Navigation – Plan du site

AccueilTemporalités22Mutations du monde russe et post-...« De drôles d’années »

Mutations du monde russe et post-soviétique

« De drôles d’années »

Les événements de la période transitionnelle (1985-1993) au prisme de deux corpus de récits de vie
“Strange years”. Events of a transition period (1985-1993) seen through two bodies of personal narratives
"Esos años extraños". Abordar los acontecimientos del período transicional (1985-1993) a través de dos corpus de relatos biográficos
Veronika Duprat-Kushtanina et Lisa Vapné

Résumés

Cet article analyse la place occupée dans les parcours de vie par différents événements historiques de la période transitoire entre l’époque soviétique et postsoviétique (1985-1993). Il s’appuie sur deux terrains de recherche : un conduit en Russie auprès de familles d’au moins trois générations, l’autre – en Allemagne auprès de migrants arrivés en tant que Juifs de l’espace (post) soviétique. L’article montre que dans les récits, les différentes dates officielles de l’époque ne sont pas réellement distinguées, mais traités davantage comme un seul événement, ne se décomposant pas en éléments distincts. Nous proposons de distinguer trois types de discours biographiques en fonction de la place accordée à la période dans les parcours de vie. Le premier type de discours peut être qualifié d’anhistorique car il tend à ignorer les changements macrosociaux. La deuxième façon de mettre son parcours de vie en récit consiste à présenter la période transitionnelle comme une rupture, causant une bifurcation individuelle. Enfin, certains de nos interlocuteurs qualifient la transition d’une parenthèse, en rapprochant à travers leur vécu la période soviétique et postsoviétique.

Haut de page

Texte intégral

1« L'histoire procède par à-coups, à des moments riches en événements se succèdent des périodes creuses » (Martenot, Cavalli, 2014). Le tournant des années 1980-1990 dans l’espace (post)soviétique représente justement une période chargée en événements : politiques (Glasnost ; conflits interethniques ; fin de l’Union soviétique avec l’apparition d’États indépendants ; putsch de 1991 ; changement de régime ; tentative de coup d’État de 1993) ; économiques (perestroïka et passage à l’économie du marché ; la « thérapie de choc » et la crise économique du début des années 1990) et sociales (privatisation du logement ; réduction des prestations sociales), et ceci pour n’en énumérer que quelques-uns.

2Nous nous proposons ici d’analyser la place de ces événements ayant une portée historique de la période transitoire entre la période soviétique et postsoviétique dans les parcours de leurs contemporains à travers leurs « mises en intrigue » (Ricœur, 1983) dans les récits de vie. Les bornes de la période que nous étudions, celles du passage de l’ère soviétique à l’époque postsoviétique, sont les années 1985-1993. Si la première date, le commencement de la perestroïka, fait généralement consensus comme début de la période transitoire, la fin pose davantage problème. Notre choix de la date 1993 s’appuie principalement sur le fait que quasiment aucun événement macrosocial postérieur à cette date n’apparaît dans les récits, exception faite pour de rares évocations de la crise économique de 1998.

3L’analyse de la société au prisme des parcours de vie qui s’esquisse à partir des années 1930 en Pologne et aux États-Unis s’est affirmée à partir des années 1970 dans la sociologie française et d’autres sociologies européennes (Bertaux, 1981). Cette approche permet de relier l’analyse de la vie sociale aux niveaux micro et macro (Elder, 1981 ; Passeron, 1990) afin de saisir les changements sociaux (Elder, 1981) et ainsi réintroduire dans l’analyse sociologique une dimension historique (Bessin, 2009 ; Elder, 1981 ; Kohli, 1981). Mais bien que l’analyse biographique ait une relativement longue histoire dans les sciences sociales, les sociologues se sont pendant longtemps concentrés sur les parcours dans leur continuité. Ils ont ainsi davantage cherché à expliquer l’hérédité entre les différents moments des parcours ou à retracer les changements lents en se focalisant ainsi sur des temporalités longues et non sur des ruptures et des temps courts (Bensa, Fassin, 2002 ; Bessin et al., 2009b). L’intérêt pour les discontinuités dans les parcours est donc relativement récent. En ce qui concerne l’événement, c’est un objet qui « pose problème » aux sciences sociales (Bensa, Fassin, 2002), particulièrement dans la tradition durkheimienne (Bessin et al., 2009c). Les travaux portant sur ces temporalités très courtes sont ainsi peu nombreux et s’intéressent principalement aux « événements » d’ordre privé (Leclerc-Olive, 1997 ; Lalive d’Épinay, Cavalli, 2007) comme les ruptures professionnelles (Negroni, 2007 ; Denave, 2015) ou les conversions religieuses (Le Pape, 2009), mais plus rarement à l’impact des événements historiques sur les parcours de vie.

4En Russie, bien qu’appliquée depuis le début des années 1990, l’analyse biographique semble encore marginale et représentée pour la plupart par des chercheurs français ou ayant un ancrage académique en France. Ces derniers se sont intéressés à la période transitoire d’après la révolution d’Octobre 1917 (De Saint Martin, Tchouikina, 2008) ou aux parcours de vie durant la période soviétique (Bertaux et al., 1996), et plus récemment, à la faveur de la commémoration des vingt ans de la fin de l’Union soviétique, à l’année 1991 (Daucé, Rousselet et al., 2011). Ces analyses se replaçant à l’échelle du parcours biographique ont aussi été conduites dans d’autres pays postcommunistes (Heurtaux, Pellen, 2009b). La plupart de ces travaux qui montrent une pluralité des temporalités à l’œuvre en marge de la chronologie officielle se concentrent sur des corpus spécifiques comme les dirigeants politiques (Shukan, 2009), les prêtres (Rousselet, 2011) ou les officiers (Daucé, 2011b). En outre, ces derniers sont interrogés assez spécifiquement sur leur bifurcation. Les travaux portant sur des groupes sociaux concernés directement ni par les transformations de l’État ni par la politique semblent plus rares (citons Blaive, 2009 ; Hervouet, 2009). C’est cette perspective d’analyse de la transition « par le bas » que nous souhaitons approfondir.

5Cet article écrit à quatre mains est le fruit d’une comparaison de deux enquêtes menées de manière indépendante, s’intéressant chacune à sa façon aux parcours de vie des personnes ayant connu cette époque. Nous avons mis en parallèle les façons de mettre ou non en récit des événements par des personnes originaires de la même aire géographique, mais qui ont ou non choisi de quitter l’espace (post) soviétique pendant ou à l’issue de cette période transitionnelle. Le premier terrain de recherche a été conduit en Russie entre 2007 et 2009 dans le cadre d’une thèse consacrée aux familles de trois générations et plus. De ce corpus composé d’entretiens conduits principalement à Moscou, auprès de milieux sociaux variés, nous avons sélectionné 54 récits de vie avec des hommes et des femmes âgés de 39 à 91 ans au moment de l’entretien. Nous avons restreint ce corpus car nos plus jeunes interlocuteurs ne font pas référence aux transitions macrosociales, trop jeunes qu’ils étaient pour ressentir leur impact sur leur vie. Le second terrain a été conduit entre 2004 et 2008 dans le cadre d’une thèse auprès de migrants russophones originaires de plusieurs pays de l’espace (post) soviétique ayant émigré en tant que Juifs dans le cadre d’un programme migratoire de l’État allemand (Vapné, 2015). Le second corpus est composé de 28 entretiens avec des migrants ayant quitté l’espace (post) soviétique entre 1990 et 2005 et âgés au moment de l’entretien de 35 à 81 ans. Dans les deux cas, les entretiens ont été effectués en langue russe. La comparaison des deux corpus repose à la fois sur une méthodologie commune et sur une proximité entre les deux terrains. Effectivement, dans les deux cas, nous avons effectué des entretiens compréhensifs (Kaufmann, 1996) de type récit de vie (Bertaux, 2005 [1997]), inscrivant notre objet de recherche (émigration et relations familiales) dans l’ensemble du parcours de vie. En outre, dans les deux cas il s’agit d’une population certes socialement hétérogène, mais issue de grandes villes soviétiques et ayant en grande partie eu des expériences professionnelles marquées par les mêmes clivages sociaux et historiques.

