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AccueilNuméros85/4RecensionsHuns Küng, l’Islam

Recensions

Huns Küng, l’Islam

Paris, Cerf, 2010, 956 p.
Piotr Kuberski
p. 624-626
Référence(s) :

Huns Küng, l’Islam, Paris, Cerf, 2010, 956 p.

Texte intégral

1Ce n’est pas un livre sur l’islam à proprement dit ; il se place plutôt dans une perspective comparée et dans celle du dialogue interreligieux. Il s’agit du troisième volume de la trilogie de Hans Küng consacrée aux trois monothéismes abrahamiques (judaïsme, christianisme, islam). L’auteur, qu’il est inutile de présenter, reprend dans ce livre sa conviction profonde qui anime son travail depuis des années : « pas de paix mondiale sans paix religieuse ».

2Sur plus de 900 pages, l’auteur se force à présenter les multiples facettes de l’islam. Sa démarche est à la fois synchronique et diachronique. L’islam est vu comme religion, civilisation, culture et éthique. Cet ensemble est présenté à travers les cinq paradigmes : 1/Communauté primitive ; 2/Empire arabe ; 3/Islam classique ; 4/Paradigme des oulémas et des soufis ; 5/Paradigme de modernisation. L’auteur évoque aussi bien l’origine de la Révélation, la vie de Muhammad que l’essentiel de la pratique musulmane. Avec brio il se penche sur la longue histoire de la civilisation et de la théologie islamiques. Il aborde enfin les questions actuelles comme la place de la sharî’a, la confrontation avec la Modernité et la démocratie dans les pays arabes. Il n’hésite pas à reprendre des questions difficiles dans tout dialogue avec l’islam : l’exégèse critique des passages coraniques relatifs au voile, une éventuelle application des méthodes historico-critiques dans les études coraniques, la terminologie non-arabe dans le Coran, comme les influences extra-coraniques sur la formation de ce livre.

3La trame du livre est simple, Küng prend comme point de départ « l’image d’un islam hostile » d’une « religion contestée », (p. 23) en Occident. En passant par l’« image idéalisée de l’islam » des orientalistes, le livre se termine sur une « vision d’espérance » (p. 906). L’auteur souhaite que l’islam s’ouvre à la démocratie moderne, à la liberté de croyances et des consciences en s’éloignant d’une vision rigide de la gouvernance politique et de la perception religieuse théocratique. Il faut que cet islam du futur abandonne la lecture coranique littéraliste et dépourvue de sa dimension historique. Il s’agit en somme d’« un islam, non pas fondamentaliste, mais en prise sur notre temps » (p. 910).

4Ce parcours est jalonné par la présentation d’éléments comparatifs entre les trois monothéismes. Ainsi, à plusieurs reprises, le théologien allemand relève ce qui est commun et différent dans les trois traditions abrahamiques. « Ce qui est fondamentalement commun entre juifs, chrétiens et musulmans, c’est la foi en un Dieu unique qui donne sens et vie à tout » (p. 149). Il en est de même avec « la foi dans l’intervention de Dieu dans l’histoire » « qui, même de façon invisible, englobe tout et conduit tout, en un Dieu à qui on peut parler comme à un vis-à-vis ». C’est « la foi en Dieu clément et miséricordieux ». Les trois monothéismes partagent la même éthique fondamentale (p. 151), le fait de penser historiquement la Révélation.

5Des énoncés et des questions théologiques formulées par le théologien de Tübingen ne feront pas l’unanimité et elles seront certainement critiquées. Est-il exact que « d’un point de vue chrétien, l’islam peut être chemin de salut » (p. 100) ? C’est la lecture de Lumen Gentium 16 qui mène l’auteur à ce constat. Mahomet peut-il être aussi un prophète pour les chrétiens ? (p. 196). Est-ce un « pur préjugé dogmatique que les chrétiens reconnaissent comme Prophètes Amos et Osée, Isaïe et Jérémie, mais non Mahomet ! » (p. 194) ? Certaines idées pourront être considérées comme simplistes par leur manque de pertinence théologique et historique. La christologie du Coran, constate Küng, est une christologie judéo-chrétienne « teintée du christianisme originel poussé sur le sol arabe » (p. 710). Elle est opposée à la christologie des conciles hellénistiques », qui est une « spéculation grecque, qui s’était si audacieusement éloignée du sol biblique » en ce qui concerne le dogme trinitaire (p. 716). Il prône le retour à la pureté originelle, à la théologie judéo-chrétienne, proche de la conception coranique. Le changement de cette vision pourrait faciliter le dialogue avec les musulmans mais aussi avec les juifs. Une telle modification a du sens car elle « constitue un défi théologique » contrairement aux « discours répétitifs des théologiens sur la Trinité » avec leurs rebondissements « devenus parfaitement stériles et ennuyeux » (p. 727). Récemment Bernard Sesboüé a répondu à ce type de critiques en écrivant « qu’on ne peut dialoguer en vérité que sur la base de ce que l’on est vraiment » (Christ Seigneur et Fils de Dieu, p. 185).

6Küng critique une certaine « autosuffisance de l’islam » (p. 692), enfermé sur lui-même et prétendant que « toutes les vérités sont déjà contenues dans le Coran ». L’auteur déplore le développement d’une « doctrine fort claire », mais fondée sur « un verset coranique peu clair », de la « falsification » de la Bible par les juifs et les chrétiens (p. 691). Il stigmatise aussi les chrétiens qui, tout en affirmant leur volonté de dialoguer avec l’islam, « n’ont en fait qu’une piètre connaissance de l’autre ».

7Un certain nombre d’erreurs ou de coquilles s’est glissé dans le livre. La mère du Muhammad ne s’appelait pas « Arnina » (p. 158) mais Amina. On peut se demander s’« il n’existe pas [dans le Coran] d’état intermédiaire » après la mort (p. 142). Pour les théologiens musulmans, les notions comme Barzakh ou A’râf renvoient à cet entre-deux en attendant le Jugement dernier. Il n’est pas exact que « quarante ans séparent la mort de Jésus de Nazareth des premières lettres de l’apôtre Paul » (p. 117). La première croisade n’a pas eu lieu en 1142 (p. 31) mais en 1099. L’épouse préférée du Prophète, la fille d’Abû Bakr, n’était pas Wiga (p. 184) mais ‘A’isha.

8L’ouvrage de Hans Küng a le grand mérite de poursuivre le débat entre l’islam et le christianisme. À la suite des célèbres islamologues catholiques français comme Denise Masson ou Jacques Jomier, le théologien allemand tente, dans un esprit de dialogue, de redessiner l’héritage commun et de souligner les divergences entre les traditions abrahamiques, effort plus que nécessaire aujourd’hui.

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Pour citer cet article

Référence papier

Piotr Kuberski, « Huns Küng, l’Islam »Revue des sciences religieuses, 85/4 | 2011, 624-626.

Référence électronique

Piotr Kuberski, « Huns Küng, l’Islam »Revue des sciences religieuses [En ligne], 85/4 | 2011, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rsr/1814 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsr.1814

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Auteur

Piotr Kuberski

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Droits d’auteur

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