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Remarques sur La liberté grecque

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Robert Muller
Affiliation:
Université de Nantes

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Pour ceux qui entreprennent de parler de la liberté, la conception grecque constitue une référence quasi inévitable. Mais si les uns l'invo-quent avec nostalgie comme un modèle, d'autres s'efforcent au contraire d'en exposer les limites ou la spécificité. C'est que la notion elle-même de «liberté grecque» continue à être l'objet de controverses; et il n'est pas étonnant que les interprétations proprement philosophiques des doctrines s'en ressentent directement. On peut sans doute trouver à ces divergences plusieurs explications: la difficulté intrinsèque du sujet et les passions qu'il suscite presque immédiatement, la diversité des domaines et des auteurs concernés, les choix philosophiques des interprètes, notamment.

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Articles
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Copyright © Canadian Philosophical Association 1986

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References

1 Parmi les travaux récents, il faut citer les ouvrages Festugière, de A. J. (Liberté et civilisation chez les Grecs [Paris, 1946]),Google ScholarPohlenz, de M. (Griechische Freiheit [Heidelberg, 1955];Google Scholartrad. fr. La liberté grecque [Paris: Payot, 1956]),Google ScholarMuller, de H. J. (Freedom in the Ancient World [New-York: Harper, 1961])Google Scholaret Nestle, D. (Eleutheria, Griechen, I. Die [Tübingen: Mohr, 1967]).Google ScholarVoir aussi la polémique qui à opposé Tielsch, E.Die Logik des Freiheitsbegriffs», Zeitschr. f. philos. Forschung 28 [1974], 242272) àGoogle ScholarSchottlander, R.Kritische Bemerkung zu E. Tielsch's Logik des Freiheitsbegriffes, Zeitschr. f. philos. Forschung 29 [1975], 404408)Google Scholar(réponse Tielsch, de E., Zeitschr. f. philos. Forschung 30 [1976], 269274)Google Scholar.

2 On rappellera pour mémoire les discussions soulevées par le livre Popper, de K., L'ascendant de Platon, tome I de La societe ouverte et ses ennemis (lère éd. en, anglaise 1945Google Scholar; trad. fr. Paris: Le Seuil, 1979); voir notamment les répliques Levinson, de R. B., In Defence of Plato (Cambridge, 1953),CrossRefGoogle Scholaret Hays, de D., «An Examination of Popper's Criticisms of Plato's Republic», Dialogos 19/43 (1984), 8189.Google Scholar Débat comparable, quoique plus modéré dans le ton, autour du problème de l'origine du principe de la moralité, cf. Abel, K., «Vom geschichtlichen Ursprung des Moralitäts-prinzips» φιλίας χάριν Miscellanea di studi classici in onore di E. Manni, vol. 1 (Roma: G. Bretschneider, 1980), 1–34Google Scholar.

3 Comme on voit déjà chez Hérodote et Thucydide. Cf. aussi le début de l'article Straaten, de M. van, «What Did the Greeks Mean by Liberty? I. The Hellenic Period», Thêta-Pi (1972), 105127.Google ScholarGigon, O.Der Begriff der Freiheit in der Antike», Gym-nasium 80 [1973], 856)Google Scholarde, parle «concepts explosifs», 8Google Scholar.

4 P. ex. Festugiére, Liberté et civilisation, 1: «Etre libre, c'est ne pas être captif, c'est être délivré»; ou Muller, Freedom in the Ancient World, xiii: «I am adhering to the relatively neutral, objective definition …: “the condition of being able to choose and to carry out purposes”».

5 Gomperz, Ainsi H., dans la première conférence du livre intitulé Die Lebensauf-fassung der griechischen Philosophen und das Ideal der inneren Freiheit (Iena-Leipzig, 1904)Google Scholar; Abel, , «Vom geschichtlichen Ursprung», 57 (en dépit des illustrations empruntées á I'Iliade et à Eschyle)Google Scholar.

6 Tel est, à peu de choses prés, le programme des articles cités de O. Gigon et de M. van Straaten, et, avec des méthodes et des points de vue différents, des ouvrages de M. Pohlenz et de D. Nestle. On peut y ajouter, malgré les réserves exprimées plus haut, celui de A. J. Festugière.

7 On voit immédiatement que, en plus de λεθερος et de ses dérivés, il faudrait étudier aussi les sens et les emplois de κών, θλω, βολομαι, αὐτάρκεια, αὐτονομία, ξουσία, φήμῖν, et de quelques autres encore, ainsi que les mots qui leur sont apparentés.

8 le, SelonDictionnaire étymologique de la langue grecque Chantraine, de P. (Paris: Klincksieck, 19681970), l'étymologie est incertaine pour λεθερος, βολομαι, θλωGoogle Scholar.

9 Nous pensons surtout, on le verra, à Platon et aux Socratiques, dans la mesure où les interprètes refusent généralement de faire remonter aussi haut une véritable pensée de la liberté (on va parfois jusqu'à Aristote, mais le plus souvent on préfère s'arretêraux Stoïciens).

10 H δέ πλις κοινωία τν λευθρων, selon la formule d'Aristote, Pol., III, 6, 1279 à 21. Cf. Coulanges, Fustel de, La cité antique (réímp., Paris: Flammarion, 1984), 269: «Avoir des droits politiques, voter, nommer des magistrats, pouvoir être ar-chonte, voilà ce qu'on appelait la liberté.»Google Scholar

11 «… du sens de liberté politique, qui est le sens premier …» (Liberté et civilisation, 21).Google ScholarStefano, Voir aussi T. di, «Analisi semantica della libertà classica e della libertà rivelata», Ann. delta Facoltà di Lett, e Filos. (Universita di Perugia) 13 (19751976), 5758Google Scholar.

12 Pohlenz, , La liberté grecque, 11Google Scholar.

13 Sens moral de δολιον déjà chez Théognis (I, 530), de λεθερος chez Alcée (45, 10 ss., dans Anthologia lyrica graeca, fasc. t, éd. Diehl, E. [3ème éd.; Leipzig, 1949])Google Scholar.