6Les conditions de production des données sont néanmoins différentes puisque dans le premier cas, les entretiens ont été recueillis à Moscou, épicentre de nombre d’événements historiques de cette période en tant que capitale du pouvoir russe et soviétique ; tandis que les autres ont été recueillis en Allemagne – pays du mur de Berlin, symbole de l’opposition spatiale et politique entre l’Est et l’Ouest. Parmi les émigrés, les éléments de la transition s’articulent autour du récit de leur décision de partir en Allemagne et de leur émigration effective. Par conséquent, le récit de soi à l’œuvre s’apparente, le plus souvent, à une justification de leur départ et une réponse à la question (sans que celle-ci ait été nécessairement posée) : « pourquoi êtes-vous partis ? » De ce fait, nous avons d’emblée posé l’hypothèse des effets de la migration sur la « mise en intrigue » des événements macrosociaux de la période transitionnelle dans les récits de vie.

7Contrairement à d’autres recherches dans lesquelles il était explicitement demandé aux enquêtés de nommer des événements (historiques) qu’ils jugent importants (Lalive d’Épinay, Cavalli, 2007 et 2009 ; Martenot, Cavalli, 2014), nous n’avons jamais posé cette question à nos interlocuteurs. Il s’agit de travailler à partir d’énonciations spontanées dans le cadre des récits de vie. Nous nous appuyons sur la thèse développée par Michèle Leclerc-Olive, selon laquelle un fait ne devient événement biographique que s’il prend un sens particulier pour le protagoniste (1997 p. 21). Nos observations sont conformes à la thèse des travaux sur l’année 1989 en Europe de l’Est sur « la relative distance des populations concernées vis-à-vis de ces événements fondateurs. Distance qui prend souvent la forme de l’indifférence » (Heurtaux, Pellen, 2009a p. 7). Nous postulons que la bifurcation supposée par les répercussions de la perestroïka et de la chute de l’Union soviétique, ou d’autres événements nationaux ou internationaux, a plus de réalité dans les livres d’histoire que dans les vies des contemporains de ces événements.

8Comme ailleurs dans les pays postcommunistes (Heurtaux, Pellen, 2009a), nous constatons une importante hétérogénéité d’expériences et d’interprétations de la période de la transition. L’article s’organise en trois parties autour d’une typologie des interprétations de la place des événements macrosociaux de la transition dans les parcours de vie, tels que les discours biographiques les reflètent. Cette typologie, construite avec la méthodologie de type grounded theory (Glaser, Strauss, 2010) à partir des discours, nous a permis de faire des portraits sociaux correspondant à chaque type de discours. Dans une première partie, nous verrons comment nos interlocuteurs inscrivent leur parcours de vie dans le contexte des transformations politiques, sociales et économiques qu’ils ont traversées. Nous y analysons un premier type des discours biographique ne faisant aucune mention des transformations macrosociales. Dans les deux autres parties, nous verrons deux façons d’inscrire la période transitionnelle dans son parcours de vie et dans l’histoire de la société en la présentant comme une rupture ou comme une parenthèse.

Les événements macrosociaux ont-ils forcément une place dans un récit de vie ?

9Certains événements historiques ont un effet sur l’ensemble des générations qui les a croisés tandis que d’autres ont des impacts différentiels (Elder, 1981 ; Martenot, Cavalli, 2014). Dans nos corpus, ces événements biographiques universels sont la crise économique et la disette qu’elle a provoquée, et ils sont évoqués par tous ceux qui avaient plus de 20 ans à l’époque. Si l’on avait pu supposer que les plus âgés de nos interlocuteurs, qui avaient connu des pénuries plus importantes, auraient été « immunisés » contre ces événements, ce n’est pas le cas. Visiblement, la nouvelle forme prise par la pénurie et la pauvreté (Bertin, Clément, 2008 ; Il’in, 1996) durant cette période l’a rendue exceptionnelle à leurs yeux également, s’ajoutant à l’effet de l’événement récent (Martenot, Cavalli, 2014). Cependant, la baisse de revenus et la pénurie de la période occuperont une place mineure dans ce texte car notre analyse portera davantage sur les changements politiques et macroéconomiques, qui sont évoqués de manière très inégale dans les récits.

10La mise en récit d’un parcours de vie implique une organisation des événements narrés grâce à des repères propres au parcours individuel ou relevant de la mémoire collective (Halbwachs, 1997). Les dates biographiques ou historiques sont donc ces repères qui soutiennent le récit et aident à la convocation des souvenirs. Ainsi, notre première intention afin d’analyser les modalités de la mise en récit de la période transitoire a été de prêter attention aux dates qui surgissent dans le récit et nous informent sur les temporalités dans lesquelles nos interlocuteurs situent la période transitionnelle.

Raconter la transition : les mots et les dates

11Peu de dates de la période 1985-1993 font l’objet d’une réelle appropriation par les personnes interviewées. Ceci a contrario des dates symboliques de la période soviétique comme le 22 juin 1941 ou le 9 mai 1945, où le biographique et l’historique se relient autour des commémorations de la guerre, un « événement historique unificateur » qui fait partie du « discours dominant » des autorités soviétiques depuis les années 1950 et celles de la Russie d’aujourd’hui (Daucé, 2011).

12Néanmoins, deux événements surgissent de manière spontanée – sans avoir été convoqués par une question de notre part – la perestroïka et le putsch d’août 1991.

13En russe, le terme perestroïka peut signifier « reconstruction », « réorganisation » : son emploi ne se réduit donc pas à l’ensemble des réformes impulsé à partir d’avril 1985 par Mikhaïl Gorbatchev, suivant des vecteurs politiques comme économiques (Shukan, 2009). Les exemples suivants nous montrent l’ambivalence de son emploi :

- C’était après la perestroïka ?

- Quelle reconstruction [perestroïka] ? (Elizaveta, 74 ans, médecin, Riga – Berlin)

- Ensuite, ont commencé les années 80, des années intéressantes, la fin des années 80, quand… toutes sortes de reconstructions [perestroïki] ont commencé dans le pays : d’abord la perestroïka officielle, ensuite des reconstructions [perestroïki] officieuses. (Olga, 62 ans, chimiste à la retraite, Saint-Pétersbourg – Cologne)

14On voit bien ici que la perestroïka apparaît dans les récits non pas comme une balise chronologique, mais bien comme le marqueur d’une coupure, le moment qui a marqué le début de la fin de l’époque soviétique.

