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Ce collectif de 30 articles suit la tradition de la collection « Oxford Handbook » en proposant un large éventail de portes d’entrée sur un sujet particulier. Ne pouvant décrire chacun des chapitres, je vais présenter quelques exemples représentatifs des quatre grandes sections du volume. Dans l’ensemble, il s’agit d’une contribution significative à l’intersection des enjeux environnementaux et des études bibliques, un domaine relativement récent.

La première partie du livre est consacré aux enjeux méthodologiques. David Horrell, figure phare de l’important Exeter project, délimite trois dimensions importantes d’une herméneutique écologique (p. 30) : 1) L’étude historique et exégétique des textes bibliques, en soulignant la différence entre nos présupposés culturels et ceux de l’Antiquité ; 2) un engagement théologique avec la tradition chrétienne ; 3) un engagement avec la science contemporaine et les divers domaines d’études.

Sur le plan méthodologique, l’ensemble du volume négocie le gouffre historique entre notre époque et les temps bibliques par une démarche herméneutique nuancée. Pour répondre au premier aspect explicité par Horrell, les méthodes historico-critiques sont largement utilisées dans ce volume, bien qu’on retrouve aussi de la place pour des cadres théoriques centrés sur le lecteur ou les contextes de lecture. Cette option permet de bien distinguer les conceptions bibliques et contemporaines.

Le deuxième point de Horrell est aussi très présent dans les contributions qui se situent souvent explicitement dans une réflexion ecclésiale qui tente de fonder une théologie doctrinale ou pratique à partir de l’étude des textes bibliques. Ainsi certaines contributions pourraient être catégorisées comme écothéologie protestante. Notons qu’il y a aussi une place accordée à un discours interne au judaïsme dans le chapitre sur l’écothéologie juive écrit par Julia Watts Belser.

Horrell précise l’importance de son troisième point : « Ecological hermeneutics cannot flourish except as an interdisciplinary disciplinary endeavor, in which ongoing dialogue across the boundaries of disciplinary specialism is essential » (p. 30). Or, ce volume propose peu de place aux regards interdisciplinaires vers la philosophie environnementale, l’éthique ou les études animales. En revanche, la section méthodologique du volume propose une herméneutique écologique et féministe par Anne Elvey et une herméneutique écologique et le postcolonialisme de Madipoane Masenya. La juxtaposition de ces chapitres souligne l’importance de l’intersectionnalité dans l’avenir de l’herméneutique écologique qui doit analyser les multiples formes d’oppression interreliées qui affectent les femmes, les peuples autochtones, les animaux et la terre. Conçue comme une praxis féministe et décoloniale, l’herméneutique écologique devient une praxis de justice et de changement plutôt qu’une réflexion rationnelle.

La deuxième section du volume porte sur des études de livres ou groupe de livres bibliques : Genèse (Théodore Hiebert), Lévitique (Déborah Rooke), Deutéronome (Raymond Person), Isaïe (Hilary Marlow), Jérémie (Emily Colgan), les douze prophètes (Laurie Braaten), Psaumes (William Brown), Job (Kathryn Schifferdecker), le Cantique des cantiques (Ellen Bernstein), les synoptiques (Mark Harris), Jean (Susan Miller), les lettres de Paul (Vicky Balabanski) et l’Apocalypse (Micah Kiel). Cet ensemble, bien que non exhaustif, permet un regard panoramique qui montre des résonances entre les textes bibliques. Par exemple, les perspectives évoquées dans le texte de la Genèse reviennent dans plusieurs des autres corpus. Cette section ouvre aussi vers l’étude de textes moins centraux. Si l’histoire de l’interprétation a donné une place primordiale à l’invitation faite aux humains de dominer la terre et de soumettre poissons, animaux et bêtes en Gn 1,28, plusieurs autres textes et perspectives bibliques peuvent engendrer d’autres rapports entre les humains et le reste de la création.

