Contribution au problème du lien onto-théolo-
gique dans la démarche métaphysique de
S. Thomas d'Aquin
La question du débat foi/philosophie trouve l'un de ses prolongements les plus remarquables dans celle que soulève, à l'intérieur même de la philosophie, le rapport entre Dieu et l'être, soit donc sur le terrain de ce qu'il est convenu d'appeler l'«onto-théologie» métaphysique. C'est à ce niveau que nous entendons aborder ici la thématique qui gouverne ce recueil; et nous le ferons en nous centrant plus précisément sur la démarche métaphysique de S. Thomas, en cherchant à montrer que, loin du monolithisme qu'on lui a parfois prêté, elle présente sur ce point, comme sur bien d'autres d'ailleurs, des subtilités et des nuances qui donnent à penser.*
La question du lien onto-théologique chez S. Thomas se noue principalement autour de son approche de Dieu comme l'être même: Deus [...] est ipsum esse (C.G. I, 25); Dieu, écrit encore S. Thomas, est son être1, en lui l'être et l'essence sont une même chose, bref son essence même est d'être: in Deo non est aliud essentia vel quidditas quam suum esse (C.G. I, 22). Ces formules sont bien connues et elles passent ajuste titre pour exprimer le cœur de la démarche métaphysique de S. Thomas. Nous voudrions toutefois montrer que sous leur apparente limpidité,
* Texte d'un exposé présenté à la Société philosophique de Louvain le 23 mars 1994. Pour les textes de S. Thomas auxquels nous nous référons de façon régulière, nous utilisons les abréviations suivantes: S. T. = Somme théologique (nous avons généralement recouru pour cette œuvre à la traduction en quatre volumes parue aux Editions du Cerf, Paris, 1984-86); C.G. = Somme contre les Gentils; E.E. = De Ente et Essentia (nous avons consulté, mais sans toujours la suivre, la traduction de cet opuscule par C. Capelle parue chez Vrin, Bibliothèque des textes philosophiques, Paris, 1965. C'est à cette édition que renvoient nos références au De Ente et Essentia); D.P. = De Potentia; D.V. = De Veritate.
1 Le fait que S.Thomas écrive que Dieu est son être {suum esse) n'implique aucune restriction car précisément «son» être n'est rien d'autre que l'être même, l'être pur et sans mélange, à la différence de l'être de tout autre étant qui est toujours tel être déterminé, qualifié de telle ou telle manière. Nous y reviendrons par la suite.
