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Microhistoire et casuistique historique : autour de la méthode de Carlo Guinzburg

Anomalies conjonctives : une réflexion sur les loups garous

Conjunctive Anomalies: A Reflection on Werewolves
Carlo Ginzburg
Traduction de Martin Rueff

Résumés

Dans un procès qui eut lieu à la fin du XVIIe siècle en Livonie (aujourd’hui Latvia) un homme surnommé « le vieux Thiess » avoua être un loup garou. Les anomalies qui marquent ses aveux ont été l’objet d’interprétations différentes, qui soulèvent le problème des ambitions, et des limites, de la comparaison. L’essai explore, à travers le cas du « vieux Thiess », la possibilité d’utiliser a) la notion d’anomalies conjonctives, inspirée par la critique textuelle, b) la notion de « ressemblances de famille » proposée par Francis Galton, en tant qu’instruments de comparaison dans le domaine de l’histoire des religions.

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Notes de la rédaction

Traduit de l’italien par Martin Rueff.

Texte intégral

  • 1 Cet essai a été prononcé lors de la présentation des publications de The School of Social Sciences (...)
  • 2 J’ai développé quelques-unes des conséquences de ce propos dans mon essai “Microhistory and World H (...)

1Pourquoi avoir choisi un tel sujet pour notre discussion1 ? Il y a plusieurs réponses à cette question ; commençons par la plus évidente. Dans le monde toujours plus globalisé qui est le nôtre, une approche comparative de l’histoire et de l’anthropologie est inévitable2. Les histoires de loups garous s’étendent de l’Europe aux autres continents : on ne saurait affronter un tel sujet sans s’engager dans une approche comparative. Et pourtant la comparaison ne devrait jamais être prise pour une évidence ; il convient plutôt de réfléchir sur ses objectifs, sur ses fondements et sur ses méthodes. C’est ce que je vais tenter de faire, en me concentrant sur l’étude d’un cas spécifique qui met en scène une espèce de loup garou plutôt singulier.

1. Les benandanti et le vieux Thiess

  • 3 La traduction espagnole, publiée par l’université de Guadalajara, offrait un écho plus précis du ti (...)

2Derrière ce choix, il y a aussi une raison personnelle. Il y a cinquante ans, je publiais mon premier livre, I Benandanti, qui fut traduit en français sous le titre Les batailles nocturnes3. Le livre explorait, sur la base d’une série de procès de l’Inquisition, dont certains étaient fort longs et fort détaillés, un phénomène jusqu’alors inconnu dans la région du Frioul, sur les frontières du nord-est de l’Italie, non loin de Venise. Des hommes et des femmes, pour la plupart issus d’un milieu paysan se dénommaient eux-mêmes les benandanti (à savoir ceux qui vont pour le bien) et soutenaient devant les inquisiteurs qu’étant nés coiffés (à savoir la tête enveloppée dans le sac du liquide amniotique), ils étaient contraints d’abandonner leur corps en esprit quelques fois par an, parfois transformés en animaux, pour aller combattre contre des sorcières et des sorciers et assurer la fertilité des moissons. Comme armes, les benandanti avaient des branches de fenouil, alors que les sorcières utilisaient des branches de sorgo. « Et quand les benandanti gagnaient », l’un d’eux disait : « cette année la moisson sera bonne ».

  • 4 Carlo Ginzburg (1989b), “The Inquisitor as Anthropologist”, in Clues, Myths, and the Historical Met (...)

3Les inquisiteurs écoutaient ces récits avec étonnement : ils n’avaient jamais entendu rien de tel (ma réaction en découvrant ces documents ne fut pas très différente de celle des inquisiteurs – une analogie sur laquelle je commençais à réfléchir quelques années plus tard4. Alors que les benandanti clamaient haut et fort qu’ils étaient des anti-sorciers, les inquisiteurs les considéraient comme de véritables sorciers qui participaient à des cultes diaboliques. Les inquisiteurs recouraient à toutes sortes de stratégies (de la question orientée à la torture parfois), et essayaient de convaincre les benandanti. Au bout de cinquante ans et de très nombreux procès ponctués par des questions sans fin et des dénégations, les benandanti finirent par avouer, (mais jamais complètement) qu’ils étaient des sorciers, offrant l’image hostile que les inquisiteurs avaient imposée d’eux.

4Ce que j’avais découvert dans ces archives du Frioul, n’était rien de moins, c’est ce que je soutenais, qu’un fragment d’une couche profonde de la culture paysanne : la réaction stupéfaite des inquisiteurs face à la description proposée par les benandanti de leurs batailles nocturnes contre les sorcières était suffisamment éloquente. Mais dans quelle mesure ce cas frioulan, indubitablement exceptionnel d’un point de vue documentaire, renvoyait-il à une seule et unique réalité ? Dans mon livre, j’avançais l’hypothèse suivante : ce qui arrivait au Frioul se passait probablement dans d’autres parties de l’Europe (et peut-être, ajouterais-je aujourd’hui, dans d’autres continents).

5Des croyances paysannes qui avaient trait à des questions de fertilité, et qui se trouvaient sans doute enracinées dans un passé pré-chrétien, étaient réinterprétées par les inquisiteurs comme des cultes diaboliques – et par la suite, déracinées. Un cas isolé, exceptionnel à son tour, semblait venir appuyer mon hypothèse : un procès qui avait eu lieu en 1692 à Wenden, actuellement Cesis (Lettonie) non loin de Riga (à l’époque Livonie et désormais Latvia). L’accusé, un vieil homme surnommé « le vieux Thiess » était accusé d’hérésie. Il contre-attaquait en objectant qu’il était un loup garou et qu’en tant que loup garou il avait coutume de se rendre en enfer avec d’autres loups garous trois fois par an en pleine nuit pour récupérer les semences des grains qui avaient été dérobées par les sorcières. « Nous sommes les chiens de chasse de Dieu », soutenait Thiess, en faisant référence aux loups garous, et en subvertissant ainsi le stéréotype traditionnel qui faisait d’eux des créatures diaboliques.

