux couronnés; le stéphanéphore, qui avance en tête, doit porter les images des Douze Dieux, paré de ses plus beaux vêtements, ériger une tholossur l’agora près de l’autel des Douze Dieux, étendre trois voiles magnifiques, et il doit fournir pour la musique, un aulète, un joueur de syrinx et un joueur de cithare12.

  • 13  Chaniotis (1995), p. 160.

12Les descriptions de ces processions si soigneusement chorégraphiées que, comme le dit A. Chaniotis, elles reflétaient l’image de la polis elle-même13 mettent toujours l’accent sur la participation de la communauté tout entière en utilisant le verbe stephanephorein – il semble ainsi que le fait que tout le monde portait une couronne ait suffit à symboliser le festival en tant que tel. Mais il n’y avait qu’un stéphanéphore, et on peut se demander ce qui distinguait l’épo­nyme, à part le fait qu’il avançait en tête de la procession. Devons-nous déduire du titre de stéphanéphore qu’il portait une couronne spéciale ? Étant donné la prolifération de couronnes honorifiques dans le contexte de l’évergétisme hellé­nistique, il y avait certainement d’autres dignitaires ou d’autres membres de la polis qui portaient des couronnes. Sa couronne à lui était-elle unique ?

  • 14  Ce fut d’abord observé par Vanseveren (1937), p. 337-347.

13Une étude plus approfondie du titre de « stéphanéphore » et de son sens suggère qu’il ne s’agit pas d’un titre éponyme quelconque parmi la quarantaine recensée, mais qu’il mérite une attention particulière dans le contexte de l’éponymie. Le titre était largement utilisé en Asie Mineure et souvent, mais pas nécessairement, lié à une magistrature éponyme. De façon intéressante, dans certaines cités, certes peu nombreuses, le titre cache d’autres fonctions14. Ainsi, à Chios par exemple, des inscriptions du ive et du iiie siècle sont datées par un prytane éponyme alors que des inscriptions postérieures le sont par un stépha­néphore. De prime abord, on pourrait croire que Chios a changé d’éponyme, mais une inscription qui rend compte d’un arbitrage entre Lampsaque et Parion nous fournit une réponse plus intéressante. Des prières servent à sceller l’accord :

εὔξασθαι μὲ]ν τὸν πρύτανιν τὸν στεφανηφ[όρον καὶ] | [τοὺς ἱερεῖς τοὺς δημ]οτελεῖς καὶ τὰς ἱερείας θεοῖς π[ᾶσι] | [καὶ πάσαις…

  • 15  Vanseveren (1937), n. 10, l. 12-14 (Chios, environs 200 av. J.-C.).

le prytane qui ‘porte la couronne’ et les prêtres et prêtresses payés publiquement disent les prières à tous les dieux et déesses…15

  • 16  IvPriene, 2, 4 et 139 (340-330 av. J.-C.)

14À ce moment-là, le mot stéphanéphore désigne le prytane. Il est évident que les habitants de Chios commencèrent par ajouter l’attribut au titre de prytane, mais finirent par supprimer l’ancien titre, qui disparaît de nos documents. Le même genre de substitution eut lieu dans d’autres villes d’Asie Mineure, entre autres à Priène. Ici, quelques inscriptions très anciennes évoquent un prytane éponyme16 qui est ensuite remplacé par la datation familière ἐπὶ στεφανηφόρου τοῦ δεῖνος

  • 17  Milet I, 3, n. 122-128.
  • 18  Dmitriev (2005), p. 84.
  • 19  Crowther (1996), p. 205.