14 Gomperz, , Die Lebensauffassung, 3335Google Scholar. Même interprétation chez Festugière, Liberté et civilisation, 21–22; cf. di Stefano, «Analisi semantica», 68.

15 Sophocle, fr. 854. Euripide, Hélène, 728–731; Ion, 854–856; fr. 831.

16 La classe dominante etait aussi bien, selon les époques ou les circonstances, celle des guerriers ou celle des propriétaires.

17 Dans l'exemple de Gomperz, il est clair que, pour passer de la noblesse comme état à l à noblesse comme grandeur d'âme, il faut que le «noble» soit perçu comme autre chose qu'une simple propriete appartenant objectivement à une classe dominante; cette propriete pourrait être neutre («les membres de telle ethnie, de telle famille») ou accidentelle («au nez aquilin»), voire de valeur négative («les oisifs», «les envahisseurs»), et comme telle méprisée ou combattue.

18 Voir surtout les études citees de D. Nestle et de M. van Straaten (ci-dessus, n. 1 et 3), ainsi que celle de T. di Stefano (n. 11).

19 Gaisford, I., éd., Etymologicum magnum (Oxford, 1848; réimpr., Amsterdam, 1962), 328 (τ λεθειν ὃπου ρᾷ)Google Scholar.

20 Frisk, H., Griechisches etymologisches Wörterbuch, fasc. 5–6 (Heidelberg: C. Winter, 1957), 490491;Google ScholarBenveniste, E., Le vocabulaire des institutions indo-européennes (Paris: Ed. de Minuit, 1969), 321333.Google ScholarStefano, Di («Analisi semantica», 57)Google Scholar signale que cette hypothèse à étéproposée déjà par Schrader, O., Reallexikon der indoger-manischen Ahertumskunde, tome 2 (Berlin, 1929), 458 ss. P. Chantraine (voir ci-dessus, n. 8) expose lui aussi cette etymologie, mais estime qu'elle reste conjecturale, indémontrableGoogle Scholar.

21 Nestle, Eleutheria, 7, et Benveniste, Le vocabulaire, 323. Van Straaten traduit: «belonging to the people, at home» («What Did the Greeks Mean by Liberty?», 108); di Stefano: «appartenente al popolo» («Analisi semantica», 57).

22 Nestle, Eleutheria, et Tielsch, «Die Logik», n. 1, 249 ss.

23 D'où la traduction de eleutheros par «natif, indigène», proposée par Nestle, Eleutheria, 8 (eingehoren, einheimisch).

24 E. Tielsch considère pour sa part que le concept négatif de la liberté intérieure émerge seulement entre Lucrèce et Tertullien («Die Logik», 253, n. 20). Voir la critique de cette position pa r R. Schottländer (ci-dessus, n. 1).

25 L'auteur signale lui-même, dès la 8, qu'on trouve très tôt dans l'histoire de la langue le sens «libre = vide de quelque chose», mais sans sen expliquer autrement. Plus loin (96), il se réfère notamment à un passage de Platon (Rép., VII, 536e) où il est dit que l'homme libre ne doit rien apprendre en esclave, et il cite expressément la précision qu'ajoute Platon (les lecons qu'on fait entrer dans l'âmc par contrainte, βίαιον, n'y restent pas), avec ce commentaire: la Phronésis à besoin de la liberté comme élément vital. II est difficile de ne pas entendre: de la liberté en tant qu'elle est le contraire ou l'absence de cette contrainte éducative.

26 Hérodote, VII, 101–105, spéc. 104 (Nestle, Eleutheria, 49–56). Pour comprendre une pareille assertion (cf. Platon, Lettre VIII, 354e: λεθεροι … πντῃ πντως), il faut que «libre» tout seul veuille dire quelque chose comme «non soumis à une autorité ouà une règie», ce qui est très différent de«indigène»ou«appartenant au peuple».En 103, eleutheros est d'ailleurs explicitement opposé à «être commandé» et à «être contraint par le fouet».

27 L'adjectif est utilisé à quatre reprises (le substantif et le verbe correspondants sont absents), et il qualifie toujours des choses, non des personnes: trois fois le jour, ἠμαρ (VI, 455; XVI, 831; XX, 193), une fois un cratère (VI, 528).

28 Straaten, Van, «What Did the Greeks Mean by Liberty?», 109.Google Scholar En VI, 455–463, il est question du sort qui attend Andromaque quand lui sera ôté «le jour libre» (après la mort d'Hector): «Peut-être alors, en Argos, tisseras-tu la toile pour une autre; peut-être porteras-tu l'eau de la source Messéis ou de l'Hypérée, subissant mille contraintes (πλλ εκαζομένη), parce qu'un destin brutal pèsera sur toi (κρατερἠ δπικίσετ νγκη)» (trad. P. Mazon).

29 Straaten, Van, «What Did the Greeks Mean by Liberty?», 110. Le texte de Solon est celui dufr. 24 (éd. Diehl-BeutlerGoogle Scholar; cf. Aristote, , Constitution d'Athènes, XII, 4). Voir notamment les vers 6–7 (opposition entre la terre autrefois esclave et couverte de bornes, ajourd'hui «libre»), et 13–15 (même opposition, cette fois, appliquée aux hommes subissant la servitude, tremblant devant leur maitre, puis libres—on est tenté d'écrire «libérés» de ces contraintes). Le premier ex., en particulier, est difficile à interpréter en ne recourant qu'au sens «natal, de chez soi», justement parce qu'il s'agit de la terre natale elle-même. Selon Nestle (Eleutheria, 29), nous aurions là le fond de la pensée de Solon: la terre de la cité est un tout vivant, elle protège et rend possible la vie; dès lors, parler de son esclavage n'est pas une métaphore, mais l'expression de l'oppression violente de la source divine de la vie. Mais, tout en admettant que «terre libre» n'est pas une simple image derivee du sens courant de libre (= l'homme libre, par opposition à l'esclave), laformule de Nestle (l'oppression violente, gewalttätige Unterdrückung) montre à elle seule combien il est difficile de se passer òu sens negatif dans le moment même òu Ton défend l'autre acception: la terre natale ne peut être dite «non-natale, étrangère», que si elle est victime d'une violence, d'une contrainte externe. Voir aussi chez Théognis (sixième siècle) un emploi de eleutheros qui semble unir la signification morale positive (digne d'un homme libre) et le sens «débarrassé de …» (en l'occurrence de l'aimé, qui s'est déshonoré) (II, 1377–1380)Google Scholar.