6Voici donc un loup garou qui soutenait qu’il avait pour habitude d’aller combattre en esprit des sorcières avec d’autres loups garous pour la fertilité des récoltes. Pouvais-je comparer le cas isolé de Thiess avec les cas des benandanti du Frioul, eux-mêmes des anomalies ? Je le pensais – mais quel type de comparaison pouvais-je employer ? Une comparaison morphologique ? Ou historique ? La première perspective se contente de prendre en compte quelques analogies formelles et ne considère ni l’espace ni le temps, alors que la seconde prend en charge les mêmes analogies à partir d’une perspective qui se fonde sur l’espace et le temps ce qui permet de questionner la possibilité d’influences mutuelles, d’une filiation commune, etc. C’est en lisant, alors que j’étais étudiant, le grand livre de Marc Bloch, Les Rois thaumaturges (1924), que j’avais rencontré pour la première fois cette alternative. Dans son introduction, Bloch opposait deux types de comparaison : la comparaison « ethnologique » (il n’utilisait pas le terme « morphologique ») et la comparaison « historique », qui se fondaient sur des phénomènes concernant des sociétés de types différents. La comparaison ethnologique vaut pour des sociétés qui n’ont eu aucun rapport entre elles, la comparaison historique pour des sociétés qui en ont eues.

7Dans mon premier livre, je suivis Bloch et choisis explicitement de me limiter aux seules comparaisons historiques – un choix qui me poussa à suggérer que les ressemblances entre les benandanti et Thiess, le loup garou letton, renvoyaient à une relation historique (complètement oubliée) entre le Frioul et la région baltique, impliquant peut-être des éléments slaves que ces deux régions partageaient.

2. Morphologie et histoire

8Tout ceci était purement spéculatif et excessivement vague. Un sentiment croissant d’insatisfaction par rapport à ce type d’histoire hypothétique renforça probablement mon attraction pour la morphologie – une attraction qu’avait déjà nourrie mon intérêt pour l’histoire de l’art, et, en particulier, pour la tradition et la figure du connaisseur (les attributions en histoire de l’art commençant toujours par des structures purement formelles). Pour moi le plus grand défi de la morphologie était son orientation résolument anhistorique – son dédain pour l’espace et le temps, qui la rend inintéressante, pour ne pas dire détestable pour la plupart des historiens. Mais cela faisait longtemps que je me sentais personnellement attiré par la figure de l’avocat du diable : ce personnage inventé qui, selon les règles des procès pour canonisation lors du premier dix-septième siècle, pose des questions difficiles, et parfois agressives sur les saints potentiels. J’appartiens à la génération qui a assisté au triomphe du structuralisme : une approche que Claude Lévi-Strauss n’a cessé d’opposer à l’histoire. Le structuralisme, et, plus particulièrement, Claude Lévi-Strauss, a joué pour moi le rôle d’un interlocuteur exigeant pendant bien des années – une sorte d’avocat du diable. Je considérai la morphologie, non pas comme une alternative à l’histoire, mais comme un instrument susceptible de surmonter l’absence de preuve historique et d’éclairer les étonnantes analogies qui existaient entre les benandanti frioulans et le vieux loup garou balte. Je crois aussi qu’à un niveau subconscient j’étais sous l’influence d’un vers de Virgile que Sigmund Freud avait choisi comme épigraphe de L’Interprétation des Rêves : « flectere si nequeo superos, Acheronta movebo » (Enéide, VII, 312) que l’on peut traduire ainsi : « si je ne peux fléchir les dieux d’en haut, je saurai mouvoir l’Achéron », ou « si je ne peux fléchir la volonté du paradis, je saurai mouvoir l’enfer ». Or pour moi, le paradis, c’était l’histoire, la morphologie l’enfer.

3. Freud et l’homme aux loups

9Inutile de dire que je ne me comparais pas à Freud : mais il est clair que Freud pendant de nombreuses années et par bien des manières a représenté pour moi un modèle intellectuel. Ce n’est peut-être pas entièrement l’effet du hasard si l’étape suivante de ma recherche me conduisit à me concentrer sur l’une des plus célèbres études de cas proposées par Freud : « L’Homme aux loups ». À l’âge de trois ou quatre ans, cinq ans peut-être, le patient, un Russe, avait fait le rêve suivant : six ou sept loups blancs étaient assis sur les branches d’un arbre, et le regardaient avec intensité. Ce rêve marquait le début d’une longue histoire de névrose. Dans mon essai, « Freud, l’homme aux loups et les loups garous » (1986), je me suis concentré sur un détail de la vie du patient, que Freud n’omet pas mais dont il ne perçoit peut-être pas la pertinence. Le patient était né coiffé. Dans le folklore russe, les loups garous naissent coiffés. Le rêve de ce petit garçon russe avait été sans doute nourri par les récits de sa nianja (sa nounou). Il était comparable aux rêves d’initiation des benandanti frioulans, qui étaient eux aussi nés coiffés.

  • 5 Carlo Ginzburg (1989b), “The Inquisitor as Anthropologist”, p. 148.

« Dans le rêve de l’homme aux loups, nous pouvons déchiffrer ainsi un rêve de caractère initiatique, induit par le milieu culturel ambiant. Ou plus précisément une partie de ce milieu. Soumis à des pressions culturelles contradictoires (nanja, la gouvernante anglaise, les parents, les maîtres), l’homme aux loups n’a pas suivi la voie qui se serait ouverte à lui deux ou trois siècles auparavant. Au lieu de devenir un loup-garou, il est devenu un névrosé, au bord de la psychose »5.

4. Comparaisons

  • 6 Carlo Ginzburg (1989a), Storia notturna. Una decifrazione del sabba. Turin, Einaudi ; trad. françai (...)

10Je suis revenu ailleurs sur les implications méthodologiques de l’étude de cas que j’ai proposée de l’étude de cas proposée par Freud ; ici, je vais me concentrer sur le dossier des loups garous que j’ai construit (et reconstruit) jusqu’à présent. Le loup garou, le patient russe de Freud, m’ont rendu conscient d’un élément que j’avais manqué au départ : comme je l’ai dit, dans le folklore russe, les loups garous comme les benandanti du Frioul, passaient pour être nés coiffés. Je dois indiquer que ce détail n’était pas mentionné dans le procès contre « le vieux Thiess ». Bien des années plus tard, après une longue trajectoire de recherche, j’inscrivais le cas livonien et les benandanti à l’intérieur d’une perspective bien plus large (eurasienne en fait) qui se concentrait sur le chamanisme et ses variétés : un des éléments qui finissait par faire partie, selon moi, du stéréotype du sabbat des sorcières6.

  • 7 Carlo Ginzburg (1989), Storia notturna. Una decifrazione del sabba, Turin, Einaudi ; trad. français (...)
  • 8 Bruce Lincoln (2015a), “The Werewolf, the Shaman, and the Historian: Rethinking the Case of ‘Old Th (...)
  • 9 J’ai commenté ces essais en 2016 dans “Travelling in Spirit: From Friuli to Siberia”, in Horizons o (...)