15Milet est un autre exemple bien connu. La stéphanéphorie était exercée par l’aisymnète des molpes, dont nous avons une liste quasi complète de 525 av. J.-C. à 31 ap. J.-C.17. Vers la fin de cette longue liste, on trouve l’équation στεφανη­φόροι οἱ καὶ αἰσυμνῆταιet nous savons grâce aux documents didyméens, datés par le stéphanéphore milésien, que la pratique qui consistait à appeler les aisym­nètes stéphanéphores a même précédé l’occupation du poste par Alexandre le Grand. Dans une monographie récente, S. Dmitriev arrive à la conclusion que les preuves du changement d’éponyme, de prytane à stéphanéphore, sont faibles18. Le fait que à Chios nous disposions de références à un collège de prytanes au début de la période hellénistique ne simplifie pas les choses – cela signifie que nous devons soit interpréter le prytane éponyme comme président des prytanes, soit penser qu’il y a deux types de prytanes, l’éponyme et des prytanes en fonction pendant un mois. Toutefois, Dmitriev s’est intéressé à ce problème du point de vue des différents magistrats. De la même façon, après avoir regardé comment le changement d’éponyme a un impact sur la constitution de Priène, C. Crowther utilise le texte de Chios et conclut que le changement est « more apparent than real »19. Je suis tout à fait d’accord, bien que je me place d’un point de vue différent : ce sont les titres qui m’intéressent.

  • 20  Mélos, IG XIII 3, 1116 (période impériale).
  • 21  Karystos / Euboea, IG XII suppl., 174, l. 11 (règne d’Hadrien).
  • 22  IG XII 5, 282.
  • 23  Sur la différence entre véritable éponyme et faux éponyme, cf.Sherk (1990), p. 255-256.

16Les exemples donnés ici donc ne représentent peut-être qu’un maigre échantillondes instances où « stéphanéphore » a remplacé un titre éponyme antérieur. Apparemment, porter la couronne était si important aux époques hellénistique et romaine que préciserla magistrature à laquelle le titre était au départ attaché n’avait plus aucune importance. La formulation de nombreux textes appuie cette observation. En maints endroits, les honneurs étaient attribués a l’ἄρξαντα δὶς τὴν στεφανηφόρον τοῦ ἄρχοντος ἀρχήν20 ou l’[ἄρξ]αντα τὴν στ[εφ]ανηφόρον ἐπώνυμον ἀρχήν]21, quel que soit le titre éponyme utilisé dans leur cité respective. On trouve un exemple surprenant et exceptionnel à Paros, où un polémarque est honoré de la sorte : ἄρξαντα τὴν στεφανηφόρον τοῦ πολεμάρχου ἀρχὴν καλῶς καὶ δικαίως καὶ κατὰ τοὺς νόμους22bien que nous sachions grâce à la fameuse liste d’éponymes de Paros que, sur cette île, c’est l’archonte qui donnait son nom à l’année. Il semble que, dans des cas très rares, « porter la couronne » pouvait aller de pair avec une fonction qui n’était pas éponyme mais, même dans ce cas, il pouvait s’agir d’un faux plutôt que d’un véritable éponyme.23

17Dans ce cas précis, la stéphanéphorie était attachée au sacerdoce d’Apollon, ce qui résolvait les problèmes de recrutement annuel (à moins qu’il n’ait été aussi difficile de trouver un volontaire pour le sacerdoce). Apparemment, les stéphanéphores étaient astreints à une dédicace importante,qui garantissait un revenu fixe au peuple. On a aussi connaissance d’une phialê stephanephorikê à Priène, où Zosime, que j’ai déjà mentionné, est aussi honoré pour les raisons suivantes :

πήνγελ|[ται δὲ ἀ]ναθήσειν καὶ τὴν κατὰ τὸν νόμον ὀφείλουσαν ἀνατίθεσθαι φιέλην [στεφανη]φορικὴν τῶι Διὶ τῶι Ὀλυμπίωι…

  • 25  IvPriene, 113, l. 91-93 (après 84 av. J.-C.).

il promit de dédier aussi la phiale du porteur de la couronne à Zeus Olympien celle qui est due selon l’usage25.

18Le texte de Bargylia montre qu’un détenteur de sacerdoce représentait un choix évident pour la stéphanéphorie. On peut avancer deux raisons principales pour expliquer cette situation : d’une part, les candidats étaient certainement les mêmes et, d’autre part, les devoirs attachés à ces deux fonctions sont remarquablement similaires.