30 Schottländer, «Kritische Bemerkung», 405.

31 Benveniste, , Le vocabulaire, 324Google Scholar.

32 Odyssee, XXIV, 252253;Google Scholar Théognis, I, 535–536; Aristote, , Pol. I, 5, 1254 b 2731 (immédiatement corrigé, il est vrai, dans les lignes suivantes: le corps n'est pas un indice sûr). Que ces particularités physiques soient dues à la croissance proprement dite plutôt qu'à une disposition originelle n'est pas absolument clair, certes: les vers suivants de Théognis, par exemple, plaident pour la seconde hypothèse (v. 538: «Jamais un enfant libre ne naitra d'une esclave»), mais les précédents font indiscutablement penche r vers la première (la nuque oblique, effet de l'habitude d'obéir—de s'incliner, au propre comme au figuré);Google Scholar cf. Démosthène, , quatrième Philipp., 27: pour l'esclave, la nécessité à laquelle il se plie, ce sont les coups et les mauvais traitements infligés au corps. De même chez Aristote: la notion d'esclave naturel semble imposer l'idée d'une déficience originelle, de naissance; mais la nature, dans ce contexte, s'oppose avant tout à la convention, c'est-à-dire à l'arbitraire des décisions humaines, et rien n'interdit de penser que son action s'exerce au cours de la croissance (sous la forme d'une «necessité naturelle»); le fait que l'esclave participe à ĺa raison de façon incomplète (Google ScholarAristote, , Pol. I, 5, 1254 b 22)Google Scholar fait penser qu'il est une sorte d'homme inabouti: car la nature ne produit pas toujours ce qu'elle voulait (1255 b 3–4), et la raison—justement—est sujette à un développement, elle n'est pas donnée d'emblée, comme le rappelle d'ailleurs le rapprochement que fait Aristote plus loin entre l'esclave et l'enfant, sur ce point de la participation à la raison (1260 b 5–7), et qui suggère que l'esclave possède la raison à un stade plus avancé que l'enfant.

33 485 b-c. On sait que Calliclès transpose ensuite ce raisonnement à l'apprentissage de à la philosophie: il est conforme à la liberté de l'étudier quand on est jeune, mais on merite des coups si on philosophe à un age plus avance. Il est manifeste qu'il ne s'agit pas seulement ici d'une sorte de concession envers certaines pratiques éducatives athéniennes (les homines libres faisant étudier la philosophie à leurs grands enfants, on appellerait libre une telle éducation); toute l'argumentation de Calliclès repose clairement sur la notion d'un développement contraint ou non contraint, et sur l'idée corrélative d'un accomplissement «normal» de la croissance (cf. 485 d: un tel homme à beau être naturellement doué, il devient un non-homme, ἂνανδρος). On relève en même temps dans ce passage l'association de «libre» avec des termes exprimant les valeurs morales positives (485 e), sur laquelle on va revenir.

34 L'idée de courbure est exprimée avec une redondance exceptionnelle (οὐκ ρθοί σκολι, κμπτονται, συγκλωνται), qui rappelle Théognis (οὒποτε ίθεῖα, λλ αἰεί σκολι, καὑχνα λοξν, vers 535–536).

35 Antiphon, Diels-Kranz 87 B 44, fr. A, col. 4, 1–8. M. Pohlenz traduit ce passage en introduisant la notion de nature propre, craignant sans doute que la liaison de la liberté et de la nature tout court ne soit trop durement ressentie; il n'a pas tort sur le fond, mais la précision devient inutile si la nature, au lieu d'être l'ensemble des lois physiques en général ou un principe abstrait de nécessité, est comprise comme force interne de croissance. On ne doit pas non plus s'étonner que le même Antiphon déclare ailleurs (Antiphon, Diels-Kranz 87 B 44, fr. A, col. 1, 25–27; cf. fr. B, col. 2, 16–20) que les choses de la nature sont nécessaires: il s'agit là encore, explicitement, de distinguer celles-ci de ce qui est ajouté par les lois (humaines), done d'opposer ce qui croit par soi (φὑντα, 1. 32–33; Diels traduit: gewachsen) à une intervention extérieure. «La liberté est ici l'absence de contrainte extérieure: tout ce qui est d'ordre naturel advient nécessairement, mais par son propre mouvement, à la manière des êtres vivants qui croissent sans entraves»( Voelke, A. J., «Pacte social et liberté», Rev. de philos. ancienne 2 [1983], 207).Google Scholar Nous parlons de même d'un mouvement ou d'une chute «libres» (formule qui existe d'ailleurs en grec, avec précisément l'adjectif eleutheros, cf. D.-K., vol. 2, 97, 34–35). Sur le même thème, voir aussi une doctrine attribuée à Démocrite, dans D.-K., vol. 2, 129, 9–11, où l'on retrouve ce conflit loi-nature, et la liberté du même côté que la nature (en tant que toutes deux s'opposent aux lois). Peut-être Aristote s'en souvient-il quand il affirme que e'es t aux homines libres qu'il est le moins permis d'agir au hasard, qu'au contraire toutes leurs actions, ou la plupart, sont ordonnées, réglées (Métaph., A, 10, 1075 à 19–21).

36 Si l'explication etymologique que nous avons adoptée y contribue fortement, elle n'est pas, en toute rigueur, nécessaire pour établir ce noyau primitif. II suffit qu'on reconnaisse la présence très ancienne du sens négatif (et de l'indétermination qui en découle); et on à vu que sur ce point l'accord semble réalise. Si on préférait en rester aux propositions de D. Nestle et de E. Tielsch, par exemple (les libres = ceux qui appartiennent à la souche, et qui, par suite, entretiennent un rapport original au pouvoir en tant que primi inter pares, cf. Tielsch, «Die Logik», 250), en aboutirait au même résultat, dès lors que cet exercice du pouvoir implique: 1) la non-contrainte, la non-obéissance à une autorité étrangère, et 2) un rapport à l'essence des individus ainsi désignés (cette non-contrainte n'étant pas une qualité parmi d'autres, mais l'élément constitutif de leur être; cf. Nestle, Eleutheria, 114: le libre, e'est l'homme véritable), ce qui permettra à cette «propriete» de s'étendre à l'agir en général de ces individus. Sur ce 2), voir plus loin.