11Mon livre, Storia notturna. Una decifrazione del sabba7 a fait l’objet de débats intenses, aussi bien dans le détail de ses démonstrations qu’au regard de l’ensemble de la démarche. Plus spécifiquement, mon interprétation du cas livonien a été critiqué à plusieurs reprises, et de manière récente et avec autorité, par Bruce Lincoln8, professeur d’histoire des religions à l’université de Chicago9 Je voudrais traiter quelques-uns des problèmes décisifs que son essai relève à propos de la comparaison : il s’agira donc d’une nouvelle manche dans le débat amical et souvent polémique qui se poursuit entre Bruce Lincoln et moi-même depuis de nombreuses années.

  • 10 Bruce Lincoln (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », p. 119.
  • 11 Bruce Lincoln (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », p. 115.
  • 12 Bruce Lincoln (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », p. 132.

12Lincoln a rejeté avec fermeté la possibilité de trouver des fragments d’anciennes croyances dans le discours tenu par le « vieux Thiess » face aux juges stupéfaits de Wenden. Après avoir évoqué un certain nombre de chercheurs (moi compris) qui avaient soutenu que les croyances baltes à propos des loups garous étaient « la survivance d’une couche profonde uniment culturelle et religieuse », Lincoln commentait : « les résultats de ce type de comparaison restaient au mieux hypothétiques ; l’histoire de ces projets de comparaison à grande échelle est de par elle-même un avertissement »10. Lincoln suivait alors un chemin très différent et offrait une lecture rapprochée du procès livonien dans lequel il voulait voir un « exemple frappant de résistance religieuse, culturelle et politique », offert par le « vieux Thiess », un paysan livonien qui faisait face (et front) à un groupe de juges. Or tous ces juges (à une exception près) portaient des noms germaniques qui indiquaient leur appartenance à une élite germanique (les minutes du procès sont en allemand : il est difficile de savoir cependant, comme Lincoln le fait remarquer, si Thiess et les témoins parlaient allemand)11. C’est pourquoi selon Lincoln, le renversement opéré par Thiess des stéréotypes relatifs aux loups garous, loin de s’ancrer dans une couche culturelle antérieure et soi-disant ancienne, était bien plutôt le résultat d’un acte de courage qui consistait à « s’approprier et à retravailler un discours tendancieux, utilisé par l’élite germanique pour déprécier et dégrader les paysans »12.

  • 13 Bruce Lincoln & Cristiano Grottanelli (2012), “Theses on Comparison”, in Gods and Demons, Priests a (...)

13Dans ses « Thèses sur la comparaison » signé avec Cristiano Grottanelli (un historien des religions italien disparu en 2010), Bruce Lincoln soutient qu’après l’échec de projets comparatifs de grande ampleur, « il est temps d’envisager un comparatisme d’un nouveau genre, moins fort et plus modeste qui a) se concentre sur un nombre relativement petit de comparanda que le chercheur peut ainsi étudier de près ; b) se montre également attentif aux relations de ressemblance qu’aux relations de différence ; c) accorde la même dignité et la même intelligence à toutes les parties considérées ; d) ne néglige aucun contexte et sous-texte qu’il soit social, historique ou politique des textes religieux et des textes littéraires »13.

  • 14 Bruce Lincoln (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », p. 114- (...)
  • 15 Caspar Peucer (1560), Commentarius de praecipuis generibus divinationum, Wittenberg, Johannes Lueft
  • 16 Caspar Peucer (1560), Commentarius de praecipuis generibus divinationum, 141v-142 r. La description (...)
  • 17 Caspar Peucer (1560), Commentarius de praecipuis generibus divinationum, 144v : « Ait se veneficam (...)
  • 18 Carlo Ginzburg (1992), Le sabbat des sorcières, p. 24.

14Mais même une comparaison restreinte pousse à invalider la soi-disant unicité du cas du « vieux Thiess ». Après avoir cité un texte qui décrit les loups garous et leurs attaques contre le bétail, Bruce Lincoln mentionne dans une note une série d’œuvres qui évoquent des « histoires similaires ». Mais deux d’entre elles, comme je l’ai noté dans mon livre Batailles nocturnes suggérait une toute autre tonalité14. Dans son Commentarius de praecipuis generibus divinationum (Commentaire sur les plus importants genres de divination), Caspar Peucer15, professeur de médecine et de mathématique à l’Université de Wittenberg, fait référence à un épisode dont il a eu connaissance par un étudiant livonien, Hermann Witekind, qui devait publier plus tard un ouvrage sur la sorcellerie sous pseudonyme (Augustin Lercheimer). Un paysan qui ne vivait pas loin de Riga (à savoir la même région où le « vieux Thiess » habiterait un siècle après) s’endormit brusquement. On le prit pour un loup garou car les loups garous disait-on, avaient coutume de s’évanouir avant leur métamorphose imaginaire en loups16. À peine réveillé, poursuivait Peucer, « l’homme raconta qu’il avait poursuivi une sorcière qui voletait tout autour comme un papillon de feu (les loups garous se vantaient d’être poussés à chasser les sorcières) »17. De la section consacrée aux loups garous par la docte étude de Peucer sur la divination émerge alors quelques « fragments relativement peu touchés par les déformations de la culture que la persécution se proposait d’abolir »18. L’infime détail que je viens juste de mentionner est particulièrement pertinent parce qu’il prouve que l’image singulière qui fait des loups garous des ennemis des sorcières sur laquelle le « vieux Thiess » insistait n’était pas sans précédents. Une inventivité individuelle s’inscrivait ainsi dans la structure d’une grammaire préexistante. Pour explorer ces structures, il nous faut remonter au dossier historique gigantesque des loups garous.

5. Diffusion, diffusionisme

15Mais pour commencer, un avertissement qui nous vient des « Thèses sur la comparaison » de Bruce Lincoln. Dans l’une d’entre elles, le « modèle diffusionniste » est rejeté pour les raisons suivantes :

  • 19 Bruce Lincoln & Cristiano Grottanelli (2012), “Theses on Comparison”, p. 123.

« […] la tentative de mettre en avant la transmission de traits culturels repose toujours – fût-ce de manière latente – sur un classement tendancieux des peuples impliqués dans la comparaison, et elle aboutit toujours à faire de la primauté dans le temps (« originalité », « invention », « authenticité ») le signe d’un statut de supériorité, et à traiter la réception comme la marque qu’on a affaire à des cultures qui seraient plus ou moins en retard sur les autres, et qui souffriraient de besoin ou seraient en tout cas dans un état de soumission »19.

16Je me demande si quelqu’un a jamais prétendu, directement ou indirectement, que l’invention de croyances liées aux loups garous pouvait constituer le signe d’une supériorité quelconque. Mais l’essentiel n’est pas là : il concerne l’équivalence tacite entre le « modèle diffusionniste » et la « transmission de traits culturels ». Le diffusionnisme est un modèle, explicatif rudimentaire, simplificateur ; la diffusion entendue comme transmission de traits culturels, est une réalité. Le diffusionnisme doit être rejeté, dès lors qu’il prend la transmission comme un phénomène qui irait de soi ; mais nous devrions nous demander comment la transmission de traits culturels est possible.