19Il existait aussi un lien entre éponymie et sacerdoce à Pergame. Ici, les sources épigraphiques montrent que, du début du ive siècle av. J.-C. jusqu’au iie siècle ap. J.-C., le prytane était éponyme. Cependant, un grand nombre d’ins­criptions associent la prytanie à un prêtre, et parfois le prêtre est nommé dans la formule de datation – en d’autres termes, le prytane éponyme remplissait un sacerdoce en même temps, et un de ses deux titres était parfois omis. Ce qu’on appelle traditionnellement la Chronique de Pergamerévèle qu’un certain Archias établit la prytanie annuelle au ive siècle.

[συνέταξεν] Ἀρχίας [πρυτάν]ε[ι]ς α[ἱρεῖσθαι τῆς] | [πόλεως κατ᾽] ἔτος ἕκασ[τ]ον καὶ πρῶτος ἐπρυτ[ά]|[νευεν Ἀρχί]ας καὶ ἐξ ἐκείνου μέχρι νῦν πρυτά|[νεις εἶναι] διατελοῦσιν…

  • 26  IvPergamum II, 613, l. 1-4 (iie siècle ap. J.-C., concernant des événéments du début du ive siècle (...)

Archias fit en sorte que les prytanes de la cité soient élus chaque année, et Archias devint le premier prytane et, depuis ce moment-là, il y a toujours eu des prytanes…26

  • 27  Paus., II, 26, 7, affirme qu’Archias importa le culte d’Épidaure à Pergame.
  • 28  Allen (1983), p. 162-163, suggère que c’est aussi la famille d’Archias (selon la restauration du t (...)

20L’introduction de l’éponymie s’accompagna de l’introduction du culte d’Asclépios à Pergame, puisqu’il est tout à fait probable qu’il s’agisse du même Archias que celui qui est traditionnellement lié à cette introduction27. De plus, un décret pergaménien de la fin du iie siècle av. J.-C. confirme le droit de la famille d’un certain Asclépiade à exercer le sacerdoce, et insiste aussi sur le port de la couronne28.

  … περὶ τῆς ἱερωσύνης τοῦ Ἀσκληπι[οῦ], | ὅπως ὑπάρχηι εἰς τὸν ἅπαντα χρόνον | Ἀσκληπιάδηι καὶ τοῖς ἀπογόνοις τοῖς | Ἀσκληπιάδου.̣ τύχηι τῆι ἀγαθῆι,̣ δεδόχθαι | τῆι βουλῆι καὶ τῶι δήμωι̣ τὴν μὲν ἱερωσύνην | τοῦ Ἀσκληπιοῦ καὶ τῶν ἄλλων θεῶν τῶν ἐν τῶι | Ἀσκληπ̣ι̣είωι ἱδρυμένων εἶναι Ἀσκληπιάδου τοῦ | [Ἀρχί]ου καὶ τῶν ἀπογόνων τῶν Ἀσκληπιάδου | εἰς ἅπ̣αν̣[τ]α [τ]ὸν χρόνον καὶ στεφανηφορεῖν αὐτῶν | ἀεὶ τὸν ἔχοντα τὴν ἱερωσύνην, λαμβάνειν δὲ | καὶ γέρα τῶν θυομένων ἱερείων ἐν τῶι ἱερῶι | πάντων σκέλος δεξιὸν καὶ τὰ δέρματα καὶ τἄλλ[α] | τραπεζώματα πάντα τὰ παρατιθέμεν[α] | [5]σ[–] ρ̣πεύεσθαι ὲ ατὸν καὶ τὸ ἱερ[ὸν] | [– – –] |ὑρ̣χειν εἰς ἅπανα ὸν χρόν̣[ον] | [εἶναι δ]ὲ καὶ ἀτέλειαν Ἀσκληπιάδηι πάντων | [ὧν] ἡ πόλις κυρία, καὶ εἰς τὸ λοιπὸν | εὶ τῶι τὸν στέφανον ἔχοντι, ἀναγορεύεσθαι δ[ὲ] | εἰς προεδρίαν τὸν ἱερέα ἐν ἅπασι τοῖς ἀγῶσιν.

  • 29  IvPergamum II, 251, l. 3-23 (fin du iie siècle av. J.-C.).