37 Nestle, , Eleutheria, dans la partie consacrée à Pindare, 32Google Scholar.

38 Ibid., 55; Tielsch, voir ci-dessus note 36. La première de ces deux significations sera bientôt exprimée dans le vocabulaire de I'autonomie, et les deux termes (eleutheria et autonomia, ou les mots de la même famille) seront volontiers associés dans ce contexte: cf. Hérodote, I, 95–96 et VIII, 140; Isocrate, Panég., 117; Xénophon, Hellén., III, 1, 20–21 (en VI, 3, 7–12, eleutheria est absent, mais l'autonomie est fortement opposée à la contrainte et à la violence externes; la phrase 8 montre en outre le lien entre la domination extérieure et la tyrannie intérieure); Démosthène, Sur la couronne, 305. Pour ce qui concerne la liberté politique intérieure, c'est l'idée d'égalite qui est mise en évidence et rapprochée de I'eleutheria: par exemple Solon, in Diogène L., I, 67 (σοπολιτεα opposee à la tyrannie); Hérodote, III, 142 (ίσονομία et λευθερία); V, 37 (ἰσονομα et κών), 78 (ίσηγορία et λευθερ), 92, α (ἰσοκρατία opposée à la tyrannie); Euripide, Suppliantes, 430–441; Thucydide, IV, 78, 3 (ἰλευθερία opposée à δυναστεα); Isocrate, Aréop., 20.

39 Eschyle, , Prométhée, 4950;Google ScholarEuripide, , Hécube, 864869; cf.Google ScholarPlaton, , Phédon, 62 d et 114 bGoogle Scholar.

40 II n'est pas toujours aisé de distinguer ces deux points de vue, il est vrai. Dans le Protagoras de Platon, par exemple, les arts que Ton n'étudie pas en vue d'en faire son métier sont dits «convenables à un homme libre» (312 b), dans une perspective que Ton pourrait croire purement sociale et politique (en les pratiquant, les citoyens libres ne derogent pas à leur dignite). Mais la raison de cette convenance n'est pas à chercher dans une valeur intrinsèque de ces arts, elle ressortit uniquement au rapport qu'entretient le citoyen avec un art quelconque: c'est la nécessité de gagner sa vie qui asservit (cf. Euripide, , Phéniciennes., 391395); et n'importe quel art peut être libéral s'il est étudié pour lui-même et non par nécessité, puisque dans ce même passage du Prot. la sophistique—en principe pratiquée comme une profession, et dont par suite on à «a rougir»—peut aussi être apprise «pour parfaire sa culture». Le Gorgias (517 d-518 a) propose apparemment une autre justification de la différence entre les deux sortes d'art; elle se réfère pourtant à la même opposition: les arts libres ou libéraux (implicitement, cf. 518 a) sont ceux qui se prononcent sur les fins et orientent l'usage des autres; ils commandent, sans recevoir eux-mêmes de directives extérieures ou étrangères. De ce point de vue, la science par excellence des hommes libres, parce qu'elle commande absolument, est évidemment la philosophie ou dialectique (Sophiste, 253 c-d)Google Scholar.

41 Voir la note 35 (D.-K., vol. 2, 97, 34–35); ce texte date du deuxième siècle après J.C., mais il serait particulièrement intéressant si Ton était autorisé à faire remonter l'expression à Démocrite lui-même.

42 C'est ainsi que la simple mention de cet être essentiel, sans qu'il soit nécessaire d'ajouter une autre précision, est déjà un jugement de valeur (comme dans «C'est un homme! C'est un chef! …»; cf. Iliade, V, 529Google Scholar; Euripide, Iphig. à Aulis, 1450; Xenophon, , Cyropédie, II, 2, 21Google Scholar; IV, 2, 25).

43 Cette équation constituait déjà le fond de la protestation des esclaves demandant à être reconnus comme libres (de coeur, d'esprit), cf. Sophocle, fr. 854; Euripide, , Hélène, 728731Google Scholar et Ion, 854–856. Elle est explicite dans la bouche de Calliclès (ἃνανδρος, Gorg., 485 d) ou de Cyrus ( Xénophon, , Cyrop., IV, 2, 25)Google Scholar; elle peutaussi être suggérée par le contexte (par exemple, Euripide, Oreste, où divers rapprochements permettent d'obtenir les deux équations: barbare = esclave = non-homme, sans valeur comparé à l'homme libre; et homme libre = homme véritable; cf. 786,1115,1170,1528. Platon, Voir aussi, Rép., II, 359 b)Google Scholar.

44 Sophocle, Philoctète, 1006; Thucydide, II, 43, 4 (cf. Platon, , Rep., VIII, 562 c)Google Scholar; Platon, Gorgias, 485 e et 491 e-492 c, Rép., VI, 499 a; Lois, III, 693 b; Aristote, , Politique, VIII, 3, 1338 b 3. La liberté, valeur suprême: Hérodote, VI, 11 et 109Google Scholar; Xénophon, , Anabase, I, 7, 3Google Scholar; Hélléniques, IV, 1, 35; Mémorables, IV, 5, 2.

45 Cf. ci-dessus, à propos des metiers serviles ou liberaux; et Théognis, II, 1380; Platon, , Lois, I, 635 d (il s'agit de former, par l'éducation, des hommes courageux et libres, c'est-à-dire des hommes accomplis); VII, 808 a-c (texte étonnant, où Ton trouve d'un côté le sommeil associé à la honte, à la non-liberté et à la mort, de l'autre l'éveil à la vie et à la pensée)Google Scholar.

46 Anaxagore, D.-K. 59, A 29; Platon, Théétète 172 c ss.; Aristippe, , Xénophon, dans, Mémorables, II, 1, 11 et 13Google Scholar; Aristote, , Politique, VII, 3, 1325 à 19, et fr. 58 Rose. Voir aussi les textes épicuriens cités par Nestle, Eleutheria, 114–115Google Scholar.

