La création et ses enjeux

Peut-on penser la création aujourd'hui, et quel est l'enjeu d'une telle réflexion, voilà, dit en deux mots, notre propos qui entend rendre compte du séminaire de dogmatique spéciale tenu à Louvain-la-Neuve au cours de l'année académique 1979-19801, sans prétendre pour autant à reprendre de manière systématique et exhaustive ni les exposés ni les abondants échanges auxquels il donna lieu.

Nous proposerons d'abord quelques remarques préliminaires qui ont pour tâche de déblayer le terrain, de nous garder de présuppositions déplacées, et de dégager celles qui détermineront avec notre foi commune en Dieu créateur notre approche de la question. Il conviendra cependant d'accorder plus d'attention à trois conditions de possibilité et de fécondité d'un discours contemporain sur la création. Le premier facteur est l'appui biblique: parole instituant l'espace d'une adhésion, parole provoquant la réflexion, parole opérant un discernement polémique au sein des cosmogonies et des anthropologies, parole à situer dans son registre particulier. Le second facteur est le refus de l'insularité thématique. La création doit être reliée au «continent théologique» car l'en délier serait la déraciner de son contexte et de son rapport aux autres aspects du mystère du salut. Le troisième facteur est la prise en compte de l'aujourd'hui du rapport de l'homme à son initiative propre et au monde, qui qualifie à frais nouveaux le concept ancien de création par une dérive anthropologique.

A. Remarques préliminaires

La création n'a pas de moment, de théâtre, de déroulement disait le Père A.D. Sertillanges. Le problème des origines n'est pas chronologique, mais ontologique2. Il s'agit de rendre compte de notre monde, de nos dépendances actuelles, de ce qui les fonde, des relations entre Dieu, l'homme et le monde, sans faire l'économie d'aucun de ces trois termes.

Dès l'abord, il faut donc mesurer les limites de notre langage: pour rendre compte de ce qui n'est pas de l'ordre de la perception immédiate, nous sommes conduits sur les chemins de l'analogie, de la transgression métaphorique qui permettent seuls de dire Dieu. Il s'agit en effet de sortir de l'illusion du discours théologique qui prétendrait dire les choses adéquatement du point de vue de Dieu.

Nous devons nous garder aussi d'une logique de la concurrence - déjà insatisfaisante pour les causalités humaines, puisqu'on peut mettre en évidence des interactions, une synergie - ou d'une présentation des causes secondes comme médiations instrumentales sans autonomie.