Revue théologique de Louvain, 27, 1996, 25-46. Roger Gryson

«Enfanter un esprit de salut»

Histoire du texte de Isaïe 26,17.18*

Les chapitres 24-27 du livre d'Isaïe forment une section qu'on est convenu d'appeler, assez improprement d'ailleurs, l'« Apocalypse d'Isaïe». Les thèmes dominants en sont le jugement eschatologique de l'univers païen et le triomphe d'Israël, qui pourra ensuite adorer le Seigneur en toute sécurité sur sa montagne sainte, à Jérusalem. Ces thèmes sont orchestrés à travers de multiples genres littéraires (discours prophétique, chant d'action de grâces, prière de demande, lamentation, etc.), qui composent un ensemble assez disparate1. Une des pièces en est constituée par Is 26,7-21. Il s'agit d'une espèce de psaume dans lequel, en réponse à une prière où le peuple supplie Dieu de hâter l'heure du jugement, un oracle annonce l'imminence de l'intervention divine. Dans le texte hébreu, les v. 17-18, sur lesquels se concentrera notre attention, marquent le sommet de la plainte du peuple, qui ne voit pas d'issue à une situation désespérée. L'oracle libérateur intervient aux v. 19 et suivants. Il n'en va pas de même en grec, où dès le v. 18, dans la Septante juive, on entrevoit le châtiment des païens. L'Église primitive, en s 'emparant de ce texte pour l'appliquer, dans un premier temps, aux confesseurs de la foi, puis à tous ceux qui sont sauvés par le don de l'Esprit, va le remodeler complètement, en lui faisant dire le contraire de ce qu'il signifiait en hébreu. C'est ce processus de transmutation progressive que je me propose d'étudier ici.