47 Lévi-Strauss, C., Race et histoire (Paris: Gonthier-Unesco, 1961), 21Google Scholar.

48 Les exemples cités par C. Lévi-Strauss (les «bons», les «excellents», les «complets», etc.) n'offrent pas ce caractère, pas plus que les désignations ethniques, géographiques ou familiales qu'on trouve dans I'Iliade. «Complets» pourrait avoir un rapport avec l'idée de développement, mais pas nécessairement (si Ton entend: ceux qui ont recu tous les dons, à qui rien ne manque, etc.).

49 Cf. Aristote, , Pol., I, 2, 1252 b 32.Google Scholar Les images contraires de la croissance entravee servant alors à exprimer les valeurs négatives, cf. le passage du Théétète commenté ci-dessus.

50 Son pouvoir de séduction n'est pas épuisé, si Ton en juge par la fortune actuelle de la notion de «libre épanouissement», notamment en pédagogic

51 Inégalité entre le libre et l'esclave, par exemple, ou entre le Grec et le Barbare, qui légitime le pouvoir exercé par le premier sur le second (Aristote, , Pol., I, 5, 1254 b 16 ss.Google Scholar; cf. ibid., 6, 1255 à 32 ss.; Euripide, , Iph.à Aulis, 14001401).Google Scholar La doctrine d'Aristote concernant l'esclave confirme qu'il s'agit bien pour lui d'une différence dans une communauté de «genre» ou d'«essence» (l'esclave participe à la raison, mais sous une forme inachevee; cf. ibid., 5, 1254 b 22; 13, 1260 b 5). Quant au Barbare, il n'est pas non plus question de lui refuser toute participation à l'humanité.

52 Certains ne sont libres que par l'ame et ne sont pas reconnaissables à leur physique ( Aristote, , Pol., I, 5, 1254 b 3336), sans parler des innombrables différences de tempérament ou de dispositions dans les âmes elles-mêmesGoogle Scholar.

53 Antiphon, D.-K. 87, B 44, B, col. 2,10 ss.; cf. Aristote, , Pol., III, 13, 1283 à 3336. On sait que pour Hérodote, les Barbares eux aussi combattent souvent pour la liberté (I, 95; 126–127; II, 102; etc.), voire pour la démocratic (III, 80; VI, 43: dans les deux passages, l'auteur éprouve le besoin de souligner que son témoignage est véridique, bien que la chose paraisse peu croyable à ses lecteurs grecs)Google Scholar.

54 L'accomplissement qu'elle représente pouvant revêtir des formes très diverses et concurrentes.

55 On n'est pas loin de la formule de Fichte: «Tout animal est ce qu'il est; l'homme seul originairement n'est rien».

56 Nestle, , Eleutheria, 8184 (pour Hérodote, cf. 56; pour Euripide, 70). Cette liberté «absolue» (au sens littéral) se retrouve sans peine dans les exposés critiques de Platon(Rép., VIII–IX; Lois, HI, 693 e; Let. VIII, 354 d-e) ou d'Isocrate (Aréop., 20; Panath., 131; etc.)Google Scholar.

57 Car la liberté (exousia) de faire ce qu'on veut ne permet pas de se garder du mal inhérent à chaque homme ( Aristote, , Pol., VI, 4, 1318 b 39)Google Scholar. Il s'agit de la démocratic, dont le principe fondamental, selon ce qu'on dit habituellement, est la liberté (eleutheria, ibid., 2, 1317 à 40); celle-ci se caractérisant notamment par le pouvoir ou la «liberté» de faire ce qu'o n veut, de vivre comme on veut (ibid., 1317 b 12; cf. V, 12, 1316 b 24).

58 Ce langage n'est pas rare chez les interpretes, et il pourrait expliquer leurs réticences devant le sens négatif de la liberté. La présence de ce sens dans les textes n'est pas niée, nous l'avons déjà noté; mais on voudrait bien n'accorder à cette acception qu'une valeur strictement linguistique et ponctuelle, sans portée idéologique ou philosophique (comme dans «libre de maladie», «délivré d'un tourment», etc.), et Ton refuse en tout cas que les Grecs aient pu y voir la vraie liberté. Plusieurs interprètes ne cachent d'ailleurs pas les liens de leur analyse avec des préoccupations contemporaines (mettre en garde notre temps contre les séductions d'une liberté comprise comme arbitraire individuel, droit illimité, et indifférent à toute obligation, etc.): par exemple, Gigon, , «Der Begriff», 5556;Google ScholarStraaten, van, «What Did the Greeks Mean by Liberty?», 105107;Google ScholarTielsch, , «Die Logik», 262 ss. Cf. encore Abel, «Vom geschichtlichen Ursprung», 31Google Scholar; Rowe, C., «God, Man and Nature: Ancient Greek Views on the Foundation of Moral Values», Eranos Jahrbuch 43 (1974), 277Google Scholar.

59 Un des moyens ordinaires de dissimuler la gravité du problème et d'affadir le débat est fourni par les artifices de la traduction: les exemples sont nombreux ou des mots comme eleutheros-eleutheria, exousia, ethelo, etc. sont immédiatement rendus par des termes péjoratifs (caprice, arbitraire, licence, désir, etc.), chaque fois que l'auteur grec paraît vouloir exprimer une critique, une réprobation. Ce faisant, il est incontestable qu'on masque l'essentielle ambivalence du vocabulaire de la liberté (qui est aussi liberté pour le mal), et le véritable problème disparait (existe-t-il, dans la notion elle-même, un moyen de décider entre les deux valeurs?); en séparant et en juxtaposant simplement les deux aspects grâce à des traductions différentes, on les rend étrangers l'un à l'autre, et au lieu que le sens positif impose sa nécessité, on présuppose sa supériorité. La tentation inverse existe aussi: quand eleutheros exprime manifestement une valeur positive, letraduire simplement par «noble, généreux,…» fait oublier la encore le lien de ces valeurs avec l'idée de liberté.

60 II est important de noter immédiatement que ce qui est ainsi nié, c'est bien l'idée d'une activité ou d'un deploiement sans entrave, autonome: même dans le refus, c'est toujours à la même notion qu'on à affaire.

