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La tension de la donation ultime et de la pensée herméneutique de l'application chez Jean-Luc Marion*

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Jean Grondin
Affiliation:
Université de Montréal

Extract

La phénoménologie a connu trop peu de sommets créateurs depuis Husserl et Heidegger pour qu'il soit possible d'ignorer le dernier ouvrage de Jean-Luc Marion, aussi superbement écrit qu'il est ambitieux. Certes, de très exhaustives encyclopédies conçues par nos collègues américains, pour lesquels le terme de phénoménologie sert un peu d'équivalent à celui de philosophie continentale (c'est-à-dire «non analytique»!), recenseront des légions de phénoménologues depuis Husserl et Heidegger, mais aucun n'aura eu d'impact vraiment déterminant sur la conception même de la discipline. Ces listes comprendront de redoutables penseurs comme Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty, Emmanuel Levinas et Paul Ricœur, où l'on reconnaîtra les plus illustres représentants de la tradition de la phénoménologie française (les autres traditions dites phénoménologiques étant beaucoup moins riches).

Type
Critical Notices/Études critiques
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 1999

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References

1 Cf. plus recemment Embree, L. et al., Encyclopedia of Phenomenology, Dordrecht, Kluwer, 1997Google Scholar. Cf. aussi les readers: Continental Philosophy: An Anthology, édité par McNeill, William et Feldman, Karen S., Oxford, Blackwell, 1998, qui commence par KantGoogle Scholar; The Edinburgh Encyclopedia of Continental Philosophy, Edimbourg, Edinburgh University Press, 1998Google Scholar. Sur l'identification, propre aux Américains, de la phénoménologie et de la philosophie continentale, cf. mes indications dans L'horizon herméneutique de la pensée contemporaine, Paris, Vrin, 1993, p. 81 sqqGoogle Scholar. L'etude justement classique sur l'ensemble du courant phénoménologique reste celle de Herbert Spiegelberg, The Phenomenological Movement: A Historical Introduction, 3e éd., La Haye-Boston-Londres, Martinus Nijhoff, 1982.Google Scholar

2 Janicaud, D., La phénoménologie éclatée, Combas, L'Éclat, 1998.Google Scholar

3 Cf. à ce sujet mon étude «Continental or Hermeneutical Philosophy: The Tragedies of Understanding in the Continental and Hermeneutical Perspectives », dans Interrogating the Tradition: Hermeneutics and the History of Philosophy, sous la direction de J. Sallis et C. Scott, Albany, SUNY Press, 1999.Google Scholar

4 Ce n'est pas tout à fait la thèse du rapport de lecture Alliez, d'Éric, De I'impossibilité de la phénoménologie. Sur la philosophie francaise contemporaine, Paris, Vrin, 1995, mais une conclusion que sa présentation, elle-même assez éclatée, de l'éclatement de la philosophie française autorise à tirer.Google Scholar

5 Sur l'aporie thématique de la phénoménologie, qui conduit à son tournant herméneutique, cf. mon étude «L'herméneutique dans Sein und Zeit», dans J.-F. Courtine, dir., Heidegger 1919–1929. De l'herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein, Paris, Vrin, 1996, p. 179'192.Google Scholar

6 Curieusement, cette orientation ontologique de la pensée de Heidegger a été assez peu étudiée pour elle-même. En 1969, Heidegger demandait lui-même à son élève Hermann Mörchen de lui signaler une seule étude où sa propre question se trouvât prise au sérieux (cf. son livre, d'un grand courage, Adorno und Heidegger. Untersuchung einer philosophischen Kommunikationsverweigerung, Stuttgart, Klett-Cota, 1981, p. 637Google Scholar: «pourriez-vous me nommer une seule étude qui aurait repris ma question sur le sens de l'être comme question, qui l'aurait pensée de manière critique, pour l'affirmer ou la récuser?»). Depuis, on pourrait compter sur les doigts d'une seule main les exceptions à ce silence dans la littérature pourtant pléthorique sur Heidegger (on pensera certainement à l'ouvrage de F.-W. von Hermann, Hermeneutische Phänomenologie des Daseins. Eine Erläuterung von Sein und Zeit, tome I: Einleitung: Die Exposition der Frage nach dem Sinn von Sein, Francfort, V. Klostermann, 1987)Google Scholar. Rosen, L'ouvrage de Stanley, The Question of Being: A Reversal of Heidegger, New Haven, Yale University Press, 1993CrossRefGoogle Scholar, ne s'intéresse pas directement à la question de l'être chez Heidegger, son projet étant surtout de corriger, suivant l'inspiration de Leo Strauss, l'interprétation heideggérienne du platonisme telle qu'elle apparaît dans ses cours sur Nietzsche.

