Impression, destinées de l’Armorique. Au fil de la plume, textes et archéologie, quelques touches pour un tableau du N.-O. de la Gaule aux ve-viie siècles

La réussite de la dynastie mérovingienne en Gaule est due à des rois francs. Depuis longtemps, à côté de la lecture de trop rares textes contemporains, l’analyse des objets découverts dans les sépultures du Bas-Empire et du haut Moyen Âge a été mise à contribution pour définir une mode «franque » , un costume, des armes, des bijoux… propres, et pour tenter de mettre en évidence, comme divers auteurs l’expriment encore aujourd’hui, l’ «avance »

des Francs, leur «progression » , leur «poussée méridionale » , leur «descente massive » … On oublie alors trop souvent que les troupes dites «franques » ne se définissent comme telles que par l’origine de leur rex, que les populations dont elles sont issues sont en fait composites quant à l’origine réelle de leurs membres, bien avant les succès de Clovis, mais aussi bien après, et que les tombes elles-mêmes contenant des objets de provenances très diverses ne sont pas rares qui l’attestent. On oublie que les objets n’ont pas en eux-mêmes de caractère ethnique. Ils reflètent aussi bien l’ethnicité de leur créateur, celle de celui qui les utilise ou celle de celui qui les porte, mais, individuellement, ils peuvent tout aussi bien provenir de quelque contrée plus ou moins lointaine par le biais du commerce, d’échanges, de cadeaux, de transmissions héréditaires, de vols ou de prises de guerre. On oublie que les nouvelles pratiques funéraires sont nées elles aussi dans et d’un monde complexe et qu’il n’est, en réalité, pas question de mode «franque » , ni de mode «germanique » , mais d’une mode de Gaule du nord, née d’influences diverses dans un creuset essentiellement belgo-gallo-romano-germanique, devenue mode pourrait-on dire «mérovingienne » au fur et à mesure qu’elle accompagne la progression sur le terrain, et dans les esprits surtout, du pouvoir politique dominant et son exercice sur un ensemble hétérogène (on a depuis longtemps déjà pris acte de cette concomitance par exemple en Aquitaine et en Bourgogne après leur annexion au royaume mérovingien), et que les populations ou les individus à titre personnel en adoptent les usages non sans y incorporer des éléments relevant de leurs propres traditions et pratiques. Une transformation ou évolution culturelle n’est pas nécessairement le résultat d’un bouleversement ethnique. On oublie encore que les rois mérovingiens ont agi volontiers dans le cadre des structures préexistantes sans trop les bousculer, leur réussite n’ayant pas alors dépendu d’une colonisation – même si elle a pu exister en tel lieu – mais, hormis leur ambition et leurs capacités, seulement de quelques combats ou escarmouches, et essentiellement d’une adaptation à un environnement qui leur était globalement familier ou bien d’une composition avec celui-ci prêt à les recevoir.

Revue belge de Philologie et d’Histoire / Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis, 95, 2018, p. 613-648