… en ce qui concerne le sacerdoce d’Asclépios, afin que celui-ci revienne perpétuellement à Asclépiade et à ses descendants; à la bonne Fortune;le conseil et le peuple ont décidé que le sacerdoce d’Asclépios et des autres dieux résidant dans l’Asclépieion reviendrait à Asclépiade fils d’[Archi]as et aux descendants d’Asclé­piade pour l’éternité, et celui d’entre eux qui exercera le sacerdoce chaque année portera la couronne(suivent des instructions concernant les privilèges du prêtre et une exemption fiscale pour celui qui porte la couronne)29.

21Il n’est pas tout à fait évident que le verbe stephanephorein soit ici associé à l’éponymie, bien que la formulation le suggère. Si « porter la couronne » était synonyme d’« exercer le sacerdoce », la phrase dirait la même chose deux fois. Si le texte se réfère bien à la prytanie éponyme, l’identité fréquente entre ces magistratsdans les inscriptions de Pergame n’est pas un pur hasard ou une simple coïncidence, mais est en réalité stipulée et est en cela étroitement semblable à Bargylia, où elle est même héréditaire.

  • 30  IvPriene, 108, l. 253.
  • 31  IvPriene, 114, l. 23-24.
  • 32  Oppermann (1924), p. 56-57; par exemple IStratonikeia, 202; 205.
  • 33  OGIS, 767, l. 12.
  • 34  CIG, 2782 = I.Aphrodisias, 315, l. 17-18.
  • 35  I.Ephesos, 104.

22Tous mes exemples ont montré que « porter la couronne » était l’attribut spécifique d’un magistratéponyme. Mais dans quelle mesure doit-on comprendre l’expression « porter la couronne » de façon littérale ? Qu’est-ce qu’une « couronne éponyme », et quelle est sa signification ? Revenons à mon exemple de départ à Priène. Les trois hommes honorés pour les services qu’ils ont rendus sont décris comme [ἀν]αλαβόντος [δὲ τὸ]ν τοῦ Διὸς τοῦ Ὀλυμπίου στέφανον (« il accepta la couronne de Zeus Olympien »30), et l’un des textes précise μεθ᾽ ἅπαντα λαβὼν παρὰ τοῦ δήμου τὸν ἐπώνυμον τοῦ Διὸς τοῦ Ολυμπίου στέφανον…(« il accepta du peuple la couronne éponyme de Zeus Olym­pien »31). La magistrature éponyme d’une cité était donc liée à une divinité particulière, mais pas nécessairement à la divinité patronne de la cité, comme on aurait pu s’y attendre, et le peuple était responsable de la couronne. Il est cohérent qu’à Priène la stephanephorikê phialê mentionnée plus haut soit aussi dédiée à Zeus Olympien. Lorsque la stéphanéphorie éponyme fut instituée à Bargylia et liée à la consécration d’une phiale à Apollon par les futurs stéphanéphores, cela signifie certainement qu’Apollon portait la couronne éponyme. « Accepter la couronne » est une expression typique pour la prise de fonction de prêtres. À Panamara et Stratonikeia par exemple, l’analepsis ou la paralepsis tou stephanou était le festival célébré au moment où le prêtre entrait en fonction32, coutume con­nue aussi à Cyrène33, et à Aphrodisias où nous entendons parler du hieratikos chryseos stephanos34. Si l’on prend en compte les devoirs des magistrats éponymes, l’impression qu’il s’agissait d’une fonction sacerdotale s’amplifie. À Éphèse, le prytane éponyme devait allumer les feux devant tous les autels, faire des offrandes d’herbes et d’encens, apporter les victimes sacrificielles aux dieuxlors de jours déterminés,vérifier qu’on chantait les péans pendant les sacrifices, et offrir le cœur, la langue et la peau de chaque victime sacrificielle au hiérophante et aux autres personnes participant au rituel35

23Un décret d’un groupe de Sarapiastes à Thasos au iie siècle av. J.-C. illustre ce parallèle. De la même façon que des charges sacerdotales furent vendues dans de nombreuses cités de l’est de l’Égée et de l’Asie Mineure occidentale pendant la période hellénistique, ce groupe fit de la réclame pour « la magistrature éponyme » de son culte et la vendit :