15Le putsch de 1991 est quant à lui énoncé en tant qu’événement synthétisant cette période tumultueuse, mobilisé par nos interlocuteurs pour pointer du doigt l’instabilité non seulement politique, mais aussi sociale et économique du pays :

En 91, tout allait très mal, très mal. Il y a eu le putsch en Russie. Ce putsch… c’était… Mikhaïl Gorbatchev et… Boris Eltsine… et cette confrontation a commencé… et en général, tout allait très mal. Et puis, la dévaluation des comptes épargne… et au lieu de 1 000 [roubles], il n’y avait désormais plus qu’une centaine. (Faïna, 75 ans, comptable à la retraite, Saint-Pétersbourg – Berlin)

16Dans le témoignage de Faïna, comme dans les autres, on observe deux tendances. D’une part, l’événement n’est ni clairement compris, ni décrit. D’autre part, il est tout de suite relié à d’autres événements de l’époque (« et puis, la dévaluation des comptes épargne ») et ramené à une évaluation générale de la situation (« et en règle générale, tout allait très mal »). Ainsi, bien que la date de 1991 soit mise en avant, ce n’est pas parce qu’elle fait vraiment sens en tant que tournant, mais plutôt parce qu’elle est, d’une certaine manière, plus facile à mémoriser.

17Outre le peu de dates plongeant a priori les récits dans une forme d’atemporalité, nous pouvons noter la présence récurrente de dates erronées. En voici quelques exemples :

- En quelle année avez-vous déposé votre dossier [de migration] ?

- Je ne me souviens pas… Probablement en 1989. Non, plus tard… en 1991, le mur de Berlin est tombé… (Olga, 62 ans, chimiste à la retraite, Saint-Pétersbourg – Cologne)

- Votre vie a changé après la perestroïka ?

- La perestroïka, c’est quand ? En 1991 ? (Alexandre, 76 ans, ingénieur, Dnipropetrovsk – Cottbus)

Une [nouvelle] période a commencé. Vous savez, en 87, Gorbatchev a accédé au pouvoir. (Alexeï, 71 ans, chercheur en histoire, Moscou)

18Dans le premier exemple, notre interlocutrice qui essaie de retrouver la date à laquelle elle a préparé son dossier d’émigration, choisit comme moment de départ la chute du mur de Berlin – or, elle date cet événement en 1991, deux ans plus tard. De même, on assiste à un déplacement de deux ans dans la frise chronologique lorsqu’Alexeï situe l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir à l’année 1987 et non en 1985. Pareillement, Viktor (65 ans, ouvrier spécialisé, Kharkov – Gelsenkirchen) situe la fin de l’URSS au 21 août 1991 – qui est en fait la date du putsch. Ces erreurs sur les dates sont révélatrices de la perception synthétique de la période pour les interviewés. À l’instar de Raïssa (70 ans, économiste, Odessa – Gelsenkirchen) pour qui l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev en 1985 et l’ouverture du rideau de fer en 1989 sont rassemblées en un seul moment :

La question de partir bien sûr ne se posait pas du tout… Mais quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir et que le rideau a été ouvert, ma sœur qui était partie en Australie m’a envoyé une invitation. Et mon mari et moi, nous sommes partis en Australie. C’était en 1988-1989. Et on a passé un mois là-bas.

19Nuançons toutefois ce propos à l’aune des récits de vie de ceux qui ont connu des bouleversements soudains dans leurs parcours. Ainsi, Sacha (72 ans, directeur d’une centrale d’achats de légumes, Cottbus) qui vivait à Gagri en Abkhazie désigne précisément l’année 1992 comme le moment des bouleversements pour lui. C’est la guerre entre les séparatistes abkhazes et l’armée géorgienne qui représente pour lui la bifurcation de son parcours :

- Après la chute de l’URSS, j’ai vécu encore deux ans là-bas. En 1992, la guerre a commencé. En 1992 à l’automne, je suis parti de là-bas.

- Pourquoi êtes-vous parti ?

- Parce que si je ne partais pas, ils m’auraient tué.

20Dès lors, on s’inscrit dans une temporalité plus serrée où non seulement la décennie est vue comme celle des transformations, mais où les années et les mois comptent aussi.

21Finalement, on observe que les quelques dates présentes dans les récits contribuent peu à reconstituer la « structure diachronique » des parcours (Bertaux, 2005, p. 73-74). De manière surprenante, l’analyse en termes de milieux sociaux nous informe peu sur les manières de saisir cette période ; les erreurs dans les dates, notamment, sont omniprésentes, peu importe le niveau d’études. De même, si les émigrés sollicitent plus souvent les événements politiques de la période, leur manière de les dater ou de les décrire n’est pas pour autant plus précise. Les deux événements phares le plus souvent mobilisés dans les narrations, la perestroïka et l’année 1991, sont généralement confondus ou plutôt fusionnés, traduisant la difficulté de nos interlocuteurs à disséquer cette période. Les années de transition présentent en quelque sorte un seul événement, une période où le temps s’est figé (Farge, 2002).

Des discours biographiques anhistoriques

22Le premier type de discours que nous avons identifié semble ignorer complètement les événements macrosociaux. Les dates convoquées dans le récit servent uniquement de repères chronologiques et non à inscrire le parcours de vie individuel dans le flux de l’histoire de la société. Si ces personnes ne sont pas dupes des transitions politiques qu’elles ont traversées, ces mutations sont perçues comme complètement extérieures à leur propre parcours de vie. Les transitions macrosociales ne sont mentionnées que par le prisme du parcours de leurs proches ou à travers les conditions matérielles dégradées, sans pour autant influencer leur parcours.

23C’est le cas des femmes interviewées en Russie qui ont pour la plupart tendance à mettre davantage en avant leur vie familiale et semblent moins affectées par les événements macrosociaux de la transition. Nina (73 ans, Moscou) raconte que son enfance a été marquée par de nombreux déménagements liés au fait que son père était dans l’armée. Elle a fait des études de droit à Rostov, mais a décliné la proposition de « distribution » en choisissant de suivre son mari à Moscou où il a eu une place dans une école doctorale pour ensuite devenir un chercheur reconnu. Après avoir travaillé comme institutrice, Nina a fini par être embauchée dans une bibliothèque universitaire :

J’ai pris ma retraite à 55 ans, hein ? Et ensuite, j’ai continué à travailler. Ça veut dire que j’ai quitté l’université définitivement, arrêté de travailler en 91 quand nous avons déménagé. En plus, c’était lié à la maladie de ma mère.

24Finalement, toutes les décisions de Nina, malgré l’injonction subie par les femmes de sa génération à travailler (Teplova, 2007), ont été motivées par sa vie familiale – de son premier emploi à sa retraite. Son discours est inscrit dans le temps chronologique, mais relate un parcours de vie sans aucun lien avec les événements macrosociaux.