7 Allusion est, bien sûr, faite ici à l'article classique de Walter Schulz, «Über den philosophiegeschichtlichen Ort Martin Heideggers», paru dans la Philosophische Rundschau, vol. 1 (1953–1954), p. 6593Google Scholar; 211–232, repris dans Poggeler, O., dir., Heidegger. Perspektiven zur Deutung seines Werkes, CologneBerlin, Kiepenhauer & Witsch, 1969, p. 95139.Google Scholar Le motif de l'affolement du principe de raison suffisante au nom de la gratuité du don et de la charité traverse, en effet, comme un fil rouge toute l'oeuvre de Marion. Cf. à ce sujet mes précédentes discussions de ses ouvrages: Sur le prisme metaphysique de Descartes (Paris, PUF, 1986)Google Scholar, dans le Laval théologique et philosophique, vol. 43 (1987), p. 409413CrossRefGoogle Scholar; Reduction et donation (Paris, PUF, 1989), dans un texte intitule «La phénoménologie sans herméneutique», dans Internationale Zeitschrift für Philosophie, 1992, repris dans L'horizon herméneutique de la pensée contemporaine, p. 8190.Google Scholar

8 Si les leibniziens contemporains s'opposent le plus souvent à Heidegger, il demeure que sa pensée n'est pas étrangère au renouveau des études leibniziennes. L'ombre de Heidegger plane, en effet, sur la récente et très louable traduction par Leibniz, E. Cattin de G. W. F., Recherches générates sur I'analyse des notions et des vérités (où I'on trouve le texte sur les «24 thèses métaphysiques», qui avait tant inspiré Heidegger, mais qui n'avait encore jamais été traduit), Paris, PUF, 1998.Google ScholarDans son ouvrage sur L'ere de I'individu. Contribution à une histoire de la subjectivité (Paris, Gallimard, 1988)Google Scholar, Alain Renaut avait lumineusement mis en relief l'importance cruciale de Leibniz pour Heidegger.

9 Cf. ÉD, p. 30: «Dès lors la donation devient moins une option phénoménologique parmi d'autres, que I'on pourrait récuser selon son humeur ou son école, que la condition non fondatrice et pourtant absolue de la montée du phénomène vers sa propre apparition». Ainsi la donation deviendrait pour la phénoménologi le «terme ultime» (p. 43), la «seule et unique détermination» (p. 34) de l'apparaître, le «principe ultime» (p. 59), la «figure extrême de la phénoménalité» (p. 160), bref, le «principe dernier» (p. 244).

10 De là l'intérêt récent, done tardif, voué par les spécialistes de Husserl à la passivité de la conscience (cf. Husserl, E., De la synthèse passive, Grenoble, Jerome Millon, 1998)Google Scholar, mais elle mine finalement l'idée de synthèse et d'unego constituant. Cf. à ce sujet l'étude de Montavant, A., Sur la passivité dans la phénoménologie de Husserl, Paris, PUF, 1999.Google Scholar

11 Cf. Sellars, W., Empiricism and the Philosophy of Mind, dans Minnesota Studies in the Philosophy of Science, vol. 1, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1956, p. 253329Google Scholar, qui vient d'être réédité sous le titre Empiricism and the Philosophy of Mind, introduction par Rorty, Richard, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1997.Google Scholar

12 Cf. D. Janicaud, La phénoménologie éclatée, p. 55: «Or traduire systématiquement la Gegebenheit husserlienne par “donation” et le Geben heideggérien par le même mot est non seulement inexact, mais conduit à de sérieuses distorsions».

13 Cf. ÉD, p. 57: «Or, à l'encontre de sa prudence déclarée, Heidegger lève immédiatement l'anonymat du “cela” et en offusque l'énigme. II viole lui-même l'interdit, sitôt qu'il l'a formulé, en baptisant le “cela” du nom d'Ereignis». Conclusion trop inquisitoriale, car loin de violer l'interdit, Heidegger le nomme tout simplement en parlant d'Ereignis, laissant ainsi l'initiative à I'es gibt. Ici, comme très souvent, Marion (qui viole davantage l'interdit en parlant, lui, de donation) est beaucoup plus proche de Heidegger (et plus éloigné de Husserl) qu'il ne veut bien l'admettre. D. Janicaud (p. 49) a bien vu cette dette et cette injustice envers Heidegger: «I1 y a là, de toute évidence, une reprise en compte – quelque peu schématisée – d'une intention de pensée venue du second Heidegger. Mais un insolite retoumement est simultanément opéré contre celui-ci: distorsion de l'approche de I'Ereignis, insoutenablement réduit à un avènement ontique».