17Il y a longtemps, Claude Lévi-Strauss avait formulé quelques remarques denses et provocatrices sur ce problème :

  • 20 Claude Lévi-Strauss (1958), « Le dédoublement de la représentation dans les arts d’Asie et d’Amériq (...)

« Je dirais plus : même si les reconstructions les plus ambitieuses de l'école diffusionniste étaient vérifiées, il y aurait encore un problème essentiel qui se poserait, et qui ne relève pas de l'histoire. Pourquoi un trait culturel, emprunté ou diffusé à travers une longue période historique, s'est-il maintenu intact ? Car la stabilité n'est pas moins mystérieuse que le changement. La découverte d'une origine unique du dédoublement de la représentation laisserait ouverte la question de savoir comment il se fait que ce moyen d'expression ait été préservé par des cultures qui, à d'autres égards, ont évolué dans des sens très différents. Des connexions externes peuvent expliquer la transmission ; mais seules des connexions internes peuvent rendre compte de la persistance. Il y a là deux ordres de problèmes entièrement différents, et s'attacher à l'un ne préjuge en rien de la solution qui doit être apportée à l'autre »20.

  • 21 Claude Lévi-Strauss (2016), « Une science révolutionnaire : l’ethnographie », in De Montaigne à Mon (...)

18La publication récente d’une conférence intitulée : « Une science révolutionnaire : l’ethnographie » que Lévi-Strauss avait prononcée en 1937 devant un groupe de militants de gauche, dévoile les connotations cachées ainsi que les autocritiques que dissimulent les remarques sur « les reconstructions les plus ambitieuses de l'école diffusionniste »21. L’engagement du jeune Lévi-Strauss pour le diffusionnisme fut suivi par un rejet qui reposait sur l’identification du diffusionnisme et de l’histoire. Je soutiendrais, au contraire, que la recherche historique devrait se concentrer tout aussi bien sur des connexions externes que sur des connexions internes, sur la transmission comme sur la persistance. Mais s’ils veulent atteindre cet objectif (à coup sûr ambitieux), les historiens feraient bien d’écouter l’avocat du diable : la morphologie.

6. Versipelles

  • 22 Hérodote, Histoires IV, 105, 1-2.
  • 23 Pétrone, Satyricon, 42.
  • 24 Pline, Histoire naturelle, VIII, 34, 80-84.
  • 25 Carlo Ginzburg (1992), Le sabbat des sorcières, p. 264. Voir aussi Helen King (1986), “Sacrificial (...)
  • 26 Carlo Ginzburg (1992), Le sabbat des sorcières, p. 265.

19Les raisons qui se trouvent derrière le choix de mon étude de cas seront sans doute plus claires maintenant. Les loups garous ne cessent de nous mettre face à un dilemme : les potentiels respectifs d’une comparaison à large ou à moindre échelle. La transmission des croyances sur les loups garous implique une trajectoire qui correspond à une chronologie très longue (deux millénaires et demi) et à une large diffusion. Le noyau de ces croyances semble bien stable : au Ve siècle avant J.-C. Hérodote évoque une population – les Neuroi et ajoute, sans y prêter foi, que chacun d’entre eux « une fois par an […] devient un loup pour quelques jours et regagne ensuite sa forme originelle »22. Dans le Satyricon, roman écrit cinq siècles plus tard, Pétrone (27 avant J.-C, 66), l’identification de cette croyance avec une population spécifique disparaît. L’histoire concerne un simple soldat qui s’aventure une nuit dans un cimetière et qui, après avoir « pissé autour de ses vêtements se change en loup immédiatement – « at ille circumminxit vestimenta sua et subito lupus factus est ». Quelques jours plus tard, il regagne sa forme originelle23. Le jour suivant, le compagnon du soldat apprend que le loup est entré dans une ferme et a égorgé le bétail ; un serviteur a transpercé la gorge du loup. Plus tard le compagnon voit le soldat allongé sur un lit et un chirurgien qui soigne son cou : il comprend alors « qu’il était un loup-garou » (intellexi illum versipellem esse). Le mot latin versipellis signifie littéralement quelqu’un qui est capable de changer de peau, qui peut se transformer ; et de là, métaphoriquement, rusé, malin, astucieux capable de jouer toutes sortes de rôles. La transformation de l’humain en bête est précédée d’une séquence rituelle : ôter ses vêtements, pisser autour, devenir un loup. Entretemps (le personnage de Pétrone raconte cela horrifié), les vêtements se sont pétrifiés (« illa autem lapidea facta sunt ») avant de se liquéfier en une flaque de sang (« nihil inveni nisi sanguinem »). Les vêtements marquent la frontière entre le monde humain et le monde bestial. Dans son Histoire naturelle, Pline l’ancien (23 avant J.-C – 79) commente le terme versipellis en rapportant une histoire racontée par un Evanthes, un écrivain grec : il rapporte « qu’un individu de la famille d'un certain Anthus est choisi au sort parmi les siens, et conduit à un étang de l’Arcadie ; que là, suspendant ses habits à un chêne, il passe l'étang à la nage, va dans la solitude, se transforme en loup, et vit pendant neuf ans avec les animaux de cette espèce ». Pline qui relate l’histoire sans y croire, se dit « stupéfait par l’excès de crédulité des Grecs »24. Être né coiffé, la tête enveloppée dans le sac du liquide amniotique – un trait que partagent les benandanti du Frioul et les loups garous slaves – signifie aussi être enveloppé dans une espèce de vêtement. « L’amnion », avais-je écrit il y a longtemps, « est un objet qui appartient au monde des morts – ou à celui des non-nés. Un objet ambigu et liminal qui caractérise des personnes liminaires »25. Les versipelles qui sont capables de passer d’une peau à une autre, d’un monde à un autre, font partie de ces êtres liminaires. Je soutenais alors que dans la transmission de ces croyances, « une expérience primaire de caractère corporel » jouait un rôle décisif26. Jusqu’ici nous sommes dans la perspective de la morphologie. Mais comme je l’avais souligné, la morphologie peut être considérée comme un instrument de l’histoire, et pas seulement comme une voie alternative. Je suis très fortement favorable à une approche de près d’un simple cas – le vieux Thiess par exemple – mais nous ne pouvons pas ignorer les contextes multiples au sein desquels un cas singulier se trouve inscrit. Du cadre à l’image, et de l’image au cadre : cette trajectoire – que l’on peut appeler, si l’on veut, « microhistoire » si l’on veut – me semble particulièrement prometteuse.