ἀγαθῆι τύχηι. | ἔδοξεν τοῖς Σαραπιασταῖ| τιμῆσαι τὴν ἐπωνυμίαν | τῶν Σαραπιαστῶ· ὁ δὲ | ἀγοράσας τὴν ἐπωνυμίαν | ἕξει γέρα παρὰ τοῦ κοινοῦ | τάδε̣· ἀνακείσεται ἐν τῆι | κλισίαι τῆι ἱερᾶι ἔχων στρόφιο[ν] | λευκόν̣ καὶ στεφανωθήσεται | κοινῆι καθ᾽ ἑκάστην σύνοδον ὑπ[ὸ] | τοῦ δοχέως τῶι ἐπωνύμωι στεφά|νωι, ἀναγγελίας γινομένης ὑπὸ | τοῦ ἱεροκήρυκος…

  • 36  LSS, 71, l. 1013 (Thasos, iie siècle av. J.-C.).

À la bonne fortune. Les Sarapiastes ont décidé d’honorer l’éponymie des Sarapiastes : celui qui achètera l’éponymie recevra du groupe les privilèges suivants : il pourra s’allonger sur le banc sacré et porter un bandeau blanc; il sera couronné de la couronne éponymepar celui qui préside en présence de tout le groupe à chaque rassemblement, et le héraut sacré fera l’annonce…36

24Il apparaît clairement que le stephanos en question était un symbole spéci­fique, mis en évidence par celui qui le portait et que le groupe reconnaissait, et qu’il était différent du strophion que l’acheteur portait en d’autres occasions. Il est probable que lors des processions festives un stéphanéphore portait la cou­ronne éponyme qui décorait l’image cultuelle de la divinité honorée en cette occasion, ce qui créait un fort contraste avec les couronnes accordées aux autres dignitaires de la cité et qui n’avaient pas ce « contexte divin ». Malheureusement, il est extrêmement difficile d’isoler de telles couronnes dans les sources iconographiques dont nous disposons. Il existait une grande variété de guirlandes et de couronnes, et nous savons maintenant que toutes n’avaient pas de signification sacerdotale. Les hommes et les femmes qui occupaient des charges d’agonothètes ou d’archiereis de la province d’Asie et les stéphanéphores portaient des couronnes spécifiques et vraisemblablement aisément identifiables.

  • 37  Robert (1960), p. 449-453 et planche XXVIII.

25Une inscription de Didymes concernant un certain Philodémos, qui fut stéphanéphore en 67/66 av. J.-C. et prophète la même année, témoigne de l’importance de telles couronnes, d’un point de vuetextuel comme d’un point de vue iconographique37. L’épigramme nous dit qu’Apollon a conféré des cou­ronnes sacrées à Philodémos, plusieurs même, car il était à la fois prophète et stéphanéphore. Chacune des quatre couronnes représentéesau-dessus de l’épigramme est de forme différente. Celle de droite est probablement une couronne de laurier (comme de nombreuses couronnes honori­fiques), celle de gauche un bandeau avec un nœud; la deuxième à gauche est aussi un bandeau, avec deux bandes sur le côté, des tainia, cela doit être un strophion sacerdotal (en laine); la dernière, unecouronne ouverte, a l’air rigide, comme si elle était en métal (de l’or ?) ce que confirme la décoration frontale. Ainsi, les couronnes représentent les fonctions glorifiées dans l’épigramme et elles sont probable­ment les différentes couronnes portées par Philodémos en diverses occasions, tout comme le Sarapiaste éponyme portait un strophion durant les banquets, mais recevait sa couronne éponyme en d’autres occasions publiques :

