Revue des Scienses Religieuses 78 n°2/2004, p. 205-230.
LE «SACRIFICE DU MOI» SELON BÉRULLE
La piété fonde et oriente l'existence du chrétien. Qu'impose-t- elle? L'exclusif amour de Dieu. Ainsi «le premier et principal usage de la piété, écrit Bérulle, est de référer sa vie à Dieu» (O 4, 21 1)1. Cette exigence fondamentale nous enjoint d'aimer et d'imiter Dieu: «toute la perfection se ramène à se rapporter à Dieu» (O 1, 33). À cet amour, Bérulle reconnaît un caractère originaire. Ne vient-il pas cependant toujours en second par rapport à celui qui nous attache à nous-mêmes? De fait, nous nous refusons d'abord à Dieu, précisément dans et par l'amour de la créature, celle que nous sommes. Nous nous arrêtons spontanément à et en nous. Que demande donc la piété? La suppression de tout obstacle à l'amour pour Dieu. L'exigence chrétienne requiert ainsi la rupture de l'attachement du moi à lui-même. L'amour de soi, que fonde la «thèse» d'une adhésion naturelle première, entrave la «référence» à Dieu. La piété, dans sa radicalité, exige, à l' encontre de cette initiale clôture, le «dépouillement de tout et renoncement à tout» ce qui n'est pas Dieu, et ce, de manière complète «sans réserve d'aucun intérêt particulier» (O 6, 22).
Son injonction, butant sur notre adhésion première, n'apparaît- elle pas cependant explicitement contradictoire? Peut-on se défaire de soi? Que peut même signifier pour nous une telle requête? Assurément, nous sommes, dans et par notre complaisance «naturelle» en nous-même la principale «entrave» à l'amour pour Dieu. Mais cet attachement ne nous constitue-t-il pas positivement? Comment comprendre qu'il doive être défait? De quoi précisément
Nous citons les textes de Bérulle selon la nouvelle édition des Œuvres complètes, Oratoire de Jésus /Éditions du Cerf, huit tomes parus depuis 1995, et exceptionnellement selon les Œuvres complètes du cardinal de Bérulle, reproduction de F éd. de 1644, Montsoult, Maison d'institution de l'Oratoire, 1960, cité I ou II.