25Pour la plupart des femmes non migrantes, quel qu’ait été leur âge au moment des événements, les années 1985-1993 ne constituent pas une rupture. Cette observation reflète les transformations du rôle des femmes accompagnant cette époque. La famille soviétique reposait sur le modèle d’un couple biactif prétendument égalitaire, qui commence à fléchir à partir du début des années 1980, avec le tournant dans les politiques familiales (Teplova, 2007). Cette mutation a coïncidé avec une transformation du monde professionnel. Jusqu’aux années 1970, l’imaginaire social entretient une aspiration à l’égalité entre les sexes, puis ce mythe s’estompe avec des inégalités professionnelles qui deviennent de plus en plus flagrantes (Barsukova, 2001). Ces deux changements semblent aboutir à la tendance constatée dans une étude sur les changements d’emploi (Solodnikov, Solodikova, 2010) sur la prédominance de la motivation matérielle chez les hommes (interprétée souvent comme un devoir familial) et l’exigence de disponibilité pour la famille chez les femmes. Dans les couples, l’emploi féminin est devenu un moindre enjeu par rapport à l’emploi masculin :

Nous sommes tombés dans cette période de changements : on avait encore besoin des enseignants [son métier à l’époque], mais surtout pas d’ingénieurs militaires [comme son époux]. Et donc, ce qui le déprime, une semaine sur deux, il travaille dans une école. Il fait vigile dans cette école. Et son salaire est comparable… je ne sais pas, à celui d’un cadre supérieur dans l’industrie chimique. (Natalia, 42 ans, chargée de communication, région de Toula)

26Les emplois féminins concentrés dans certains métiers (comme médecin ou enseignant) (Il’in, 1996 p. 228-230), relevant toujours du secteur public, sont restés souvent moins bien rémunérés mais plus stables dans cette période (Nazarova, 2007 p. 194, 229). Si Natalia a quitté le système scolaire assez rapidement, ce n’était pas dû à un raisonnement économique, mais un choix personnel. En se comparant à son mari, elle s’estime chanceuse d’avoir un travail qui représente une satisfaction pour elle et n’aborde à aucun moment la question de son propre revenu, comme s’il n’avait pas d’importance. D’autres femmes de la génération de Natalia ou légèrement plus âgées ont profité de la mutation des politiques publiques et des normes (Teplova, 2007) leur permettant de cesser de travailler pendant plusieurs années. Elles organisent alors leurs récits autour des naissances et de la scolarisation des enfants en ignorant souvent complètement les dates.

27Les rares femmes non migrantes qui évoquent la perestroïka ou la fin de l’Union soviétique comme événements biographiques ont des parcours atypiques – dans les secteurs particulièrement touchés par les transformations (la privatisation ou la pénurie de financement) ou des engagements politiques. Maria (53 ans, ingénieure, Moscou) s’est trouvée dès la fin des années 1980, à travailler dans un secteur privé marqué par les aléas du « marché sauvage ». Dans son discours, la perestroïka constitue un point de bifurcation marquant l’entrée dans une période de changement d’emploi fréquent. Valentina (72 ans, Moscou) a fait sa carrière dans l’industrie de l’armement en partageant son temps de travail entre son poste de cadre et les responsabilités de déléguée du personnel. Elle parle du début des années 1990 comme de l’époque d’« une famine dans l’industrie de l’armement ». En suivant son engagement de longue date, à ce moment critique, elle organise une association d’entraide pour les femmes employées de ce domaine. À la même époque, elle tente une reconversion vers la politique en essayant de devenir candidate aux élections à Douma.

28Ces parcours minoritaires parmi les femmes non-migrantes que nous avons rencontrées, relient leurs propres bifurcations aux mutations de la société, ce qui est généralement le cas des femmes émigrées. Ces femmes et ces hommes articulent leur bifurcation biographique, soit l’acte de quitter leur pays de naissance, autour de la succession de crises qu’ont connue les États dans lesquels ils ont vécu. On observe ainsi l’effet de la migration qui semble d’emblée inscrire les parcours de vie dans des événements macrosociaux. De la même manière, l’échelle de réflexivité sur sa trajectoire biographique des émigrés prend davantage en compte les événements internationaux (la chute du mur de Berlin ou la fin du monde bipolaire), tandis que les discours des non-migrants n’évoquent que des événements politiques nationaux.

La transition comme rupture

29Le second type de récit de vie présente la période transitionnelle (parfois cristallisée autour d’un événement) comme une rupture, marquant un clivage entre un avant et un après. Spectateurs sans prise sur les transformations de la société, nos interlocuteurs se sont souvent sentis contraints d’inventer et d’innover dans leurs parcours face à une vraie « rupture de l’intelligibilité » (Bensa, Fassin, 2002) rendant leur socialisation inefficace dans les nouvelles conditions.

Trouver les mots justes : parler de la rupture

30Les erreurs dans les dates et les manières d’énoncer les événements montrent que la période est perçue de manière synthétique et ne peut pas vraiment être fractionnée en événements. À l’exception de ceux qui ont connu les guerres interethniques, il semblerait qu’à l’échelle de la biographie la rupture se soit étalée sur plusieurs années et ait transformé le monde dans lequel ils vivaient d’un monde à économie planifiée à un monde capitaliste. La période de la transition n’est pas pour autant nommée de manière récurrente. Certains narrateurs refusent de lui donner un nom. D’autres, afin de désigner la transition globale, comme Anatoli (70 ans, économiste à la retraite, Moscou), donnent juste une date, 1991 en l’occurrence, d’autres emploient des euphémismes neutres comme « changements sociaux » (Nikolaï, ouvrier, 50 ans, Moscou).

  • 1 Der’mo (la merde) + demokratiia (la démocratie).

31Cependant, les interviewés plus nombreux sont ceux dont la manière de parler de ces années contient des jugements de valeur. Il s’agit de jugements négatifs reflétant les difficultés rencontrées : « cette foutue perestroïka de Gorbatchev » (Artemii, 84 ans, illustrateur à la retraite, région de Moscou), « la mésaventure » (Dimitri, électricien, 60 ans, Moscou) ou une attitude très critique envers le nouveau régime : « der’mokratiia1 » (Arkadii, 62 ans, restaurateur d’art, région de Moscou).

32À travers cette difficulté générale à mettre des mots sur les événements de la période transitionnelle, on observe l’emploi courant des termes reflétant la perception d’une fin, d’un effondrement : razval (délabrement, désagrégation), raspad (désintégration), razvalivat’sia (littéralement, tomber en ruines), razrukha (ruine), qui chacun à leur manière disent à quel point ces événements sont racontés comme une déconstruction plus que comme la naissance d’une nouvelle ère. Ces mots sont utilisés en lien avec les contextes macrosociaux (l’État et les domaines d’activité sociale et économique) et méso-sociaux :

On avait un tel salaire que c’était plus possible. L’institut est littéralement tombé en ruines [razvalilsia]. Le laboratoire tombait en ruines [razvalilas’]. Et on a déposé un dossier d’émigration. (Moissei, 65 ans, ingénieur, Saint-Pétersbourg – Cottbus).

33Les deux niveaux sont souvent reliés :

Avec l’effondrement [razval] de l’Union soviétique et la crise généralisée, tout cela a été clôturé, on a coupé le financement (Lev, 74 ans, informaticien, Moscou).

34Si parmi les personnes n’ayant pas émigré, on observe deux visions de la transition – positive comme négative, avec une prédominance de la dernière quand même ; parmi les émigrés, c’est un regard critique monochrome qui est jeté sur la période de la transition.

Bifurcations professionnelles : contraintes et opportunités

35La fracture dans les parcours narrés s’est caractérisée tout d’abord par une transformation du monde du travail – l’émergence du secteur privé quasiment inexistant auparavant. Ce processus a causé des faillites et des reconfigurations dans de nombreux secteurs. De nombreux hommes, émigrés ou pas, se disent avoir été témoins et victimes de la disqualification de leur milieu professionnel :

Et comme tous ces drôles d’événements avaient commencé, je ne pouvais plus exercer mon métier, car à cette époque, on n’avait plus besoin ni de mes camarades, ni de très bons spécialistes, de TELS spécialistes. Tout allait plus ou moins de travers. Donc, je faisais des petits boulots, des jobs, j’ai même fait vigile. (Armen, 75 ans, ingénieur à la retraite, Moscou)

36Ce phénomène allait de pair avec l’inflation en repoussant de nombreuses personnes, comme Armen, vers des activités perçues comme dévalorisantes. Pour ceux qui étaient proches de la fin de carrière, le choix était limité aux petits boulots ou la retraite. Artemii (84 ans, région de Moscou) n’a accédé que tardivement à la position sociale à laquelle il aspirait tant à cause de la guerre et des difficultés pour entrer à l’université liées au fait que son père avait été au Goulag. Il décrit comme très heureuses les décennies où il avait un poste d’enseignant et travaillait en libéral comme illustrateur pour plusieurs maisons d’édition. Cette période s’est terminée de manière imprévue :

Avec la perestroïka, tout a changé. Les maisons d’édition pour lesquelles je travaillais ont fermé, de nouvelles ont apparu. Et dans les nouvelles, il fallait tout recommencer de zéro, reprendre les contacts. Bref, depuis cette époque – de Gorbatchev – mon travail allait beaucoup moins fort.