61 II n'est pas question ici de se prononcer sur la «vraie» pensée d'Homère ou d'Euripide ni sur la signification «objective» de leur oeuvre. Il va de soi qu'on ne s'engage pas sur une telle voie avec pour seul bagage quelques citations isolées. Il s'agit seulement de réagir contre une certaine tradition, et de se convaincre que cette vigoureuse affirmation de la liberté est presente dans les textes et dans l'univers de pensée auquel ils se réfèrent. Pour les mêmes raisons, il est inutile d'insister longuement sur la littérature plus tardive, dans laquelle cette presence est plus volontiers reconnue (à partir des Stoïciens sùrement, pour la majorité des interprètes; certains acceptent de remonter jusqu'à Aristote, très peu jusqu'à Platon ou à Homère).

62 Voir par exemple Il., VI, 523; VII, 197; X, 372; XXIII, 434, 585; Od., II, 133; III, 214; IV, 646–649. Même si Ton trouve aussi beaucoup d'emplois négatifs ou interrogatifs, il faut à tout le moins reconnaître que la notion d'un acte qui relève de soi et non d'une force extérieure à un sens dans ces textes. Cf. Muller, , Freedom in the Ancient World, 153164Google Scholar.

63 Nestle, , Eleutheria, 6364.Google Scholarsurtout, VoirHéraclides, 531559;Google ScholarHécube, 548–552; Iph. à Aulis, 1555–1560.

64 Cyropédie, VIII, 1, 4 (cf. I, 6, 21).

65 Hipp. Maj., 296 c; Prot., 345 d, etc., et jusque dans les Lois, V, 731 c; IX, 860 d ss. Outre Simonide (cité dans le Prot.), Platon se rappelle peut-être aussi Il., X, 372; Théognis, II, 1379–1380; Eschyle, Prom., 266; Epicharme, D.-K. 23, B 7.

66 Cf. Lois, VIII, 832 c-d, dans un intéressant passage où figure aussi eleutheros.

67 Sophocle, , Antigone, 821 (et cf. 875), pour désigner, là encore, la mort volontaireGoogle Scholar; Isocrate, , Panath., 215, à propos de la liberté—toute négative—des enfants de SparteGoogle Scholar.

68 Voir di Stefano, «Analisi semantica», 68; Tielsch, «Die Logik», 253 et 258–259; Abel, «Vom geschichtlichen Ursprung», 20–22. Nous reconnaissons volontiers que cette problématique n'a pas d'emblée les traits que nous lui connaissons. Dans I'lliade, par exemple, il est caractéristique que hekon est souvent employé pour des actions de type technique (jeter sa lance, conduire son char, fuir ou résister au combat); ou que, comme on l'a signalé, la «liberté» dont il est question est fréquemment niée. Mais, justement, il en est question; et il n'est pas si sûr que l'action technique ne puisse conduire à mettre en jeu quelque chose comme une responsabilité (morale) individuelle. II est en outre difficile de nier le caractére moral (c'est-à-dire en rapport avec le bien et le mal, ou avec l'idée de mérite), voire «ontologique» (di Stefano) de la liberté dans les textes d'Euripide (cf. encore Oreste, 251, Iph. à Aulis, 914–915, 928–930; Héraclides, 547–548). Ajoutons que—malgré l'avis, là encore, de divers spécialistes—le mot elentheros et ses dérivés, s'ils ne sont évidemment pas les seuls concernés, sont bien employés dans ce contexte, et, d'après tout ce qui précède, à bon droit.

69 Cf. plus haut, n. 58. Si l'idée d'une limite (ou d'un bon usage) de la liberté à un sens, celui-ci ne peut en aucune façon être présupposé; et comme il est justement question, avec la liberté, de I'essence elle-même de l'homme et du modèle le plus général de toute activité ou de tout usage, le critère de la décision ne saurait être emprunté ailleurs, mais surgir dans l'analyse interne de ce qui est en cause.

70 Parmi les travaux cités précédemment, voir notamment les analyses substantielles de Festugière, Liberté et civilisation, 109–126, et de Gigon, «Der Begriff», 11–15.

71 Epicure, L. à Ménécée, 130; Sent, vat., 44, 45, 77 (τς αὐταρκείας καρπός μγιοτος λευθερα)

72 Pour mémoire: Antiphon, D.-K. 87, B 10; Xénophon, , Mém., 1, 6, 10; Aristote, Métaph., N, 4, 1091 b 16; De caelo, I, 9, 279 à 21, etc.; Platon, Timée, 33 d, 34 b, 68 eGoogle Scholar.

73 Diogène L., II, 24.

74 Hérodote (I, 32) remarquait dejà que ni la cité ni l'individu ne peuvent se suffire totalement à eux-mêmes.

75 Démocrite, D.-K. 68, B 191.

76 Epicure, I. à Mén., 130; Sent, vat., 45.

77 Eth. Nic., I, 11, 1101 à 14; VII, 14, 1153 b 17; X, 9, 1178 b 33; cf. Pol., IV, 11, 1295 à 36.

78 Eth. Nic., I, 5, 1097 b 8–13.

79 L'idéal d'autarcie: Eth. Nic., X, 6, 1176 b 5; 7, 1177 à 27. Le besoin d'amis: ibid., IX, 9; Eth. End., VII, 12. Cf. Aubenque, P., La prudence chez Aristote (Paris: P.U.F., 1976), 179183, spec. 181Google Scholar; Fraisse, J. C., Philia: la notion d'amitié dans la philosophie antique (Paris: Vrin, 1974).—Difficulté semblable à propos de la doctrine épicurienne de l'amitié, cf. Sénèque, Lettre 9, 1Google Scholar.

80 L'ideal d'autarcie comme principe politique peut être considéré comme une solution plus satisfaisante à cette recherche d'un lieu adéquat pour ce qui s'applique si difficilemental'individu, cf. Platon, Rép., II, 369 b; Aristote, , Pol., I, 2, 1252 b 2829Google Scholar (mais Aristote ajoute: «… le niveau de l'autarcie complète, pour ainsi dire»).