7. Ressemblances de famille

  • 27 Carlo Ginzburg (1999), History, Rhetoric, and Proof. Hanover ; London, University Press of New Engl (...)
  • 28 Carlo Ginzburg (2004), “Family Resemblances and Family Trees: Two Cognitive Metaphors”, Critical In (...)

20Bruce Lincoln objecterait sans doute que mon approche donne trop de place  à l’hypothèse. Comme j’ai passé de nombreuses années à réfléchir sur le problème de la preuve, je suis très sensible à ce genre de critique27. C’est pourquoi, plutôt que d’insister sur l’argument précédent, je vais essayer de m’appuyer sur une autre stratégie pour le prouver. Je vais développer les implications d’un essai publié il y a quelques années sur un argument complètement différent : son titre en français (le texte est encore inédit) serait « Airs de famille et arbres de famille : deux métaphores cognitives »28. La première partie de cet essai concerne les « photos composées » : une expérience menée dans les années 1880 par Francis Galton, le fameux statisticien anglais polymathe. Suivant la suggestion qu’il avait reçue d’un correspondant de Nouvelle Zélande, Galton superposa une série de négatifs de membres de la même famille et prit alors un cliché de ces surimpressions. Le résultat est une image-fantôme, unique, compressée et obsédante (fig. 1) :

Fig. 1.- Surimpressions des membres d’une même famille

Fig. 1.- Surimpressions des membres d’une même famille

21Un centre plus sombre entouré d’un halo plus clair : le premier correspond aux structures récurrentes au sein d’une même famille, le second à des traits moins fréquents et parfois uniques. Un ensemble de ressemblances de familles se trouve exposé devant nous de manière très inhabituelle. L’expérience paraît neutre, innocente même ; elle ne l’était pas. Elle était inspirée par l’eugénisme, un projet qui avait pour ambition d’améliorer la qualité génétique d’une population (dans ce cas précis, les Anglais). Galton utilisait des photographies pour identifier des types de groupes sociaux spécifiques, suggérant que la capacité de reproduction de minorités marginales, potentiellement dangereuses, comme les Juifs (fig. 2) ou les criminels (fig. 3), devrait être contrôlée :

Fig. 2.- Le type juif. Fig. 3.-Types dominants de physionomies

Fig. 2.- Le type juif. Fig. 3.-Types dominants de physionomies

Fig. 2

Fig. 3

22Le modèle d’une bonne reproduction contrôlée était explicite - l’élevage des chevaux (fig. 4) :

Fig. 4. Photographies composées de purs-sangs

Fig. 4. Photographies composées de purs-sangs
  • 29 Gianfranco Contini (1959), « I più antichi esempi di razza », in Studi di Filologia Italiana (Accad (...)

23Les implications racistes du projet ne font aucun doute. Il serait approprié de rappeler dans ce contexte que le mot « race » (comme beaucoup de ses équivalents dans des langues proches, comme l’italien « razza », l’espagnol « raza », l’anglais « race ») dérive, comme l’avait démontré il y a bien longtemps le philologue italien Gianfranco Contini, du mot « haras », un vieux mot français encore conservé qui signifie « élevage de chevaux »29 (fig. 4).

8. Convertir la diachronie en synchronie

24L’impact des « photographies composées » de Galton que j’ai exploré dans cet essai, était indépendant (comme il arrive souvent dans ce genre de cas) de l’idéologie qui les avait inspirées. Ludwig Wittgenstein a fait référence à plusieurs reprises, de manière plus ou moins explicite, aux « photographies composées » de Galton : d’abord pour souligner les traits partagés par tous les membres d’une même famille, plus tard, pour réfléchir sur le résultat général de l’expérience dans le but de proposer une définition différente, et moins stricte des « ressemblances de famille ». Les expériences de Galton ont aussi attiré l’attention de Sigmund Freud, de Gregory Bateson et d’un grand nombre d’autres chercheurs. La présentation de Galton peut être considérée comme un défi cognitif ou comme un instrument cognitif. Ce qui m’avait  attiré dans ces images était la compression de séquences chronologiques (différentes générations à l’intérieur d’une même famille par exemple) dans une seule image, ce qui revient à convertir le temps en espace, ou (comme les linguistes de l’école de Saussure le diraient) la diachronie en synchronie. On aura compris que je me retrouvais à nouveau plongé dans mes ruminations obsédantes sur les rapports entre morphologie et histoire. Mais il y avait aussi autre chose. Dans mon essai, j’avançais une comparaison entre les photographies composées de Galton et un artefact visuel d’un autre type : les arbres généalogiques. On a très longtemps utilisé ces arbres comme des diagrammes capables de représenter les relations entre les individus d’une même famille : mais depuis le début du XIXe siècle, ils ont été utilisés par les philologues comme une métaphore permettant de représenter les relations généalogiques qui existent entre les différents manuscrits d’un même texte. Ce procédé fut utilisé pour la première fois par Jacob Bernays, le grand philologue, sous la forme d’un diagramme pour décrire la transmission du manuscrit du poème de Lucrèce, le De rerum natura (fig. 6).

25Considérons les photographies composées et les arbres généalogiques côte à côte (figs.  5 et 6) : quels éléments partagent-ils ?

Fig. 5. Photographies composées des membres d’une famille. Fig. 6. Le stemma codicum de Lucrèce par Jacob Bernays

Fig. 5. Photographies composées des membres d’une famille. Fig. 6. Le stemma codicum de Lucrèce par Jacob Bernays

Fig. 5

Fig. 6

  • 30 Carlo Ginzburg, “Das Nachäffen der Natur. Reflexionen über eine mittelalterliche Metapher”, in Fäls (...)

26La réponse est simple. Un mot répété suffira : reproduction/ reproduction. D’une part, on peut voir une séquence liée à la reproduction en un sens biologique : les membres de la même famille, qui peuvent appartenir à des générations différentes. D’autre part, il s’agit de la reproduction entendue en un sens matériel : différents manuscrits qui copient le même texte. J’ai travaillé de longues années sur cette notion ambivalente (reproduction/ reproduction) en me concentrant sur Dante30. La reproduction biologique a longtemps fonctionné comme une métaphore de la reproduction mécanique. Comme exemple, je citerai un passage célèbre d’Erasme ainsi que le commentaire proposé par Sebastiano Timpanaro dans son livre fondamental La Genèse de la méthode de Lachmann :

  • 31 Sebastiano Timpanaro (2005), The Genesis of Lachmann’s Method, edition et traduction de Glenn W. Mo (...)