37Ayant choisi de ne pas faire des petits boulots comme nombre d’hommes de sa génération, Artemii a dû ainsi faire face à une retraite définitive, d’autant plus mal vécue qu’elle n’avait pas été anticipée (Caradec, 1998).

38Pour beaucoup d’hommes en début de carrière à cette période, les changements socio-économiques ont rendu leurs aspirations professionnelles impossibles. Ils ont été socialisés avec des attentes d’un parcours professionnel stable et un certain niveau de vie assuré par le diplôme. Diplômé en physique en 1981, Ilya (Moscou) s’est engagé dans une carrière scientifique. « Mais malheureusement, le début de la perestroïka a considérablement transformé la suite de ma vie… » – résume-t-il. Il dit avoir été obligé de faire face aux obligations familiales : « Ma famille habitait dans un appartement communautaire. À quatre avec deux jeunes enfants, c’était loin d’être agréable ». La voie académique était devenue ainsi impossible : « Il n’y avait aucune perspective de changement de nos conditions matérielles. Voilà. Donc il fallait faire quelque chose. Et alors j’ai dû démissionner et m’occuper des affaires qui n’avaient rien à voir avec ma vie précédente ». Il s’est lancé dans les affaires en commençant par faire du « commerce de navette » et s’installant finalement comme trader à son compte.

39Ces ruptures concernent tout autant les milieux fortement diplômés que certains milieux peu instruits. Avec beaucoup de pudeur, ces hommes parlent du sentiment d’inutilité sociale et professionnelle, lorsque « la compréhension est soudain suspendue » (Bensa, Fassin, 2002) et des concessions symboliques qu’ils ont dû faire pour continuer à faire vivre leur famille. L’importance accordée par les narrateurs aux transformations du monde du travail afin d’expliquer leur parcours de vie va de pair avec l’observation de C. Lalive d’Épinay et S. Cavalli (2007) qu’au milieu de la vie, la plupart des événements biographiques concernent le domaine professionnel.

40Cependant, la perestroïka marque non seulement une fin, mais aussi un début, celui des activités lucratives et de l’entreprenariat, interdits auparavant (Il’in, 1996) :

- J’ai travaillé comme photographe professionnel pendant plusieurs années. 5 ans. Ensuite, la perestroïka a commencé et il est devenu possible d’avoir son affaire. On a créé une boîte. Et donc, depuis, je suis le patron.

- Et elle existe depuis cette époque-là ?

- Depuis 1991, oui. (Oleg, 54 ans, chef d’entreprise, Moscou)

41Encore une fois, on constate dans le discours d’Oleg un vide entre 1985 et 1991, comme si la perestroïka embrassait la totalité de la période de la transition. Ce genre de discours positif est néanmoins minoritaire dans nos deux corpus, lié à un parcours de vie contrastant avec les autres. La majorité des discours décrivent des parcours accédant à une stabilité et une reconnaissance pendant la période soviétique, basculés dans l’incertitude par la suite. Oleg en revanche a connu un parcours chaotique ; il a interrompu ses études universitaires au bout de deux ans sans diplôme et a travaillé comme photographe libéral, un statut semi-illégal à l’époque. Ce n’est qu’avec la perestroïka qu’il a pu accéder à un statut social reconnu et gratifiant, du point de vue économique comme symbolique.

Libéralisation culturelle : ouverture et dérives

42La rupture peut aussi être perçue à travers l’association de la perestroïka à une libéralisation des pratiques.

43Ainsi, d’une part, nos interlocuteurs font la part belle à une évocation de la transformation des expressions publiques de la judéité entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. Comme le dit Natella (45 ans, enseignante, Bakou – Berlin), dans ces années, « aller à la synagogue était devenu à la mode » et certains de nos interlocuteurs y ont mis les pieds pour la première fois de leur vie. Le récit de Sergueï souligne bien les effets de cette transformation. À 15 ans en 1987, Sergueï se prend de passion pour tout ce qui a trait à la culture juive et à Israël. La perestroïka correspond pour lui au moment où apparaissent les premiers journaux juifs légaux, venus d’Estonie et de Lituanie, qu’il lit avec autant d’avidité que des brochures distribuées par les mouvements hassidiques ou tout ce qu’il peut trouver sur la question. La perestroïka symbolise pour ce dernier l’assouvissement de sa bibliophilie. Plus tard, en 1992, il décide d’apprendre l’hébreu :

C’était drôle. Avant, en 1991, je suis allé prendre des cours d’anglais. Et j’y suis resté un an. Et le marché libre a commencé. Les prix ont grimpé brusquement. Et je n’avais plus assez d’argent pour payer une seconde année de cours d’anglais ou plutôt la somme que j’avais mise de côté n’était plus suffisante. Comme les cours d’hébreu étaient en partie financés par l’Agence juive, bien que je n’aie pas eu l’intention de partir vivre en Israël, j’ai décidé d’aller apprendre l’hébreu.

44Cet apprentissage est présenté comme un concours de circonstances, mais replante encore le décor du début des années 1990 : l’incidence multiple sur la vie quotidienne du passage à l’économie de marché et l’inflation.

45D’autre part, pour certains de nos interlocuteurs, ces années sont marquées par l’antisémitisme au grand jour. Contrairement à l’antisémitisme étatique soviétique, qui a marqué nombre de parcours dans les deux corpus, l’antisémitisme des années 1980 n’est énoncé que par les émigrants qui font notamment mention des publications antisémites qui font alors florès :

C’était une époque où il y avait beaucoup de publications antisémites… La liberté était arrivée, qu’est-ce qu’on pouvait dire ? On imprimait des articles sur le terrible rôle des Juifs, c’était les Juifs qui avaient fait la révolution, c’était les Juifs qui étaient responsables de la terreur à l’époque de Staline [...] Ces journaux antisémites qui appelaient aux pogroms, ils se vendaient librement. (Anna, 72 ans, enseignante, Minsk – Cologne)

46Dans la vie quotidienne, pour Anna, la peur était devenue omniprésente :

Il y a eu des rumeurs au sujet de la préparation d’un pogrom contre les Juifs. Cela faisait vraiment peur. [...] Je me souviens qu’une de mes collègues m’avait proposé qu’on aille vivre dans sa datcha quelques jours. Et une autre institutrice m’avait proposé de vivre chez elle.

