Revue des sciences religieuses 76 n° 4 (2002), p. 426-446
JAMAIS L'UN SANS L'AUTRE Une recherche sur I 'inter subjectivité chez s. Augustin
Pourquoi reparler de "Pintersubjectivité" chez s. Augustin ? Au Congrès international augustinien de 1954, Maurice Nédoncelle posait la question : « L' intersubjectivité humaine est-elle pour saint Augustin une image de la Trinité ?» (1) II attirait l'attention sur des « textes minoritaires » (2) dans lesquels Augustin présente le mystère trinitaire à partir de «l'amour intersubjectif» pour équilibrer des présentations « devenues schématiques ou caricaturales » basées sur la triade "memoria, intelligentia, uoluntas ". A la question posée, nul doute qu'il ne faille répondre : non, Pintersubjectivité n'est pas une « imago Dei » (3). Cela étant dit, il ne faudrait pourtant pas en déduire trop vite qu'Augustin conçoive Dieu comme un sujet doué de trois facultés. Comme le rappelle M. Nédoncelle, « Augustin refuse de faire correspondre les images psychologiques de la Trinité à des attributs divins » (4). A la fin du De Trinitate, Augustin s'exprime très clairement sur la distinction à faire entre « l'image » et la « Trinité dans sa réalité même » (5). Alors que « l'image » correspond à « une
(1) M. Nédoncelle, « L'intersubjectivité humaine est-elle pour saint Augustin une image de la Trinité ? », in Augustinus Magister I, Paris, 1954, p. 595-602.
(2) Les quelques « textes minoritaires » présentés par M. Nédoncelle sont : Tract. In Io. eu. XIV, 9 (PL 30, col. 1508) ; XXXIX, 5 (PL 35, col. 1684) ; De Trin. VIII, 10, 14 (PL 42, 960).
(3) A partir de l'étude de dix textes dans lesquels Augustin rapproche Ac 4, 32 du mystère trinitaire, M.-F. Berrouard conclut : « Augustin ne parle jamais d'image à propos de la communauté de Jérusalem et, dans son De Trinitate, il n'utilise pas non plus la phrase des Actes dans une visée trinitaire. La raison en est peut-être simple : comme tous les auteurs de la première Eglise, Augustin est très respectueux de l'Ecriture et très attentif aux mots mêmes de l'Ecriture : comment aurait-il osé appeler « image » de Dieu une réalité que l'Ecriture ne désigne pas comme telle ? », M.-F. Berrouard, « La première communauté de Jérusalem comme image de la Trinité », in Homo spiritalis, Wtirzburg, Augustinus- Verlag, 1987, p. 223.
(4) M. Nédoncelle, op. cit., p. 600.
(5) « Autre est la Trinité dans sa réalité même (Trinitas res ipsa), autre l'image de la Trinité dans une autre réalité [...] il n'en va pas de même de cette Trinité comme de son image, l'homme, qui tout en possédant ces trois puissances est une seule personne (una persona) : en Dieu il y a trois personnes (très personae), le Père
