Revue des sciences religieuses 75 n° 4 (2001), p. 516-521
IMAGES DE LA CROIX CHEZ TAULER ET SUSO
Si Eckhart propose de dépasser radicalement les images, Suso préconise plutôt de « chasser les images par les images ». En fait, Tauler et Suso, marqués par leur époque, reprennent la fonction pédagogique des images comme prolongement de leur prédication.
De toutes ces images, il s'en trouve une, fort évocatrice, celle de la Croix. Que veut-elle signifier ?
I. La Croix, Élément essentiel de la Rédemption, est d'abord la Passion du Sauveur, mais aussi sa Résurrection, et donc une source de vie
Symbole du Crucifié, la Croix s'identifie à l'histoire humaine de Jésus. C'est d'abord le bois d'infamie : « Ils l'ont pendu au bois » dit Pierre en Actes 5, 30. Ce bois est non seulement cause de souffrance, mais aussi de dégradation et d'humiliation. Au XIVe siècle, on s'attache à insister là-dessus : à ce temps de guerres, de disettes, d'effondrement démographique dû à la Peste Noire, fait écho une approche de la Passion particulièrement tragique, et ceci chez tous les mystiques :
A. Suso
« Ils me suspendirent au gibet de la croix, entre deux brigands, pour que ma mort apparût plus honteuse. Ainsi crucifié, mes yeux lumineux furent enténébrés, mes divines oreilles remplies de moqueries, mon odorat affligé de mauvaises odeurs, ma bouche très douce emplie de l'amertume d'un breuvage mêlé de fiel ; ils me frappèrent, me blessèrent, et, et de très rudes coups déchirèrent ma chair : d'atroces filets de sang s'en échappèrent, qui, coulant çà et là sur mon corps délicat, le montrèrent à tous ensanglanté : oh ! si tu m'avais vu à cette heure, pendant si misérablement au gibet, ton âme eût défailli de douleur... Ils avaient meurtri mon cou de soufflets, souillé de crachats mon beau visage : au lieu de la couleur vive, une sombre pâleur avait envahi ma face, et toute ma grâce était si éteinte et si morte, que je