47La période de transition peut ainsi être perçue comme une rupture à la fois positive ou négative. La fin de l’époque soviétique et de l’économie planifiée a donné aux émigrés le sentiment de plonger dans l’insécurité, les incitant à profiter de nouvelles opportunités de départ. Ceux qui ont choisi de rester et qui ont perçu la période de la transition comme une rupture la voient aussi généralement comme négative et subie. Il s’agit principalement des hommes, jeunes pères de famille ou bien approchant l’âge de la retraite, qui ont été contraints de procéder à une reconversion professionnelle voire à mettre fin à leur activité professionnelle. Le basculement vers l’ère postsoviétique a été effectué sous le mode maximal de l’imprévisibilité, celui que Michel Grossetti (2006) qualifie de « modèle de crise » cumulant l’impossibilité de connaître à l’avance le moment de la bifurcation tout comme son issue. Bien que le niveau de vie de nombre de nos interlocuteurs se soit amélioré après la fin de l’époque soviétique, ils perçoivent cette transition comme négative en se focalisant sur l’imprévisibilité des parcours professionnels devenue omniprésente et l’impossibilité de réaliser leurs aspirations.

La période transitionnelle comme parenthèse

48Le troisième type de discours biographique présente la période de la transition comme un temps à part. Une telle construction symbolique des temporalités sociales et biographiques repose à la fois sur l’assertion d’une différence entre la période de transition et l’époque précédente, mais l’époque suivante, et un certain rapprochement entre ces deux dernières. Soulignons que dans ce type de récit de vie, le recours à l’ironie est récurrent :

C’est pourquoi j’ai dû dire adieu à la physique à jamais. En 92, j’ai quitté ce travail. Et… pendant un certain temps, je me débrouillais grâce à un business de navette ; pendant un an à peu près, de 92 à 93, j’allais en Turquie avec mes cabas. Bref, c’était une vraie aventure [romantika byla polnaia]. (Ilya, 49 ans, trader, Moscou)

L'époque était très drôle, joyeuse. [...] Notre institut ne pouvait pas nous payer nos salaires parce qu'il n'y avait pas d'argent. Alors on recevait nos salaires en toasters. [en riant] Imaginez combien de toasters il fallait toucher et ce qu'il fallait faire avec ! (Olga, 62 ans, chimiste à la retraite, Saint-Pétersbourg – Cologne)

49Qualifier ces années de « drôles » permet à la fois de souligner le caractère exceptionnel de cette période et de dédramatiser la transition. Le recours à l’ironie est donc aussi un moyen pour mettre des mots sur l’apparition de l’imprévisible dans la vie d’individus ayant été socialisés dans un monde de planification et revenus à un certain ordre après.

La transition comme épreuve

50Ce type de discours est le plus fréquent dans nos corpus car il concerne directement la vie quotidienne des narrateurs. Après la période de relative abondance des années 1970 (Bertin, Clément, 2008), la période transitoire a été marquée par un retour à la pénurie, notamment des produits alimentaires :

- Et puis, d’ailleurs, sais-tu de quelle période je parle ?

- De quelle période ?

- Ben, quand ici tout… il n’y avait plus rien dans les magasins, la dernière chose qui restait c’était des algues en boîtes de conserve. (Nikolai, 50 ans, ouvrier, Moscou)

51En outre, par rapport aux époques précédentes, les années 1990 se caractérisent par une transition de la pauvreté de biens à la pauvreté monétaire (Bertin, Clément, 2008 ; Il’in, 1996 p. 152) et par la croissance spectaculaire des prix alors que pendant une grande partie de la période soviétique, les prix étaient stables (Kortchaguina et al., 2005).

Jusqu’à 90, ça allait, nous vivions bien, nous savions que nous attendions d’avoir un appartement, nous avions des économies pour acheter des meubles. [...] Mais en 90, en 91, nos économies se sont dévaluées et puis, plus rien. Nous sommes restés pauvres, sans appartement, et notre fils, beau et intelligent, voulait sortir avec une fille, et ne pouvait même pas l’inviter au café, alors qu’il travaillait à côté [podrabatyval]. (Natalia, 48 ans, professeur de musique, Nikolaevo – Cottbus)

52La disparition des économies causée par l’inflation est ainsi convoquée comme un événement moteur de l’émigration. Dans ce témoignage, on voit bien les registres de l’épreuve le plus souvent énoncés dans les corpus : la fin d’un monde marqué par la prévisibilité, le passage à l’économie de marché et à un manque permanent d’argent donnant un nouveau sens à la pauvreté.

53Les personnes qui insistent sur la transition comme un moment d’insécurité économique inscrivent leurs bifurcations dans l’ensemble des transformations de la société. Plusieurs de ces personnes se voient comme une génération sociohistorique à part, réunie par l’expérience transitionnelle dramatique (Mannheim, 1990 [1928]) :

Les gens de votre génération ont du mal à comprendre… l’ensemble des sensations qu’ont pu éprouver les gens de cette époque. [...] Ce que nous avons dû traverser était loin d’être agréable. (Ilya, 49 ans, trader, Moscou).

La transition : une période d’espoirs

54La période de la transition a été celle d’espoirs pour ceux dont le récit s’inscrit dans une critique générale du régime soviétique : « Ensuite, en 91, le pouvoir soviétique s’est écroulé, ce qui était très bien. Magnifique. C’était la période la plus heureuse : lorsqu’il était en train de tomber et qu’il venait de tomber » (Gleb, 50 ans, enseignant, Moscou). L’espoir était largement porté par les leaders de l’époque, encore une fois non sans amalgames historiques : « Quand Gorbatchev a pris la suite de Brejnev et ceux qui sont venus après lui, c’était des dieux pour nous ! » (Valentina, 72 ans, ingénieure à la retraite, Moscou). Ces promesses ont pourtant été déçues. Gleb continue : « Le pays s’est vraiment égaré. Voilà. En partant de la liberté et la démocratie, je n’ose même pas imaginer, où il ira bientôt et ce que ça peut engendrer ». Alexandre (76 ans, ingénieur, Dnipropetrovsk – Cottbus) résume : « Quand la perestroïka a commencé, l’espoir est apparu, l’optimisme est apparu. Je pensais que ça ne pouvait pas être pire, et puis si, ça s’est avéré pire ». Les personnes qui ont salué la fin de la période soviétique sont nostalgiques de cette brève étape où beaucoup de choses semblaient possibles :

Toutes les bonnes intentions aboutissaient toujours de la même façon – au même enfer, parce que de façon étonnante, je vois toujours ce schéma. Comme Eltsine au début : on y croyait, on le voulait, on en rêvait et puis, tout s’est transformé en ce petit bonhomme [Poutine]. (Elena, 48 ans, écrivain, Moscou)

55Ce discours se retrouve exclusivement dans des milieux intellectuels et marqués par une certaine sensibilité politique de longue date.

56Certains milieux professionnels, particulièrement les milieux artistiques, ont vu un renouveau avec la fin de la censure de la période soviétique. Elena (48 ans, Moscou) a échoué au concours de l’université de Moscou et a passé un an à travailler dans les archives de presse où elle a découvert la littérature censurée par les autorités soviétiques. Ensuite, elle a pu faire les études de philosophie et en 1983, elle a été embauchée dans une maison d’édition, un collectif à esprit dissident. La période transitionnelle a été un âge d’or pour elle ou « le vent de la liberté a commencé à souffler ». Et elle a pu se lancer dans un nombre d’ « initiatives » inouïes : « il y a eu un festival de lecture de pièces de théâtre… alors qu’avant il n’existait rien de ce genre, et j’y ai envoyé ma pièce » ; « une école qui [...] a réuni les professeurs et les enfants des professeurs, qui voulaient créer des conditions dignes pour leurs enfants » ; « un journal aussi pour enseignants, mais un journal très honnête ».