« Dans ses Adages [Erasme] proposa une correction à une expression proverbiale que l’on trouve dans la Métaphysique d’Aristote : « La convergence des manuscrits ne semblera pas du tout étonnante à ceux qui ont un peu d’expérience dans l’établissement et le rassemblement [c’est-à-dire la comparaison] des manuscrits. Car il arrive très souvent qu’une erreur de l’archétype, pour autant qu’il possède quelque spécieuse apparence de vérité, continue à propager cette forme à travers tous les livres comme s’ils étaient ses descendants “et les enfants de ses enfants, et ceux qui sont nés après” »31.

27Le dernier vers est une citation de l’Iliade (XX, 308) qu’Erasme adapte légèrement au contexte. Le propos est clair : une erreur dans l’archétype (ce terme était voué à devenir un instrument fondamental, avec ses différentes significations, parmi les philologues) sera propagée par ses descendants. La transmission culturelle a pris la transmission biologique pour modèle et a recouru à des expressions aussi transparentes que « familles de manuscrits ». Au XXe siècle, quand les biologistes ont commencé à utiliser des expressions comme « code génétique », la métaphore s’est inversée.

9. Sur la transmission des croyances

28On demandera peut-être : qu’est-ce que tout cela peut bien avoir affaire avec le sujet par lequel j’ai commencé, à savoir les loups garous ? Voici les termes de ma réponse : je me propose de considérer la transmission des traditions et des croyances relatives aux loups garous comme quelque chose de comparable (en dépit d’une différence fondamentale que je vais évoquer plus loin) à la transmission d’un texte. C’est pourquoi je vais tenter d’approcher mon sujet en recourant aux techniques de la philologie textuelle, telles qu’elles sont décrites par Paul Maas dans son volume Textkritik, un livre bref et dense qui est devenu une référence indispensable depuis sa parution pour tous ceux qui travaillent dans le champ de la philologie textuelle :

  • 32 Paul Maas (1958), Textual Criticism, translated by Barbara Flower. Oxford, Clarendon Press, p. 43. (...)

« On peut apporter la preuve que deux témoins (B et C) [témoins, c’est-à-dire des manuscrits] dépendent tous les deux d’un troisième (A) en montrant qu’une erreur commune à B et à C est telle qu’il serait hautement improbable que B et C l’aient commise indépendamment l’un de l’autre. On pourrait appeler ces erreurs des « erreurs conjonctives » (errores conjunctivi). »32

  • 33 Sebastiano Timpanaro (2003 [1963]), La genesi del metodo del Lachmann, Turin, UTET, p. 17-18 ; trad (...)

29En quel sens sont-elles « conjonctives » ? Parce que des erreurs qui ne sont pas banales apportent la preuve que des familles de manuscrits sont connectées : soit parce qu’elles dépendent les unes des autres, soit parce qu’elles descendent d’un ancêtre commun. (« familles », « ancêtres », etc… on saisit combien dans ce domaine le développement de métaphores biologiques est inévitable). Cette idée, qui avait déjà inspiré la méthode éditoriale de Politien (comme Timpanaro l’avait montré), a donné naissance à la philologie textuelle moderne33.

  • 34 Le deuxième chapitre de la seconde partie de mon livre Storia notturna s’intitulait « Anomalie » (A (...)

30Je me vois ici confronté à une sérieuse difficulté. La philologie textuelle tente de reconstruire un texte original qui, la plupart du temps, a été perdu et qui a souvent été corrompu par les copistes au cours de sa transmission. Mon objectif en analysant les traditions reliées aux loups garous est complètement différent. Je n’essaie pas de reconstruire un ensemble original de croyances : ce qui m’intéresse, c’est de comprendre par quelles voies d’anciennes croyances (probablement perdues pour toujours) ont pu être retravaillées et transformées au cours des siècles et des millénaires. C’est pour cette raison que je reformule la notion de Paul Maas et que je ne parle pas « d’erreurs conjonctives », mais « d’anomalies conjonctives »34. On notera que Maas, après avoir souligné la différence entre anomalie et singularité (mais sans l’avoir vraiment clarifiée), renvoie aux anomalies dans les termes suivants :

  • 35 Paul Maas (1927), Textkritik, traduction anglaise 1958, Textual Criticism, translated by Barbara Fl (...)

« Comme règle, aucun écrivain ne tendra l’anomalie pour elle-même ; une anomalie est la conséquence née du désir de dire quelque chose qui sorte de l’ordinaire et qui implique que le mode d’expression normal ait pu être perçu comme inadéquat »35.

  • 36 Gianfranco Contini (1986), Breviario di ecdotica. Milan ; Naples, Riccardo Ricciardi Editore, p. 71 (...)
  • 37 Carlo Ginzburg (2004), “Family Resemblances and Family Trees: Two Cognitive Metaphors”, p. 552.
  • 38 Carlo Ginzburg (1989a), Storia notturna. Una decifrazione del sabba, p. 28 ; (1992), Le sabbat des (...)
  • 39 Giorgio Pasquali (1974) [1934]), Storia della tradizione e critica del testo Milan, Mondadori, p. 4 (...)

31Maas décrit ici l’activité d’un écrivain qui ferait des expériences novatrices par rapport à la tradition littéraire36. J’essaie de mon côté de reconstruire des innovations culturelles par rapport à un ensemble commun de croyances, transmises par un groupe et articulées par des individus spécifiques37. Mais la date de l’enregistrement de la preuve ne coïncide pas nécessairement avec la date des innovations : comme j’ai pu l’écrire il y a longtemps maintenant : « des témoignages très récents pouvaient conserver des traces de phénomènes beaucoup plus anciens »38. J’aurais dû rappeler à ce propos ce que Giorgio Pasquali, le grand philologue, avait écrit dans Storia della tradizione e critica del testo [Histoire de la tradition et critique textuelle] : recentiores non deteriores, à savoir que des manuscrits très récents peuvent conserver une version non corrompue du passage d’un texte ancien39. Et c’est pourquoi mon arbre généalogique présentera une série de connexions formelles, indifférentes à la chronologie comme à la géographie (considérées traditionnellement comme les deux yeux de l’histoire) :

Fig. 7. Tableau synchronique de transmissions culturelles

Fig. 7. Tableau synchronique de transmissions culturelles

32Les anomalies (a, b, c, d) sont trop spécifiques pour qu’on puisse les attribuer au pur hasard : je les considère donc comme des « anomalies conjonctives ». C’est pourquoi A et B3, les benandanti frioulans et le « vieux Thiess », le loup garou balte, qui combattent tous pour la fertilité des moissons, peuvent être considérés comme des développements se chevauchant partiellement à partir d’un ensemble de croyances qui prendraient racine dans un passé lointain non documenté ; je l’ai indiqué par un astérisque. Faut-il penser que cet astérisque renvoie à un événement isolé ou à une série d’innovations indépendantes les unes des autres, suivies par des combinaisons hybrides d’événements isolés ? Nous ne le saurons jamais.