προφήτης | Φιλόδημος Παμφίλου, δήμο[υ] | Τιχιεσσέων, πατριᾶς Νειλεϊδῶ[ν,] | φρήτρας Πελαγωνιδῶν, ἐπὶ στε|φανηφόρου αὐτοῦ Φιλοδήμου κα[ὶ] | ἐπὶ στεφανηφόρου Διαγόρου. | μάρτυς μὲν ψυχᾶς ὁσίου πέλει α[ὐ]τὸ[ς Ἀπ]όλλων | αὐτοέτεις ἱεροὺς θεὶς ἔπι σοὶ στεφάνους. | Μίλατος δ᾽ ἐρατά, Φοίβου κλυτὸν ἐμβασίλευμα, | τάσδε σαοφροσύνας νείματό σοι χάριτας, | ὡς μόνος ἐμ πάτρᾳ στεφανηφόρος ἠδὲ προφή[της | κλῃζόμενος λάμπῃς Οὐρανίδαισιν ἴσα. | ἔστι παρ᾽ ἀθανάτοισι καὶ ἐν θνατοῖς, Φιλόδημε, | τοῖς ἀγαθοῖς ἀγαθὰ μοῖρα φυλασσομένα.

  • 38  IvDidyma, 229 II (67/66 av. J.-C.).

Le prophète Philodémos, fils de Pamphile, du dème des Tichiesseai, de la patria des Neileidai, de la phratrie des Pelagonidai, lorsque Philodémos lui-même était stéphanéphore et que Diagoras était stéphanéphore. Apollon lui-même, qui a placé de nombreuses couronnes sacrées sur ta tête la même année, est témoin de ta piété. L’adorable Milet, glorieux royaume de Phoibos, t’aaccordé ces grâces de ta sagesse car tu es le seul dans le pays à être appelé en même temps stéphanéphore et prophète, de même que les lumières célestes. Parmi les mortels et les immortels, Philodémos, ta part est gardée comme un bienfait parmi les bienfaits38.

  • 39  Rumscheid (1999), p. 2-3; Blech (1982), p. 308-312; Robert (1960), p. 451-452.
  • 40  I.Iasos, 4B, l. 79-81.
  • 41  Cf. Kron (1989), p. 383.
  • 42  I.Iasos II, 225 (iie siècle av. J.-C.).
  • 43  IG XII 3 suppl., 1346.

26L’hypothèse selon laquelle les couronnes sacerdotales imitaient, voire représentaient, les couronnes des dieux, est séduisante39. Quand Antiochos III ordonna que les prêtresses de la reine Laodiké portent des guirlandes dorées à l’effigie de la reine40, il s’inspira pour cette idée d’une tradition de diadèmes sacerdotaux ornés des symboles ou de l’image de la divinité honorée. Cette tradition elle-même est peut-être liée aux couronnes des divinités elles-mêmes, qui faisaient fréquemment, et même souvent intégralement, partie de l’icono­graphie cultuelle. Pendant les processions, les prêtres – et par analogie les stéphanéphores qui portaient la couronne éponyme d’une divinité – appa­raissaient peut-être même comme l’image vivante de la divinité41. Cela me ramène à ces occasions étranges où les dieux eux-mêmes occupaient la charge éponyme. Si l’on insiste concrètement sur la stéphanéphorie de la charge éponyme, le fait de porter leur propre couronne n’aurait pas présenté de difficulté pour ces dieux. À Iasos, un stéphanéphore sortant de charge dédia une statue de son père à « Apollon stéphanéphore »42. Nous ne savons pas si Apollon reçut cette épithète parce que la statue portait une couronne ou parce que le dieu fut en charge de la stéphanéphorie à de nombreuses reprises, peut-être en particuliercette année-là. L’attribut se trouve ailleurs. Parmi les célèbres dédicaces qu’Artémidore de Perge fit à Théra, l’une d’entre elles était destinée à « Apollon stéphanéphore »43.

  • 44  I.Byzantium, n. 19; n. 32-35.