57La période transitionnelle est ainsi présentée comme une parenthèse entre l’ancien et le nouvel ordre, un moment où étaient possibles des choses qui n’étaient concevables ni avant ni après :

Dans les années 1990, bien évidemment, tout cela était possible. Il est clair, qu’on se faisait voler, qu’on n’avait jamais d’argent, etc. Mais tout cela constituait le fondement d’un étrange futur. (Elena)

58Après une crise professionnelle et familiale marquant la fin de cet âge d’or, Elena se met à écrire pour devenir écrivain. La période transitoire occupe une place très importante dans ce type de récit, proportionnelle à ses conséquences. De surcroît, les interviewés semblent avoir du mal à fractionner cette décennie qui apparaît très souvent derrière le qualificatif « les années 1990 ». Parler des « années 1990 » en ne voulant désigner finalement que le début de la décennie traduit aussi la difficulté à admettre que cette période, si intense en initiatives, événements, espoirs et épreuves, n’a duré que quelques années.

59Ce qui différencie ici les émigrés de ceux qui ont décidé de rester, c’est un rapprochement plus ou moins clair de la période soviétique et postsoviétique dans les appréciations. A contrario de ceux qui ont quitté l’Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’aux années 1980, ces migrants-ci ne veulent plus non pas vivre en URSS, mais dans le nouvel État en cours de construction. La décision de partir n’est pas nécessairement liée à leur situation personnelle : Anatoly (62 ans, caricaturiste, Kiev – Cottbus) travaillait pour deux maisons d’édition et considérait qu’on le « payait bien ». Mais comme nombre de nos interlocuteurs, il remet en cause le passage d’un régime à un autre en exprimant l’idée de la pérennité du désordre :

J’ai pensé que tout changerait à tel point qu’il ne faudrait plus partir nulle part. Mais quand j’ai vu qu’en fin de compte, il ne se passerait rien de bon dans ce pays. Je me suis dit. Assez ! Il faut quitter ce zoo.

60Ainsi, ce ne sont pas les transformations positives de la société qui sont mises en avant, mais la constance à travers la persistance de « l’homme soviétique » :

Je ne pouvais plus voir ces visages, ces alcooliques, ces voleurs, cet État dissous où il n’arrivera jamais rien de bon. [...] Le pire qu’ait fait le régime soviétique [...] c’est qu’ils ont créé le terrible homme soviétique. Cet homme soviétique… pas tous bien sûr… ne connaît ni la honte, ni d’état d’âme [ni styda ni sovesti]. (Natalia, médecin, Moscou – Berlin)

61Anatoly confirme :

Un peuple qui a vécu soixante-dix ans sous le communisme ne peut pas avoir une mentalité normale. Mais je ne pense pas que ça va s’arranger. Avant, il y avait le servage, ensuite les communistes, ensuite il y aura autre chose.

62La période de la transition est aussi vue souvent comme une parenthèse, positive si nos interlocuteurs se focalisent sur les aspects politiques et culturels ; négative s’ils ne considèrent que les aspects économiques. Le rapprochement des perceptions des périodes précédente et suivante comme insatisfaisante est inhérent aux émigrés ainsi qu’aux milieux artistiques et intellectuels. Les personnes issues de milieux artistiques et les intellectuels aux avis politiques bien prononcés voient la transition comme une parenthèse positive – celle de la liberté de la parole et des initiatives. Pour d’autres, la période de la transition a été celle d’épreuves – matérielles avant tout – à laquelle ils sont contents d’avoir survécu.

Conclusion

63Notre première conclusion est qu’il est possible de traverser une période marquée par des transformations macrosociales, une période que l’on pourrait supposer propice aux bifurcations, sans que les ruptures biographiques soient omniprésentes. L’autre conclusion est que dans la plupart des cas, à l’échelle microsociale, les événements macrosociaux ne marquent le récit que dans la mesure où ils influent le parcours de vie individuel ou le quotidien. Cette tendance explique la convocation inégale de différents événements dans l’explicitation de leur parcours par les protagonistes. Il n’est ainsi nullement surprenant que la crise économique et la disette du début des années 1990 soient les seuls événements communs pour tous nos interlocuteurs.

64Travailler à partir des énonciations spontanées des événements macrosociaux nous conduit à interroger les effets de nos objets de recherche sur l’inscription historique des récits de vie. Le croisement de deux corpus de données met en tension la continuité et la discontinuité dans les parcours. En effet, malgré une méthodologie commune, nos deux corpus n’ont pas produit les mêmes résultats. Ainsi, les discours anhistoriques ne sont apparus que dans le cadre de l’enquête sur les relations familiales qui focalisait les récits davantage sur la continuité des parcours. En revanche, l’entrée par la migration a incité une lecture des parcours en termes de bifurcation. Le recueil des données auprès de familles de plusieurs générations a orienté la recherche sur les couples, en accentuant les parcours féminins marqués par une division sexuée des rôles conjugaux. La recherche auprès des émigrés implique une interprétation rétrospective de leur expérience de la transition afin de justifier leur choix de mobilité. Le discours des émigrés est aussi une affirmation sans nuances – lorsque ces derniers sont revenus en vacances dans le pays qu’ils ont quitté – qu’ils avaient bien fait de partir.

65Si notre analyse va dans le sens des travaux soulignant les effets de l’âge auquel on rencontre un événement historique (Elder, 1981 ; Lalive D’Épinay, Cavalli, 2009 ; Mannheim, 1990 [1928] ; Martenot, Cavalli, 2014), nos résultats remettent en cause leurs conclusions sur l’effet de réminiscence réduisant l’âge propice à l’imprégnation par un événement macrosocial à la période de 10 à 30 ans. Au contraire, ce sont les personnes engagées dans la vie active, quel que soit leur âge, qui se sont senties touchées par les mutations socio-économiques et qui les mettent davantage en scène dans leurs récits. L’analyse des événements historiques dans la perspective de parcours de vie nous amène à constater que les variables sociologiques classiques (genre, milieu social) sont insuffisantes pour saisir ni la construction des temporalités biographiques inscrites dans une période historique riche en transitions ni leur mise en récit. Il s’agit le plus souvent de croiser les effets du genre, du niveau de diplôme, de la génération, des opinions politiques et de la migration afin d’expliciter la construction des parcours de vie et de leur énonciation.

66Enfin, si en sociologie, la bifurcation est généralement associée à l’irréversibilité des processus (Gossetti, 2006), notre analyse montre le contraire. Dans le cas d’une transformation sociale multidimensionnelle, comme l’a été la période analysée, nombre de parcours peuvent être lus par les protagonistes comme des bifurcations, qui seraient toutefois limitées par un retour en arrière à la fin de cette période. Contrairement à la majorité de nos interlocuteurs valorisant la stabilité et la prévisibilité des trajectoires, ceux qui voient la transition comme une parenthèse, l’envisagent comme une période de bifurcations, d’ouverture du champ des possibles avant le retour à un verrouillage. Cette observation nous ramène à la nécessité de confronter systématiquement les changements objectifs, en termes notamment de mobilité professionnelle ou niveau de vie, et les interprétations subjectives des parcours.

Haut de page

Bibliographie

Alexievitch S., 2013, La fin de l’homme rouge, Arles, Actes Sud,

Barsukova S., 2001. « Modeli uspekha zhenshchin sovetskogo i postsovetskogo periodov : ideologicheskoe mifotvorchestvo », Sociologicheskie issledovaniia, n° 2, p. 75-82.

Bensa A., Fassin E., 2002. « Les sciences sociales face à l’événement », Terrain, n° 38, p. 5-20.

Bertaux D., 2005 [1997]. L'enquête et ses méthodes : le récit de vie, Paris, Armand Colin.