33Le diagramme (fig. 7) traduit dans un tableau synchronique une série de transmissions culturelles reliées à des moments et à des lieux différents. Ce diagramme peut-il être la conclusion de mon argumentation ? Une conclusion temporaire seulement. Il me faudra revenir de la morphologie vers les contextes, les acteurs, l’histoire.

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Notes

1 Cet essai a été prononcé lors de la présentation des publications de The School of Social Sciences de l’Universidad de los Andes (Colombie) en 2016. Bruce Lincoln avait commenté une première version de ce texte ; Maria Luisa Catoni a commenté la présente version. Je suis profondément reconnaissant à l’un et à l’autre de m’avoir adressé leurs remarques critiques. Ma gratitude va aussi à Anna Ciammitti qui m’a aidé à construire le diagramme qui se trouve à la fin du texte. Il est inutile de dire que la responsabilité de ce qui est écrit ici me revient.

2 J’ai développé quelques-unes des conséquences de ce propos dans mon essai “Microhistory and World History” : Ginzburg (2015), in The Construction of a Global World, 1400-1800, part 2: Patterns of Change, vol. VI of The Cambridge World History, ed.by Jerry H. Bentley, Sanjay Subrahmanyam & Merry E. Wiesner-Hanks, Cambridge, Cambridge University Press, p. 446-473.

3 La traduction espagnole, publiée par l’université de Guadalajara, offrait un écho plus précis du titre et du sous-titre italiens : Los benandanti. Brujeria y cultos agrarios entre los siglos XVI y XVII (2005)

4 Carlo Ginzburg (1989b), “The Inquisitor as Anthropologist”, in Clues, Myths, and the Historical Method, Baltimore: Johns Hopkins University Press, p. 156-164 ; trad. française, « L’inquisiteur comme anthropologue », in Le fil et les traces, Lagrasse, Verdier, 2010.

5 Carlo Ginzburg (1989b), “The Inquisitor as Anthropologist”, p. 148.

6 Carlo Ginzburg (1989a), Storia notturna. Una decifrazione del sabba. Turin, Einaudi ; trad. française, Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1992.

7 Carlo Ginzburg (1989), Storia notturna. Una decifrazione del sabba, Turin, Einaudi ; trad. française, Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1992 

8 Bruce Lincoln (2015a), “The Werewolf, the Shaman, and the Historian: Rethinking the Case of ‘Old Thiess’ after Carlo Ginzburg”, Conférence prononcée lors de la Hayes-Robinson Lecture, 3 mars, Royal Holloway College, University of London ; (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », Asdiwal 10, p 111-135 ; Willem de Blécourt (1993), “Spuren einer Volkskultur oder Dämonisierung? Bemerkungen über Ginzburgs Die Benandanti”, Kea. Zeitschrift für Kulturwissenschaften, 5, p.17-29 ; (2007), “A Journey to Hell: Reconsidering the Livonian ‘Werewolf’”, Magic, Ritual, and Witchcraft 2 (1), p. 49-67. http://dx.doi.org/10.1353/mrw.0.0002 ; (2007), “The Return of the Sabbat: Mental Archaeologies, Conjectural Histories or Political Mythologies?” in Palgrave Advances in Witchcraft Historiography, Jonathan Barry & Owen Davies (eds), Basingstoke ; New York, Palgrave Macmillan, p. 128-129.

9 J’ai commenté ces essais en 2016 dans “Travelling in Spirit: From Friuli to Siberia”, in Horizons of Shamanism. A Triangular Approach to the History and Anthropology of Ecstatic Techniques, Peter Jackson (ed.), Stockholm, Stockholm University Press, p. 35-51.

10 Bruce Lincoln (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », p. 119.

11 Bruce Lincoln (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », p. 115.

12 Bruce Lincoln (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », p. 132.

13 Bruce Lincoln & Cristiano Grottanelli (2012), “Theses on Comparison”, in Gods and Demons, Priests and Scholars. Critical Explorations in the History of Religion, Chicago, The Chicago University Press, p. 123.

14 Bruce Lincoln (2015b), « Un loup-garou de Livonie : le drame de la résistance religieuse », p. 114-115 ; Carlo Ginzburg (1989a), Storia notturna. Una decifrazione del sabba, p. 130-134 ; (1966), I benandanti. Stregoneria e culti agrari tra Cinquecento e Seicento, Turin, Einaudi ; trad. française : Les Batailles nocturnes : sorcellerie et rituels agraires en Frioul, XVIe-XVIIe siècle (trad. Giordana Charuty), Lagrasse, Verdier, 1980, p. 40). Willem de Blécourt a proposé une autre critique de mon approche, mais il ne mentionne pas ma discussion du texte de Peucer et son argumentation s’en trouve affaiblie : ce point a été souligné par Matteo Duni (2015), “‘What about Some Good Weather?’ Witches and Werewolves in Sixteenth-Century Italy”, in Werewolf Histories, Willem de Blécourt, (ed.), New York, Palgrave Macmillan, p. 132-134). Duni, à son tour, ne s’est pas penché sur la remarque de Peucer qui souligne l’hostilité des loups garous à l’encontre des sorcières et s’est refusé ainsi à développer toutes les implications de sa remarquable analyse fondée sur les procès de l’Inquisition qui se sont tenus à Modène au début du XVIe siècle. Il soutient que « les traits spécifiques de chacun de ces [documents] s’en trouverait dilué ». (p. 135). Cette approche qui tient de l’autodestruction se trouve contredite par un autre passage du même essai qui souligne la valeur de la démonstration de Maurizio Bertolotti quand il évoque un « ensemble ancien et étendu de folklore européen, typique des sociétés qui se fondent sur la chasse » (p. 126)

15 Caspar Peucer (1560), Commentarius de praecipuis generibus divinationum, Wittenberg, Johannes Lueft.

16 Caspar Peucer (1560), Commentarius de praecipuis generibus divinationum, 141v-142 r. La description de la pâmoison des loups garous permet une comparaison avec les sorciers (chamanes) de Laponie : comme le souligne à juste titre Duni, c’est un là un détail que j’aurais dû mentionner (Duni (2015), “‘What about Some Good Weather?’ Witches and Werewolves in Sixteenth-Century Italy”, p. 140).

17 Caspar Peucer (1560), Commentarius de praecipuis generibus divinationum, 144v : « Ait se veneficam ignei papilionis specie circumvolitantem persequutum esse (gloriantur enim lycanthropi quod ad arcendas veneficas conducantur) ».

