Revue théologique de Louvain, 22, 1991, 370-397 Paul Mandy
Réflexions d'un économiste sur «Une pratique chrétienne de l'économie»*
Voici, enfin, un livre dont on souhaitait vivement la parution en vue de contribuer à combler le fossé existant entre l'éthique sociale et l'économie.
On peut, certes, formuler des propositions éthiques concernant la sphère d'action dite économique comme, à titre d'exemple, la formation d'un «juste salaire» ou d'un «salaire familial» en faveur des travailleurs ayant charge d'enfants. Cependant, si ces propositions ne tenaient pas compte des schémas de fonctionnement proposés par la science économique et portant précisément sur l'efficacité économique - schémas généralement ignorés, sinon méconnus, par des moralistes sociaux -, leur mise en œuvre ne pourrait guère atteindre l'efficacité escomptée. Or, sans l'efficacité, malgré le bien-fondé analytique de telles propositions, celles-ci resteraient inaccessibles à la société.
D'une manière analogue, la cohorte des économistes peu sensibles, en général, aux exhortations morales et convaincus du caractère inexorable des lois économiques, s'enferme d'habitude dans une tour d'ivoire sans horizon éthique.
De la sorte, les deux disciplines évoluent de manière juxtaposée; d'après l'expression très dense d'un économiste, ce sera une sorte d'éthique sociale qui ne connaît pas l'économie - «a kind of economically ignorant moralism»1 - ou bien, inversement, «a kind of ethically ignorant economism».
Le mérite fondamental du livre en question est précisément de récuser une telle juxtaposition entre l'économie et la morale, voire entre l'économie et la foi chrétienne, pour s'orienter délibérément vers la méthode interdisciplinaire. Encore faut-il que cette méthode ne fasse pas diluer la rigueur analytique de chacune des sciences sociales en une pensée «générale» ou synthétique qui se situe en-dehors de la pensée scientifique, celle-ci étant toujours analytique. Le terme même d'interdisciplinarité implique, de toute évidence, la «disciplina- rité». Dès lors, pour bien comprendre la méthode interdisciplinaire, il importe de la définir sans équivoques, tâche que nous n'esquiverons pas au cours de l'étude.
* Michel Falise, Une pratique chrétienne de l'économie, Paris, Centurion, 1985, 119 p. Michel Falise, auteur du livre analysé, est docteur en Droit et en Sciences Economiques de l'Université Catholique de Louvain. Depuis 1979, il est Recteur de l'Université Catholique de Lille. Il y a fondé le Département des Sciences Économiques et contribue à la réflexion humaniste et chrétienne du Centre Interdisciplinaire. Depuis 1980, il préside la Fédération Internationale des Universités Catholiques.
Qu'il me soit permis de témoigner ma gratitude au professeur J. Etienne qui a eu l'amabilité de lire cette étude et d'en faire des recommandations critiques aussi utiles que bienveillantes. L'auteur assume, bien sûr, l'entière responsabilité des thèses émises dans son article.
1 W. Rôpke, A Humane Economy, Chicago, H. Regnery Cy, 1960, p. 294.