81 Voir la thése stoïcienne bien connue de l'autosuffisance de la vertu pource qui regarde l e bonheur (Diogéne L., VII, 127, etc.).

82 Cf. Démocrite, D.-K. 68, B, 191, 210, 246; Epicure, fr. 58 et 216 Arrighetti.

83 Leur usage du concept d'autarcie, au demeurant plutôt restreint, nous paraît en effet très différent de celui d'Aristote et des Epicuriens, contrairement à ce que suggèrent Festugière (Liberté et civilisation, 70 ss.; 111) et Gigon, «Der Begriff, 15). En dehors d'une définition purement nominale (S.V.F., III, 67, 3), on ne trouve guère que deux theses explicites à son sujet: que seul le monde est vraiment autosuffisant (S.V.F., II, 186, 4), et que la vertu suffit au bonheur (cf. ci-dessus). Cette dernière affirmation est une caractérisation de la vie morale, elle-même fondée sur des principes positifs (la nature, la raison), et non la simple exigence d'une indépendance en général par rapport à l'extérieur. On retrouve ici, entre les Epicuriens et les Stoïciens, une opposition semblable à celle que Ton peut relever dans leur usage respectif de la notion d'ataraxie (cf. Muller, R., Les Mégariques [Paris: Vrin, 1985], 170, comm. du fr. 196)Google Scholar.

84 Ci-dessus, note 67. Voiraussi Démocrite, B 264, et Plutarque, Vie de Lycurgue, XIII, 47 a.

85 Le vocabulaire de la Rép. est ici très explicite: il appartient à la raison de commander (441 e), etc'es t alors qu'on peut parlerdeliberté(eleutheria, cf.576 a, 577 c-d,591 b); l e pouvoir exercé par le désir est violence (440 a-b), il est tyrannique (573 b), il asservit (442 a, 519 a-b, 553 d), alors que c'est lui qui devrait être esclave (444 b). Voir aussi Lois I, 635 d (on n'est pas vraiment eleutheros si on ne peut résister au plaisir); Phédon, 80 a.

86 Par exemple, Démocrite, B 214, 236; Antiphon, B 58, 59; Euripide, Hipp., 377 ss.; Médée, 1078.

87 C'est une opinion unanime, dit Agathon dans le Banquet de Platon (196 c), que la temperance consiste à dominer les voluptés et les desirs. En dehors de Platon, qui revient souvent sur cette idée, on pourrait citer beaucoup d'autres textes ou une puissance particulière (raison, volonté), censée représenter le meilleur de l'homme ou l'homme véritable, est opposée aux désirs, aux plaisirs, etc. Remarquons seulement, ce qui nous intéresse plus spécialement ici, que ce thème concerne bien la liberté, aux yeux de plusieurs Socratiques comme à ceux de Platon (cf. note 85): parfois explicitement, lorsqu'il est précise que plaisirs ou passions constituent des entraves à la liberté ( Xénophon, , Eton., I, 1823; Mém., IV, 5, 2–3); parfois implicitement mais de façon très reconnaissable, quand est exalté le pouvoir de l'homme sur les mauvais penchants de sa nature (cf. le cas de Stilpon de Mégare, in Cicéron, De fato, V, 10 = fr. 158 Döring; ou encore celui de Socrate dans le Zopyre de Phédon, cf. Cicéron, De fato, V, 10–11 et Tusc., IV, 80; reconstitution dans L. Rossetti, «Ricerche sui “Dia-loghi socratici” di Fedone e di Euclide», Hermes 108 [1980], 183–198)Google Scholar.

88 Kant, I., Critique de la raison pratique, trad. Picavet, F. (Paris: P.U.F., 1965), 102Google Scholar.

89 En ces matières comme en d'autres, on pourra toujours lui trouver des prédécesseurs (Parmenide, parexemple), mais sans développements véritablement significatifs. La philosophic mégarique contient sans doute aussi la notion d'une rupture comparable, mais celle-ci ne se laisse reconnaître que chez les représentants tardifs de l'école, Diodore et Stilpon (voir par exemple la distinction opérée par le premier entre le plan des purs événements et celui de la rationalité authentique, distinction qui permet de penser l'indépendance et l'autonomie du sage illustrées par Stilpon; cf. notre étude sur Les Mégariqnes, 153–157).

90 Par exemple, pour ce qui est de son origine: Tim., 41 c; sur son immortalité, outre les textes célèbres du Phédon, du Phèdre, et de Rép. X, voir aussi Tim., 90 b-c, où cette immortalité—relative—est mise en rapport avec le démon qui habite dans l'âme.

91 Les choses apparentées à l'âme sont l'opinion, la prévision, l'intelligence, l'art, par opposition au dur, au mou, au lourd, au léger, qui appartiennent à la nature au sens ordinaire (Lois, X, 892 a-b); láme par sa nature plus divine, précède tous les êtres qui ont reçu le mouvement du dehors (XII, 966 e); elle est incorporelle, sans couleur, invisible, intelligente, douéede memoireet dupouvoirdecompter(Epin., 981 b-c). II y à manifestement la un mouvement de pensée—semblable à celui de Descartes dans l à deuxième Méd. et au début de la quatrième—qui s'efforce de distinguer deux types de réalites irréductibles; et ce non seulement par leurs qualités respectives, mais aussi et surtout par leur mode d'action, leur principe de «fonctionnement»: le dur et le lourd n'agissent pas de la même façon que l'intelligence ou la mémoire. A cet égard, le texte le plus caractéristique est assurément le célèbre passage du Phédon (98 c ss.), où la. finalité du vouc est oppose au mécanisme de la nature. Voir aussi Lois, 1,645 a, ou, malgré la comparaison avec les marionnettes, il est bien précisé que la raison n'exerce pas de contrainte, mais appelle la collaboration. On sait que pour Aristote l'âme n'est pas non plus tout entière nature (Parties des animaux, I, 641 b 9), et que l'intellect est quelque chose de divin (Génér. des an. II, 3, 736 b 28).