18 Carlo Ginzburg (1992), Le sabbat des sorcières, p. 24.

19 Bruce Lincoln & Cristiano Grottanelli (2012), “Theses on Comparison”, p. 123.

20 Claude Lévi-Strauss (1958), « Le dédoublement de la représentation dans les arts d’Asie et d’Amérique », Renaissance, revue trimestrielle publiée par l’École libre des Hautes Études (1944-1945) New York, p. 168-186, repris in Anthropologie structurale (1958), p. 301 ; Carlo Ginzburg (1992), Le sabbat des sorcières, p. 361.

21 Claude Lévi-Strauss (2016), « Une science révolutionnaire : l’ethnographie », in De Montaigne à Montaigne, édité par Emmanuel Désveaux, Paris, Editions EHESS, p. 33-62.

22 Hérodote, Histoires IV, 105, 1-2.

23 Pétrone, Satyricon, 42.

24 Pline, Histoire naturelle, VIII, 34, 80-84.

25 Carlo Ginzburg (1992), Le sabbat des sorcières, p. 264. Voir aussi Helen King (1986), “Sacrificial Blood: the Role of Amnion in Greek Gynaecology.”, Helios 13 (2), p. 117-126. Je remercie Maria Luisa Catoni pour m’avoir rappelé la signfication de amnion.

26 Carlo Ginzburg (1992), Le sabbat des sorcières, p. 265.

27 Carlo Ginzburg (1999), History, Rhetoric, and Proof. Hanover ; London, University Press of New England, trad. française, Rapports de force : histoire, rhétorique, preuve, éd. du Seuil, coll. « Hautes études », 2003.

28 Carlo Ginzburg (2004), “Family Resemblances and Family Trees: Two Cognitive Metaphors”, Critical Inquiry 30 (3), p. 537-556, http://dx.doi.org/10.1086/421161 ; (2007), “Semejanzas de familia y árboles de familia: dos metáforas cognoscitivas”, Contrahistorias. La otra mirada de Clío 4 (7), p. 17-36.

29 Gianfranco Contini (1959), « I più antichi esempi di razza », in Studi di Filologia Italiana (Accademia della Crusca), XVII, p. 319-327.

30 Carlo Ginzburg, “Das Nachäffen der Natur. Reflexionen über eine mittelalterliche Metapher”, in Fälschungen. Zu Autorschaft und Beweis in Wissenschaft und Künsten, Anne-Kathrin Reulecke (éd.), Frankfurt-Main, Suhrkamp, p. 95-122 ; (2010), “Dante’s Blind Spot (Inferno XVI-XVII)”, in Dante’s Pluringualism. Authority, Knowledge, Subjectivity, Sara Fortuna, Manuele Gragnolati & Jürgen Trabant (eds.), London, Legenda, p. 150-163 ; (2010), “The Artist as Counterfeiter”, in Imitatio-Inventio. The Rise of ‘Literature’ from Early to Classic Modernity, Mihaela Anghelescu Irimia & Dragos Ivana (eds.), Bucharest, Institutul Cultural Român, p. 11-32 ; trad. française, « De l’artiste considéré comme faux-monnayeur », trad. Martin Rueff, Po&sie 142, 2012, n°4, p. 147-161.

31 Sebastiano Timpanaro (2005), The Genesis of Lachmann’s Method, edition et traduction de Glenn W. Most. Chicago, The Chicago University Press, p. 49.

32 Paul Maas (1958), Textual Criticism, translated by Barbara Flower. Oxford, Clarendon Press, p. 43. L’approche de Maas a été âprement critiquée par Luciano Canfora (2012), « Il problema delle ‘varianti d’autore’ come architrave della Storia della tradizione di Giorgio Pasquali », Quaderni di storia, 75, p. 5-29. Si je ne me trompe pas, la puissante argumentation de Canfora ne touche pas le potentiel cognitif de l’argument développé par Maas à propos des errores coninunctivi (erreurs conjonctives) : cet argument a bien évidemment une longue histoire avant Paul Maas.

33 Sebastiano Timpanaro (2003 [1963]), La genesi del metodo del Lachmann, Turin, UTET, p. 17-18 ; trad. française, La genèse de la méthode Lachmann, trad. Aude Cohen-Skalli, Alain Philippe Segonds, Paris, Les Belles-Lettres, 2016.

34 Le deuxième chapitre de la seconde partie de mon livre Storia notturna s’intitulait « Anomalie » (Anomalies) (1989a, p. 99-114).

35 Paul Maas (1927), Textkritik, traduction anglaise 1958, Textual Criticism, translated by Barbara Flower, Oxford, Clarendon Press, p. 13. Voir aussi: « Il nous faut distinguer nettement anomalie et singularité. Ce qui est unique ne doit pas être considéré pour cette simple raison avec soupçon » - ici, le laconisme habituel de l’auteur devient allusif. (p. 12).

36 Gianfranco Contini (1986), Breviario di ecdotica. Milan ; Naples, Riccardo Ricciardi Editore, p. 71, rappelle que Gaston Paris, dans son édition de La vie de Saint Alexis (Paris 1872) « allait jusqu’à soutenir que plutôt que d’évoquer des ‘fautes’ on pourrait parler de ‘modifications’ ou d’innovations communes ; et qu’on pourrait remplacer le terme de ‘scribes’ par celui de ‘renouveleurs’ ».

37 Carlo Ginzburg (2004), “Family Resemblances and Family Trees: Two Cognitive Metaphors”, p. 552.

38 Carlo Ginzburg (1989a), Storia notturna. Una decifrazione del sabba, p. 28 ; (1992), Le sabbat des sorcières, p. 25.

39 Giorgio Pasquali (1974) [1934]), Storia della tradizione e critica del testo Milan, Mondadori, p. 41.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1.- Surimpressions des membres d’une même famille
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Titre Fig. 2.- Le type juif. Fig. 3.-Types dominants de physionomies
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Titre Fig. 4. Photographies composées de purs-sangs
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Titre Fig. 5. Photographies composées des membres d’une famille. Fig. 6. Le stemma codicum de Lucrèce par Jacob Bernays
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Titre Fig. 7. Tableau synchronique de transmissions culturelles
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Pour citer cet article

Référence électronique

Carlo Ginzburg, « Anomalies conjonctives : une réflexion sur les loups garous »Methodos [En ligne], 19 | 2019, mis en ligne le 19 février 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/methodos/5381 ; DOI : https://doi.org/10.4000/methodos.5381

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Auteur

Carlo Ginzburg

UCLA/Scuola Normale Superiore, Pisa

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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