Bertaux D., (dir), 1981. Biography and Society. The Life History Approach in the Social Sciences, Beverly Hills – London, SAGE.

Bertaux D., Semenova V., Foteeva E., 1996. Sudby Liudei : Rossiia XX vek (Destins d’hommes : la Russie au XXsiècle), Moscou, Institut Sociologii.

Bertin A., Clément M., 2008. « Pauvreté, pénurie et transition en Russie : de l'économie soviétique à l'économie de marché », Revue d'études comparatives Est-Ouest, (39, 1), p. 179-202.

Bessin M., 2009. « Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de problématique », Informations sociales, 6, p. 12-21.

Bessin M., Bidart C., Grossetti M. (dir.), 2009a. Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, collection « Recherches ».

Bessin M., Bidart C., Grossetti M. 2009b. « Introduction générale L'enquête sur les bifurcations : une présentation », in Bessin M., Bidart C., Grossetti M. (dir.), Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris : La Découverte, collection « Recherches », p. 7-19.

Bessin M., Bidart C., Grossetti M., 2009c. « Les bifurcations, un état de la question en sociologie », in Bessin M., Bidart C., Grossetti M. (dir.), Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, collection « Recherches », p. 23-35.

Blaive M., 2009. « République tchèque. La Révolution de velours vue de České Velenice » in Heurtaux, J., Pellen C. (dir.), 1989 à l’est de l’Europe. Une mémoire controversée. Paris, L’Aube, p. 203-227.

Caradec V., 1998. « Les transitions biographiques, étapes du vieillissement », Prévenir. n° 335, p. 131-137.

Daucé F., 2011a. « Les compositions mémorielles autour de la Guerre patriotique. L’exemple du souvenir de Moussa Djalil, Tatar, stalinien, poète et patriote », The Journal of Power Institutions in Post-Soviet Societies, 12, en ligne : http://pipss.revues.org/3864

Daucé F., 2011b. « Des officiers soviétiques dans la Russie en changement. Détours personnels et attachements en commun », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 42, p. 115-138.

Daucé F. et Rousselet K., 2011. « Avant-Propos ». Revue d’études comparatives Est-Ouest, 42, p. 5-14.

Denave S., 2015. Reconstruire sa vie professionnelle. Sociologie des bifurcations biographiques, Paris, Presses universitaires de France.

De Saint Martin M., Tchouikina S., 2008. « La noblesse russe à l'épreuve de la révolution d'Octobre : Représentations et reconversions », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 3, n° 99, p. 104-128.

Elder G., 1981. « History and the life course » in Bertaux D. (dir), Biography and Society. The life History Approach in the Social Sciences, Beverly Hills – London, SAGE, p. 77-118.

Farge A., 2002. « Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux », Terrain, n° 38, p. 69-78.

Glaser B., Strauss A., 2010, La découverte de la théorie ancrée. Stratégies pour la recherche qualitative, Paris, Armand Colin.

Grossetti M., 2006. « L'imprévisibilité dans les parcours sociaux », Les Cahiers internationaux de sociologie, p. 5-28.

Halbwachs M., [1950] 1997. La mémoire collective, Paris, Albin Michel.

Hervouet R., 2009. « Biélorussie. Mémoires et ruptures de vie de citoyens soviétiques » in Heurtaux, J., Pellen C. (dir.), 1989 à l’est de l’Europe. Une mémoire controversée. Paris, L’Aube, p. 203-227.

Heurtaux, J., Pellen C., 2009a. « Introduction », in Heurtaux, J., Pellen C. (dir.), 1989 à l’est de l’Europe. Une mémoire controversée. Paris, L’Aube, p. 5-20.

Heurtaux, J., Pellen C. (dir.), 2009b. 1989 à l’est de l’Europe. Une mémoire controversée. Paris, L’Aube.

Il’in V., 1996. Gosudarstvo i sotsial’naia stratifikatsiia sovetskogo i postsovetskogo obshchestv 1917-1996. Opyt konstruktivistko-strukturalistskogo analiza, Syktyvkar, Syktyvkarskii universitet, Institut sotsiologii RAN.

Kaufmann J.-C., 1996, L’entretien compréhensif, Paris, Nathan.

Kohli M., 1981. “Biography : account, text, method”, in Bertaux D. (dir), Biography and Society. The life History Approach in the Social Sciences, Beverly Hills – London, SAGE, p.61-76.

Kortchaguina I., Ovtcharova L., Prokofieva L., Festy P., Verger D., 2005. « Conditions de vie et pauvreté en Russie », Économie et Statistique, vol. 383, issue 1, p. 219-244.

Lalive d’Épinay C., Cavalli S., 2007. « Changements et tournants dans la seconde moitié de la vie », Gérontologie et société, n° 121, p. 45-60.

Lalive d’Épinay C., Cavalli S., 2009. « Mémoire de l'histoire et appartenance générationnelle des personnes âgées », Gérontologie et société, (n° 130), p. 127-144.

Le Pape L., 2009. « « Tout change, mais rien ne change ». Les conversions religieuses sont-elles des bifurcations ? » in Bessin M., Bidart C., Grossetti M. (dir.), Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, collection « Recherches », p. 212-223.

Leclerc-Olive M., 1997. Le dire de l’événement (biographique), Lille, Presses universitaires du Septentrion.

Mannheim K., [1928] 1990. Le problème des générations, Paris, Nathan.

Martenot A. Cavalli S., 2014. « Histoire et parcours de vie : la perception des changements sociohistoriques », Temporalités [En ligne], 20.

Nazarova I.B., 2007. Zdorov’e zaniatogo naseleniia, Moscou, Gu-VSE, Maks Press.

Negroni, C., 2007. Reconversion professionnelle volontaire : Changer d’emploi, changer de vie. Un regard sociologique sur les bifurcations, Paris, Armand Colin.

Passeron, J-C., 1990, « Biographies, flux, itinéraires, trajectoires ». Revue française de sociologie, vol. 31, n° 1, p. 3-22.

Ricœur P., 1983. Temps et Récit, Tome I, L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil.

Rousselet K., 2011. « Prêtre à l’heure des bouleversements politiques en Russie ». Revue d’études comparatives Est-Ouest, n° 42, p. 163-187.

Shukan I., 2009. « Ukraine. Trois communistes dans la tourmente de la perestroïka », in Heurtaux, J., Pellen C. (dir.), 1989 à l’est de l’Europe. Une mémoire controversée. Paris, L’Aube, p. 203-227.

Solodnikov V.V., Solodnikova I.V., 2010. « Professionl’naia kar’era 40-letnikh rossiian : smena mest raboty ». Monitoring obshchestvennogo mneniia, n° 4, vol. 98.

Vapné L., 2015, « L’accueil des « migrants juifs » en Allemagne. Un exemple de politique publique de l’identité », Politique européenne, n° 47, p. 72-92.

Haut de page

Notes

1 Der’mo (la merde) + demokratiia (la démocratie).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Veronika Duprat-Kushtanina et Lisa Vapné, « « De drôles d’années » »Temporalités [En ligne], 22 | 2015, mis en ligne le 10 février 2016, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/temporalites/3170 ; DOI : https://doi.org/10.4000/temporalites.3170

Haut de page

Auteurs

Veronika Duprat-Kushtanina

Post-doctorante, Lille 3/CeRIES
veronika.kushtanina@gmail.com

Lisa Vapné

Post-doctorante, Université Paris Ouest Nanterre – la Défense/CERI
56 Rue Jacob, 75 006 Paris
Vapne.lisa@gmail.com

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search