Résumé
Les travaux de Locke sur la monnaie ne sont pas une esquisse maladroite des théories économiques libérales ultérieures mais une partie intégrante de sa philosophie. Il s'agit alors de montrer que l'étude lockienne de la monnaie se situe à l'intersection de trois axes de recherche distincts. D'une part, s'inspirant de l'analyse mercantiliste de la richesse et de sa circulation, Locke s'efforce de définir les catégories propres de l'analyse monétaire. D'autre part, la monnaie métallique se définissant à la fois comme marchandise et comme signe, le problème se situe alors sur le terrain d'une analyse philosophique de la représentation, qui met en jeu la distinction entre substance, mode mixte et relation établie dans l'Essai philosophique concernant l'entendement humain. Enfin, la monnaie assure la liaison entre l'activité privée et l'ensemble de la vie sociale: Locke examine son rôle du point de vue de la propriété, du travail et des finalités collectives qu'ils doivent réaliser. Au total, la monnaie apparaît bien comme un problème crucial de la pensée lockienne, et non comme un thème annexe et conjoncturel.
Abstract
Locke's works on money are not the clumsy outline of the liberal economic theories that developed later on but they are part and parcel of his philosophy. This study will then show that Locke's works on money are at the crossroads of three distinct lines of research. Firstly, inspired by the mercantilist analysis of wealth and its circulation, Locke endeavours to define the categories proper to monetary analysis. Secondly, metallic money being defined both as commodity and symbol, the problem then stands on the ground of a philosophical analysis of the notion of representation which brings into play the distinction, established in theEssay concerning human understanding, between substance, mixed mode and relation. Lastly, money provides the link between private activity and the whole of social life; so Locke examines its role from the point of view of property, labour and the collective aims both must fulfil. On the whole, money does appear to be a crucial issue in the thought of Locke, not a subsidiary theme due to circumstances.
Zusammenfassung
Lockes Arbeiten über das Geld sind nicht etwa eine ungeschickte Skizze der späteren liberalen Wirtschaftstheorien, sondern ein substantieller Bestandteil seiner Philosophie. Es gilt daher zu zeigen, dass die Locke' sche Untersuchung über das Geld im Schnittpunkt dreier distinkter Forschungsrichtungen steht. Einerseits bemüht sich Locke, die eigentlichen Kategorien der Geldanalyse zu definieren, wobei er sich bei der merkantilistischen Analyse des Reichtums und seines Flusses inspiriert. Da sich das Geld als Metall gleichzeitich als Ware und als Zeichen definieren lässt, liegt das Problem aber anderseits im Bereich der philosophischen Analyse der Vorstellung, die sich auf die Unterscheidung zwischen Substanz, gemischtem Modus und Verhältnis bezieht, wie sie in derEssay über den menschlichen Verstand dargelegt ist. Schliesslich ist das Geld Träger der Verbindung zwischen privater Handdlung und der Gesamtheit des gesellschaftlichen Lebens: Locke untersucht seine Rolle unter dem Gesichtspunkt des Eigentums, der Arbeit und der mit ihm angestrebten kollektiven Ziele. Zusammenfassend stellt im Locke 'schen Verständnis das Geld nicht etwa ein nebensächliches und konjunkturelles Thema, sondern ein zentrales Problem dar.
Resumen
Los trabajos de Locke sobre la moneda no son un torpe esbozo de las posteriores teorías económicas liberales, sino parte integrante de su filosofía. Se trata de mostrar, en consecuencia, que el análisis lockiano de la moneda se sitúa en la intersección de tres líneas de investigación distintas. Por una parte, Locke intenta definir las categorías propias del análisis monetario inspirándose en el análisis mercantilista de la riqueza y su circulación Por otra, la cuestión se plantea en los términos propios de un análisis filosófico de la representación al definirse la moneda metálica a la vez como mercancía y signo, lo que pone en juego la distinción entre sustancia, modo mixto y relación establecida en elEnsayo filosófico sobre el entendimiento humano. Finalmente, la moneda asegura la vinculación entre la actividad privada y el conjunto de la vida social: Locke examina su papel desde el punto de vista de la propiedad, del trabajo, y de los fines colectivos que éstos deben realizar. En suma, la moneda se presenta como un problema central del pensamiento lockiano, y no como un tema secundario y circunstancial.
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IsabelleGaro, née en 1963, est agrégée de philosophie et docteur de 3e cycle. Elle enseigne au ly cée Pierre-Bayen à Châlons-en-Champagne, et ses recherches portent sur Marx et l'économie politique classique.
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Garo, I. Monnaie et richesse chez John Locke une politique de l'économie. Rev synth 121, 9–43 (2000). https://doi.org/10.1007/BF02962735
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DOI: https://doi.org/10.1007/BF02962735