27Il est vrai, cependant, que « porter la couronne » n’était pas la seule fonction d’un éponyme et que les mortels étaient tout à fait compétents en ce qui concerne d’autres aspects de la fonction. De nombreux exemples montrent que c’était en période de crise économique que les dieux intervenaient et qu’il ne s’agissait pas toujours du dieu dont la couronne éponyme était en jeu. À Priène, par exemple, à un moment donné, Apollon, et non Zeus Olympien, fut en charge de la stéphanéphorie. À Byzance, où l’éponymie était tenue par le hiéro­mnamon, différents dieux locaux occupèrent cette fonction : Zeus Sérapis, Déméter, Héra, Némésis, Nikè, Tychè, Hygie. Plusieurs fois, un hiéropede la divinité est mentionné, ce qui suggère que c’était un mortel qui accomplissait en réalité les tâches nécessaires44. À Milet, nous trouvons même un règlement portant sur le cas où le dieu « achète le titre éponyme d’aisymnète ».

 … ἐὰν δὲ ὁ θεὸς πρίηται τὴν αἰσυ|μνητύν, θυέτωσαν οἱ προσέταιροι|τοῦ θεοῦ ἐν ἑκατέρᾳ ἡμέρᾳ ἱερῆον τέ|λειον καὶ τὰ γέρη διδότωσαν τῷ ἱερεῖ|τὰ τεταγμένα̣·

  • 45  LSAM, 49B, l. 33-37 (130 environs av. J.-C.).

… si le dieu achète le titre d’aisymnète, chaque jour les proshetairoi du dieu sacrifieront une victime adulte et donnerons au prêtre la part qui lui revient45.

28Le passage est extrait de la vente d’un sacerdoce du peuple romain et de la déesse Rome. Il s’agit dans ce paragraphe de garantir que la personne qui achète le sacerdoce recevra la part qui lui est due au cours du sacrifice fait par l’aisym­nète même s’il n’y a pas d’officiant mortel. C’est le collègue mortel de l’aisym­nète qui fera le sacrifice à sa place. Comme dans beaucoup d’autres cas, dans le domaine économique du culte, les dieux pouvaient agir comme des mortels, ou, dans ce cas précis, de riches individus, et lorsqu’ils ne le pouvaient pas, on arrivait à trouver des moyens de s’adapter à la situation.

29Quelles conclusions peut-on tirer de ces observations ? Premièrement, le profil des éponymes (au moins pendant la période hellénistique) n’était pas déterminé par le titre qui leur était attaché à l’origine; par conséquent, distinguer entre éponymes « séculiers » et « religieux » n’a pas de sens. Deuxièmement, dans de nombreuses cités d’Asie Mineure, le titre de stéphanéphore reflète concrètement la particularité de la charge : accepter et porter la couronne d’une divinité bien précise, charge comparable à un sacerdoce, modelée sur cet exemple, et souvent confondue avec lui. Cela signifie que l’éponyme n’est pas, comme on pourrait le penser de prime abord, un représentant de la polis (en opposition au domaine religieux, pour reprendre cette dichotomie classique), un magistrat. Mais, – et c’est cela que je trouve déroutant, – l’équation éponyme = prêtre, est tout aussi erronée. Différent d’un prêtre, l’éponyme était celui qui organisait et dirigeait des actions concertées dans le domaine religieux – le stéphanéphore dirigeait et rassemblait les prêtres de différents cultes au cours de divers festivals,ceux qui célébraient un culte spécifique, et ceux qui célé­braient les nombreux cultes existant dans la cité. La charge était moins un « entre-deux » entre les aspects séculier et religieux de la cité qu’une institution médiatrice au sein du domaine religieux. Pourquoi nos sources soulignent-elles le fait que le stéphanéphore de Priène acceptait la seule et unique couronne éponyme de Zeus Olympien si ses activités étaient liées à tant d’autres cultes ? Les habitants de Priène, j’en suis convaincue, n’étaient nullement déroutés par ce fait et faisaient aisément le lien entre ces aspects religieux, symboliques, pragmatiques et économiques.

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M. Wörrle, « Pergamum um 133 v. Chr. », Chiron 30 (2000), p. 543-573.

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Notes

*  Cet article est fondé sur un exposé présenté à l’Université de Bruxelles en mai 2006, à l’occasion d’une journée d’étude du Groupe de contact FNRS pour l’étude de la religion grecque antique sur le thème « Religion et pouvoir dans le monde grec : étude de cas ». Je voudrais remercier mes hôtes, Carine Van Liefferinge et Vinciane Pirenne-Delforge, pour leur invitation et leur chaleureux accueil, ainsi que le public pour ses précieux commentaires.