92 Au moins sur l'individu humain en tant qu'il fait partie de la nature par son corps.

93 Aristote, , De interpr., IX, 18 b 31; 19 à 6 ss.; Eth. Nic., III, 1, 1109 b 30–35. Chez Platon, le thème de la punition et de la récompense, en liaison avec l'idée de responsabilité morale, apparaît dans presque tous les dialogues, de V Alcibiade (118 a) aux Lois (IX, 863 c-d). En dépit du trop fameux «Nul n'est méchant volontairement» (d'ailleurs présent dans le contexte du passage cité des Lois, cf. 860 d), Platon semble n'avoir jamais vraiment renoncé à l'idée que la faute est imputable à celui qui l'a commise; que cette imputabilité, en outre, ne soit pas seulement légale (en quelque sorte mécanique, pour maintenir un ordre politique), mais implique réellement que l'âme à le choix et le pouvoir de décider du bien et du mal, cela est explicite dans la suite (X, 896 c-d, passage qui se réfère directement à la distinction précédente des deux ordres; et aussi 904 b-c: les volontés de chacun sont cause du bien et du mal en lui)Google Scholar.

94 Lois, X, 892 ass. (896 d: l'âme est cause de tout, et gouverne du dedans toutes choses mues); XII, 966 e; Epin., 988 c-e. II faut noter en particulierque le «déterminisme» que le corps exerce sur l'âme (Tim., 86 b ss.) peut être retourné: le logos peut maîtriser la masse de feu, d'eau, d'air et de terre qui est venu s'ajouter à l'âme (Tim., 42 d; cf. 73 a, 88 b, 90 à ss.); on peut détacher de l'âme les masses de plomb qui sont de la famille du devenir (Rép., VII, 519 a-b).

95 Ci-dessus, n. 93, fin, et Rép., X, 617 e. Les éventuelles difficultiés de cette thèse, notamment quand il s'agit de l'accorderavec le «Nul n'est méchant volontairement» ou avec l'ensemble du mythe d'Er, ne peuvent être examinées ici.

96 L'index de Brandwood permet toutefois de vérifier que, sans prendre en compte les autres dérivés, les seuls eleutheria et eletitheros figurent près de deux cents fois chez Platon (à comparer aux neuf eleutheria et à la quarantaine de eleutheros relevés par Bonitz chez Aristote).

97 Lois, IX, 875 c-d. II serait vain d'objecterqu'il s'agit lade législation, et que «libre»a un sens politique: d'abord parce que, dans son énoncé même, l'affirmation à manifestement une portée générale; et surtout parce que le contexte introduit précisément la figure de celui qui, entièrement livré à lui-même, se gouvernerait en dehors de toute loi ou ordonnance—dont la liberté, par conséquent, ne peut consister à vivre dans le respect du Nomos de sa patrie. Le passage du Phédon cité précédemment (98 c-99 d) fournit, à notre sens, une belle illustration de ce type de «causalité» propre à l'esprit: à savoir «l'opinion de ce qui est meilleur», par opposition à la causalité mecanique. Cette opinion (ou jugement) est représentation de fins et conscience de valeurs; et Ton sait combien Platon insiste en d'autres occasions sur le fait que ce rapport de l'intelligence au meilleur est tout le contraire d'une nécessité ou d'une contrainte: cf. Tim., 47 e-48 a; ou à propos de l'éducation et de ce moyen privilégié de formation qu'est la dialectique: Rép. VII, 536 d-e; VIII, 548 b-c; LOTS, IX, 857 c-d; ou encore à propos de l'obéissance à la Lois: Pol., 276 d; Lois, III, 690 b-c; IV, 722 b-c.

98 Voir par exemple Lois, III, 693 b, et VIII, 832 c-d (à propos de la différence entre la bonne constitution et les fausses, Platon souligne avec insistance que celles-ci se caractérisent par l'absence de consentement et la violence); ainsi que les Lettres VII, 331 d (refus de la violence, même pour êtablir la meilleure constitution) et VIII, 354 c-e (malgré les restrictions visant l'excés de liberté: il s'agit justement d'éviter qu'elle ne se change en despotisme).

99 Phédon, 114 e. Cette liberté ne doit pas être confondue avec la libération, par la mort, des geôles que constituent les régions inférieures de la terre (114 b): il s'agit ici de la liberté dans la vie terrestre (114 b), et elle relève en propre du domaine de la pensée (φρνησις, 114 c) et de l'instruction (το μανθνειν, 114 e). Cf. Théét. 175 e (loisir, liberté et philosophie).

100 «Quid est enim libertas? Potestas vivendi ut velis» (Cicéron, Paradoxa Stoicorum, V, 34; et cf. De off., I, 20, 70). Epictéte écrit de même: λευθερός στιν ζν ὡς βοὑλεται… (Entr., IV, 1,1). Cf. aussiPlaton, Rép. IX, 577d-e. On se souvient que ce sens se rattache directement à ce que Ton à longtemps considéré comme l'étymologie de λεὑθερος (ci-dessus 425).

101 Platon, Rép. VIII, 557 b; Lois, VI, 780 a; X, 907 c (cf. Lach., 179 a; Gorg., 469 c); Isocrate, Panath., 131; Aristote, Pol. VI, 4, 1318 b 38; Epictete, Entr., IV, 1, 34.

102 Comme l'observe encore Platon, Gorg., 466 d ss.: en l'absence du νος, le résultat de l'action peut être le contraire de ce que l'agent voulait. Cf. aussi Epictète, Entr., IV, 1, 35 ss. On ne peut éviter ici la question d'un mal moral accompli par le νος libre lui-même, problème commu n aux doctrines qui ont reellement pris en compte l'absolu de la liberté et qui refusent d'identifier simplement le mal avec divers principes «exterieurs», comme la matière, la sensibilité, etc. On connaît les analyses de Kant, p. ex. dans La religion dans les limites de la simple raison, où les Stoïciens sont notamment mis en cause sur ce point précis (cf. 83 de la trad. Gibelin [Paris: Vrin, 1965]). Ces derniers étaient en fait divisés sur le sujet, et Chrysippe avait défendu une thèse apparentée à celle de Kant. En remontant plus haut encore, il nous semble qu'on peut trouver chez Platon plusieurs éléments allant dan s le même sens; mais il faudrait y consacrer un e autre étude.