Temps et mythe chez Plotin
Du temps du mythe (III 5 [50], 9)...
Plotin, dans un passage unique des Ennéades consacré à la fonction des mythes, insiste fortement sur la solidarité du mythe et du temps. Le mythe, écrit-il, en raison de son caractère discursif, introduit du temps et de la division au sein d'hypostases qui, en vérité, échappent à toute durée et à tout morcellement:
«Les mythes — s'ils sont vraiment des mythes — doivent diviser (meri- zein) ce dont ils parlent en différents temps, et séparer (diaireîn) les uns des autres nombre d'êtres qui sont ensemble, mais qui se distinguent par leur rang (tâxei) ou leur puissance, là où les discours (lôgoi), eux aussi, produisent des engendrements d'êtres inengendrés, et séparent aussi les êtres qui sont ensemble. Puis, ayant instruit autant que possible, ils permettent alors à qui en a intelligé le sens (toi noésanti) de rassembler (sun- aireîn) [ce qui a été divisé]» (III 5 [50], 9.24-29)1.
Dans cette définition, Plotin envisage les mythes avant tout dans leur dimension généalogique, qui manifeste le rapport intime entre mythe et temporalité et met en jeu non seulement le temps du discours mythique, mais aussi l'expérience universelle du temps que constitue la filiation et la succession des générations selon la ressemblance qu'elle implique. Le fondateur du néoplatonisme s'inscrit ainsi dans une longue tradition de cosmogonies, théogonies ou anthropogonies, où l'usage du «scheme de la parenté» permet au raconteur de mythes de manifester dans un langage spatio-temporel et humain un monde invisible peuplé de démons et de dieux, indivisibles et inengendrés2.
1 Les traductions des passages cités dans cet article sont celles de l'auteur, élaborées à partir de Veditio minor (H.-S.2) des Ennéades par P. Henry et H.-R. Schwyzer (Oxford, Clarendon Press, 1964-1977-1982). Je remercie Sabrina Inowlocki pour son aide amicale et précieuse.
2 Sur le «scheme de la parenté» dans la pensée archaïque et sur les rapports entretenus avec le mythe par la philosophie grecque tout au long de son histoire, voir les nombreux travaux de L. Couloubaritsis, parmi lesquels: Mythe et Philosophie chez Parménide, 2e éd., Ousia, Bruxelles, 1990; «De la généalogie à la genèséologie», dans J.-F. Mattéi (éd.), La
