La contribution de Marie-Agnès à la vie du Centre de Recherche sur l’Imaginaire (CRI) puis Imaginaire et Socio-Anthropologie (ISA) est d’une importance majeure, par son originalité et par ce qu’elle a permis d’actualisation des recherches sur l’imaginaire. C’est aussi sa participation à la gestion collective de l’équipe avec ce même suivi avisé et rigoureux qui a également marqué l’impulsion nouvelle qu’elle a su donner à notre revue Iris, dont elle a assuré la direction plusieurs années, avant de prendre dans le même esprit la responsabilité vigilante de la licence Sciences du langage. Le caractère intransigeant de Marie-Agnès a pu lui attirer des inimitiés : c’est pourtant à mes yeux cette qualité même qui a fait d’elle, au long de ces années, l’appui fiable, lucide et courageux, d’une loyauté sans faille, à toutes les évolutions que notre équipe a connues.
Personnalité essentielle pour la pluridisciplinarité de notre équipe, elle nous a permis l’ouverture à des collaborations rares avec le monde scientifique, dont Véronique Costa rappelle en ouverture du présent numéro l’immense intérêt pour la réflexion sur l’imaginaire. Je voudrais, en complément, évoquer le dernier projet partagé qui l’a cette fois menée vers le monde de la création artistique. Intitulé « Mondes numériques et spectacle vivant », il a permis de mettre les recherches sur la multi-sensorialité au service des questions soulevées par l’électro-vidéaste Lionel Palun et la metteure en scène Isis Fahmy. Attentive à interroger les apparentes évidences, Marie-Agnès a donné une épaisseur scientifique à l’expression d’« images vivantes » employée par Palun pour qualifier ses productions numériques animées : analysant les modalités complexes de la réception par le public, elle a montré que la puissance imaginaire des spectacles ne tient pas seulement à l’action de l’artiste sur sa lutherie numérique et aux effets du larsen vidéo mais repose sur le principe d’incarnation (« enaction ») des images multi-stables par le spectateur et sur la capacité de perception multi-sensorielle du cerveau1. On le voit, les travaux de Marie-Agnès sont susceptibles de nourrir la réflexion et la demande bien au-delà de son champ académique.
C’est aussi le dernier projet mené en commun avec Patrick Pajon et je ne peux concevoir cet hommage à Marie-Agnès sans le souvenir de cette collaboration remarquable, exemplaire par la manière dont deux recherches au premier abord éloignées ont su converger et se nourrir mutuellement au fil des années, dans la perspective de construire, comme le résumait Patrick, « une typologie des nouveaux schèmes perceptifs, du nouveau sensorium2 » lié aux nouveaux outils numériques, avec lesquels il est urgent de repenser notre relation au monde et aux machines, et que synthétisait le titre polysémique d’un autre de leur projet commun : « Tech’sens ». Patrick soulignait ainsi, lors de nos échanges, qu’avec l’arrivée de nouveaux outils de création, voire de nouveaux partenaires de création, il devient impératif de renouveler l’épistémè de l’imaginaire et de l’imagination. C’est ce bouleversement en cours dans le champ de la création et de l’imagination que le travail de Lionel Palun nous a précisément permis d’explorer. C’est assez dire les enjeux des travaux communs de Marie-Agnès et de Patrick, et ce que notre laboratoire perd, avec la disparition de l’un, et le départ à la retraite de l’autre, de capacité à penser hors des sentiers battus.