Le chapitre d’Hilary Marlow sur le livre d’Isaïe part de la perspective d’un « triangle écologique » des interrelations entre Dieu, les humains et la création non humaine[1]. Alors que la majorité de la recherche sur les livres prophétiques s’intéresse aux relations entre Dieu et les humains, cet angle souligne l’importance de la création non humaine dans les textes bibliques. Cependant, l’illustration avec un triangle équilatéral (p. 124) laisse entendre que les relations entre ces trois partenaires sont égalitaires. À l’inverse, l’article sur le livre de Jérémie d’Emily Colgan est attentif aux inégalités de pouvoir dans les relations entre ces trois partenaires. Son herméneutique, fondée sur les apports du féminisme, montre la violence de YHWH dans les interrelations avec le peuple et la terre. « YHWH requires absolute undivided and permanent loyalty, and to choose otherwise results in losing the freedom of choice through violent coercion » (p. 144). Le Seigneur utilise un système de punitions et récompenses qui mène aux bénédictions et aux malédictions de la terre. La vie de toute créature en Jérémie dépend du Dieu qui peut donner ou non la pluie nécessaire à la survie des créatures. La terre et les animaux non humains sont des victimes collatérales de la punition divine des humains par leur divinité. Pour Colgan, Dieu en Jérémie utilise une rhétorique d’intimidation et les rapports qu’il entretient avec le peuple et la terre produisent de profondes inégalités aux dépens des plus vulnérables. Elle poursuit sa proposition par l’écoute de la terre qui résiste à cette inégalité dans un contre-discours. « To listen to the land in this poem (Jr 3,1-5) is to hear its silent protest against the model of rationality that is envisioned as hierarchical, abusive, and repressive » (p. 146). Ce chapitre inspiré par l’approche développée par Norman Habel ressort du lot par son regard critique du rôle de Dieu dans son rapport à la création. Un rapport critique qui ne se retrouve que trop rarement dans le reste de ce collectif. Colgan nomme une forme d’abus de pouvoir du Seigneur par rapport à sa création.

La troisième section du volume regroupe des études thématiques et la dernière des études qui traitent d’enjeux contemporains. La frontière entre ces deux parties étant poreuse, je les regroupe pour souligner quelques discussions transversales. Par exemple, l’effet des dichotomies cartésiennes sur l’interprétation biblique est un enjeu majeur. Plusieurs auteurs soulignent que contrairement aux interprétations modernes de la Bible, ni les textes bibliques ni les cultures qui les ont produits ne marquent de distinctions franches entre la nature et la culture, la matière et l’esprit, les animaux et les humains. Ainsi, Ronald Simkins souligne que les textes bibliques sont à comprendre à partir d’une vision théocentrique du monde qui s’inscrit contre les interprétations anthropocentriques de l’Occident chrétien. « An anthropocentric reading of the Bible results from a post-Cartesian worldview and the assumption that humans are separate and distinct from the natural world. Such anthropocentric readings reflect the cultural worldview of the readers rather than the ancient Near Eastern context of the text » (p. 271).

Un débat important s’est développé au sujet du modèle de « stewerdship » (gardien de la création) qui a fécondé la réflexion et la pratique des chrétiens conscients des enjeux environnementaux. Les critiques exprimées ailleurs par Richard Bauckham sont reprises dans quelques chapitres[2]. Pour Bauckham, ce modèle 1) montre l’orgueil des humains qui croient être responsables de l’environnement, 2) exclut Dieu des activités du monde, 3) n’oriente pas vers des pratiques précises, 4) place les humains au-dessus de la création et 5) isole un seul texte biblique (Gn 1,26-28) de son contexte et des autres textes bibliques. Le chapitre de Mark Lienderbach répond à ces critiques en affirmant que le « stewerdship » peut devenir pertinent si l’humilité et la repentance demandées par l’Évangile de Jésus-Christ sont soulignées (p. 320). La réflexion théologique de Lienderbach est un exemple d’un discours ecclésial qui n’est pas en dialogue avec des perspectives externes à l’Église[3].

Comme presque toutes les publications qui articulent la Bible et l’écologie, l’article controversé de Lynn White Jr. est fréquemment cité[4]. Il est même au centre du premier chapitre signé par Jeremy Kidwell. En 1967, White ciblait le christianisme occidental comme la racine de la crise écologique et indiquait que la solution était peut-être de trouver une nouvelle religion, ou de repenser la religion existante. Si ce volume donne un excellent portrait des rapports entre l’écologie et la Bible, sa faiblesse réside dans un certain manque d’ambition sur le plan d’un regard novateur généré par le contexte de notre crise écologique. Ainsi ce livre n’atteint pas l’objectif d’une révision radicale anti-anthropocentrique de l’exégèse délimitée par Norman Habel et le groupe du Earth Bible Commentary[5]. Cette faiblesse est le contrepoids de la force principale de ce livre de référence. L’accent sur des perspectives historiques est sans doute une excellente stratégie pour ouvrir un dialogue avec les exégètes travaillant avec des perspectives méthodologiques plus traditionnelles qui, dans l’herméneutique écologique, craignent une forme d’eiségèse, c’est-à-dire d’importer les préoccupations contemporaines dans le texte sans réflexion critique. Plusieurs des essais de ce volume restent donc très proches des textes bibliques et de leurs milieux de production, laissant l’explicitation herméneutique du rapport à la crise écologique actuelle à d’autres.

En somme, ce volume permet un excellent tour d’horizon d’une question émergente en études bibliques et met la table pour un engagement plus profond avec l’enjeu le plus important de notre époque.