1  IvPriene, 4, l. 1-5 (332/1 avant J.-C. ou après).

2  Chaniotis (1998), p. 7; Welwei (2001), 956; Sherk (1990), p. 183.

3  Robert (1946).

4  Sherk (1990), p. 249-288; (1991a), p. 231-295; (1991b), p. 225-260; (1992), p. 223-272; (1993), p. 267-295.

5  IvPriene, 109, l. 170-175 (120 environs av. J.-C.).

6  Ibid., l. 188-191.

7  IvPriene, 109, l. 191-198.

8  IvPriene, 46, l. 8-22 (environs 100 av. J.-C.).

9  IvPriene, 108, l. 253-260 (après 129 av. J.-C.).

10  IvPriene, 113, l. 60-63; 114, l. 23-27.

11  Cf.Chaniotis (1995), p. 147-172.

12  LSAM, 32, l. 31-46 (Magnésie du Méandre, 197/6 av. J.-C.).

13  Chaniotis (1995), p. 160.

14  Ce fut d’abord observé par Vanseveren (1937), p. 337-347.

15  Vanseveren (1937), n. 10, l. 12-14 (Chios, environs 200 av. J.-C.).

16  IvPriene, 2, 4 et 139 (340-330 av. J.-C.)

17  Milet I, 3, n. 122-128.

18  Dmitriev (2005), p. 84.

19  Crowther (1996), p. 205.

20  Mélos, IG XIII 3, 1116 (période impériale).

21  Karystos / Euboea, IG XII suppl., 174, l. 11 (règne d’Hadrien).

22  IG XII 5, 282.

23  Sur la différence entre véritable éponyme et faux éponyme, cf.Sherk (1990), p. 255-256.

24  I.Iasos II, 612, l. 6-13 (concernant des activités en 129-127 av. J.-C.).

25  IvPriene, 113, l. 91-93 (après 84 av. J.-C.).

26  IvPergamum II, 613, l. 1-4 (iie siècle ap. J.-C., concernant des événéments du début du ive siècle av. J.-C.).

27  Paus., II, 26, 7, affirme qu’Archias importa le culte d’Épidaure à Pergame.

28  Allen (1983), p. 162-163, suggère que c’est aussi la famille d’Archias (selon la restauration du texte).

29  IvPergamum II, 251, l. 3-23 (fin du iie siècle av. J.-C.).

30  IvPriene, 108, l. 253.

31  IvPriene, 114, l. 23-24.

32  Oppermann (1924), p. 56-57; par exemple IStratonikeia, 202; 205.

33  OGIS, 767, l. 12.

34  CIG, 2782 = I.Aphrodisias, 315, l. 17-18.

35  I.Ephesos, 104.

36  LSS, 71, l. 1013 (Thasos, iie siècle av. J.-C.).

37  Robert (1960), p. 449-453 et planche XXVIII.

38  IvDidyma, 229 II (67/66 av. J.-C.).

39  Rumscheid (1999), p. 2-3; Blech (1982), p. 308-312; Robert (1960), p. 451-452.

40  I.Iasos, 4B, l. 79-81.

41  Cf. Kron (1989), p. 383.

42  I.Iasos II, 225 (iie siècle av. J.-C.).

43  IG XII 3 suppl., 1346.

44  I.Byzantium, n. 19; n. 32-35.

45  LSAM, 49B, l. 33-37 (130 environs av. J.-C.).

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Pour citer cet article

Référence papier

Beate Dignas, « Porter la couronne d’un dieu : titre civique, charge religieuse, pouvoir ou fardeau ? »Kernos, 20 | 2007, 173-187.

Référence électronique

Beate Dignas, « Porter la couronne d’un dieu : titre civique, charge religieuse, pouvoir ou fardeau ? »Kernos [En ligne], 20 | 2007, mis en ligne le 16 février 2011, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/kernos/181 ; DOI : https://doi.org/10.4000/kernos.181

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Auteur

Beate Dignas

Somerville College – Oxford

beate.dignas@some.ox.ac.uk

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